Par Alain Dalançon
Né le 4 février 1855 à Elbeuf (Seine-Inférieure, Seine-Maritime) mort le 22 octobre 1911 à Elbeuf ; professeur ; militant socialiste indépendant, maire d’Elbeuf, député de Seine-Inférieure.
Charles Mouchel était le fils d’un marchand et fabricant de draps, Louis, Charles Mouchel, et d’Anne Adélaïde Baudoin. Il commença à travailler dans l’entreprise paternelle, dans cette ville qui était l’un des principaux centres de draperies de laine cardée de France. Il s’initia aux techniques de production et s’intéressa aux conditions de travail des ouvriers. La crise de 1884-1885 entraîna cependant la quasi-faillite de l’entreprise familiale, de sorte que Charles Mouchel, qui avait du goût pour les sciences, se reconvertit. Il assura d’abord les cours de mathématique et de physique organisés par la Société industrielle d’Elbeuf, obtint une licence ès sciences puis fut reçu à l’agrégation de mathématiques en 1889. Il enseigna ensuite au « Petit lycée » d’Elbeuf (annexe du lycée de Rouen), à partir de son ouverture en 1892 jusqu’en 1910. Resté célibataire, il vivait modestement en compagnie de son unique sœur, Berthe Mouchel (1864-1961), professeure de dessin et artiste peintre.
Alors qu’il avait été élevé dans une famille catholique très conservatrice, il commença une carrière politique républicaine radicale. Il fut élu conseiller municipal en mai 1888 (au 2e tour de scrutin), sur une liste du Comité de l’Union républicaine, patronnée par le journal local L’Elbeuvien, de tendance radicale. Il manifesta tout de suite une grande activité dans cette municipalité dirigée par un manufacturier républicain modéré, Emilien Nivert, et fit adopter en 1889 le principe de la suppression de l’octroi. Cette décision entraîna bien des discussions et reports puis la démission du maire et de deux adjoints en 1894, conduisant à des élections complémentaires. Elles donnèrent la majorité aux radicaux qui élurent Charles Mouchel à la première magistrature qu’il devait conserver jusqu’à sa mort.
La suppression de l’octroi effective, aussitôt après, sans pourtant augmenter les centimes additionnels, fut une première en France dans une ville de cette importance ; elle entraîna la baisse des prix par rapport à la grande ville voisine, Rouen, et eut un grand retentissement. Afin de répondre aux nombreux maires qui écrivirent pour savoir comment opérer, Charles Mouchel fit imprimer une plaquette répondant à leurs questions.
Ce succès lui conféra une grande notoriété locale, si bien qu’il fut réélu sans difficulté en 1896, 1900, 1904, et à nouveau en 1908. De républicain radical, il était devenu socialiste (aux dires de ses adversaires) sans pourtant adhérer à une organisation socialiste. Il mit en effet en place une politique en faveur des plus démunis dans cette ville ouvrière fragilisée par le déclin de son industrie textile. Pour équilibrer le budget municipal sans alourdir la fiscalité locale, il choisit de municipaliser l’ensemble des services concédés jusque-là à des monopoles privés (pompes funèbres, traitement des ordures, production et distribution de l’eau, du gaz et de l’électricité). Il mena également une politique de laïcisation des établissements d’enseignement et de bienfaisance (construction d’une maternité laïque, laïcisation de l’école maternelle et de la crèche, création d’un patronage laïc, changement d’appellations des rues portant le nom d’un saint). Et la municipalité aménagea aussi une Bourse du Travail en 1899.
Une telle notoriété devait l’encourager à briguer la députation. En 1906, Charles Mouchel avait déjà été sollicité, mais il avait préféré se récuser, au profit du radical socialiste Isidore Maille, qui fut élu. Il accepta de se présenter aux élections législatives de 1910, en tant que candidat du Comité de l’Union républicaine radicale socialiste dans la 3e circonscription de Rouen (cantons d’Elbeuf et de Grand-Couronne). Arrivé en tête au 1er tour, il l’emporta largement au second avec 7 169 voix contre 5 510 au républicain Edouard Delpeuch. Il fut des 30 députés qui élaborèrent la déclaration de principes du 7 juin 1910 pour constituer le mois suivant, le groupe républicain socialiste, un texte qui allait être la base du programme du parti fondé en 1911. Éloigné du jeu politique, Mouchel se considérait toutefois d’abord comme une sorte de représentant en mission. Inscrit au groupe républicain socialiste, il siégea aux côtés d’Alexandre Millerand et de René Viviani mais, éloigné du jeu politique, il se considérait avant tout comme une sorte de représentant en mission. Député assidu, il défendait avec vigueur ses amendements : à la loi de 1905 pour élargir l’assistance obligatoire aux vieillards, aux infirmes et aux incurables, à la loi de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes. Il présenta également un rapport sur une proposition de loi tendant à améliorer et égaliser les congés de maternité accordés aux femmes employées dans les services de l’État et dans ses établissements industriels. Il dénonça aussi le « véritable grippage » de la machine parlementaire, et signa une motion visant à réduire l’indemnité parlementaire, qui avait été portée de 9 000 à 15 000 frs par la loi du 26 novembre 1906.
Mais, occupé par ses fonctions de député, il délaissa sans doute trop son mandat de maire, alors que des difficultés financières de la ville s’aggravaient. Au conseil municipal du 22 septembre 1911, le déficit s’était creusé, et devant le public venu en nombre, il conclut : « J’ai fait une bêtise et je dois en assumer les conséquences (…) Je considère ma carrière de maire et de député comme terminée (…) j’aurais pu prévoir…) » avant de lever la séance en sanglots. Le 21 octobre, à la suite de l’échec de sa proposition de cession de l’usine à gaz à la Cie elbeuvienne du gaz, à laquelle la ville devait 380 000 F, il se tira une balle de revolver dans l’œil droit, dans les caves de l’hôtel de ville.
Ses obsèques, civiles, attirèrent une foule considérable qui parcourut en cortège les rues de la ville. De nombreux discours furent prononcés. Quelques jours plus tard, à la Bourse du Travail d’Elbeuf, le socialiste E. Poisson lui rendit hommage : « M. Mouchel a pu être mon concurrent, j’ai pu dire qu’il était un honnête homme, je le dis encore. S’il n’était pas socialiste, il était un de ces hommes qui sont pour les travailleurs une sauvegarde efficace. Rappelez-vous M. Mouchel, il sera votre honneur, votre gloire. Souvenez-vous que pendant vingt ans, il a été votre homme et qu’il est mort pour vous. »
L’échec de cette tentative de « socialisation » des services municipaux fut largement commenté. De son côté Le Figaro tira sa conclusion : « Mouchel était un brave homme et c’est le socialisme municipal qui est une bêtise. »
Une rue d’Elbeuf porte son nom, de même qu’un groupe scolaire inauguré en 1928.
Par Alain Dalançon
SOURCES : Arch. Dép. Seine-Inférieure, série M, non classée. — « Charles Mouchel » in Jean Jolly, dir., Dictionnaire des parlementaires français, 1889-1940, PUF, 1960-1977. — Francis Concato, « Mouchel, Charles, Antoine », dans Jean-Pierre Chaline et Anne-Marie Sohn, Dictionnaire des parlementaires de Haute-Normandie, 1871-1914.— Francis Concato et Pierre Largesse, « La politique sociale de Charles Mouchel à Elbeuf de 1894 à 1911. Solidarisme ou socialisme municipal ? », Le social dans la ville en France et en Europe, 1750-1914, Jacques-Guy Petit et Yannick Marec (dir.), L’Atelier/Les éditions ouvrières, 1996. — Pierre Largesse, La Bourse du Travail et les luttes ouvrières. Elbeuf 1892-1927, Edité par l’Union locale des syndicats CGT de l’agglomération elbeuvienne, 1996. — Charles Mouchel. Un homme en son temps. Maire d’Elbeuf de 1894 à 1911, catalogue d’exposition, Arch. mun. Elbeuf, 2001. — Guy Segeron, « La municipalité de Charles Mouchel à Elbeuf, 1894-1911 », mémoire de maîtrise d’histoire, Rouen, 1978 (Elbeuf, Centre d’archives patrimoniales, BH 0695).— Yves Billard, Le Parti républicain-socialiste de 1911 à 1934, thèse, histoire, Paris 4, 1993. — Ancienne notice DBMOF non signée.