LODENOS Adrien, Alfred

Par Jean-Joseph Chevalier

Né le 15 juin 1850 à Beaufort-en-Vallée (Maine-et-Loire), mort le 18 mars 1932 à Nantes (Loire-Atlantique) ; voyageur de commerce, employé de commerce, marchand de chaussures ; socialiste possibiliste et syndicaliste.

D’Adrien Lodenos, voyageur de commerce de son état, nous n’avons qu’une connaissance intermittente mais non sans substance.
La haine du Second Empire puis, au tournant des années 1870-1880, la déception à l’égard des républicains victorieux mais, oublieux de l’égalité et des travailleurs l’avaient amené, développe-t-il dans une brochure passionnée publiée à Tours en 1885, à se rapprocher du "parti républicain, ouvrier, socialiste", appellation générique large à usage électoral derrière laquelle se profilait la Fédération des travailleurs socialistes de France (FTSF), branche réformiste du socialisme français dirigée par le médecin Paul Brousse.
On le retrouve effectivement en octobre 1890 à Châtellerault, participant au Xe congrès de la fédération broussiste comme délégué du cercle d’études sociales L’Émancipation des travailleurs choletais. Bien que ne résidant pas à Cholet, il avait quelques parents dans la région et des liens de camaraderie avec les possibilistes de Châtellerault et de la cité du mouchoir, eux-mêmes en fréquentes relations dans le cadre de la Fédération socialiste de la Vienne et du Choletais fondée en 1890 à l’instigation du Châtelleraudais Georges Limousin. Le choix d’un horsain par le cercle de Cholet ne doit pas étonner. Il était banal que des petites organisations locales se fassent ainsi représenter par des « tiers » amis. Une telle représentation, quoique indirecte, attestait de la vie de la structure, la valorisait tant auprès de l’instance nationale qu’auprès de ses propres militants et évitait des frais lourds de déplacement. Elle permettait à un groupe en difficultés – ce qui était le cas à Cholet en 1890 au lendemain de l’échec de la grève de l’automne 1888 et de la scission des Prévoyants – de ne pas se disperser tout en gardant un lien avec le parti. Les deux chambres syndicales alors actives à Cholet (Chambre syndicale des ouvriers tisserands et Chambre syndicale des diverses corporations) et proches du cercle furent elles aussi représentées indirectement par les Châtelleraudais Clément Krebs et Eugène Audinet (celui-ci mandaté également par un groupe d’Angers). Lorsque le recours émanait non pas de la base mais de figures du parti, il pouvait permettre également à des orientations opposées de s’assurer des voix lors de votes décisif mais ce détour n’était pas sans surprise comme le rapportent les actes du congrès de Châtellerault à propos précisément de Lodenos lui-même.
Dans les Ardennes où il avait voyagé et visité ses pratiques pendant trois semaines au printemps précédent, il s’était approché du mouvement ouvrier local allant même jusqu’à s’inscrire dans l’un des cercles d’études de Charleville. Militant impénitent, il avait même adressé à L’Éclaireur de la Vienne (imprimé à Châtellerault) une longue lettre sur la situation des travailleurs en grève d’une entreprise de Château-Regnault. Trois mois plus tard, dans une missive postée de Gien (Loiret), le 24 septembre 1890, il avait proposé à Jean-Baptiste Clément, organisateur et chef de file du bastion FTSF qu’étaient les Ardennes mais aussi grande figure du parti ouvrier, de participer, si nécessaire, à sa représentation au congrès national :
« Mon cher Clément, lui avait-il écrit, j’ai pu en vous rencontrant aux obsèques de notre vaillant Joffrin, vous témoigner de mon désir d’être utile aux camarades de notre Parti ouvrier en me mettant à leur disposition pour le Congrès du 5 octobre prochain qui doit avoir lieu à Châtellerault. Mon rapprochement de cette ville pendant une huitaine de jours me permettra d’assister aux assises de notre Parti sans grever trop fortement mon budget et sans demander rien au vôtre. C’est pourquoi je me crois obligé envers lui d’essayer de m’y rendre utile, et plus particulièrement envers les camarades des Ardennes, étant inscrit au groupe d’études de La Sentinelle de Charleville. Si donc, comme vous me le faisiez pressentir, il plaisait à un groupe de décider que je le représente, je me mets entièrement à sa disposition. » « Mon vieux Lodenos, lui avait répondu Clément, je viens vous informer que votre offre a été acceptée et l’on vous remercie. Vous représentez cinq de nos groupes. Tout à vous. »
Arrivé à Châtellerault, l’étonnement fut grand pour Lodenos lorsque la commission de vérification des mandats constata que ceux des Ardennes, au nombre de six, ne lui étaient pas attribués et, de surcroît, étaient irréguliers. Clément avait-il envisagé de l’entraîner dans son opposition à la direction du Parti ? Depuis quelques mois en effet, les tensions avaient crû au sein du parti entre révolutionnaires, sensibles aux impatiences ouvrières et nombreux en province, dans les Ardennes notamment, et modérés, conseillers municipaux ou députés, implantés principalement à Paris et dans sa banlieue et enclins à des stratégies électorales les rapprochant des bourgeois radicaux. Très contrarié, il vota contre l’acceptation des mandats et, tout au long du congrès, joua un rôle de premier plan dans les travaux de la rencontre nationale : assesseur à la tribune lors de la deuxième séance publique, président de la troisième séance privée, membre de la « commission des résolutions et des vœux » (avec Limousin, Frison, Lavy, Prudent-Dervillers, Boguet, Simon Brunet, Brousse et L. Stroobant) et, plus spécialement, membre de la commission « Services publics et assistance » (avec Prudent-Dervillers, Stylite Paulard, Brousse et Simon Brunet). L’incident auquel il avait été mêlé était de mauvais augure. Avant même la fin du congrès, les désaccords s’envenimèrent et les minoritaires emmenés par Jean Allemane et Clément quittèrent la rencontre et, peu après, fondèrent le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR). L’épisode des mandats l’avait affecté personnellement. Ayant appris à l’issue du congrès sa radiation du cercle d’études L’Étincelle de Charleville, il adressa une lettre de protestation aux membres du cercle et la publia à Poitiers. Il y explique son vote d’invalidation, regrette que le cercle ne l’ait pas entendu et s’en prit vigoureusement à Clément qui, écrit-il, bafouant son expérience des congrès et un règlement qu’il avait contribué à rédiger, tenta d’ « imposer […] des mandats absolument irréguliers », allant même jusqu’à menacer de se retirer « si ces mandats n’étaient immédiatement validés. » La lettre qui donnait une image défavorable des minoritaires scissionnistes, fut insérée dans les actes du congrès.
En septembre 1894, domicilié à Chantenay (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique), il assista comme délégué du Syndicat des employés de commerce de Paris au VIe congrès national des chambres syndicales, groupes corporatifs, fédérations de métiers, unions et Bourses du travail réuni à Nantes. Il y vota « le principe de la grève générale tout en réservant sa mise en pratique à une date ultérieure » et, invoquant Olympe de Gouges et Mme Vincent (sic) (sans doute la citoyenne Vincent d’Asnières), soutint « l’électorat et l’éligibilité des femmes ».
En 1900, installé à Nantes, il y maria son fils, employé comme chimiste dans une entreprise de la ville. On ignore s’il avait alors un engagement militant. On ne le retrouve en effet dans la documentation que pendant la guerre lorsqu’en 1915 il remplaça Raymond Rochet, mobilisé, comme secrétaire de la Bourse du travail de Nantes. « Socialiste réformiste, syndicaliste par conviction », « Homme conciliant [...] il sait mener à bien ses délicates fonctions », dit alors de lui un rapport daté du 17 juillet 1915 (Arch. nat. F7 / 13 606). En décembre 1918, il était trésorier de l’Union départementale de la Loire-Inférieure et de l’Union locale de Nantes aux appointements de 100 f par mois (ibidem, rapport du 10 décembre 1918). Une incertitude demeure : était-ce lui ou son fils Adrien qui exerçait les mandats de secrétaire de l’Union locale CGT de Nantes (Loire-Inférieure) en 1918 et de trésorier de l’Union départementale en 1919 (voir notice Adrien Lodenos) ?

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article82708, notice LODENOS Adrien, Alfred par Jean-Joseph Chevalier, version mise en ligne le 30 mars 2010, dernière modification le 9 avril 2020.

Par Jean-Joseph Chevalier

ŒUVRE : Adrien Lodenos, Pourquoi je suis républicain ouvrier socialiste : ma première conférence et ses conséquences à Argenton-Château (Deux-Sèvres), in-8°, 33 p., Tours, Lemétayer, 1885.

SOURCES : Registres de l’état-civil Beaufort-en-Vallée et Nantes. — L’Éclaireur de la Vienne, 21 juin 1890, 19 octobre 1890 [Arch. dép. Vienne, 33 Jx 2]. — Arch. nat. F7 / 13 606. — Arch. mun. Nantes, 1 E 1991, 1 M 136, 1 M 127 (correspondant respectivement aux anciennes cotes 1 M 601, 1 M 613). — Fédération des travailleurs socialistes de France, Compte rendu du Xe Congr. nat. : gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k85159r.texteImage . — Léon de Seilhac, Les Congrès ouvriers en France (1876-1897), Bibliothèque du Musée social, Armand Colin et Cie, 1899. — Fédération nationale des syndicats et groupes corporatifs ouvriers de France, VIe Congr. nat. des chambres syndicales, groupes corporatifs, fédérations de métiers, unions et Bourses du travail, tenu à Nantes 17-22 sept. 1894 : http://www.antimythes.fr/syndicalis.... — Michel Winock, « La scission de Châtellerault et la naissance du parti "allémaniste" (1890-1891) », Le Mouvement social, n° 75, avril-juin 1971, pp. 33-62.

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