PERNOT Célestin

Par Justinien Raymond

Né en 1868 à Niederhof (?) dans la Lorraine qui devait être annexée à l’Allemagne ; mort en Touraine, à Saint-Ouen-les-Vignes (Indre-et-Loire) le 5 juillet 1932 ; ouvrier typographe, puis patron imprimeur ; militant syndicaliste et socialiste des Vosges.

Les parents de Célestin Pernot étaient scieurs de long à leur compte à Épinal. Ils allèrent s’établir dans la Lorraine qui devait être annexée à l’Allemagne en 1870, dans l’espoir de trouver du travail dans les forêts de Lorquin. Ils avaient six enfants. Le père, Félix Pernot, ouvrit un chantier avec ses plus grands fils et avec un de ses frères ; il faisait ainsi, plus que modestement, vivre sa famille. La guerre de 1870 les éprouva. Deux aînés moururent de typhoïde, et Célestin, qui était l’avant-dernier enfant, garda le souvenir des difficultés familiales. Bientôt, Félix Pernot décida de repasser la frontière en secret et de regagner Épinal afin d’éviter à ses fils, disait-il, de porter le casque à pointe. C’est ainsi que Célestin Pernot, quoique né de père spinalien et de mère nancéienne, dut s’engager dans la Légion étrangère pour cinq ans. Mais au bout de trois ans de service, il put être versé au 2e régiment français de zouaves.
Auparavant, tout jeune garçon, il avait pris le parti de renoncer au métier du bois et il fit ses débuts de travailleur comme coloriste à l’imagerie Pellerin à Épinal. Il fut ensuite apprenti typographe et devint imprimeur. Il était vivement attiré par tout ce qui touchait au livre, à la culture. Aussi, pour améliorer ses connaissances, étant jeune père de famille, il suivait les cours d’adultes aidé par sa femme qui, avec lui, rêvait d’ouvrir un atelier d’imprimerie. Ce goût du savoir, ce désir d’ascension poussèrent Célestin Pernot, hanté par le souvenir d’une jeunesse besogneuse, à travailler à la promotion d’autres travailleurs par son action sociale.
Dès 1907, il fut un actif militant syndicaliste et socialiste aux origines mêmes du mouvement ouvrier vosgien. Il était secrétaire de la fédération des syndicats des Vosges quand il prit la parole le 30 mai 1902 au café Klein dans le quartier ouvrier du Champ-du-Pin. Il traita du repos hebdomadaire, de la limitation de la durée quotidienne du travail, de la suppression des livrets d’ouvriers, du minimum de salaire, de la gérance des caisses de secours par les salariés, et de la malfaisance des économats patronaux.
De typographe, Pernot devint rapidement directeur de l’Imprimerie nouvelle, rue de Dogueville, et dès sa fondation, le 7 septembre 1902, gérant du journal socialiste L’Ouvrier vosgien. Il dut cet avancement à la générosité de la famille Lapicque dont les fonds permirent la création d’une imprimerie socialiste. C. Pernot n’en resta pas moins plusieurs années secrétaire de la fédération des syndicats au nom de laquelle il multipliait les conférences dans les centres ouvriers, tels que Saint-Maurice, Fraize, Plainfaing, etc.
Il fit partie du premier comité de la fédération socialiste des Vosges, dès la réunion constitutive du 19 septembre 1903 au soir, café du Cours. En 1907, il représenta la fédération au congrès national SFIO à Nancy. En 1908, candidat socialiste aux élections municipales d’Épinal, il obtint 348 voix. Cette même année éclatait une grève générale dans l’imprimerie spinalienne à la suite du refus des patrons d’accorder une majoration de salaires d’environ 10 %. « Certes, pour nous, petits patrons socialistes, ce n’est pas sans douleur que peu à peu nous nous voyons absorber par la puissance du capital » écrivit-il dans l’Ouvrier vosgien (30 août 1908) en ajoutant qu’il avait fait son devoir en ne s’associant pas au refus des maîtres imprimeurs qui, du reste, allaient céder deux jours après. Beaucoup des ouvriers de Pernot étaient également des militants, le plus en vue étant l’ouvrier lithographe Richard, membre de la Fédération du Livre, militant syndicaliste et révolutionnaire actif dans les années d’avant guerre. Un nommé Pernot C. — mais peut-il y avoir identité ? — assista comme délégué au XVIe congrès national corporatif — 10e de la CGT — tenu à Marseille du 5 au 12 octobre 1908.
En 1912, C. Pernot accueillit à Épinal Compère-Morel et Roux-Costadau. L’assassinat de Jaurès, pour lequel il nourrissait une vive admiration, puis la guerre le bouleversèrent. Mobilisé quelque temps dans les régiments de territoriaux et bientôt libéré à cause de son âge, il rouvrit tant bien que mal son imprimerie, sans ouvriers. Sous le nom de Courrier des Vosges, il fit reparaître son journal L’Ouvrier vosgien suspendu pendant la guerre. En décembre 1920, il fut un des deux délégués de la fédération des Vosges au congrès de Tours. Il n’appartenait pas cependant au courant majoritaire, mais la fédération, à l’unanimité, avait maintenu la commission exécutive fédérale composée de représentants des trois tendances, quatorze mandats pour la IIIe Internationale, quatre à la motion Longuet, trois à la motion Blum. « Au nom des camarades reconstructeurs que je représente ici, déclara Pernot dans l’après-midi du 26 décembre 1920, je tiens à dire que si nous avons voté la motion Longuet-Faure, c’est que nous nous refusons à subir dans le Parti une dictature quelconque et d’où qu’elle vienne, et que nous entendons conserver dans le Parti le droit de dire comment nous comprenons le socialisme national et international » (compte rendu, p. 131). Finalement, Pernot resta avec la minorité dans le Parti socialiste SFIO.
En 1924 de vives polémiques opposèrent Le Courrier des Vosges, propriété de Pernot, à l’Action socialiste, organe fédéral. Ce conflit recouvrait des querelles de tendances. Un congrès extraordinaire présidé par Le Troquer tenta de l’apaiser. Il proclama la nécessité d’un accord entre toutes les fractions socialistes et souhaita que les deux organes rivaux parussent sans heurts jusqu’au 1er janvier 1925, date limite assignée à leur fusion. « On ne peut exiger, écrivait C. Pernot, que, sous prétexte d’union, je cède immédiatement mon journal sans des garanties d’avenir. Cependant, je promets de remettre le Courrier, sa caisse, ses abonnements, à la fédération SFIO quand celle-ci sera réorganisée de façon sérieuse à tous points de vue, moralement et financièrement. En attendant, j’espère que les polémiques personnelles rétrospectives ne renaîtront pas » (Le Courrier, 5 juillet 1924).
Le 27 septembre 1924, avant le délai imparti par le congrès, Célestin Pernot, maître imprimeur, et sa femme, née Marie Augustine Duvaux, vendaient, par acte signé en l’étude de Me Bossert, le fonds de commerce de « l’Imprimerie vosgienne », exploitée à Épinal, 15, rue des Minimes, et le journal Le Courrier des Vosges à la société anonyme L’Action socialiste. Cette cession faisait tomber l’unique organe socialiste aux mains du citoyen Darmon, avec lequel les rédacteurs du Courrier avaient polémiqué violemment jusqu’alors et que le Parti socialiste allait exclure par la suite. Mais C. Pernot n’était pas éliminé du nouveau journal dont le premier numéro parut le 4 octobre 1924 sous le titre d’Action socialiste ouvrière et paysanne et le sous-titre : Action et Courrier des Vosges réunis. Il en restait secrétaire de rédaction et était membre de la permanence créée par le journal pour consultations sociales. Il était encore, à l’époque, trésorier adjoint de la fédération socialiste des Vosges.
Pernot fut également un pionnier de la Libre Pensée. Les 22 et 23 mai 1904, il participa notamment, à Épinal, à un congrès fédéral qui fit quelque bruit car il s’y déroulait simultanément un congrès du Sillon catholique. Le préfet avait cru bon de rassembler quelques troupes. C. Pernot joua un rôle notable dans la franc-maçonnerie vosgienne. Il appartenait à la Loge « La Fraternité » d’Épinal, au chapitre de Nancy, à la Loge parisienne de « La Clémente Amitié ». Il défendit fréquemment la maçonnerie contre les militants d’inspiration guesdiste qui dénonçaient le caractère bourgeois de l’Ordre.
Très éprouvé par la mort de sa femme, après une longue maladie, en juillet 1927, C. Pernot se retira à Paris, puis en Touraine où il mourut.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article84238, notice PERNOT Célestin par Justinien Raymond, version mise en ligne le 26 janvier 2017, dernière modification le 26 janvier 2017.

Par Justinien Raymond

ŒUVRE : C. Pernot a collaboré assidûment aux trois organes socialistes locaux cités dans la biographie ci-dessus.

SOURCES : Arch. Dép. Vosges, 8 M 77 ; 8 M 95. — L’Ouvrier vosgien, 27 novembre 1904, 3 et 10 mai 1908. — Le Courrier des Vosges, 5 juillet 1924. — L’Action socialiste, 11 octobre 1924. — Parti socialiste SFIO 4e congrès national tenu à Nancy (11-14 août 1907). Compte rendu, p. 9. — Ibid : 18e congrès national tenu à Tours (25-30 décembre 1920). Compte rendu sténographique, pp. 130-131. — Renseignements, surtout d’ordre privé, aimablement communiqués par Mlle Jeanne Pernot, fille de C. Pernot, alors qu’elle était surveillante générale de l’annexe du lycée de jeunes filles de Nice.

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