DUBUISSON Jules, dit Dubuisson d’Auxerre ou Dubuisson l’Auxerrois

Par Madeleine Rebérioux

Né le 23 octobre 1836 à Auxerre (Yonne) ; ingénieur ; libre penseur et socialisant.

Le futur ingénieur Dubuisson naquit à Auxerre, sixième enfant d’un couple qui comptait déjà vingt ans de mariage. Son père était fonctionnaire à la préfecture de l’Yonne et son grand-père avait été élu en 1791 représentant de Seine-et-Marne à la Législative. Mis au collège à onze ans, il eut une enfance chétive et chrétienne et c’est lorsque, pendant son adolescence, il perdit la foi, qu’il acquit aussi « jarret de fer, poumons exceptionnels, avaloir de franc Bourguignon ». Reçu à l’École centrale en 1859, il en sortit en 1861 et quitta dès lors définitivement Auxerre non sans garder une grande tendresse à sa ville natale dont il a dit le charme triste dans un bref récit, Une Misère, qu’il avait écrit en 1857.

Le personnage de Dubuisson témoigne de la précocité et de la profondeur de la déchristianisation dans l’Yonne et aussi de l’ouverture aux problèmes économiques et aux questions sociales qu’elle entraîna assez souvent. Son matérialisme vigoureux alimente un grand nombre de ses œuvres et nourrit sa vie quotidienne. Il « ne passera pas comme le saint-simonisme, écrit-il en 1881 [...] il n’est pas une question d’imagination, il est le résultat d’un positivisme mathématique et axiomatique, le corollaire des vérités premières, la vraie révélation [...] inscrite dans la nature ». Ce panthéisme matérialiste débouche sur une pratique. Dans le tome I (écrit en 1894, mais publié en 1897) de mélanges qu’il a intitulés Hommes et choses, celui qu’au cœur du second Empire on appelait à Centrale « le farouche républicain », explique que le « vrai bonheur », c’est de « combattre quotidiennement le préjugé et le privilège, le cléricalisme et la monarchie, l’autel et le trône ».
Le préjugé, la routine, il voulut d’abord les combattre en « appliquant la science aux chemins de fer ». « J’ai consacré ma vie, écrira-t-il en 1905 dans le tome III de Hommes et choses, à la grande œuvre du XIXe siècle, la création des voies ferrées ». Chef de section sur différentes lignes en construction, il fut mis à la retraite anticipée en 1888, dans des conditions assez obscures, par la compagnie du PLM. Il se consola en multipliant les articles scientifiques, en collaborant notamment plus intensément encore aux Annales des Travaux publics (il a publié en 1913, dans le tome V de Hommes et choses, sa correspondance avec le directeur de cette publication, Dumont) et en étudiant, de 1890 à 1898, les plans d’aménagement d’une ligne de tramway destinée à desservir la région d’Arcachon.

Il ne séparait pas son activité professionnelle de sa pensée militante. Favorable à la Commune, il dirigea ensuite jusqu’en 1880 la revue scientifique du journal de Gambetta, La République française. En 1883, il adhéra à l’Union démocratique de propagande anticléricale et à la Ligue anticléricale de la libre pensée auxerroise fondée cette année-là et que présidait François Martin. Il ne semble pas qu’il ait jamais adhéré à une organisation socialiste : il est vrai qu’il voyagea beaucoup, d’Auxerre à Nevers puis à Saulieu, de Saulieu à Château-Chinon puis à Arcachon, d’Arcachon à Miélan dans le Gers puis à Valence-d’Agen (Tarn-et-Garonne), enfin à Condom (Gers) où il vivait encore à la veille de la guerre. Mais il resta toujours en relations non seulement avec la presse radicale et libre-penseuse, mais avec les militants ouvriers de l’Yonne. Il ne haïssait rien tant en effet, lui qui était issu de la bourgeoisie, que la prétention des fils de la bourgeoisie, élèves des lycées, à diriger la nation : « Et alors le Peuple, les masses des travailleurs, hein ! C’est donc un troupeau réservé à la houlette des petits universitaires ? », écrivait-il encore le 5 septembre 1900 au Travailleur socialiste de l’Yonne qui d’ailleurs n’inséra pas sa lettre. « Vive la République démocratique et sociale ! » s’écriait-il en conclusion du tome III de Hommes et choses. Et en février 1897, il souscrivit à plusieurs reprises sur la liste ouverte par Le Réveil de l’Yonne pour qu’une candidature socialiste se manifeste à l’élection législative partielle qui devait avoir lieu dans la première circonscription d’Auxerre. En 1905 enfin, il appelait de ses vœux la création de cercles de jeunesse socialiste dans chacune des 36 000 communes de France, « jeunesse bénie, écrivait-il, sur laquelle repose l’avenir de nos revendications ».

Ce curieux personnage mériterait à tous égards d’être mieux connu.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article80263, notice DUBUISSON Jules, dit Dubuisson d'Auxerre ou Dubuisson l'Auxerrois par Madeleine Rebérioux, version mise en ligne le 30 mars 2010, dernière modification le 2 janvier 2011.

Par Madeleine Rebérioux

ŒUVRE : (cotes de la Bibl. Nat.) : Essais sur l’amélioration des travaux publics, Nevers, 1889-1892, 2 vol. 8° V 21 298. — Études définitives d’une voie ferrée entre deux points donnés, Paris, E. Bernard, 1882, 4° V 2068, nouv. éd. 1888. — Hommes et choses par l’ingénieur national, matérialiste et démocrate Dubuisson, Nevers 1897-1905, 3 vol. 8° Z 16 847. — Le Printemps — Serenita — Le Berceau — Primevères — L’Orage — Surgite Mortui — L’Art et la Nature — Le Lendemain des rêves, Paris, libr. du Petit Journal, 1865, Y 2/28 611. — Publications nouvelles — L’Étoile — Le Bois des songes — Janua Cœli — La Ronde du Cantubas, id, 1864, Y 2/28 612. — Regains scientifiques, Nevers 1870-1881, 8° R. 1109, 2e éd. 1874, Chamalières. — Le Souvenir, par Dubuisson l’Auxerrois, de l’École centrale, Nevers, 1863, 8° Ln 27/27 928. Les Trois Rêves, Suivi de : Dans l’abîme, Nevers, 1884, 8° Y 2/7 652. — Les Trois Sourires, Nevers, 1863, Y 2/28 613. — Une Misère — Le Souvenir, 2e éd. Nevers 1863, Y 2/28 614. — Trois gros cahiers manuscrits rédigés en 1881 et retouchés en 1902 sont conservés à la Bibliothèque municipale d’Auxerre et bourrés de notes personnelles, de lettres, de remarques semi-philosophiques.
Collaborations : Les Annales des Travaux Publics. — Le Bourguignon de l’Yonne. — L’Écho du Morvan. — Le Patriote de la Nièvre. — La Petite République. — La Réforme sociale (Yonne). — La République française. — Le Réveil de l’Yonne. — Le Travailleur socialiste de l’Yonne. — La Tribune républicaine de Nevers.

SOURCES : Presse et œuvre, ses Souvenirs notamment — Voir ci-dessus.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable