GRAY Jean

Par Nathalie Viet-Depaule

Né le 27 juillet 1907 à Montluel (Ain), mort le 29 mars 1997 à Auxerre (Yonne) ; prêtre du diocèse de Lyon, professeur au séminaire de la Mission de France à Lisieux (Calvados), prêtre-ouvrier à Ivry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne), insoumis en 1954 ; secrétaire CGT du syndicat des Produits chimiques à l’Union locale d’Ivry-sur-Seine.

Fils d’un marchand rouennier, Jean Gray, d’après son récit aux accents autobiographiques, Quand s’ouvrent les clôtures, avait, très jeune, perdu sa mère qu’il avait peu connue à cause de la maladie qui la tenait constamment alitée. Il semble avoir fréquenté l’école primaire puis une école professionnelle qui le conduisit, dès l’âge de quinze ans, à être ouvrier dans une usine de soierie à Lyon (Rhône). Il raconte que ce fut la découverte de la lecture, notamment la Bible et les œuvres de Claudel, qui l’amenèrent à se « convertir » et à envisager une vie sacerdotale. Après un passage dans un séminaire de vocations tardives en 1929, il décida, sur le conseil d’un vicaire, d’entrer au grand séminaire d’Issy-les-Moulineaux (Seine, Hauts-de-Seine) où il côtoya, selon Émile Poulat*, un groupe de séminaristes qui allaient faire partie après la Seconde Guerre mondiale des « progressistes chrétiens » tels Michel Lémonon* (prêtre-ouvrier sur les barrages du Rhône), Robert Lebourgeois* (fondateur de Terre nouvelle), Gustave Laugeois* (ancien jociste qui célébrera la messe du Xe anniversaire de la JOC au Parc des Princes) ou encore Charles Pautet* (Mission de Paris).

Ordonné en 1937 pour le diocèse de Lyon, il poursuivit des études de théologie à l’issue desquelles il obtint un doctorat. Mobilisé, rapidement fait prisonnier, il fut détenu pendant cinq ans en Bavière, dans les Sudètes et en Autriche où il travailla à la construction d’autoroutes. À son retour, à l’occasion d’un pèlerinage à Lourdes qu’il fit avec d’autres prisonniers, il exprima les sentiments qui l’animaient alors : « Retour de captivité ? Nous avons retrouvé, bon gré, mal gré, des habitudes et des conformismes sociaux et spirituels, et c’est à composer avec eux, à acclimater dans leur monde l’exigence nouvelle rapportée de là-bas, que nous avons cette année sourdement souffert. Nostalgie, oui. Sentiment d’être exilés de nouveau. »

Faut-il attribuer à sa captivité le choix d’intégrer l’équipe des pères du séminaire de la Mission de France à Lisieux (Calvados) ? Qu’il eût entendu parler de « la nouvelle entreprise spirituelle », de « ce séminaire d’un nouveau genre », n’est guère surprenant, mais les conditions de sa nomination restent inconnues. Quoi qu’il en fût, Jean Gray fut nommé pour enseigner la théologie à la rentrée d’octobre 1945. Ses cours (notamment « Le mystère de l’Église », « Le mystère de Dieu », « Le mystère de l’homme », « Le mystère du Christ », « L’eucharistie ») marquèrent une génération de séminaristes : ils y trouvaient les moyens de réfléchir à leur engagement missionnaire. Il était en même temps aumônier de la Paroisse universitaire à Caen (Calvados) et gardait des liens avec Jeunesse de l’Église qui semblaient suffisamment étroits pour qu’il fût appelé, en 1949, à faire partie de son comité directeur.

Lorsqu’il sentit sourdre les menaces qui allaient condamner à terme les innovations pastorales dont le séminaire de Lisieux était « l’institution porteuse », Jean Gray ne put se contenter longtemps d’exercer sa charge de professeur. Il préféra arrêter son enseignement pour rejoindre l’équipe de la Mission de Paris, faisant partie des derniers prêtres admis à exercer leur mission en usine. Il se fit embaucher en 1950 comme ouvrier dans une usine de peintures, chez Aster, à Ivry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne) et adhéra à la CGT. Il participa dès lors à la vie ivryenne, célébrant la messe au 133 rue de Paris où s’était installée en 1947 une communauté masculine et laïque de la Mission de Paris, composée de Max Stern*, Jean Moliné*, Philippe Munck* et du potier Wladislaw Palley* dit Slavik. Le « 133 » organisait le soir des réunions hebdomadaires attirant des foyers chrétiens « progressistes » qui se retrouvaient au comité local du Mouvement de la Paix et militaient au sein du mouvement ouvrier.

Lorsque la crise des prêtres-ouvriers éclata en 1953, Jean Gray fut de ceux qui cherchèrent à infléchir les décisions de la hiérarchie. Il tenta en vain d’expliquer le bien-fondé de la mission des prêtres-ouvriers, que ce fût au cours de rencontres avec des évêques ou en contribuant à la rédaction du rapport, connu sous le nom de « document vert », que les prêtres-ouvriers de Paris remirent au cardinal Feltin, archevêque de Paris. Il se rangea résolument du côté des prêtres insoumis, décidant, le 1er mars 1954, de ne pas obtempérer au diktat romain et de rester à l’usine. Le 10 juillet 1954, il écrivit au cardinal Gerlier : « Ma présence est liée au fait que le 1er mars j’ai cru de mon devoir, avec la grande majorité des prêtres-ouvriers de France, de rester au travail et de garder les responsabilités syndicales que les travailleurs m’ont confiées. Je suis secrétaire des Produits chimiques d’Ivry, CGT, bien entendu, il n’y a pas d’autres organisations ouvrières sur le secteur. Je pouvais d’autant moins agir autrement que mon retour à l’usine et au syndicat m’a fait retrouver la solidarité de classe qui avait marqué, plus instinctivement que lucidement d’ailleurs, mon enfance et ma jeunesse, et que mon entrée dans l’Église à vingt-deux ans m’avait en fait contraint d’abandonner. » Il était également, à ce moment-là, secrétaire du comité d’entreprise de son usine.

La condamnation romaine mit fin à son sacerdoce. Il participa encore à quelques réunions de prêtres-ouvriers insoumis, accepta de traduire quelques lettres de Dietrich Bonhoeffer, théologien allemand, mort le 9 avril 1945 au camp de concentration de Flossenburg, pour le numéro un du bulletin Libres rencontres que des chrétiens réunis autour d’Henri Chartreux initieraient à Limoges, mais surtout s’engagea dans une vie nouvelle avec Agnès Duponnois, normalienne et chrétienne progressiste, qu’il avait connue à Caen où elle était professeur et qu’il épousa le 12 mars 1955 à Paris (Xe arr.). Il quitta l’usine, se spécialisa dans l’éducation des adultes et collabora pendant plusieurs années à la formation de cadres de pays en voie de développement.

Dans les dernières années de sa vie, Jean Gray habitait Auxerre et militait à Amnesty international. Il avait renoué, au milieu des années 80, avec les prêtres-ouvriers insoumis qui s’étaient regroupés à l’instigation de Bernard Chauveau et se réunissaient tous les ans. Leurs rencontres l’amenèrent à écrire un manuscrit, La traversée, dont le contenu faisait écho aux recherches que les uns et les autres poursuivaient.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article87222, notice GRAY Jean par Nathalie Viet-Depaule, version mise en ligne le 2 avril 2010, dernière modification le 12 avril 2010.

Par Nathalie Viet-Depaule

ŒUVRE : Avec Daniel Carrière, Les misères de l’abondance : sept questions sur la croissance, Paris, Éditions Entente, 1975. – Le développement au ras du sol : chez les paysans du Tiers-monde, Éditions Entente, 1978. – Quand s’ouvrent les clôtures, Éditions entente, 1986. – Vivre demain, Éditions Entente, sd. – La traversée, manuscrit inédit, sd.
Articles : « Le pèlerinage des prisonniers à Lourdes. Impressions d’un prêtre », La Vie spirituelle, novembre 1946, p. 593-596. – « Amour sacerdotal et chasteté », Masses ouvrières, 36, août-septembre 1948, p. 14 – « Le peuple de Dieu et l’Église », Masses ouvrières, 49, novembre 1949, p. 18.

SOURCES : Archives de la Mission de France, ANMT, Roubaix. – AHAP, fonds Feltin. –Étienne Fouilloux, « Des chrétiens à Ivry-sur-Seine (1930-1960) », Banlieue rouge, Autrement, 18, octobre 1992. – Émile Poulat, Les prêtres-ouvriers. Naissance et fin, Le Cerf, 1999. – Marta Margotti, Preti e operai, la Mission de Paris dal 1943 al 1954, Paravia Bruno Mondadori, 2000. – Robert Davezies, Un temps pour la guerre, Lausanne, L’Âge d’homme, 2002. – Jean-Marie Marzio, Marie Barreau, Yvonne Besnard, Jean Olhagaray, Jean Desailly. Récits rassemblés par Nathalie Viet-Depaule, La Mission de Paris. Cinq prêtres-ouvriers insoumis témoignent, Karthala, 2002. – Thierry Keck, Jeunesse de l’Église. Aux sources de la crise progressiste en France, Karthala, 2004. – Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule, Une histoire de la Mission de France. La riposte missionnaire (1942-2002), Karthala, 2007.

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