MOGENIER Joseph, Marie, dit « La France »

Par Justinien Raymond

Né à Taninges (Haute-Savoie), le 6 juillet 1837 ; mort à Reignier (Haute-Savoie), le 16 avril 1913 ; tour à tour berger, porte-mortier, garçon de peine en divers lieux ; militant républicain et ouvrier.

Joseph Mogenier naquit d’un père ouvrier cloutier qui éleva une famille de six enfants. Appelé tout jeune à concourir à ses besoins et à aider à la vie des siens, il fréquenta peu l’école, mais, poussé par une vive intelligence, il amassa, comme il le disait lui-même, « quelques bribes d’instruction qu’il dévorait avec l’avidité de l’enfant affamé trouvant un bon fruit » (Jules Guy). À dix-huit ans, il quitta Taninges pour s’engager à Auxonne (Côte-d’Or), dans le 2e régiment de la Légion étrangère. Il fit la campagne de Kabylie. Il regagna Taninges en 1858. Il avait vu à Lambessa les souffrances des victimes du coup d’État du 2 décembre et il en devint adversaire irréconciliable de l’Empire. Il fut, à Taninges, un champion de l’idée républicaine, champion ardent comme l’était toute sa nature. La République, c’était pour Mogenier la liberté, la démocratie, mais aussi l’amour de la patrie et l’aspiration à la justice sociale : toute sa vie en témoigna ; son testament le dit expressément.

Après les défaites de 1870 et la proclamation de la République, Mogenier s’enrôla à Bonneville dans la compagnie des Francs-Tireurs du Mont-Blanc. Ses camarades en firent un lieutenant. Il fit toute la campagne de l’armée des Vosges et, le 23 janvier 1871, participa à la prise du drapeau du 61e Poméranien.

La guerre terminée et perdue, Mogenier gagna Paris où son action républicaine s’élargit aux préoccupations sociales qui renaissaient timidement après la répression de la Commune. En octobre 1876, il participa au premier congrès ouvrier qui se tint à Paris. Il représentait la chambre syndicale parisienne des tourneurs-décolleteurs sur métaux — Voir Burtin. Il appartint à la commission chargée de la publication des rapports présentés au congrès et à la sous-commission chargée d’intervenir auprès des députés — Voir Habay.

En novembre 1876, il appartint donc à la délégation qui porta devant les bureaux des deux assemblées parlementaires les vœux du congrès des travailleurs, et qui rendit visite à Victor Hugo pour l’intéresser à sa cause. Devant l’illustre poète, ce fut Mogenier qui parla. Il le fit avec chaleur, avec une éloquence naturelle. Touché par la noblesse de ses sentiments, Victor Hugo appela sa petite-fille Jeanne et, lui montrant son humble visiteur, lui dit : « Mon enfant, embrasse ce citoyen », ajoutant, pour encourager l’enfant qui hésitait : « Embrasse-le donc, c’est la France laborieuse que tu embrasseras. » L’enfant s’exécuta et Mogenier éprouva ce jour une émotion qui resta la joie et la fierté de sa vie. Son récit, devenu légendaire, à Taninges, à Bonneville, partout où il vécut après son retour en Haute-Savoie, lui valut le surnom « La France ».

Délégué au congrès des travailleurs qui s’ouvrait dans la capitale le 16 juillet 1889, dépouillé à la gare de Clermont-Ferrand, il part à pied et obtint l’aide du maire de Nevers et fut accueilli triomphalement.

Âgé et sans ressources, Joseph Mogenier qui était resté célibataire vécut les dernières années de sa vie à l’asile de vieillards élevé à Reignier par le département de la Haute-Savoie à l’occasion du cinquantenaire de la réunion de la Savoie à la France. Le 19 octobre 1908, cinq ans avant sa mort, il confia au greffier de la justice de paix de Reignier l’expression de ses dernières volontés qui est aussi l’expression des convictions de sa vie « ... Conformément aux principes bien arrêtés en mon âme et conscience, acquis par une longue existence de travail, de voyages et la constatation des choses naturelles, morales et intellectuelles, dans le frôlement de l’humanité, je déclare qu’à ma mort je repousse et refuse le service de tous cultes, demandant un souvenir à tous ceux qui m’ont connu, particulièrement à mes frères de travail, de misère et de luttes pour l’amélioration de notre condition économique et notre émancipation sociale... » Après avoir exprimé sa reconnaissance aux fondateurs de l’asile où « j’achève, écrivit-il, le cours de ma vie de prolétaire » et manifesté le désir que l’étendard des Francs-Tireurs lui tînt lieu de drap funèbre, il termina :

« À mon pays que j’ai tant aimé !

À la République démocratique et sociale !

Au prolétariat, ma famille de classe..., ma dernière pensée. »

Le 18 juillet 1913, ses funérailles à Reignier prirent l’allure d’une manifestation politique. Dans la foule anonyme figuraient de nombreux élus du département dont deux députés et un sénateur. Ce dernier, le docteur Goy, maire de Reignier, et le conseiller général de Bonneville, Jules Guy, son compagnon d’armes de 1871, retracèrent la vie de cet enfant du peuple.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article83523, notice MOGENIER Joseph, Marie, dit « La France » par Justinien Raymond, version mise en ligne le 30 mars 2010, dernière modification le 6 février 2012.

Par Justinien Raymond

ŒUVRE : J. Mogenier a raconté en une petite brochure l’équipée des Francs-Tireurs du Mont-Blanc. Dans son oraison funèbre, le docteur Goy dit l’avoir lue. Nous n’avons pu en retrouver un exemplaire. Pierre Soudan cite et commente "Le Cahier du compagnon Mogenier " dans son livre « En Haute-Savoie au tournant de l’autre siècle »,
mémoires et documents publiés par la l’académie salésienne, t. 102, 1997

SOURCES : Compte rendu du congrès de 1876 (le nom est orthographié Mongénier). — Le Réveil de Faucigny, hebdomadaire radical et radical-socialiste de l’arr. de Bonneville, 27 avril 1913 (récit des funérailles, textes des discours du docteur Goy, de Jules Guy et du testament de J. Mogenier). — Souvenirs recueillis auprès de nombreuses personnes âgées ayant connu ce militant. — Pierre Soudan,
« En Haute-Savoie au tournant de l’autre siècle »,
mémoires et documents publiés par la l’académie salésienne, t. 102, 1997.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable