RENAULT Alexandre, Joseph

Par Atsushi Fukasawa

Né le 27 août 1882 à Cherbourg (Manche), mort le 25 octobre 1914 au champ de bataille de la Marne ; syndicaliste révolutionnaire du réseau de l’Ouest-État, révoqué juste avant la grève d’octobre 1910.

Alexandre Renault entra le 17 octobre 1905 aux chemins de fer de l’Ouest en qualité de bagagiste. Promu interprète à l’administration centrale du réseau en 1906, il fonda en juillet 1909 le groupe de Paris-Saint-Lazare-Batignolles du Syndicat national des travailleurs des chemins de fer, dont il devint le secrétaire. Il fut aussi secrétaire adjoint du comité de réseau de l’État du Syndicat national et publia au début de juillet 1910 sa brochure tirée « à 10,000 exemplaires » (Arch. Nat., F713923, « La grève des chemins de fer d’octobre 1910 », p. 16). Il y préconisa la tactique révolutionnaire qui « considère que, seule, la juste crainte inspirée au patronat par son action directe quotidienne, pourra seule arracher à ce patronat qui ne consent jamais de bon gré à céder la moindre parcelle de ses privilèges, les quelques bribes de mieux-être que justifient et nécessitent les difficultés chaque jour grandes de l’existence » (p. 13). Et qui plus est, il suggéra les « précautions » suivantes à prendre au moment de la déclaration de grève :
« ... il faudrait que des équipes de camarades résolus, décidés coûte que coûte, à empêcher la circulation des trains, soient dès maintenant constitués[sic] dans tous les groupes et les points importants. Il faudrait choisir des camarades parmi les professionnels, parmi ceux qui, connaissant le mieux les rouages du service, sauraient trouver les endroits sensibles, les points faibles, frapperaient à coup sûr sans faire de destruction imbécile et, par leur façon efficace, adroite, intelligente autant qu’énergique, rendront d’un seul coup, inutilisable pour quelques jours, le matériel indispensable au fonctionnement du service et à la marche des trains » (p. 26).

Curieusement, ce n’était que le 20 septembre 1910, presque trois mois après cette publication, que le conseil d’enquête se réunit sous la présidence du sous-directeur de l’Ouest-État pour juger le cas Renault, accusé d’excitation au sabotage. « Les dix membres ouvriers [du conseil] rédigèrent une protestation [...]. Ils rejetèrent naturellement la proposition de radiation des cadres. Les dix membres représentant la direction votèrent pour. La voix du président décida la question » (Yves Guyot, Les Chemins de fer et la Grève, Paris, Félix Alcan, 1911, p. 36-37). Il fut officiellement révoqué le lendemain, bien qu’« habituellement, quelques jours, quelques semaines même, s’écoulent entre les avis de conseil et la décision du directeur » (Alexandre Renault, « Ma condamnation », La Tribune de la Voie Ferré, 25 septembre 1910). Toutefois, même si l’attente de la grève dura un peu trop, Renault lui-même conseilla aux militants de prendre encore patience en ces termes :

« Je ne voudrais pas que le mouvement parte sur mon cas personnel, s’il n’est pas préparé dans ses moindres détails [...]. Le gouvernement, en faisant fonctionner contre moi ses fidèles serviteurs, espère que cela suffira pour déchaîner le mouvement. Qu’il se détrompe, je demande à tous mes camarades, à tous les cheminots de ne pas s’impatienter. » (ibid.)

Malgré cette recommandation, une grève éclata l’après-midi du 8 octobre aux deux dépôts (La Chapelle et La Plaine-Saint-Denis) du réseau Nord qui entraîna rapidement la grève générale d’abord du réseau (11 octobre à 8 heures du matin) et ensuite de tous les réseaux (12 octobre). Le matin du 13 octobre on arrêta, avec ses camarades dans les bureaux de rédaction de l’Humanité, Alexandre Renault, qu’on nommera « le professeur de sabotage du réseau de l’État »(Arch. PPo., B A/1417, rapport du 7 mai 1911), et qui s’installa carrément dans « le même fauteuil, où, jadis, M. Briand prenait place pour préconiser par la plume ou la parole la grève générale, l’action directe et le sabotage flamboyant des omnibus »(L’Humanité, 13 octobre 1910, deuxième édition).

Le 24 mars 1911, Alexandre Renault fut mis en liberté provisoire, avec cinq autres emprisonnés (Le Guennic, Berthelot, Lemoine, Fiolet et Gamard). Et il devint le 6 avril 1911 secrétaire du Groupe (Comité) de défense syndicaliste, reconstitué le 19 novembre 1910. Mais il dut partir en même temps qu’Alexandre Le Guennic. Ce fut un « départ motivé par la décision du Gouvernement qui les a compris dans le nombre des 60 militants devant être arrêtés » (Arch. PPo., B A/1417, rapport du 23 juillet 1911) au sujet du sabotage du Pont de l’Arche (l’attentat du 29 juin 1911). Renault se réfugia d’abord en Belgique, puis à Londres. Cependant, il retourna temporairement à Paris pour participer au 22e congrès national du Syndicat national (les 2-5 août 1911). En se présentant aussi à la réunion du 9 août 1911 du Groupe de défense syndicaliste, il se réfugia à nouveau en Angleterre. Et, en y exerçant « tour à tour la profession de cuisinier, mécanicien, comptable » (Arch. PPo., B A/1413, rapport du 14 septembre 1913), il ne retourna en France qu’en juin-juillet 1913.

Après son retour, il s’efforça, dans le cadre des décisions de la CGT visant à la dissolution de la Fédération nationale de la voie ferrée (organisation dissidente fondée en janvier 1912 par le Groupe de défense syndicaliste), d’obtenir l’entente entre les sections de celle-ci et les groupes du Syndicat national. Et, au cours d’une réunion organisée par la section de Paris-Saint-Lazare-Batignolles de la Fédération, à laquelle participa comme assesseur de la présidence le secrétaire du groupe Paris-Batignolles-Dépôt du Syndicat, Renault expliqua les relations des deux organisations qui « ne peuvent pas vivre l’une sans l’autre », en ces termes : « Le Syndicat national est un corps comprenant un nombre important d’adhérents ; mais il manque à ce corps ’la colonne vertébrale’qu’est la Fédération » (Arch. PPo., B A/1417, rapport de 29 août 1913). Mais la réintégration des fédérés au sein du Syndicat fut à la fois très ardue et lente, et un rapport de police qui porta sur la séance du 10 juin 1914 de la commission exécutive du Syndicat fit connaître que « de l’état d’esprit qui règne à la commission exécutive à l’égard de RENAULT, on peut en déduire qu’il ne sera pas réadmis » (Arch. PPo., B A/1417, rapport du 11 juin 1914).

Au début de la Grande Guerre, Alexandre Renault, quoique mobilisé, demanda son intégration au réseau de l’État en voulant profiter de la décision générale de réintégration des cheminots révoqués. Et Albert Thomas qui fut chargé de la coordination des chemins de fer entre l’état-major et le ministre des Travaux publics, écrivit à Pierre Laval qui fut l’un des députés désignés par le Groupe parlementaire socialiste pour suivre la question de réintégration : « Je me suis immédiatement occupé de la demande de Renault. Impossible en ce moment d’obtenir satisfaction » (Arch. Nat., 94 AP 348, lettre datée du 14 septembre 1914). Quelques semaines après cette lettre, exactement le 25 octobre 1914, il était mort « avec ses citations et ses galons de lieutenant conquis sur le champ de bataille de la Marne, où il est tombé » (F. Depré, Les Cheminots de l’État et la Grande Guerre, Édition des Groupes de : Paris-Saint-Lazare-Batignolles et Bureaux Centraux, Batignolles-Dépôt, Champ-de-Mars, La Garenne, Courbevoie, La Cootypographie, 1916, p. 32).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article8007, notice RENAULT Alexandre, Joseph par Atsushi Fukasawa, version mise en ligne le 30 juin 2008, dernière modification le 22 juillet 2022.

Par Atsushi Fukasawa

ŒUVRE : Le Syndicalisme dans les Chemins de Fer, avant-propos daté du 30 juin 1910 de Victor Griffuelhes, Édition du Groupe Paris-Saint-Lazare-Batignolles, Courbevoie, La Cootypographie, 1910.

SOURCES : Arch. Nat., F713923, 94 AP 348. — Arch. Ppo. B A/1413 et 1417. — Publications citées dans la notice.

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