MANALT Jean

Par André Balent

Né et mort à Perpignan (Pyrénées-Orientales) : 2 janvier 1865-31 octobre 1915 ; pionnier et organisateur du Parti socialiste dans le Roussillon.

Jean Manalt
Jean Manalt
collection André Balent

Jean Manalt, dont le père, républicain, était ouvrier menuisier, possédait une modeste épicerie, 6, rue des Augustins, près du quartier de Saint-Mathieu, vieux bastion ouvrier et républicain de Perpignan.
L’action de Jean Manalt fut profonde et déterminante et il contribua, de manière décisive, à l’organisation de la fédération socialiste des Pyrénées-Orientales, qui appartint successivement au POF, au PS de F. et à la SFIO.
Lorsqu’il débuta dans la vie militante (vers 1890), Jean Manalt adhéra au radicalisme, suivant en cela une voie commune à de nombreux militants progressistes catalans. Depuis 1848 surtout, l’idéologie républicaine et jacobine était fortement enracinée en Roussillon. Socialisante, depuis l’époque lointaine de la Seconde République, l’aile gauche du mouvement républicain des Pyrénées-Orientales, qui se caractérisait par son anticléricalisme, bénéficiait de la sympathie active de larges couches populaires du département. Depuis 1880 environ, cette tradition, solidement enracinée, profitait aux notables radicaux du département. Entre 1881 et 1883, la tentative de création d’un parti socialiste autonome était prématurée. Bien vite les militants des cercles d’études sociales du POF s’étaient dilués dans les différents comités radicaux-socialistes, où ils continuaient cependant à se réclamer du collectivisme. Jean Manalt comprit peu à peu qu’il fallait regrouper ces éléments socialistes ou socialisants au sein d’une organisation autonome. Lecteur de l’Égalité de Jules Guesde, de la République sociale du docteur Ferroul, du Cri du Peuple, il assimila les idées forces du socialisme, tout en restant attaché à la République dont il ne percevait pas encore la nature bourgeoise.
Après les élections législatives de 1889, de nombreux socialistes perpignanais se retrouvèrent dans le cercle radical, « le Réveil social », qui siégeait au premier étage de l’antique Loge-de-Mer de Perpignan. Jean Manalt milita très certainement dans ce groupe dont les éléments socialistes étaient en opposition avec certains radicaux parmi lesquels Louis Caulas, futur maire de Perpignan. En 1890, les socialistes et quelques radicaux du « Réveil social » fondèrent un nouveau groupe dont Jean Manalt devint le secrétaire. Cette désignation provoqua le mécontentement des radicaux du nouveau groupe et Jean Manalt démissionna du secrétariat. Pour lui le but essentiel était de regrouper les socialistes roussillonnais au sein d’une organisation autonome et, le 21 juillet 1895, les socialistes perpignanais et quelques militants isolés d’autres localités fondèrent la fédération socialiste des Pyrénées-Orientales. Jean Manalt fut élu secrétaire de la nouvelle organisation qui donna aussitôt son adhésion au POF (il resta secrétaire fédéral jusqu’au mois d’octobre 1909, époque à laquelle il commença à être atteint d’une cécité, devenue totale en 1910 et qui le condamna à l’inaction).
Sous l’impulsion de Jean Manalt, la fédération socialiste du POF allait accomplir une mutation idéologique importante. L’élection législative de mai 1898 dans la 1re circonscription de Perpignan (Justin Alavaill était le candidat du POF) fut à l’origine d’une scission à la fédération socialiste entre les partisans d’une ligne prolétarienne autonome et ceux qui étaient attachés à l’idéologie républicaine, au Bloc avec les radicaux (ceux qui soutiendront le ministère bourgeois Waldek-Rousseau Millerand-Gallifet pour, disaient-ils, défendre la République). Justin Alavaill, appuyé par Jean Manalt se maintint au second tour de scrutin. Le candidat radical Édouard Rolland n’était pas en effet menacé par les candidats réactionnaires qui s’étaient retirés après le premier tour de scrutin. Une bonne partie des adhérents de la fédération socialiste n’acceptèrent pas ce qu’ils considéraient comme un manquement à la « discipline républicaine » par Justin Alavaill et ceux qui l’approuvaient. Ils dénoncèrent publiquement l’attitude de Manalt et d’Alavaill (cf. notamment Le Roussillon du 20 mai 1898 et La Vie publique du 21 mai 1898). Pourtant ils furent désavoués par les instances nationales du POF qui approuvèrent Alavaill (« Du moment qu’il n’y a pas de péril pour la République, étant donné le retrait des candidatures rétrogrades, le devoir du candidat socialiste est d’appeler le corps électoral à se prononcer entre les socialistes et les radicaux », signé A. Colmart pour Aline Valette, secrétaire du Conseil national du POF ; lettre du 14 mai 1898 publiée dans le Roussillon du 17 mai 1898). Ainsi désavoués par la direction nationale du POF, ils quittèrent la fédération socialiste et rejoignirent le comité Rolland avant de fonder l’union socialiste des Pyrénées-Orientales et de s’affilier au PSF.
La fédération socialiste ne put se maintenir entre 1898 et 1902 que grâce surtout au dévouement de Jean Manalt. C’est à cette époque que les militants guesdistes contribuèrent de manière décisive à l’organisation des ouvriers agricoles en un puissant syndicat (Voir Étienne Darmes, Boniface Escudié, Jacques Serres). Jean Manalt avait été élu, en 1896, au conseil municipal de Perpignan. S’il a pu faire adopter par la municipalité Caulas des vœux pour la création d’un conseil des prud’hommes et pour la journée de huit heures, s’il a réussi à obtenir de notables améliorations pour les employés municipaux (journée de huit heures, augmentation des salaires), il ne s’illusionnait pas sur la valeur des efforts au sein de cette municipalité « d’union républicaine » socialo-radicale. Cette expérience le rendit au contraire réticent à une collaboration avec les radicaux. Elle explique également en partie l’hostilité de Manalt et de la fédération socialiste envers les dirigeants de la Bourse du Travail de Perpignan très liés aux radicaux et à la municipalité Caulas.
Tous les socialistes catalans ne partageaient pas l’opinion de Manalt sur l’attitude à prendre vis-à-vis des radicaux et de la Bourse du Travail. Cette divergence de fond explique la scission de mai 1898. L’union socialiste (PSF) maintint des relations très cordiales avec les radicaux et la Bourse du Travail et participa aux élections municipales de Perpignan (1900) dans le cadre d’une liste de coalition avec les radicaux. Quant à Manalt, il ne fut pas réélu conseiller.
Encore faible et ébranlée par la scission de mai 1898, la fédération socialiste ne réussit à constituer une organisation d’une certaine importance qu’à partir de 1901-1902. Jean Manalt s’employa à lui donner un organe de presse et, dès septembre 1898, il passa une convention avec le vieux journal radical (fondé en 1877), le Républicain des Pyrénées-Orientales dont le propriétaire et imprimeur était Rondony, beau-frère de Justin Alavaill. Malgré cette convention, le Républicain ne devint pas entièrement l’organe officiel de la fédération socialiste. Radicaux et socialistes de l’union socialiste y publièrent également articles et communiqués. Le 2 février 1902 parut enfin le premier numéro du Socialiste des Pyrénées-Orientales. Cet hebdomadaire, organe de la fédération socialiste, ne cessa de paraître régulièrement jusqu’en juillet 1914. Il avait pris le même nom que l’hebdomadaire des premiers cercles socialistes perpignanais, dirigé par Paule Mink entre 1881 et 1883. Jean Manalt assura la collecte des articles et la gestion financière jusqu’en octobre 1909.
C’est J. Manalt qui organisa, pratiquement seul, les premiers congrès fédéraux. Le premier se tint à Perpignan le 26 décembre 1897 (cf. Le Républicain des Pyrénées-Orientales, 30 décembre 1897), le second à Perpignan le 1er avril 1900 (Ibid., 21 septembre 1900 et 5 octobre 1900), le troisième à Thuir (Ibid. 21 décembre 1901) et le quatrième à Baixas les 5-6 octobre 1902 (cf. Le Socialiste des Pyrénées-Orientales, n° 15). J. Manalt s’assura la participation de dirigeants nationaux du POF à ces congrès. Marcel Cachin et Paul Constans, natif de Néfiach en Roussillon, présidèrent respectivement les congrès de Thuir et de Baixas. Ces dirigeants, outre leur participation aux congrès, tinrent de nombreuses réunions publiques qui contribuèrent à renforcer les positions de la fédération.
J. Manalt représenta également la fédération dans les instances nationales du Parti et il fut son délégué au conseil national du POF, puis son délégué suppléant au conseil central du PS de F. Il participa au congrès socialiste de Paris, salle Wagram (1900) et, cette même année, au congrès du POF tenu à Ivry-sur-Seine. La fédération unifiée le délégua aux congrès nationaux de Paris (avril 1905), de Limoges (1906), de Toulouse (1908).
Si, grâce à l’activité de Jean Manalt, le nombre de groupes socialistes se multiplia dans le Roussillon (neuf groupes représentés au congrès de Perpignan, 1900, six groupes représentés à celui de Thuir, 1901, treize groupes représentés au congrès de Baixas, 1902, treize groupes représentés et un excusé au congrès de Rivesaltes, 31 mars 1903, dix-huit groupes représentés et trois excusés au congrès de Salces, 6 mars 1904), les résultats électoraux ne furent guère satisfaisants, au moins avant 1904. Candidat dans la circonscription de Prades aux élections législatives de mai 1906, J. Manalt parcourut la circonscription et tint des réunions jusque dans les plus petits villages de haute montagne. Cette campagne, si elle n’apporta pas au Parti un grand nombre de voix (303 sur 10 059 suffrages exprimés) eut cependant un certain retentissement.
Lorsque avait été fondé le groupe socialiste unifié de Perpignan (avant le congrès d’unification d’Estagel), le 3 juin 1905, J. Manalt avait été élu trésorier du nouveau groupe, mais, au sein de la fédération unifiée, il se heurta à l’opposition des anciens réformistes de l’union socialiste. La crise trouva son dénouement lorsque Lucien Deslinières, allié momentané de Payra et de la droite du Parti, fit convoquer, par la commission exécutive fédérale où ses partisans étaient en majorité, un congrès fédéral extraordinaire à Rivesaltes (24 octobre 1909). Les groupes perpignanais, où la gauche était majoritaire, furent dissous, mais aucune exclusion individuelle ne fut prononcée. Deslinières cherchait seulement à discréditer les leaders de la gauche — essentiellement Manalt et Soulet — et comptait bien faire réintégrer ultérieurement une partie au moins des militants qui les soutenaient momentanément, pronostic qui s’avéra correct.
J. Manalt riposta en créant une fédération socialiste révolutionnaire et en fondant un nouvel hebdomadaire : La Bataille sociale. Cette nouvelle fédération était certes réduite : elle comprenait initialement les quatre groupes perpignanais et les groupes d’Estagel, de Saint-Hippolyte, de Taurinya et de Canohès. La fédération socialiste révolutionnaire chercha à se faire reconnaître comme seule fédération représentative des Pyrénées-Orientales par les instances nationales du Parti, mais celles-ci lui demandèrent de réintégrer la fédération de Deslinières. Isolée, l’organisation animée par Manalt fut abandonnée par nombre de militants qui revinrent à la fédération officielle. Épuisé, aveugle, J. Manalt se retira de la vie politique.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article82920, notice MANALT Jean par André Balent, version mise en ligne le 30 mars 2010, dernière modification le 17 décembre 2016.

Par André Balent

Jean Manalt
Jean Manalt
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SOURCES : Arch. Dép. Pyrénées-Orientales, 2 M/86, 2 M/88, 2 M/90. — Le Républicain des Pyrénées-Orientales. — Le Socialiste des Pyrénées-Orientales. — La Bataille sociale. — L’Indépendant des Pyrénées-Orientales. — Le Roussillon (mai 1898). — H. Chauvet, La Politique roussillonnaise (de 1870 à nos jours), Perpignan, 1934. — Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes I, op. cit., pp. 485, 505. — E. Frenay, articles, Le Travailleur catalan, 19 novembre 1960 et 24 décembre 1965. — Comptes rendus des congrès.

ICONOGRAPHIE : Hubert-Rouger, op. cit., p. 484.

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