PÉGUY Charles, Pierre

Né le 7 janvier 1873 à Orléans (Loiret), tué le 5 septembre 1914 sur le front à Villeroy, commune de Plessis-l’Évêque (Seine-et-Marne) ; normalien ; écrivain ; poète et publiciste ; militant socialiste dans sa jeunesse.

Enfant d’un père ouvrier menuisier qu’il perdit à un an et d’une mère rempailleuse de chaises qui lui donna l’exemple des vertus populaires et le culte du travail, Péguy reçut le double enseignement du catéchisme et de l’école communale annexée à l’école normale d’instituteurs, dans l’atmosphère de recueillement patriotique qui régnait au lendemain de la défaite de 1871. Remarqué pour son application et pour ses dons, boursier au lycée d’Orléans, il devint bachelier, entra au lycée Lakanal (octobre 1891), échoua au concours d’entrée à l’École normale supérieure, fit son service militaire à Orléans (1892-1893), revint à Paris au lycée Louis-le-Grand et au collège Sainte-Barbe et entra à l’École normale en 1894.

Ayant perdu la foi en classe de philosophie ou en « khâgne », Ch. Péguy vint au socialisme dans l’atmosphère de la rue d’Ulm et sous l’influence de Lucien Herr. En congé à Orléans en 1896, il y fonda un groupe d’études sociales qui adhéra au POF. L’année suivante, il entra à La Revue socialiste et publia De la cité socialiste. En 1898, il lança son second manifeste, Marcel, premier dialogue de la Cité harmonieuse, et participa à la fondation de la Société nouvelle de Librairie et d’Édition, 17, rue Cujas, au service de l’idée socialiste. Surtout, depuis janvier 1898, il se voua essentiellement à l’affaire Dreyfus et fut de ceux qui déterminèrent Jaurès encore hésitant à entrer dans la bataille pour la révision du procès. Au moment de la constitution du ministère Waldeck-Rousseau, il prit parti pour la participation de Millerand comme en fait foi son article du 15 juillet 1899 dans la Revue blanche. Affilié à la Fédération révolutionnaire des socialistes indépendants, il participa à Paris en 1899, salle Japy, en 1900, salle Wagram, aux deux premiers congrès généraux des organisations socialistes françaises.

Dès 1900 pourtant, il commença à s’éloigner des socialistes. Quelle part faut-il faire dans la rupture qui s’affirme toujours plus nette entre 1900 et 1905 aux rancunes personnelles qui le dressent contre Lucien Herr et le groupe des normaliens qui assurèrent alors la survie de la Société nouvelle de Librairie et d’Édition (celle-ci avait fait, sous la direction de Péguy, de mauvaises affaires) ? Le fait est que Péguy, en son « noueux caractère », « âpre, difficultueux et retors » (Charles Andler, Vie de Lucien Herr, p. 155), crut avoir été éliminé et que, ayant échoué à l’agrégation de philosophie à sa sortie de l’École normale (1898) et ayant renoncé à enseigner, il se trouva contraint, ainsi que sa famille, à une vie besogneuse. Mais il faut sans doute au moins autant prendre en compte sa profonde déception devant ce qu’il nomma la dégradation en politique de la mystique dreyfusienne et l’horreur que lui inspirèrent bientôt ce qu’il considérait, dans le Bloc des Gauches, comme autant de compromissions du socialisme. Lui-même s’était nourri, comme le montrent ses premiers écrits, d’un « socialisme d’éducation », de tendance plutôt libertaire, très étranger en tout cas au marxisme.

La passion de Péguy se mua bientôt en mépris, et plus tard en haine contre ses anciens amis, le « parti intellectuel », les « Sorbonnards », Lucien Herr, Gustave Hervé et Jaurès (cf. Casse Cou, 1901). On suit l’évolution de ses sentiments dans les Cahiers de la Quinzaine, lancés en 1900, où il publia d’ailleurs, outre ses propres analyses, quelques-uns des essais ou des romans les plus intéressants de ces années. C’est la crise marocaine de 1905, au cours de laquelle il crut découvrir le caractère imminent de la menace allemande, qui le détermina en octobre à publier Notre Patrie et le jeta définitivement loin des rives du mouvement ouvrier. Aux alentours de 1910, il revint à la foi de sa jeunesse et se consacra de plus en plus à son œuvre d’écrivain. Politiquement, il était alors sur les positions de Poincaré, mais avec une fougue et une violence sans égales. Resté républicain, c’est au nom des traditions jacobines qu’il réclama, en 1913, l’échafaud pour Jaurès devenu à ses yeux un vulgaire agent de l’Allemagne.

Un mysticisme proche de la terre et presque charnel fait peut-être l’unité de son œuvre. Il se déploie en tout cas dans ses dernières œuvres qui ne doivent plus rien au mouvement ouvrier. Péguy accueillit avec ferveur la guerre sur l’inéluctabilité de laquelle il n’avait aucun doute depuis 1905. Il mourut héroïquement pendant la bataille de la Marne.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article84170, notice PÉGUY Charles, Pierre , version mise en ligne le 30 mars 2010, dernière modification le 12 mai 2010.

ŒUVRE : L’œuvre de Péguy appartient essentiellement au patrimoine littéraire. Mais les textes utopistes et théoriques de jeunesse et les premiers Cahiers de la Quinzaine intéressent fortement l’histoire ouvrière. La seule édition commode est celle de la Pléiade ; elle est malheureusement peu scientifique et très lacunaire.

BIBLIOGRAPHIE : La bibliographie péguyste est tenue mensuellement à jour par les Feuillets de « l’Amitié Charles Péguy » qui paraissent depuis 1948. Les Feuillets publient aussi de nombreux inédits. L’abondante correspondance (très intéressante pour connaître les modalités de la pénétration du socialisme chez les intellectuels) reçue par Péguy aux Cahiers de la Quinzaine est conservée au Centre Charles-Péguy d’Orléans.
Les ouvrages les plus importants parmi ceux qui peuvent éclairer le socialisme de jeunesse de Péguy sont : Charles Andler, Vie de Lucien Herr. — Félicien Challaye, Péguy socialiste. — André Robinet, Péguy entre Jaurès et Bergson. — Actes du colloque international d’Orléans, 7, 8, 9 septembre 1964. — Eric Cahm, « Péguy, Jaurès et la théorie du socialisme », Le Mouvement social, juillet-septembre 1967.

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