ROUZADE Léonie [Née CAMUSAT Louise-Léonie]

Par Justinien Raymond, notice complétée par Julien Chuzeville

Née le 6 septembre 1839 à Paris, morte le 25 octobre 1916 à Versailles ; écrivaine ; militante de la Libre Pensée, du féminisme et du socialisme.

Photo dans L’Illustration du 22 octobre 1881.

Fille d’un horloger et ouvrière brodeuse dans sa jeunesse, Léonie Camusat épousa, à l’âge de vingt-deux ans, Auguste Rouzade, horloger, qui l’initia aux doctrines de Fourier et de Cabet. Après la Commune, Léonie Rouzade combattit, par la parole (elle fit de nombreuses conférences en France dès 1881), par la plume (elle collabora à divers journaux) et, en un temps où elles étaient interdites aux femmes, par des campagnes électorales.

Fondatrice de l’Union des Femmes socialistes de Paris, elle la représenta au congrès socialiste révolutionnaire de la région du Centre tenu dans la capitale (18-25 juillet 1880) en vue du congrès national du Parti ouvrier (PO) au Havre (14 novembre 1880) auquel elle participa et où elle fut la seule femme, avec Paule Mink, à suivre le courant « marxiste » (en fait le courant collectiviste, dont les « marxistes » n’étaient qu’une partie).

Le 13 avril 1880, à Paris, salle de la rue d’Arras, Léonie Rouzade prononça un discours qui, édité en brochure, nous fait connaître son Union des Femmes et sa propre pensée :
« Dans notre programme, dit-elle, nous avons mis la revendication des droits qui nous manquent à nous, femmes, et ils nous manquent presque tous, mais nous avons mis aussi la revendication des droits qui manquent à nos frères prolétaires et il leur en manque beaucoup... Nous voulons, pour nous femmes : les droits des citoyens, mais [...] nous voulons aussi que, pour nos frères les prolétaires, ces droits deviennent quelque chose de réel, de palpable, et non plus une fumée qui leur glisse dans les mains... » (Brochure, op. cit., p. 14). « Nous voulons pour tous le droit à la vie, dit-elle encore, mais comme le droit à la vie ne peut exister que lorsque la matière première et les outils seront à la libre disposition de tout le monde, naturellement nous sommes collectivistes. » (Ibid., p. 17.)
Ce groupement, l’Union des Femmes, semble avoir mené une activité à éclipses. Mais, en 1896 encore, Léonie Rouzade défendait la même pensée dans sa brochure La Femme et le Peuple. Elle se distinguait de celle des féministes qui donnaient le pas à leurs revendications particulières. L. Rouzade voyait même un danger dans l’action féministe sans perspective socialiste. « Si tu votais, déclarait-elle à la femme, sans avoir préalablement dans ta conscience le plan du droit nouveau qu’il faut à l’humanité, comment voterais-tu ? Peut-être mal... Voilà ce que les socialistes disent à la femme du peuple, à l’ignorante, à la mercenaire, à l’écrasée du travail industriel des villes ; et l’ignorante, la mercenaire, l’écrasée du travail et de la misère entend sourdement, au fond de sa conscience, une voix instinctive qui lui dit : ceux-là ont raison ! C’est pourquoi la femme du peuple ne s’associe pas aux bourgeoises qui réclament les droits politiques, mais elle est bien proche de s’associer aux socialistes qui préparent le plan de la nouvelle et meilleure société », (Brochure, op. cit., p. 16.) On est loin de la conception d’un parti de sexe formulée par Aline Valette.

En décembre 1881, l’Union des Femmes socialistes de Paris posa la candidature de Léonie Rouzade lors d’une élection municipale partielle dans le XIIe arr. de Paris. Ce fut l’occasion pour elle de préciser sa pensée :
« Les prolétaires et les femmes, affirma-t-elle dans une affiche, sont les derniers parias de la société moderne [...] Ils ne travailleront efficacement à leur émancipation commune qu’en marchant de concert contre la classe dominante. Nous, femmes socialistes, nous savons que chercher l’émancipation dans la société actuelle où règne l’exploitation économique la plus effrénée serait se leurrer [...] Mais, sachez-le aussi, prolétaires, la transformation sociale que vous poursuivez ne triomphera que par le concours des femmes... »
Elle fut huée lors d’une réunion, mais applaudie lors d’une autre. Elle recueillit 57 voix sur 1 122 votants (soit 5 %). Évoquant cette campagne dans l’Équité (1er mai 1914), Léonie Rouzade se plaignit du « silence » fait par le mouvement ouvrier autour de sa candidature (elle avait néanmoins été soutenue par les socialistes de l’arrondissement et par le journal Le Prolétaire).
Elle renouvela cette expérience dans de meilleures conditions. Aux élections législatives d’octobre 1885, dans la Seine, elle fut une des cinq candidates à figurer sur la Liste fédérative socialiste qui associait les tendances les plus diverses. Comme tous ceux qui ne figuraient que sur cette liste, les cinq candidates recueillirent entre 4 000 et 5 000 voix.

Internationaliste, Léonie Rouzade publia dans Le Prolétaire du 11 mars 1882 un article où elle écrivait que « la patrie n’existe que pour les ignorants », et que « les frontières ne sont plus que des conventions démodées ».

Le 24 septembre 1882, elle siégea au congrès national de la Libre Pensée à Saint-Quentin. Elle fut membre du Conseil central de la Fédération française de la Libre Pensée, et elle était toujours une oratrice de la Libre Pensée au début du XXe siècle.
Elle était également membre de la société Le Suffrage des Femmes, dirigée par Hubertine Auclert, et de La Solidarité des femmes d’Eugénie Potonié-Pierre.
En 1893, elle fut cofondatrice du Syndicat des journalistes socialistes.
En mars 1893, Léonie Rouzade participa à la première Assemblée générale de la Fédération française des Sociétés féministes, aux côtés notamment de Maria Deraismes, Aline Valette, Julie Pasquier, Marie Bonnevial et Eliska Vincent. La réunion adopta un cahier des doléances féministes (préparé par Aline Valette, finalement publié sous le titre Cahier des doléances féminines), et décida de participer à la manifestation du 1er mai.
En avril 1896, elle était l’une des oratrices du congrès féministe international tenu à Paris. Le 31 août 1897, le journal L’Éclair écrivait que Léonie Rouzade était « tout à fait à l’avant-garde, plus socialiste que féministe ».

En 1899, elle demeurait à Meudon. Elle était membre de la Société des gens de lettres. En 1904, Léonie Rouzade écrivit dans la revue L’Avenir scolaire, qui se présentait comme « laïque, républicain, socialiste » (voir Lucien Ferrière) ; elle en fut un temps secrétaire de rédaction. Dans le numéro du 16 septembre 1904, elle écrivait que dans la société future, chacun aurait « la terre entière pour unique patrie ».
En décembre 1913, elle était membre du comité d’honneur de l’Institut franco-allemand de réconciliation.
Elle fit léguer 10 francs à chacun des quatre employés des Pompes funèbres chargés de son enterrement.

L’action de Léonie Rouzade appartient tout entière à la période d’avant la guerre de 1914.
Une rue Léonie-Rouzade existe à Meudon depuis les années 1920.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article85310, notice ROUZADE Léonie [Née CAMUSAT Louise-Léonie] par Justinien Raymond, notice complétée par Julien Chuzeville, version mise en ligne le 20 mars 2017, dernière modification le 13 octobre 2022.

Par Justinien Raymond, notice complétée par Julien Chuzeville

Dessin dans L’Illustration du 4 décembre 1880.
Photo dans L’Illustration du 22 octobre 1881.
Déclaration de l’Union des Femmes socialistes en soutien à la candidature de Léonie Rouzade (Le Prolétaire, 10 décembre 1881).

ŒUVRE (cotes de la Bibl. Nat.) : L. Rouzade a collaboré à L’Anticlérical, L’Équité et à La Revue socialiste 1885 (I), pp. 97-99 et 1887 (I), pp. 519-534.
Elle est l’autrice de plusieurs livres et brochures : Développement du programme de la société l’Union des femmes de Paris, Paris, 1880, 24 p., in-12 (publication d’un discours prononcé rue d’Arras à Paris (8° R. Pièce 2034). — Connais-toi toi-même, Paris, 1871, in-18, 47 p. (R 49 635). — Ci et ça, ça et là, Paris, 1872, in-18, 81 p. (Z 59 436). — Le Roi Johanne, Paris, 1872, in-12, 120 p. (Y 2/63 976). — Voyage de Théodose à l’île d’Utopie, Paris, 1872, in-18, 251 p. (Y 2/63 977). — Le Monde renversé, Paris, 1872, in-18, 198 p. (Y 2/63 975). — Petit catéchisme de morale laïque et socialiste, Meudon, 1895, in-8°, 24 p. (8° R. Pièce 6 069). — La Femme et le Peuple. Organisation sociale de demain, Paris, 1896, 48 p., in-12 (8° R 13 753).

SOURCES : Compère-Morel, Grand Dictionnaire socialiste, op. cit., p. 789. — Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes III, p. 133. — Jean Bossu, « La femme et la Libre Pensée sous la Troisième République », in L’Idée libre, janvier-février 1957. — Hélène Heinzely, Le Mouvement socialiste devant les problèmes du féminisme, 1879 1914, DES, Paris, 219 p. — Dossier Bibliothèque Marguerite-Durand (Paris). — Le Temps, 13 décembre 1881. — L’Harmonie sociale, 25 mars 1893. — Le Radical, 11 décembre 1913. — L’Équité, 1er mai 1914. — Le Figaro, 28 octobre 1916. — L’Avenir [Valenciennes], organe de défense des travailleurs, 1899-1901, notamment le numéro du 31 décembre 1899 (BNF Gallica). — Acte de décès. — Notes de Louis Botella et de Michèle Audin.

ICONOGRAPHIE : La Femme affranchie, organe du féminisme ouvrier socialiste et libre-penseur, septembre 1906.

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