LEMIRE Jules-Auguste [LEMIRE Jules, Auguste, dit]

Par André Caudron

Né le 23 avril 1853 à Vieux-Berquin (Nord), mort le 7 mars 1928 à Hazebrouck (Nord) ; ecclésiastique, professeur, homme politique ; abbé démocrate ; député du Nord (1893-1928), secrétaire général de la Démocratie chrétienne (1897), fondateur de la Ligue française du coin de terre et du foyer (1896), maire d’Hazebrouck (1914-1928).

L’abbé Jules-Auguste Lemire
L’abbé Jules-Auguste Lemire

L’un des cinq enfants de petits cultivateurs, Jules Lemire fréquenta l’école de son village puis le collège Saint-François d’Assise à Hazebrouck et le grand séminaire de Cambrai. La modicité des ressources familiales l’empêcha de poursuivre des études à Rome. Prêtre en 1878, il enseigna dans son ancien collège en collaborant au journal légitimiste local, L’Echo de la Flandre. Il découvrit la condition ouvrière lorsqu’il fut chargé de superviser la construction d’un nouvel établissement. Adhérant aux consignes pontificales de ralliement à la République, il présenta sa candidature aux élections législatives de 1893 dans la première circonscription d’Hazebrouck contre le député sortant, le général de Frescheville. Face à ce vieux notable, président de la Droite constitutionnelle, il arriva en tête au premier tour et fut élu le 3 septembre par 6.754 voix contre 5.660 au républicain Alphonse Outters. L’étiquette inattendue de « socialiste chrétien » lui fut attribuée par les services préfectoraux.
Blessé assez grièvement le 9 décembre suivant dans l’hémicycle du Palais Bourbon par la bombe d’Auguste Vaillant, il demanda, sans l’obtenir, la grâce de l’anarchiste, puis se préoccupa du sort de sa fille. Au Parlement où il siégea jusqu’à sa mort, Lemire intervint dans les grands débats relatifs à la « question religieuse » : loi d’association, suppression de l’enseignement congréganiste, séparation des Eglises et de l’Etat. Mais il se consacra surtout au domaine familial et social. Volontiers applaudi par la gauche, il déposa des textes sur le repos hebdomadaire, l’assistance médicale gratuite, le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les usines, les allocations familiales, le repos des femmes en couches... Ses propositions n’aboutirent souvent que longtemps après. En 1902, il obtint la création d’un ministère du Travail. En 1912, il fut l’auteur de la loi interdisant le travail de nuit pour les enfants de moins de treize ans.
Il mit sur pied avec Alexandre Ribot, et plus tard Louis Loucheur, l’accession à la petite propriété. Artisan du lancement des Habitations à loyer modéré (HBM), il fut le fondateur du Crédit immobilier (1913). Soutenu par ses amis « terrianistes » qui réclamaient un bien insaisissable pour chaque famille, il avait déposé dès 1894 une proposition de loi tendant à favoriser le petit propriétaire. Attaché aux traditions paysannes et familiales, et intéressé par les jardins ouvriers, il créa en 1896 la Ligue française du coin de terre et du foyer qu’il présidera pendant plus de trente ans.
A la fin du siècle, il prit part aux tentatives de regroupement des catholiques sociaux. A Reims en 1896, à Bourges en 1900, il anima des « congrès sacerdotaux » rassemblant un demi-millier de prêtres qui voulaient « aller au peuple ». Ces assemblées étaient mal vues des fonctionnaires du culte comme des évêques, car ils craignaient la naissance d’un « syndicat de prêtres ». En 1897, à l’issue du congrès de la Démocratie chrétienne à Lyon, l’abbé Lemire fut nommé secrétaire général du conseil national de ce mouvement qui ne dura guère. A Lille, aux assemblées régionales des catholiques, il organisa des congrès, avec ses amis, sur des thèmes plus sociaux que politiques (1897-1898). Le prêtre-député exposait la méthode de la Démocratie chrétienne qui était de s’attaquer aux causes, disait-il, et non aux faits.
En 1894, il avait refusé la direction d’une revue, La Démocratie chrétienne, fondée par les abbés Paul Six et Gaston Vanneufville. Malgré l’insistance de son entourage, il ne tenait pas à jouer le rôle d’un chef de parti. Bientôt la nécessité d’une formation spécifiquement catholique ne lui parut pas évidente. Il eut d’excellentes relations avec Marc Sangnier et le Sillon, comme plus tard avec le Parti démocrate populaire (PDP), mais il ne s’engagea pas à leurs côtés. Néanmoins, « le plus illustre des abbés démocrates », comme on l’a appelé, fut considéré comme un pionnier et un personnage emblématique.
En proie à l’hostilité de la droite et des « intransigeants », aux attaques répétées de Mgr Delassus dans la Semaine religieuse de Cambrai, il resta en conflit permanent à partir de 1906 avec son archevêque. Le « lemirisme » divisa le diocèse. Après les élections de 1910 où le président local de la Jeunesse catholique s’était vainement opposé à l’abbé, Mgr Delamaire, archevêque coadjuteur, fut poussé à intervenir contre le député. Mgr Charost, à peine évêque du nouveau diocèse de Lille, et proche de l’Action française, le mit en demeure de supprimer son journal, Le Cri des Flandres, et de ne point se représenter en 1914. Au nom de la liberté du prêtre, il refusa de se soumettre dans un domaine qu’il estimait étranger à l’autorité hiérarchique. Le 17 janvier 1914, le rebelle était frappé de suspense « a sacris ».
Désormais, « pêcheur public », il assista à la messe comme un simple fidèle, jusqu’à la levée des interdits par le pape Benoït XV en 1916. L’affaire avait eu un grand retentissement. Le 13 janvier 1914, la gauche avait porté « l’aumônier du Bloc » - surnom donné par ses adversaires - à la vice-présidence de la Chambre. Il y renonça six jours plus tard. Réélu triomphalement le 26 avril par un électorat essentiellement populaire, il devenait aussi, le mois suivant, maire d’Hazebrouck. Aux élections municipales de 1919, il fit élire avec lui quatre socialistes ; les conservateurs avaient décliné son offre. En 1919 et 1924 il figura sur la liste législative de la Fédération républicaine du Nord avec les radicaux, face à l’Entente républicaine que soutenaient les milieux catholiques. Longtemps non-inscrit, il siégea ensuite à la gauche radicale.
L’abbé Lemire fut des premiers à comprendre que la loi de Séparation, en fin de compte, serait bénéfique pour l’Eglise de France et, parmi les catholiques, à reconnaître la légitimité de l’école publique, élément d’une sécularisation de la société française. En tant qu’élu, il ne se voulait pas le représentant d’intérêts religieux ; il entendait exercer une mission sacerdotale « par le simple fait de sa présence ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article82476, notice LEMIRE Jules-Auguste [LEMIRE Jules, Auguste, dit] par André Caudron, version mise en ligne le 30 mars 2010, dernière modification le 26 juin 2021.

Par André Caudron

L'abbé Jules-Auguste Lemire
L’abbé Jules-Auguste Lemire

ŒUVRE : L’Abbé Dehaene et la Flandre (1891), Le Cardinal Manning et son action sociale (1893) et autres travaux dont la liste figure dans la thèse de Jean-Marie Mayeur.

SOURCES : Jean-Marie Mayeur, Un prêtre démocrate, l’abbé Lemire (Tournai, Casterman, 1968, 698 p.) — André Caudron, Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, IV. Lille Flandres, 1990 — Catholicisme, VII, 1975 (J.-M. Mayeur) — Chantal Houte et Emmanuelle Leveugle, Biographies des militants ouvriers de la région de Lille-Roubaix-Tourcoing entre les deux guerres, maîtrise, Lille III, 1972 — Jean Dorigny, L’abbé Lemire, son oeuvre parlementaire, Paris, Grasset, 1914 — Pierre Dabry, Les Catholiques républicains, Paris, Chevalier et Rivière, 1905 — R.P. Lecanuet, L’Eglise de France sous la IIIe République, Paris, Alcan, 1930 — Jean Brugerette, Le Prêtre français et la société contemporaine, III, Paris, Lethielleux, 1938 — René Rémond, Les deux Congrès ecclésiastiques de Reims et de Bourges, Paris, Sirey, 1964 — Pierre Pierrard (dir.), Les Diocèses de Lille et de Cambrai, Paris, Beauchesne, 1978 — Archives départementales du Nord, M 157-7, 31 J 115-19 — Assemblée générale des catholiques du Nord et du Pas-de-Calais, Lille, 1897.

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