Par Justinien Raymond
Né le 11 octobre 1860 à Bonnétable (Sarthe) ; mort le 7 décembre 1911 à Fréjus (Var) ; ouvrier tapissier ; socialiste indépendant ; journaliste et député.
À Paris, Gérault-Richard fut d’abord ouvrier à la gare de Lyon, puis débuta comme journaliste à vingt-deux ans au Réveil. Il collabora ensuite à la première Marseillaise et à la première Bataille où il succéda, sous le pseudonyme de Jean Valjean, à Octave Lebergue. En novembre 1885, il assista à une réunion organisée dans les bureaux de La Bataille pour discuter la formation d’un comité de vigilance. Il était à cette époque membre de la bibliothèque socialiste de l’Agglomération parisienne. Au mois de janvier 1887, il fit une déclaration comme gérant de La Bataille (direction : Lissagaray) dont il devint secrétaire de rédaction, et participa aux polémiques violentes que soutint cette feuille contre les chefs du parti boulangiste.
Le 2 mai 1889, il fondait le Courrier quotidien de l’Exposition qui parut irrégulièrement. Après la disparition de La Bataille (1892), il appartint à la rédaction de La Marseillaise et de Germinal puis de La Petite République, en même temps qu’il fondait Le Chambard, hebdomadaire paraissant le samedi (62 numéros du 16 décembre 1893 au 16 février 1895).
Gérault-Richard eut fréquemment à répondre par les armes ou devant la justice des accusations portées dans ses articles et il encourut neuf condamnations pour délits de presse, injures et diffamation. En raison peut-être de son attitude pendant la période boulangiste, il bénéficia de fréquentes mesures gracieuses.
Gérault-Richard resta en marge du socialisme unifié en 1905 après avoir fait quelque bruit comme socialiste indépendant. Travailleur manuel, autodidacte, il était doué d’un réel talent oratoire et d’une verve de polémiste qui lui valut la notoriété au moment où le socialisme devenait une force politique. Cependant, sa première tentative électorale tourna court. En 1893, il n’obtint que 1 255 voix dans la 3e circonscription du XVIIIe arr. de Paris, loin derrière Lavy qui en réunit 3 687 et l’emporta au second tour.
Gérault-Richard mena bientôt dans un éphémère pamphlet, Le Chambard, une bruyante campagne contre le pouvoir, contre les lois scélérates et contre le président de la République, Casimir Périer. Il traita ce dernier de « faux patriote », « faux républicain », « faux philanthrope ». « Casimir Périer a raison de haïr le peuple, écrivit-il. Rarement il aura fait un placement aussi avantageux, car sa haine lui est rendue au centuple. Cela ne peut que flatter les instincts ataviques d’un petit-fils d’usurier » (Cf. Grand Dictionnaire socialiste, p. 328). Devant les assises, le 5 octobre 1894, défendu par Jaurès qui prononça un réquisitoire contre la famille Périer, Gérault-Richard fut condamné à un an de prison et 3 000 francs d’amende.
Au siège rendu vacant par la démission d’Hovelacque, dans la 1re circonscription du XIIIe arr. (Salpêtrière-Croulebarbe), les socialistes indépendants posèrent sa candidature. Malgré la présence de deux concurrents socialistes, un allemaniste et le Dr Navarre, malgré une campagne menée au nom d’un candidat absent, Gérault-Richard, bénéficiant du prestige du condamné, passa de 1802 à 2 742 voix du 23 décembre 1894 au 6 janvier 1895 et fut élu et libéré.
Succès de circonstance : avec 2 914 et 3 109 voix sur 8 603 inscrits, en 1898, il sera battu par Paul Bernard, conseiller municipal de Paris. Il ne s’était guère signalé au Parlement. Au cours de la session de 1897, à la suite d’une manifestation politico-religieuse antirépublicaine à la basilique de Montmartre, il déposa avec Rouanet une proposition de loi (n° 2213) tendant à abroger la loi de juillet 1873 qui avait décidé l’érection expiatoire de cette église : mais il laissa à Rouanet et à Fabérot le soin de la défendre, ce qu’ils firent en vain.
Avec la fédération des Socialistes indépendants à laquelle il appartenait, Gérault-Richard adhéra à la confédération des Socialistes indépendants en vue des rapprochements qui s’esquissaient avec les partis ouvriers organisés. Au premier congrès général socialiste de la salle Japy à Paris (décembre 1899), il représenta les socialistes indépendants de la 1re circonscription du XIIIe arr. : son rôle y fut modeste, borné à quelques débats de procédure. Il fut le délégué de la Guadeloupe, de la Sarthe et de la Seine au congrès de Lyon (1901), de la Guadeloupe et de Vaucluse au congrès du PSF à Tours (1902).
Sa véritable tribune fut La Petite République. Il en devint le rédacteur en chef, le 18 mai 1897 — il le demeura jusqu’au 26 mai 1906 — y soutint ardemment Millerand, développa autour du journal un réseau d’affaires commerciales qui indisposèrent Jaurès. Lorsque celui-ci fonda l’Humanité en 1904, Gérault-Richard resta le maître à La Petite République et réussit à lui conserver une assez large audience dont personnellement il bénéficia : son mariage le 22 mars 1905, à la mairie du Xe arr., attesta de relations éclectiques : il eut, entre autres témoins, le ministre de l’Intérieur Eugène Étienne et l’artiste dramatique Constant Coquelin.
Engagé dans une action politique très personnelle, Gérault-Richard se tint hors de la SFIO dès la naissance de cette dernière en 1905. Il avait été délégué au congrès international d’Amsterdam (1904) et, aux dernières assises du Parti socialiste français à Rouen, le 27 mars 1905, il déclara n’avoir « jamais conçu séparément République et socialisme », s’affirma partisan du vote du budget, d’ententes avec les autres groupes démocratiques et d’une certaine « liberté d’action » pour les élus (l’Humanité, 28 mars 1905). Ces conceptions rejetées dans le pacte d’unité, il se tint à l’écart du nouveau parti pour se « dégager des thèses antipatriotiques d’Hervé », écrivit-il au secrétaire du groupe socialiste unifié en formation. Il ajoutait : « En attendant que chacun retourne à sa place, les anarchistes à l’anarchisme, les socialistes au socialisme, je me soustrais à une confusion qui répugne à mon invincible besoin de précision et de clarté » (l’Humanité, 16 mai 1905). Il poursuivit contre le parti unifié une nouvelle carrière politique inaugurée en 1902. Il avait été élu cette année-là député de la Guadeloupe, dans la circonscription de la Grande-Terre que, malade, lui céda son ami Hégésippe Légitimus. En 1906, il dut restituer ce siège et brigua celui de Basse-Terre, l’autre circonscription de la Guadeloupe, contre Gerville-Réache qui la représentait depuis plus de vingt ans. Ce dernier n’avait pas les faveurs de l’administration : elles allèrent à Gérault-Richard qui l’emporta par 7 120 voix contre 6 000. Le Parti socialiste vilipenda le « renégat » et l’Humanité dénonça ces pratiques électorales par la plume d’A. Morizet qui fustigea les « rois nègres », H. Légitimus et Gérault-Richard (juin 1910). Ce dernier ripostait. En 1909, dans le Var, il défendit contre Renaudel le ci-devant nationaliste Pétin, mué en candidat radical. Aux approches de 1910, il prépara une candidature en métropole en publiant à Montargis Le Petit Montargois : mais la venue de Briand au pouvoir lui laissa ses chances aux Antilles et il y fut réélu en avril 1910. Après avoir appartenu au deuxième Parti socialiste français (1907-1910), il eut le temps, avant de mourir, d’adhérer en 1911 au Parti républicain socialiste en cours de constitution. Il fut incinéré au cimetière du Père-Lachaise.
Par Justinien Raymond
ŒUVRE : Le Chambard : cet hebdomadaire de polémique parut en 62 numéros du 16 décembre 1893 au 16 février 1895. — La Petite République. Journal républicain depuis 1875, il devint en 1893 l’organe des socialistes sous la direction de Millerand, puis de Jaurès. Gérault-Richard y collaborait et en fut le véritable animateur après 1904. — « Ohé », mensuel fondé par Gérault-Richard le 8 mars 1901. — Messidor, publié de 1907 à 1908. — Paris-Journal fait suite au précédent de 1908 à 1911.
Préface à L’Antisémitisme algérien, discours de G. Rouanet. Paris, s.d. in-8°. — Déclaration de Gérault-Richard au procès du Chambard in Jean Jaurès, Le Procès du Chambard, plaidoirie, Paris, 1895, in-16. — Paroles de « La Bataille », musique de Legay.
SOURCES : Arch. Nat. F7/12 562, note de police : M 1691, 6 novembre 1905. — F 17/12 387-88 — C 5 361, dossiers électoraux. — Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Arch. PPo., B a/875. — Hubert-Rouger, Les Fédérations Socialistes III, op. cit., pp. 139, 140, 142, 203. — Compère-Morel, Grand Dictionnaire socialiste, op. cit., p. 328. L’article du Chambard : « À bas Casimir !... y figure. — La Petite République, 18 mai 1905. — L’Humanité, 3, 5 et 6 juin 1910, articles d’A. Morizet. — Henri Perrin, Document, Bourse du Travail de Besançon, n° 7. — Yves Billard, Le Parti républicain-socialiste de 1911 à 1934, thèse, histoire, Paris 4, 1993. — Notes de J. Chuzeville, R. Andréani.