GIRAULT Mathilde, Marie, Charlotte

Par André Caudron, Jacques Éloy

Née le 9 septembre 1883 à Alençon (Orne), morte le 16 mars 1974 à Levallois-Perret (Seine, Hauts-de-Seine) ; cofondatrice de la Résidence sociale de Levallois-Perret (1910) ; infirmière (1927) ; directrice de dispensaire anti-tuberculeux ; assistante sociale (1942) ; présidente de l’association « Le Lien » (1929-1969).

Mathilde Girault était fille aînée d’une famille de sept enfants, teintée de jansénisme. Son père, de tempérament mystique, était receveur des postes à Bolbec (Seine-Inférieure, Seine-Maritime). Son grand-père paternel, quelque peu voltairien, fut professeur à la faculté des sciences de Caen et son grand-père maternel notaire en Normandie. Intelligente et vive, elle obtint son brevet élémentaire en 1899. Ses parents s’opposèrent en 1905 à sa vocation religieuse comme au militantisme de l’un de ses frères, attiré par le Sillon de Marc Sangnier*.

La rencontre de l’abbé Charles Lemercier, vicaire à Bolbec, et, par son intermédiaire, de Mercédès Le Fer de la Motte, religieuse de la congrégation de Saint-Philippe-de-Néri, responsable de maisons sociales à Paris depuis 1898, fut déterminante pour Mathilde Girault : devenue « résidente sociale » bénévole en février 1906, elle débuta à la Maison de Ménilmontant puis rejoignit celles de Montmartre et de Montrouge. Dès la fin 1906, elle affronta l’hostilité de ses parents qui estimaient ces établissements dangereux pour leur fille. De même, sa jeune sœur, désireuse de l’imiter, se vit interdire tout contact avec Madame Le Fer de la Motte.

La formule avait pourtant obtenu un succès rapide : quelques jeunes filles, habitant sur place dans une « maison sociale », s’étaient mises à la disposition des familles de quartiers populaires en organisant des garderies du soir pour les enfants, avec surveillance des devoirs, et des cercles de loisirs pour les plus âgés. Ainsi 35 000 enfants fréquentèrent les cinq maisons sociales de la capitale qui suivaient l’exemple des « settlements » britanniques.

Mais Mathilde Girault fut prise dans le tourbillon de l’affaire qui opposa Marie-Jeanne Bassot à ses parents. Contactés par son père, le général Bassot, les Girault se liguèrent avec lui pour discréditer l’œuvre et lui intenter un procès au motif de reconstitution illégale de congrégation. En juillet 1908, Marie-Jeanne, jeune résidente ayant ouvert avec Louise Jac une maison sociale à Levallois-Perret quelques mois auparavant, fut enlevée par des hommes de main que sa mère avait enrôlés, et enfermée dans un hôpital psychiatrique suisse, estimant qu’elle n’avait plus toute sa raison. S’étant échappée, celle-ci intenta à son tour, à l’encontre de ses parents, un procès pour « séquestration arbitraire » qui fit la une des journaux parisiens en mars-avril 1909, contribuant encore à déstabiliser les Maisons sociales. Le comité directeur, en octobre, dut dissoudre l’association et fermer les six maisons sociales qui existaient alors.

En février 1910, Marie-Jeanne Bassot revint « résider » à Levallois-Perret où Mathilde Girault la rejoignit à sa demande. Ayant loué un petit logement ouvrier rue Trézel, elles lancèrent quelques activités d’éducation populaire, inspirées par leurs convictions chrétiennes, mais d’une neutralité rassurante quant au respect des principes laïques. Le matin, elles exerçaient des tâches lucratives qui leur permettaient de vivre. L’après-midi, elles visitaient les familles ou réunissaient des « cercles de bonnes voisines » afin de développer les liens de solidarité. Après plusieurs déménagements, leur activité connut un rayonnement considérable. Dès le début, Mathilde se spécialisa dans les soins et l’hygiène. Une section d’infirmières-visiteuses se constitua en 1916 à Levallois-Perret, à l’invitation de Marie Diémer et Renée de Montmort, et elle en fut nommée chef d’équipe. L’objectif était de lutter contre la tuberculose et la mortalité infantile. L’année suivante, cette réalisation patronnée par le docteur Louis Guinon devint l’un des premiers dispensaires antituberculeux de France. Rattaché à l’Office public d’hygiène sociale du département de la Seine en 1919, il allait garder Mathilde Girault comme infirmière chef jusqu’à la limite d’âge (1943).

Après la Première Guerre mondiale, les deux pionnières du « travail social » purent acquérir des bâtiments et un jardin rue Antonin-Reynaud, et bénéficier des subsides de la philanthropie américaine, de banquiers et d’industriels de Levallois-Perret. La Résidence sociale de Levallois-Perret prit officiellement ce nom en 1920 et obtint la reconnaissance d’utilité publique le 15 juin 1922. Elle s’équipa d’une salle polyvalente adaptée à différents programmes. Les animatrices fondèrent un dispensaire, un aérium et un gymnase pouvant accueillir des disciplines sportives ou culturelles. Une école ménagère et une école d’action sociale, créée en 1919 pour la formation d’assistantes sociales, complétèrent cet ensemble imposant. À partir de 1921, les jeunes des Équipes sociales de Robert Garric présentèrent des cours et des cercles d’études devant un public d’ouvriers.

Quand la Résidence s’était constituée en association en 1920, Mathilde Girault avait été désignée secrétaire générale adjointe auprès de Marie-Jeanne Bassot. Toutefois, au fil des années, leur coopération devint moins effective, des divergences apparaissant entre elles, notamment quant au respect de la laïcité. Mathilde Girault, très pieuse, concevait son action médico-sociale comme un apostolat. Auprès des malades ou des stagiaires de l’École d’action sociale, elle exerçait une influence religieuse. En 1920, elle avait adhéré à l’Union Notre-Dame, groupe spirituel constitué au Manoir du Ris par Mercédès Le Fer de la Motte, avec le père Joseph Courtade, et rattaché en 1937 à l’Ordre de la Merci. Mathilde Girault elle-même créa en 1929 l’association « Le Lien » pour apporter un appui aux anciennes de l’École de Levallois puis à toute travailleuse sociale catholique. Elle en fut l’animatrice jusqu’en 1969.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle était devenue secrétaire du Comité de coordination des services sociaux publics et privés de Levallois-Perret, en tant que déléguée technique du service social de la région parisienne, et aussi déléguée à la Famille du prisonnier, aux Comités de protection infantile, de placements d’enfants, des postes d’accueil en prévision des bombardements. Elle fut également administratrice du bureau de bienfaisance de sa commune. La paix revenue, elle poursuivit son activité jusqu’en 1949 comme déléguée technique au Groupement d’action des services sociaux de la préfecture de la Seine et fut ensuite assistante-conseil auprès de l’Union des industriels de Neuilly-Levallois jusqu’à l’âge de quatre-vingt six ans. Après sa mort, par délibération municipale du 18 avril 1978, une section de la rue Antonin Raynaud a été rebaptisée Mathilde Girault. Un parc et une résidence pour personnes âgées ont reçu aussi son nom, de même qu’un immeuble baptisé « Les jardins de Mathilde ». Plusieurs distinctions soulignèrent la portée de son action : médaille d’honneur de l’Hygiène (1937), chevalier de la Santé publique (1946), chevalier de la Légion d’honneur (1948).

L’association Résidence sociale de Levallois-Perret, souvent considérée comme modèle, a développé jusqu’à nos jours un réseau d’œuvres destinées notamment aux personnes âgées et surtout aux handicapés mentaux légers ou moyens (externat médico-pédagogique, institut médico-éducatif, ateliers protégés, etc.) dans un esprit de dialogue avec les associations de parents et d’usagers, en partenariat avec les élus et la caisse d’allocations familiales.

Par l’intermédiaire de Marie-Jeanne Bassot, Madeleine Delbrêl encore étudiante avait découvert la Résidence sociale de Levallois-Perret et en avait mesuré l’intérêt.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article87198, notice GIRAULT Mathilde, Marie, Charlotte par André Caudron, Jacques Éloy, version mise en ligne le 1er avril 2010, dernière modification le 15 avril 2010.

Par André Caudron, Jacques Éloy

SOURCES : Le Lien, Mathilde Girault (1883-1974), brochure imprimée, s.l., s.d.(1976 ?). — Arch. dép. Hauts-de-Seine, fonds Résidence sociale de Levallois-Perret. — Notices par Sylvie Fayet-Scribe in Geneviève Poujol et Madeleine Romer (dir.), Dictionnaire biographique des militants, L’Harmattan, 1996 ; in Évelyne Diébolt (dir.), Militer au XXe siècle, femmes, féminisme, Églises et société, dictionnaire biographique, éditions Michel Houdiard, 2009. – Sylvie Fayet-Scribe, La Résidence sociale de Levallois-Perret, naissance des centres sociaux de France, Toulouse, ERES, 1990 ; Associations féminines et catholicisme. De la charité à l’action sociale XIXe-XXe siècle, Éditions ouvrières, 1990. – Henri Rollet, Sur le chantier social : l’action sociale des catholiques en France (1870-1940), Lyon, La Chronique sociale de France, 1955. – Roger-Henri Guerrand, Marie-Antoinette Rupp, Brève histoire du service social en France (1896-1976), Toulouse, Privat, 1978.

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