Par André Balent
Né le 3 décembre 1915 à Elne (Pyrénées-Orientales), mort le 23 novembre 1988 à Elne ; professeur de l’enseignement technique ; archéologue et historien ; fondateur et animateur de la revue Nostra Terra (1936-1939) et du mouvement catalaniste du même nom (1937-1939) ; militant du groupe de la Fédération des étudiants révolutionnaires de la Cité universitaire de Paris (1938-1939) ; militant de la CFTC puis de la CFDT (SGEN) ; militant du PSU ; adjoint au maire d’Elne (1965-1971).
Roger Grau naquit dans une famille aisée d’Elne, bourgade agricole du sud de la plaine du Roussillon. Son père, Sylvain Grau, était issu d’une famille anciennement implantée à Elne. Sa mère, Marie Salvat, était née à Sansa (Pyrénées-Orientales), petit village montagnard du Haut Conflent. Son père, entrepreneur en bâtiments et travaux publics était à la tête d’une affaire assez importante ; avant la Seconde Guerre mondiale, il la développa en lui adjoignant une activité de transport automobile des marchandises. La famille Grau n’avait pas de profondes convictions politiques et religieuses ; elle était seulement de tradition catholique et conservatrice. Roger Grau suivit les cours de catéchisme et fit sa communion. Il fréquenta l’école communale d’Elne et obtint le certificat d’études primaires. Il poursuivit sa scolarité à l’École primaire supérieure de Perpignan (Pyrénées-Orientales). Parmi ses professeurs de l’EPS figuraient notamment Jean-François Charvet* et Pierre Pacouil*. L’enseignement dispensé par ce dernier était, selon le témoignage de Roger Grau, remarquable. Pierre Pacouil avait, en effet, de grandes qualités et sa rigueur intellectuelle laissa sur Roger Grau une forte impression. Après avoir obtenu le Brevet élémentaire, Roger Grau prépara, à l’EPS de Perpignan, le concours d’entrée aux Arts et Métiers. De 1934 à 1939, il suivit des études supérieures à Paris, à l’école spéciale des travaux publics. En 1939, il obtint le diplôme d’ingénieur du bâtiment.
Adolescent, Roger Grau rompit avec le catholicisme. Cela ne lui posa pas de problème particulier car sa famille, pourtant catholique, n’était guère pratiquante.
Enfant, Roger Grau se lia d’amitié avec Louis Bassède*. Tous deux fréquentèrent les mêmes bancs de l’école primaire d’Elne et ceux de l’EPS de Perpignan. Leurs goûts, leurs centres d’intérêt, leurs engagements étaient identiques. Leurs trajectoires furent parallèles. Jusqu’à la mort de Louis Bassède en 1982, tous deux collaborèrent étroitement. Ils ne divergèrent quelque peu sur le plan idéologique, qu’à compter des années 1940-1945 : Roger Grau, tout en demeurant un homme de gauche, engagé dans les organisations du mouvement ouvrier se convertit au catholicisme alors que Louis Bassède, instituteur à Sournia (Pyrénées-Orientales) impliqué dans la Résistance, se rapprocha du PCF.
De 1934 à 1939, la collaboration entre les deux hommes fut très étroite, et ce, en dépit du fait que Roger Grau étudiant à Paris, ne revenait en Roussillon que pour les vacances. À vingt ans, tous deux étaient des hommes de gauche portés par la vague montante du Front populaire et étaient gagnés aux idées socialistes.
L’engagement militant de Roger Grau se situa à deux niveaux : Paris et les Pyrénées-Orientales.
À Paris, il sympathisa rapidement avec la gauche de la SFIO et s’il n’adhéra pas à la Gauche révolutionnaire, il en partageait les options. Proche des étudiants de la SFIO, fortement influencés par la gauche pivertiste ou trotskyste, il adhéra au groupe de la Cité universitaire de la Fédération des Étudiants révolutionnaires. Pacifiste, Roger Grau fut un « Munichois », convaincu du bien fondé du pacifisme intégral.
En Roussillon, il participa, en étroite collaboration avec Louis Bassède à la création de la revue Nostra Terra, puis du mouvement qui en était issu (fondé l’été 1937) : « Nostra Terra, Joventut catalanista del Rosselló, Vallespir, Conflent, Capcir i Cerdanya » (Jeunesse catalaniste du Roussillon, Vallespir, Conflent, Capcir et Cerdagne). Le point de départ de cet engagement « régionaliste » était un intérêt évident pour la langue catalane, pour le passé de leur pays. Jeunes Catalans de gauche, ils sentaient qu’ils devaient oeuvrer dans le sens de l’affirmation publique de leur catalanité. L’exemple de la Catalogne espagnole, en pleine renaissance culturelle et ayant acquis, dans le cadre de la République espagnole, un statut d’autonomie leur suggérait qu’il fallait que les Catalans de France fissent à leur tour quelque chose qui dépassât un cadre confidentiel et purement littéraire. À l’origine de « Nostra Terra », se trouvait un groupe de « jeunes » qu’Alfons Mias, secrétaire de mairie à Palalda, mit en contact entre eux, en partie grâce au cours de catalan par correspondance qu’il organisa à compter de 1935. Roger Grau et Louis Bassède furent parmi les premiers élèves d’Alfons Mias et purent ainsi participer au lancement de la revue et du mouvement. Si « Nostra Terra » groupait un large éventail d’opinions diverses allant de l’extrême gauche à la droite conservatrice, il n’en demeurait pas moins que ses membres actifs stimulés par l’expérience de la Généralité de Catalogne, s’étaient découverts un but commun. Cette convergence quant aux objectifs – faire reprendre conscience aux Catalans de France de leur originalité en tant que communauté culturelle et linguistique – n’excluait cependant pas les divergences de vue sur les moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir. Roger Grau, adhérent de la Fédération des Étudiants révolutionnaires et Louis Bassède, militant du SNI alors proche de l’École Émancipée étaient parmi le noyau dirigeant de Nostra Terra ; ceux qui se situaient le plus à gauche. La correspondance entre les deux amis, partiellement publiée par Pierre Grau montre bien que, pour eux, l’essentiel était que la propagande du mouvement s’adressât en premier lieu aux masses ouvrières et paysannes qui, dans les scrutins des années 1930, votaient, dans leur majorité, pour les candidats des partis ouvriers. Roger Grau (et Louis Bassède) écrivaient assez régulièrement des éditoriaux dans la revue Nostra Terra qui réussit à avoir bientôt un assez grand nombre d’abonnés.
La victoire de Franco en Catalogne en janvier 1939 affecta les membres de « Nostra Terra » qui virent dans la suppression des institutions autonomes de la Généralité une grande défaite historique. Ils firent ce qu’ils purent pour venir en aide aux réfugiés catalans enfermés dans les camps de concentration des Pyrénées-Orientales. La mobilisation générale en septembre 1939 disloqua le mouvement dont les forces vives reposaient en majeure partie sur des hommes jeunes.
Roger Grau, pour sa part, fut mobilisé à Versailles (Seine-et-Oise) en octobre 1939, en qualité d’élève officier de réserve du Génie. Affecté à Bordeaux (Gironde) au service auxiliaire, il fut réformé, car, ayant eu deux doigts de la main droite taillés par un bloc de ciment armé quand il était enfant, il était manifestement inapte au service militaire.
Roger Grau revint à Elne à la fin de 1939. Il travailla dans l’entreprise familiale. Lui, qui avait été un fervent « munichois » était très affecté par le déclenchement de la guerre mondiale. Pessimiste quant à l’avenir du monde, il trouva une compensation dans sa conversion au catholicisme. En décembre 1940, il entra aux « Compagnons de France ». De 1941 à 1942, pendant l’année scolaire, il suivit à Grenoble (Isère) des cours de géographie humaine afin de devenir cadre du mouvement. Il revint ensuite à Elne et ne s’engagea pas dans la Résistance comme le firent plusieurs animateurs des « Compagnons de France », parmi lesquels Pierre Cartelet.
Le 23 août 1945, il épousa à la Bachellerie (Dordogne), Johanna Meekel, fille d’un écrivain néerlandais établi dans ce département. De cette union naquirent cinq enfants : Cornelis, médecin psychiâtre, né en 1946 ; Pierre, professeur dans l’Hérault et historien du mouvement « Nostra Terra », né en 1948 ; Marie sous-bibliothécaire à la bibliothèque universitaire de Perpignan ; Dominique, infirmière née en 1956 ; Laurent, administrateur à la direction de l’Aviation civile (2010), né en 1963.
Roger Grau ne voulut pas prendre la succession de son père à la tête de l’entreprise familiale car il avait peu de goût pour la fonction patronale. À la rentrée scolaire de 1946, il entra dans l’enseignement technique en qualité de professeur de dessin à Neauphle-le-Vieux (Seine-et-Oise, Yvelines). En 1947, il fut muté au collège d’enseignement technique de Lagrange à Villelongue-dels-Monts (Pyrénées-Orientales). À la rentrée de 1973, il obtint un poste à Djibouti (Territoire des Afars et des Issas) où il enseigna jusqu’en 1976. Il prit cette année-là sa retraite à Elne.
Après la guerre, en accord avec ses nouvelles convictions religieuses, Roger Grau adhéra à la CFTC. Il choisit la CFDT en 1964. Au début des années 1960, il fut élu administrateur de la Caisse primaire de Sécurité sociale (collège des salariés, liste présentée par la CFTC). À la même époque, il militait également dans les rangs de l’Action catholique ouvrière dont il fut pendant quelques mois le président diocésain.
Sur le plan politique, Roger Grau sympathisa d’abord avec l’UGS. Dans les années 1960, il adhéra au PSU dont il demeura membre jusqu’en 1969. En juin 1968, il participa activement à la campagne électorale d’Antoinette Claux*, candidate du PSU dans la 1re circonscription des Pyrénées-Orientales (Perpignan-Céret). Roger Grau fut une première fois conseiller municipal d’Elne de 1953 à 1959, Henri Roger étant maire. Six ans après, il se représenta une nouvelle fois à Elne, en qualité d’adhérent du PSU, sur une liste d’union de la gauche, conduite par Narcisse Planas (PCF). Élu, il devint quatrième adjoint au maire chargé des écoles, de la culture, du musée et des antiquités.
Dès son retour à Elne, Roger Grau s’intéressa vivement, toujours avec son ami Louis Bassède, à l’archéologie et à l’histoire. Elne, ancien oppidum ibère et siège épiscopal dès l’époque wisigothique, était un lieu particulièrement privilégié pour susciter des vocations. Dès leur enfance, Roger Grau et Louis Bassède furent en effet initiés à la fois aux lettres catalanes et à l’archéologie par l’abbé Jampy, curé d’Elne et de Lacvivier érudit local catalanisant. Dès 1948, il entreprit, toujours avec Louis Bassède, de mener à bien des fouilles archéologiques à Elne. Cette activité l’occupa pendant de nombreuses années. Il publia le bilan de ses recherches dans plusieurs revues locales comme les Études Roussillonnaises ou CERCA, revues spécialisées ou de vulgarisation (Archéologia). Il créa, avec Louis Bassède, le musée d’Elne dont il fut le conservateur jusqu’en 1972. Il publia (deux éditions : 1967 et 1970) : Elne-Illiberis, archéologie histoire. Guide des monuments, ouvrage dans lequel il faisait le bilan de ses recherches. Il fonda la « Société des amis d’Illiberis » qui s’attacha à mettre en valeur tout ce qui touchait au riche passé de la cité d’Elne. Il en fut le président pendant de nombreuses années. Notons également qu’il découvrit et qu’il fouilla la forteresse romaine (IIIe siècle) de l’Écluse [Les Cluses](Pyrénées-Orientales).
Lors de son séjour à Djibouti, il s’intéressa à l’archéologie des pays de la « corne de l’Afrique ». Il effectua des recherches à Djibouti et en Éthiopie, parcourut le Yémen. En janvier et en février 1980, il reprit, à la demande du gouvernement de la République de Djibouti, des fouilles archéologiques dans cet État. En 1982, il adhéra à la « Société française pour les études éthiopiennes », qui reçoit le soutien du gouvernement d’Addis-Abeba. Il publia des articles sur l’archéologie du territoire et sur la présence catalane à Djibouti au XIXe siècle.
Parallèlement à ses activités d’archéologue et d’historien, Roger Grau continua de manifester beaucoup d’intérêt pour les « choses » catalanes. Il fut, de 1967 à 1968, président du « Grup rossellonès d’Estudis catalans » dont il fut un des membres fondateurs en 1960. En 1980, il publia, en collaboration avec Fernand Villacèque un ouvrage de sociologie historique de la langue catalane dans les Pyrénées-Orientales : De Roussillon en Catalogne (édité à Perpignan par Truc ).
Les 30 et 31 octobre 1999 un colloque fut organisé à Elne afin de rendre un hommage posthume à Roger Grau. Quarante-sept archéologues, historiens, historiens de l’art et architectes venus parfois de fort loin présentèrent des communications qui furent rassemblées dans un volume d’Actes publié en 2003.
Par André Balent
ŒUVRE CHOISIE : Collaboration aux revues citées. — Ouvrages cités dans la biographie.
SOURCES : Nostra Terra (1936-1939). — Gran Enciclopèdia catalana, tome VIII, p. 229, Barcelone, 1975. — Pierre Grau, Introduction à l’étude du mouvement national catalan en France : Alfons Mias et les origines de « Nostra Terra », Maîtrise, Université de Montpellier III, 1981. — Pierre Grau, « Le premier cours de catalan par correspondance », Bulletin de la société agricole scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales, 90, pp. 115-128, Perpignan, 1982. — Numéro spécial de Sant-Joan i Barres (volume 87-88 ; Perpignan, 1982, « Lluís Bassede », 133 p., cf. plus particulièrement dans cet ouvrage l’article de Pierre Grau, « Lluís Bassede i Nostra Terra », pp. 9-24). — Marie Grau, Olivier Poisson (dir.), Elne, ville et territoire. L’historien et l’archéologue dans sa cité. Hommage à Roger Grau. Elna, ciutat i territori. L’historiador i l’arqueòleg en la seua ciutat. Homenatge a Roger Grau, Actes de la deuxième rencontre d’Histoire et d’archéologie d’Elne, collège Paul Langevin, 30-31 octobre 1999, Elne, Société des Amis d’Illiberis, 2003, 316 p. — Lettre de M. Roger Grau, 9 novembre 1983. — Témoignage oral de M. Roger Grau, 17 novembre 1983.