RIPERT Antoine , Marius

Par Gérard Leidet

Né le 25 juillet 1873 à Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône) ; mort le 4 février 1912 à Saint-Rémy ; instituteur des Bouches-du-Rhône ; secrétaire de la Fédération nationale des syndicats d’instituteurs (FNSI) de 1908 à 1910.

Antoine Ripert était le fils de Marius, Séverin Ripert, serrurier, et d’Eugénie Laurent, sans profession. Orphelin de père et de mère, après sa sortie de l’École Normale d’Aix-en-Provence, il fut ajourné en 1893 pour « faiblesse » et effectua son service militaire un peu plus tard, de septembre 1895 à septembre 1896 au 141e régiment de ligne caserné à Marseille, qu’il termina au grade de caporal. En 1898 il fut réformé définitif pour bronchite chronique.

Instituteur d’abord à Rognonas, puis à Marseille, il milita au début dans le mouvement socialiste, mais se consacra bientôt au mouvement syndical. En octobre 1905, il fut délégué par la section des Bouches-du-Rhône au conseil d’administration de « l’Émancipation de l’instituteur » qui venait de se transformer en Fédération nationale des syndicats d’instituteurs (FNSI). Il proclama alors : « Vivre, ce n’est pas ergoter, c’est agir. Agir sera notre programme ». Peu après, le syndicat des Bouches-du-Rhône était créé et Antoine Ripert en fut un des militants les plus actifs.

En 1906 il était gérant du " Bulletin bimestriel de l’émancipation " (Sindicat - orthographe simplifié - des institutrices et des instituteurs publics des Bouches-du-Rhône), et fut remplacé à cette fonction l’année suivante par L. Minjaud.

Au deuxième congrès de la FNSI qui se tint à la Bourse du Travail de Nantes, rue de Flandres, les 28, 29 et 30 mars 1907, Antoine Ripert présenta un rapport bien documenté sur les ingérences politiques dans les mutations d’instituteurs, et ses conclusions furent adoptées à l’unanimité moins une voix. Elles prévoyaient un ensemble de mesures telles que la publication des postes vacants, la tenue d’un registre des demandes de mutations mis à la disposition du personnel, la nomination par le recteur de chaque Académie (déléguant son pouvoir à l’inspecteur d’Académie assisté d’une commission paritaire). Il s’agissait d’élaborer une nouvelle réglementation se substituant à la loi de 1854, afin d’ôter au préfet le droit de nomination des instituteurs. Dans son rapport, Antoine Ripert avait élaboré un tableau d’avancement dressé par une « commission de classement » composée de l’inspecteur d’académie (président), des inspecteurs primaires, et d‘autant de délégués du personnel que de membres de l’administration. Les promotions devaient être basées exclusivement sur l’ancienneté, l’appréciation du « mérite » étant une « source d’arbitraire et de fantaisie » ; néanmoins, une note de « démérite » était envisagée dans certains cas, graves ou exceptionnels. Enfin, en plus de ces moyens institutionnels pour supprimer les ingérences politiques, Ripert envisageait des moyens « extra légaux » : un « engagement d’honneur » de chaque syndiqué, de ne jamais avoir recours à des hommes politiques « pour quelque motif professionnel que ce soit » ; et de refuser le poste d’un instituteur déplacé arbitrairement, à moins que le syndicat n’en décide autrement…
L’intervention d’Antoine Ripert eut lieu peu de temps après l’arrivée de deux députés socialistes dans la salle, Vincent Carlier, député de Marseille, et Alexandre Blanc, instituteur et député du Vaucluse. Tous deux venaient apporter aux instituteurs syndicalistes le salut du Parti socialiste unifié, et les assurer de son appui dans les luttes parlementaires en vue et devant l’opinion publique. Malgré la toute récente « Charte d’Amiens » qui avait proclamé l’indépendance absolue du syndicalisme à l’égard des partis politiques, la présence et la participation au congrès des deux députés ne souleva aucune protestation. Les congressistes interprétaient avec une certaine ouverture d’esprit ce texte qui ne condamnait que la subordination aux partis et non le simple contact (ou la « collaboration ») pour des fins déterminées. Le compte-rendu du congrès exprima bien ce point de vue : « Des applaudissements montrent aux camarades Carlier et Blanc combien les syndiqués les remercient de leurs encouragements ». Toujours est-il que François Bernard, futur secrétaire adjoint de la Fédération unitaire de l’enseignement, présent à ce congrès, nota plus tard à propos d’Antoine Ripert qu’il était déjà, « L’une des figures les plus énergiques et les plus belles du syndicalisme universitaire… Nous verrons à l’œuvre ce travailleur infatigable quand la Fédération lui aura confié ses destinées en plaçant son conseil fédéral à Marseille ».

Au 3e congrès national, tenu à Lyon 16 au 18 avril 1908, la section des Bouches-du-Rhône accepta de prendre en charge la Fédération avec un bureau constitué par Ripert secrétaire – qui secondait le premier secrétaire général de la Fédération nationale des syndicats d’instituteurs, Marius Nègre (révoqué en 1907 et devenu de fait secrétaire général permanent) –, Adolphe Bezot secrétaire adjoint, et Ismaël Audoye trésorier, chargé du Bulletin. Emmanuelli, Victor Ferrier et Emmanuel Triaire complétaient ce bureau, le temps que le siège de la Fédération soit transféré à Marseille et y demeure (jusqu’en avril 1910, date à laquelle Louis Léger succéda à Antoine Ripert au poste de secrétaire de la FNSI. Secrétaire fédéral de 1908 à 1910, ce dernier fit preuve, à la tête de l’organisation centrale, en des heures difficiles, des mêmes qualités de clairvoyance, de volonté, de courage qui l‘avaient désigné au choix de ses camarades marseillais. Il avait, selon Max Ferré, « le don de la parole et séduisait aisément ses auditeurs, car on sentait en lui la plus grande sincérité ».

Antoine Ripert présida avec Marius Nègre le 4e congrès de la FNSI, à Paris du 13 au 15 avril 1909, dans une des salles du restaurant coopératif (49, rue de Bretagne). Congrès important qui décida l’adhésion effective de la Fédération à la CGT (le principe de l’adhésion avait été voté lors du 2e congrès de la FNSI à Nantes en 1907, puis avait été suspendu…). De nouveaux statuts furent déposés à la mairie de Marseille le 30 juin 1909. Aucune réaction administrative ou gouvernementale ne se produisit : « L’alliance de l’enseignement et de la classe ouvrière était définitivement scellé » (François Bernard).
Antoine Ripert devait assister ensuite au congrès des Amicales d’instituteurs, à Nancy, du 9 au 12 août. Durant ces trois journées consacrées aux rapports compliqués entre amicales et syndicats, à leur difficile – voire impossible pour certains – articulation, Antoine Ripert fit preuve selon les observateurs de bon sens et d’esprit critique. À Vichy, au cours d’une conférence, il avait déjà évalué, et distingué quelque peu, le syndicalisme de « la masse » des instituteurs. Dans L’Émancipation de novembre 1909, il analysa l’incompréhension qui subsistait entre instituteurs syndicalistes et amicalistes, mais aussi envers les « indifférents et les sceptiques » rencontrés en août à Nancy, qui composaient, selon lui, l’immense majorité du personnel enseignant : « Je pus me rendre compte que bien peu d’entre eux étaient au courant de notre mouvement. Ni l’action menée depuis plusieurs années, ni les résultats acquis ne leur étaient connus. Ils n’avaient vu dans le mouvement syndicaliste qu’un acte d’insubordination désordonné, fait pour perdre dans l’esprit de la majorité parlementaire comme dans l’opinion publique la cause des instituteurs. Ils n’en avaient saisi ni les raisons (arbitraire administratif et favoritisme politique), ni l’esprit (substitution du principe de collaboration et de contrôle au principe d’autorité), ni la méthode (dénoncer et prouver la gabegie et le gaspillage pour avoir avec soi l’opinion publique), ni les moyens d’action (s’allier avec les masses ouvrières organisées pour agir plus efficacement sur le pouvoir législatif)… ».

L’année suivante, afin de répondre à une offensive cléricale lancée contre l’enseignement laïque, certains milieux libres penseurs lancèrent l’idée du « monopole de l’enseignement ». La FNSI demanda aux syndicats leur avis motivé. La plupart répondirent et, dans une grande majorité, se prononcèrent contre le monopole. Lors du 5e congrès fédéral tenu à Angers du 25 au 27 mars 1910, Antoine Ripert présenta un rapport hostile au monopole de l’enseignement (on ne perdait pas encore l’espoir à cette époque d’opposer une école syndicale, rationnelle aux Écoles d’État et d’Église). Il traduisit l’opinion générale des syndicats en proclamant contre les prétentions de l’Etat, de l’Eglise, des sectes et des partis, le principe de la liberté de l’enseignement au nom des droits « imprescriptibles » de l’enfance. En dépit du climat d’anticléricalisme qui s’amplifiait, malgré les colères soulevées contre l’Eglise par l’assassinat du pédagogue anarchiste Francisco Ferrer, mort fusillé le 13 octobre 1909, la voix de Ripert demeurait « calme et son raisonnement lucide » ; elle ne fit pas écho à celles qui réclamaient ardemment le monopole : « Nous ne prétendons pas qu’il faille un enseignement spécial pour les fils de travailleurs : que dès leur enfance on doive, par une éducation particulière, les river à leur classe comme un forçat à sa chaîne. Le fils de l’ouvrier n’appartient pas plus à la classe ouvrière qu’il n’appartient à son père. Il n’appartient qu’à lui-même, et l’enseignement qu’on lui donne ne doit avoir d’autre objet que de développer ses facultés au seul foyer de la vérité scientifique, sans préoccupation philosophique d’aucune sorte. Ni le père n’a le droit de faire de son fils l’héritier obligatoire de ses concepts ; ni le maître celui d’infuser à son élève sa propre opinion ; ni la classe dont il est issu, celui de lui faire épouser ses intérêts, ses sympathies et ses haines ; ni l’Etat celui de s’imposer obligatoirement à son admiration et à sa reconnaissance… ». Ces conclusions étaient-elles trop audacieuses ? Seul le dernier paragraphe fut en effet adopté : « Il n’y a de place à l’école pour aucun culte religieux, laïque, ou économique, mais seulement pour un enseignement rationnel basé sur les acquisitions de la science, donné d’après les méthodes les plus propres à éveiller et à développer progressivement les facultés de l’enfant par des maîtres scrupuleusement respectueux de sa liberté, en même temps qu’instruits et affranchis de tous préjugés ». Il y avait là cependant, sans doute, dans ce rapport vigoureux, de quoi discerner la doctrine pédagogique de l’éducation rationnelle qui devait être celle de la Fédération des instituteurs depuis ses origines. (L’Emancipation, mai 1905).
Délégué des Bouches-du-Rhône au Conseil départemental en 1910, il fut réélu dans cette instance avec Joseph Chauvet le 26 janvier 1911 (les candidates du syndicat étaient Élise Albert (Mme Gouin), et Félicité Gilly). Ces succès, face aux candidats des Amicales, reflétèrent un certain succès pour les idées syndicalistes.

_ Antoine Ripert était apparu brusquement vieilli lors du congrès d’Angers : devenu plus pâle, les joues creusées, on le sentait fatigué, surmené. On apprit bientôt qu’il se voyait obligé de quitter sa classe de Marseille pour un poste à la campagne dans une classe rurale. Mais il était incapable de prendre un repos complet ; il fut jusqu’au bout un des collaborateurs les plus assidus de L’École émancipée. Il présida encore la séance de clôture du congrès de Marseille qui se tint du 13 au 16 avril 1911 dans la grande salle de la Bourse du Travail dont il était d’ailleurs secrétaire dans cette ville (Voir Ollivier Bertin). Une des discussions du congrès porta notamment sur l’article premier du règlement intérieur voté à Angers, qui stipulait qu’il ne « sera admis qu’un seul syndicat par département. Ce syndicat devra adhérer à l’union locale des chambres syndicales confédérées ». Antoine Ripert s’opposa formellement sur ce point à Ismaël Audoye (soutenu par Adolphe Bezot) qui demandait au Conseil fédéral de ne pas appliquer cet article premier – c’est-à-dire d’admettre les sections qui refuseraient d’adhérer aux Bourses du Travail : « Nous sommes maintenant assez forts, écrivait-il, pour ne plus recourir aux expédients. Quelle serait d’ailleurs la valeur de cet expédient ? Nulle. L’adhésion aux Bourses du Travail n’est point un acte délictueux. Allons-nous maintenant faire croire le contraire ?... ».

Le 4 février 1912, Antoine Ripert mourut prématurément, dans sa commune natale, emporté par une congestion pulmonaire, à peine âgé de trente-neuf ans, laissant une femme et quatre enfants jeunes encore. Ses amis et ses camarades de la FNSI conservèrent de lui le plus pur souvenir ainsi qu’en témoigna Louis Bouët : « Esprit très ferme et vigoureux, d’une droiture exemplaire, travailleur infatigable et dévoué, incapable de s’astreindre au repos, Ripert fut une des figures les plus attachantes du syndicalisme révolutionnaire chez les instituteurs ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article85015, notice RIPERT Antoine , Marius par Gérard Leidet, version mise en ligne le 12 septembre 2022, dernière modification le 8 septembre 2022.

Par Gérard Leidet

ŒUVRE : Il collabora à l’École Émancipée créée en octobre 1910.

SOURCES : Arch. Nat. F7/ 13 567. — Arch. Dép. Bouches du Rhône, état civil de Saint-Rémy-de-Provence, registre matricule. — L’Émancipation, mai 1905. —
Louis Bouet, Les Pionniers du syndicalisme universitaire, édition de l’E.E, s.d. [1951]. — Bernard, Bouet, Dommanget, Serret, Le Syndicalisme dans l’enseignement, op. cit., t. 1. — La Vie ouvrière, 5-20 mars 1912. — Max Ferré Histoire du mouvement syndicaliste révolutionnaire chez les instituteurs des origines à 1922, Société universitaire d’éditions et de librairie, 1955. — Denise Karnaouch, La Presse corporative et syndicale des enseignants, Répertoire. 1881- 1940, L’Harmattan, 2004. — Notice DBMOF non signée. — Notes d’Alain Dalançon.

ICONOGRAPHIE : La Vie ouvrière, op. cit.

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