Par Madeleine Guilbert, notice complétée par Julien Chuzeville
Née le 6 novembre 1878 à Damerey (Saône-et-Loire), morte le 21 août 1953 à Lyon ; compositrice typographe ; syndicaliste ; protagoniste de « l’affaire Couriau ».
Née d’un père cultivateur et d’une mère couturière, Emma Marceaux était typographe (« typote ») depuis 1896. Elle avait travaillé à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), jusqu’à sa rencontre avec Louis Couriau ; ils vécurent brièvement en Suisse, puis se marièrent le 11 décembre 1909 à Saint-Rémy (Saône-et-Loire). En arrivant à Lyon en 1910, elle avait décidé de reprendre son activité professionnelle.
Payée au tarif syndical, Emma Couriau travaillait en 1912 dans une imprimerie syndiquée (l’imprimerie Rey). En application de la décision du congrès de Bordeaux (1910), elle demanda son admission à la section lyonnaise du Livre (la fédération du Livre qui avait jusque-là refusé l’admission des femmes compositeurs avait voté, en 1910, au congrès de Bordeaux, par 74 voix contre 62, leur entrée dans les syndicats, quel que fût leur salaire pendant une période de deux ans, puis, au-delà de cette période, à condition qu’elles soient payées au tarif syndical). L’adhésion d’Emma Couriau fut cependant refusée et son mari radié du syndicat le 30 avril 1913, en vertu d’une décision d’assemblée générale du syndicat lyonnais qui interdisait « à tout syndiqué uni à une « typote » de laisser exercer à cette dernière la typographie sous peine de radiation ». Portée devant l’Assemblée générale de la section lyonnaise, le 27 juillet 1913, la décision fut entérinée par 300 voix contre 26 et 11 abstentions. La demande de Louis Couriau, radié du syndicat lyonnais, à être admis isolément à la fédération du Livre fut rejetée par le Comité central dans sa séance du 3 août.
En fait, la direction de la fédération du Livre (Keufer en était le secrétaire) voulait éviter d’entrer en conflit avec la puissante section lyonnaise, l’une de celles sur lesquelles s’appuyait la majorité réformiste (voir à ce sujet la série d’articles d’Alfred Rosmer dans La Bataille syndicaliste d’août et septembre 1913).
L’affaire fut d’abord prise en main par le mouvement féministe. Dès le refus qu’elle avait subi, Emma Couriau avait saisi la Fédération féministe du Sud-Est (où militaient de nombreuses institutrices syndiquées à la CGT, dont Marie Guillot). La secrétaire de la FFSE, Venise Pellat-Finet, écrivit à la Fédération du Livre, sans résultat. Puis, lors de sa réunion le 13 juillet 1913 à Lyon, la Fédération féministe du Sud-Est adopta une résolution, publiée dans L’Humanité le 18 juillet, demandant la réintégration au syndicat des époux Couriau, et ajoutant qu’il était de l’intérêt et du devoir des syndicats d’accueillir les travailleuses « dans leurs organisations et de les y traiter en égales ». En octobre 1913, le Groupe des femmes socialistes blâma « l’acte inouï » du comité lyonnais. Le 15 décembre 1913, un meeting féministe à Paris prit la défense d’Emma Couriau, notamment par la voix des féministes socialistes Élisabeth Renaud et Maria Vérone, de la syndicaliste Clémence Jusselin, etc.
L’« affaire Couriau » devait provoquer par la suite des remous importants dans le mouvement syndical et provoquer un courant de réflexion. Un article de Louis Couriau, publié par Le Réveil typographique de juin 1913, fut reproduit par Monatte dans La Vie ouvrière du 5 juillet 1913. Il fut suivi d’une lettre signée d’Emma Couriau dans La Bataille syndicaliste du 21 août 1913. Dans La Voix du Peuple du 31 août 1913, G. Dumoulin (de la direction de la CGT) prit la défense de « la camarade Couriau ».
La discussion ne fut toutefois vraiment engagée que par un article de Marie Guillot dans La Voix du Peuple du 4 janvier 1914. Celle-ci s’étonnait que la CGT n’eût pas pris elle-même parti dans cette affaire. Les polémiques se succédèrent alors dans La Voix du Peuple (11 janvier, 18 janvier, 9 février, 16 février, 30 mars, 6 avril, 13 avril, 27 avril, 11 mai, 8 juin 1914) et dans La Vie ouvrière (20 janvier, 5 février, 5 mars, 20 mars 1914). Le 11 mai 1914, Dumoulin annonça, dans La Voix du Peuple, que la question de l’organisation des femmes serait mise à l’ordre du jour au prochain congrès de la CGT (prévu en septembre 1914, annulé en raison de la guerre). Dans le même temps on apprit que le Comité confédéral de la CGT avait adressé aux fédérations un questionnaire concernant l’organisation syndicale des femmes, et des Ligues féminines d’action syndicale furent créées dans plusieurs départements (La Voix du Peuple, 18 mai, 24 mai, 8 juin, 15 juin 1914).
En septembre 1913, Emma Couriau participa à la création à Lyon d’un syndicat féminin de compositrices et linotypistes, qui adhéra à l’Union des syndicats CGT du Rhône et demanda son rattachement à la Fédération du Livre. Dans un article publié par L’Équité (« organe éducatif du prolétariat féminin ») le 15 octobre 1913, partiellement reproduit par La Vie ouvrière, Emma Couriau salua « l’appui moral de l’Union des Syndicats », et critiqua les « pourfendeurs de femmes ».
Le 1er novembre 1913 à Lyon, puis le 1er mars 1914 à Vienne (Isère), elle participa à des réunions de la Fédération féministe du Sud-Est.
Elle vécut ensuite à Nyons (Drôme) : en 1921, elle y habitait rue Madier de Montjau avec son mari et leur fille Jeanne, née en 1908 à Plainpalais (aujourd’hui quartier de Genève, Suisse ; Jeanne, Louise Couriau, née le 1er août 1908, mourut le 15 mars 2007 à Saulieu, Côte-d’Or). Dans ce recensement de 1921, Emma Couriau est indiquée « S.P. » (sans profession). Elle s’occupait pourtant avec son mari de l’Imprimerie Dauphinoise, à Nyons, dont ils étaient copropriétaires. Louis Couriau était aussi le directeur d’un journal hebdomadaire local, Le Pontias : après sa mort en décembre 1925, Emma Couriau en fut brièvement la directrice (« Veuve L. Couriau, directeur », dans les numéros des 17, 24 et 31 janvier 1926). Elle vendit en février 1926 l’Imprimerie Dauphinoise ; dans l’annonce de la vente, elle est indiquée de profession « négociante ». On perd sa trace par la suite.
À Montreuil (Seine-Saint-Denis), une place Emma-Couriau lui rend hommage.
Par Madeleine Guilbert, notice complétée par Julien Chuzeville
SOURCES : Presse syndicale (La Vie ouvrière, La Bataille syndicaliste et La Voix du Peuple). — Communiqué de la Fédération féministe du Sud-Est (fondée par Marie Guillot) soutenant Emma Couriau publié dans L’Humanité, 18 juillet 1913, p. 6. — L’Humanité, 28 octobre et 16 décembre 1913. — L’Aurore, 8 novembre 1913. — L’Action féministe n° 29, janvier 1914, et n° 30, février 1914. — Le Progrès de la Côte-d’Or, 28 novembre 1909, p. 2 (son nom est écrit « Emma Marceau »). — Le Pontias, 28 février 1926, p. 3. — Madeleine Rebérioux, Les Ouvriers du livre et leur fédération, un centenaire, 1881-1981, Temps actuels, 1981, p. 31. — État civil de Saône-et-Loire. — État civil de Nyons (Drôme), recensement de 1921.