Par Yves Lequin
Né le 26 juillet 1875 à Grenoble (Isère) ; ouvrier plâtrier-peintre ; militant syndicaliste révolutionnaire de l’Isère.
Après avoir été membre actif du Parti ouvrier français (POF) de 1897 à 1902, Eugène David, secrétaire du syndicat des peintres en bâtiment, fut élu, en janvier 1905, secrétaire de la Bourse du Travail de Grenoble (Isère), en remplacement de Théophile Fay ; sa désignation marquait la victoire du courant syndicaliste révolutionnaire qui s’était affirmé depuis 1900 ; jusqu’en 1909, il fut la figure la plus marquante du mouvement ouvrier grenoblois : très méthodique, bon orateur, entraîneur d’hommes, mais avec une tendance à la brusquerie et à l’exaltation, il imprima fortement, avec l’aide de ses amis Louis Sorrel, Vizioz, Luyat et Telmat, son empreinte personnelle à une action qui s’inscrivait dans la ligne révolutionnaire de la CGT de Griffuelhes. Le 1er Mai 1905 fut la première manifestation de cette force nouvelle : David présida un meeting de six cents personnes, avec Luquet, après avoir fait le tour des chantiers du bâtiment pour inciter les ouvriers au chômage, musique et drapeau rouge en tête. Mais c’est l’année 1906 qui marque le point culminant de l’action militante de David.
Dès mars 1906, David, accompagné de Sorrel, alla galvaniser les milliers de grévistes du textile de Voiron (Isère), tout en soutenant, à Grenoble même, l’agitation des peintres en bâtiment. Le 1er Mai fut attendu par la bourgeoisie grenobloise avec autant d’angoisse qu’à Paris : dans une ville en état de siège où, pour la première fois à pareille date, le chômage était général, David conduisit un cortège de douze cents personnes et présida un meeting de plus de trois mille, avec Giray et Ehni. Le travail reprit le lendemain, mais à partir de juin s’installa dans la ville une agitation sociale endémique qui atteignit d’abord les maçons et les mégissiers ; en août, elle s’étendit aux métallurgistes et aux menuisiers, qui se retrouvèrent plus de trois mille en grève au début de septembre. David et les militants de la Bourse du Travail se dépensaient pour les soutenir et les organiser (le ministère de l’Intérieur estima après coup qu’ils étaient intervenus dans vingt conflits au moins en 1906). La lutte prit un tour d’âpreté en septembre quand les patrons eurent embauché des agents provocateurs à Lyon et tentèrent de constituer des syndicats « jaunes », quand, à la suite de bagarres aux portes des usines, les pouvoirs publics concentrèrent à Grenoble sept régiments, sans compter les gendarmes et la police. Les 17 et 18 septembre, une manifestation tourna à l’émeute et un soldat fut tué, des locaux furent saccagés. Tandis que huit nouveaux bataillons d’infanterie et deux escadrons de cavalerie s’installaient à Grenoble, les ouvriers grévistes, dont les principaux meneurs avaient été arrêtés, reprenaient le travail, découragés ; Merrheim, venu apporter son soutien à la lutte, ne put que conseiller la modération à David et à ses amis de la Bourse.
David fut rendu responsable, au premier rang, du tour tragique des événements : la municipalité grenobloise prit prétexte, en novembre, d’une grève des teinturiers, pour réorganiser la Bourse ; le 13 décembre 1906, David en fut chassé par la police. Avec lui, l’esprit révolutionnaire passa à l’Union des syndicats ouvriers de Grenoble et de l’Isère, en gestation depuis mars 1906 et qui vit le jour en avril 1907 ; en présence de Griffuelhes, David devint son secrétaire général, entouré de ses amis habituels ; il y créa bientôt une Université populaire qui devint un centre actif de propagande libertaire.
Mais l’échec de l’automne 1906 avait considérablement amoindri le prestige de David, et l’Union des syndicats n’avait pas l’influence de l’ancienne Bourse, ses effectifs avaient fondu, et dès avril, à l’intérieur de l’organisation, il avait été pris à partie par Telmat, le seul guesdiste de la direction, qui avait soutenu Merrheim pour la reprise du travail en septembre et dénonçait l’impuissance des minorités agissantes. Le 1er Mai 1907 eut un succès des plus médiocres : David ne retrouva en face de lui qu’une centaine de chômeurs ; il ne semble pas avoir été plus heureux dans ses tournées de propagande, en avril avec Griffuelhes dans la Drôme, en juillet en Savoie et Haute-Savoie où sa violence indisposa les auditoires ; l’organe de l’Union, Le Syndicaliste, né en 1907, avait une audience limitée et une périodicité irrégulière. Surtout, le coup le plus dur lui fut porté en février 1908 quand Telmat entraîna dans une scission la majeure partie des syndicats vers une nouvelle fédération des syndicats ouvriers de l’Isère, d’inspiration socialiste (SFIO). David prit part encore, en 1908, à une campagne contre l’expulsion de militants étrangers, mais abandonna le secrétariat de l’Union à son ami Sorrel après le troisième congrès, en juin 1909, où l’on s’était contenté de dresser un constat de décadence et d’impuissance. Il avait été délégué, en octobre 1906, à Amiens, au XVe congrès national corporatif — 9e de la CGT — et avait signé l’ordre du jour syndicaliste révolutionnaire présenté par V. Griffuelhes.
Par Yves Lequin
ŒUVRE : Collaboration au Droit du Peuple et au Syndicaliste.
SOURCES : Arch. Nat., F7/12 785, F7/12 792, F/12 909 et F7/13 567. — Arch. Dép. Isère, 52 M 69, 52 M 76, 75 M 9, 76 M 1 et 166 M 9. — Arch. Dép. Haute-Savoie, 6 M, non classée. — Le Syndicaliste, années 1907 à 1909. — P. Barral, Le Département de l’Isère sous la IIIe République, Paris, 1962. — Barthélemy, Les Anarchistes dans le département de l’Isère de 1880 à 1914, mémoire de maîtrise, Grenoble, 1972.