HERMANN Jean-Maurice, dit HERLIN ou HUBERT

Par Éric Nadaud

Né le 28 février 1905 à Paris (IXe arr.), mort le 16 juin 1988 à Chambon-sur-Cisse (Loir-et-Cher) ; journaliste socialiste  ; rédacteur en chef de plusieurs publications socialistes et progressistes  ; responsable régional et national du réseau Brutus (1943-1944)  ; membre de l’Assemblée consultative provisoire (1945)  ; directeur de cabinet du secrétaire d’État à l’Information (1946)  ; membre du bureau national du Parti socialiste unitaire (1948-1951)  ; secrétaire général du SNJ (1939), puis du SNJ-CGT  ; président de l’Organisation internationale des journalistes (1950-1976)  ; vice-président de la FNDIRP.

Jean-Maurice Hermann vers 1936.
Jean-Maurice Hermann vers 1936.
Coll. privée famille de J.-M. Hermann (transmise par l’auteur).

Jean-Maurice Hermann était le fils de Joseph, Bernard Hermann, employé puis commerçant en antiquités, originaire de Tchécoslovaquie, et de Suzanne, Emma Bernheim, sans profession, issue d’une famille juive d’Alsace, qui porta l’étoile jaune sous l’Occupation. Si ses parents ne s’engagèrent pas sur le plan politique ou religieux, quoique républicains laïques, du moins son père fut-il un militant syndicaliste et mutualiste actif, qui prit part à la fondation de la première Chambre syndicale des employés de Commerce et de l’Industrie, et reçut la médaille d’argent de la Mutualité. Après avoir obtenu le baccalauréat ès-lettres, Jean-Maurice Hermann poursuivit des études en psychologie et sociologie qu’il ne conduisit pas à leur terme. Incorporé en mai 1925 au 26e R.I. de Nancy (Meurthe-et-Moselle), il fit partie du corps d’occupation en Rhénanie jusqu’à sa libération, avec le grade de sergent, en octobre 1926.

D’abord employé d’assurances, il se réorienta en 1927 vers le journalisme. Il collabora au Quotidien de 1927 à 1932, pour la rubrique des informations départementales, puis au Petit Journal, de 1931 à 1933, comme spécialiste des informations parlementaires, ainsi qu’aux magazines Sans fil et Miroir du monde. Il fit rapidement coïncider ses activités de presse avec ses engagements politiques. Après avoir milité à la Ligue d’action universitaire républicaine et socialiste, il adhéra en 1930 au Parti socialiste SFIO, et de 1932 à 1939 travailla principalement pour l’organe de celui-ci, Le Populaire. Il s’y spécialisa dans les reportages sur les ligues fascistes et la Cagoule, où il dénonça la montée du fascisme, et se distingua en assurant au péril de sa vie la couverture de la guerre d’Espagne. Il collabora également aux journaux socialistes Le Travail de Genève et Le Peuple de Bruxelles.

Au sein de la SFIO, il milita à la 9e section de la Fédération de la Seine, et compta parmi les animateurs de la tendance révolutionnaire, unitaire et antifasciste Bataille socialiste qui, sous la conduite de Jean Zyromski, considérait que la lutte contre le fascisme passait par le rassemblement de toutes les forces démocratiques autour des partis ouvriers réunis, ainsi que par une coalition des démocraties et de l’URSS contre les dictatures fascistes. Il représenta le parti aux élections législatives du 26 avril 1936 dans la 1re circonscription du XIXe arr. de Paris, celle d’Eugène Fiancette, élu sous l’étiquette SFIO en 1932, mais exclu en 1934. Largement devancé par le communiste Touchard au premier tour, avec 2 904 suffrages seulement sur 22 774 électeurs inscrits et 20 516 votants, il assura par son désistement le succès de ce dernier au second tour. Il fut par ailleurs membre du Comité de vigilance antifasciste du IXe arr.

Il se donna plus encore au militantisme syndical. Il adhéra en 1930 au Syndicat national des journalistes (SNJ). Il entra en mars 1934 dans son conseil d’administration, et en fut élu secrétaire général adjoint en février 1937, puis secrétaire général en avril 1939. Il compta à ce titre parmi les promoteurs du statut moderne des journalistes, en 1935. Il se rangea dans la tendance qui préconisait l’adhésion du SNJ à la CGT. Après le rejet de cette idée par la majorité des adhérents, il prit part en 1938 à la fondation d’un syndicat CGT des journalistes. La double appartenance étant admise des deux côtés, il put conserver ses fonctions au SNJ tout en siégeant au bureau du nouveau syndicat.

Mobilisé fin août 1939, Jean-Maurice Hermann fut affecté à la défense de la ligne Maginot, comme chef de section au 155e R.I. Grièvement blessé à Montmédy (Meuse) le 13 juin 1940, prisonnier de guerre, puis hospitalisé à Bourbonne-les-Bains (Haute-Marne), il fut finalement libéré du fait de ses blessures en octobre 1940. Il entra aussitôt dans la Résistance. Ses tentatives pour gagner Londres ayant échoué, il rejoignit Pierre Bertaux, organisateur de la lutte clandestine à Toulouse (Haute-Garonne), pour l’aider à monter un groupe de la France Combattante, voué aux actions de sabotage et de renseignement. Arrêté par la police de Vichy le 12 décembre 1941 pour atteinte à la sécurité extérieure de l’État, il fut interné huit mois à la prison militaire de Toulouse, mais acquitté le 31 juillet 1942 en raison de ses états de service et par manque de preuves, ce qui n’empêcha pas la Police nationale de prendre contre lui une mesure d’internement administratif. Pour se soustraire à celle-ci, il repassa dans la clandestinité. Après l’échec d’une nouvelle tentative de départ pour l’Angleterre, il s’établit à Lyon (Rhône) au début de l’hiver 1942-1943. Il y mit ses compétences de journaliste au service du Bulletin de la France combattante de Georges Bidault, du Populaire clandestin, dont il assura la liaison entre les éditions Nord et Sud, ainsi que de L’Espoir, le journal socialiste de Gaston Defferre. Il prit une part très active aux réflexions de la Résistance sur l’avenir de la presse. Il rédigea dès janvier 1943 un rapport préconisant la création d’un statut pour celle-ci, et joua un rôle de premier plan au sein de la Commission de la presse mise en place par le Conseil national de la Résistance (CNR). Désireux de mener aussi une action militaire, il rejoignit André Boyer et Gaston Defferre dès la fin de l’année 1942 au sein du réseau Brutus. Il en devint le chef de la zone Sud en mai 1943, sous le pseudonyme de Herlin, puis le chef national par intérim. Arrêté par les Allemands à Paris le 10 novembre 1943, en compagnie de Pierre Sudreau, responsable de la zone Nord, il fut interné durant six mois à la prison de Fresnes (Seine, Val-de-Marne), puis au camp de Compiègne (Oise), d’où il fut déporté en mai 1944 vers divers camps allemands, notamment ceux de Neuengamme et de Ravensbrück. Il s’en évada à l’approche des troupes alliées, fut recueilli par l’Armée rouge, et regagna la France en mai 1945.

Par la suite, il s’attacha à perpétuer le souvenir de la Résistance et de la déportation en militant dans de multiples associations à vocation mémorielle. Il fit partie du comité directeur de l’Amicale des anciens déportés et familles de disparus du camp de Neuengamme, du conseil national de l’Association des anciens combattants de la Résistance française, du bureau national puis de la vice-présidence de la Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes (FNDIRP), dont il présida aussi l’association départementale de la Seine, et appartint à la Fédération des amicales de réseaux, renseignements et évasions de la France combattante.

Une fois la paix revenue, il fit une brève incursion dans l’appareil d’État. En juillet 1945, il fut nommé, au titre des internés et déportés, membre de l’Assemblée consultative provisoire, dont il fut l’un des secrétaires. De janvier à juillet 1946, il exerça les fonctions de directeur de cabinet de Gaston Defferre, secrétaire d’État à la présidence du Conseil, chargé de l’Information, dans le gouvernement Félix Gouin. Il s’impliqua alors tout particulièrement dans la mise au point du statut des entreprises de presse. Toutefois, le journalisme l’intéressait davantage qu’une carrière politique. Il renoua donc avec lui, en privilégiant, comme avant-guerre, les journaux socialistes. Il reprit sa place au Populaire. Il l’abandonna volontairement en 1946, mais pour rejoindre le quotidien Franc-Tireur, dont la rédaction était largement socialiste.

Sur le plan politique, Jean-Maurice Hermann se situa à l’aile gauche de la SFIO comme dans les années 1930, cette fois pour protester contre la « dérive centriste » de la direction du parti. En 1946, il entra au comité directeur de la revue d’études d’inspiration marxiste La Pensée socialiste. En 1947, il compta parmi les artisans de la résurrection de la tendance Bataille socialiste, et de l’hebdomadaire du même nom, dont il fut le rédacteur en chef. Fin 1947, l’aggravation de la guerre froide rendit inévitable la rupture avec les dirigeants socialistes. Il fut exclu du parti le 15 janvier 1948, pour indiscipline, ainsi qu’une vingtaine de ses amis. Il continua son combat avec ceux-ci au sein du Mouvement socialiste unitaire et démocratique (MSUD), puis du Parti socialiste unitaire (PSU) à partir d’octobre 1948. Il appartint à la commission exécutive du premier, puis au bureau national du second, où il fut reconduit de congrès en congrès, jusqu’en 1951, d’abord comme secrétaire adjoint à la propagande, puis comme « chargé de délégations particulières ». Il resta l’un des éditorialistes les plus prolixes de La Bataille socialiste, devenue l’organe du groupement. Il joua aussi le premier rôle dans le lancement en 1949 de la revue mensuelle d’études et de documentation du socialisme de gauche Les Cahiers internationaux, dont il fut jusqu’à sa disparition en 1961 le rédacteur en chef, et dans la création de l’Association pour l’étude des problèmes politiques, économiques et sociaux, la société éditrice, dont il fut vice-président. Écarté de la direction du PSU en septembre 1951, avec d’autres fondateurs, il milita au sein de l’Union progressiste, mais en y limitant sa collaboration à la rédaction de multiples articles pour le Bulletin mensuel de l’Union.

L’année 1948 marqua aussi un tournant pour ses activités professionnelles. Il devint l’une des figures de la presse progressiste, celle des « compagnons de route » du Parti communiste français (PCF). À la fin 1948, il rejoignit avec l’aile gauche de la rédaction de Franc-Tireur le quotidien Libération d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie, dont il fut le chef du service de politique étrangère jusqu’à la disparition du journal, en novembre 1964. Il collabora de même à Action, Parallèle 50, France-URSS, La Défense, organe du Secours populaire français (SPF), Défense de la paix, et Horizons, revue mensuelle du Mouvement de la paix, dont il fut le rédacteur en chef, de 1959 à 1962. Il prêta aussi sa plume aux organes communistes Les Lettres françaises, France nouvelle et Démocratie nouvelle.

Dans le même temps, il entra dans la direction de multiples organisations liées au PCF, quoiqu’officiellement indépendantes. Il fut le secrétaire du Comité de la région parisienne d’aide à la Grèce démocratique en 1949, et l’un des membres du Comité français pour l’amnistie générale en Grèce, en 1952. Il appartint en 1951 au bureau du Comité national de défense des libertés syndicales et démocratiques, fut l’un des fondateurs en 1952 et le président de l’Institut international de la Presse, dont le but était de dénoncer les gouvernements responsables d’atteintes à la liberté de la presse, et figura dans le Comité d’action pour la défense des droits constitutionnels, en 1955, et dans le Comité national de Résistance contre le fascisme, en 1958. Il siégea au Conseil national des Combattants de la paix, dès 1948, puis au Conseil national du Mouvement de la paix, de 1951 jusque dans les années 1970, ainsi qu’à la commission permanente de ce dernier, de 1952 à 1955. Il appartint aussi au comité directeur de France-Tchécoslovaquie, ainsi qu’au comité national de France-URSS. Son accession précitée à la direction nationale de la FNDIRP, en 1950, s’inscrivit dans le même contexte.

Sur le plan syndical, enfin, il fut l’un des principaux acteurs de la scission du SNJ, qui s’était reconstitué à la Libération en adhérant cette fois à la CGT. Lors de la crise syndicale de 1948, la majorité du SNJ ayant décidé de revenir à l’autonomie, il prit une part déterminante dans la reconstitution d’un syndicat des journalistes affilié à la CGT, le SNJ-CGT. Il en fut d’emblée le secrétaire général, puis le président à partir de 1967 et, à sa retraite, le président d’honneur, ainsi que le directeur de son organe, le Journal des journalistes, à partir de son lancement, en 1967. Il n’en eut pas moins la volonté de collaborer avec les autres syndicats de la profession, par esprit d’unité, et par amitié personnelle pour certains de leurs dirigeants, ce qui favorisa la constitution en 1967 d’une Union nationale des syndicats de journalistes, qui fut l’un des rares exemples de front unique associant des syndicats CGT et FO. En outre, il fut élu en 1950 président de l’Organisation internationale des journalistes, laquelle était sous influence communiste depuis 1948. Il conserva cette fonction durant vingt-six ans, jusqu’en 1976.

Ses convictions unitaires le poussèrent à s’aligner sans nuances sur le PCF au début des années 1950. Il condamna Tito en 1950, et se prononça pour les listes présentées par le PCF aux législatives de 1951. Il fit preuve cependant d’une plus grande liberté d’esprit après la mort de Staline. En novembre 1956, il exprima son « trouble » face à l’intervention de l’armée soviétique à Budapest. En 1968, il fut choqué par l’issue dramatique de l’expérience tchèque. Mais il n’en remit pas pour autant en question le principe de l’unité avec les communistes. Il s’interrogea simplement davantage sur la pluralité des voies vers le socialisme, ce qui le conduisit à faire partie du comité de rédaction de la revue de gauche Politique aujourd’hui, dès son lancement en 1969.

Il mourut des suites d’un accident vasculaire cérébral. Il avait partagé sa vie de militant avec sa conjointe Marie-Claire, née Camis (1914–1990), qu’il avait épousée à Paris le 17 juillet 1936. Celle-ci, membre des Jeunesses socialistes à ses débuts, secrétaire, adhérente du syndicat CGT de la Couture puis de la Fédération des Métaux, avait été résistante et officier FFI durant la guerre, puis militante du PCF, de l’Union des femmes françaises (UFF) et du Mouvement de la paix, et rédactrice en chef de France-Bulgarie dans les années 1960. De leur union étaient nés trois enfants : Marie-Laure en 1937, Catherine en 1938, et Bernard en 1941.

Officier de la Légion d’honneur à titre militaire, Jean-Maurice Hermann avait reçu nombre de décorations françaises et étrangères, notamment la médaille de la Résistance avec la rosette, et la croix de guerre 1939-1945 avec les palmes et trois citations.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article87458, notice HERMANN Jean-Maurice, dit HERLIN ou HUBERT par Éric Nadaud, version mise en ligne le 11 avril 2010, dernière modification le 10 novembre 2022.

Par Éric Nadaud

Jean-Maurice Hermann vers 1936.
Jean-Maurice Hermann vers 1936.
Coll. privée famille de J.-M. Hermann (transmise par l’auteur).
Jean-Maurice Hermann en 1958, à Budapest.
Jean-Maurice Hermann en 1958, à Budapest.
Coll. privée famille de J.-M. Hermann (transmise par l’auteur).

ŒUVRE : En dehors de sa collaboration à de nombreux périodiques français et étrangers dont ceux cités dans la notice, J.-M. Hermann a préfacé les ouvrages de Paul Chopine, Six ans chez les Croix de Feu, 1935, de H. Bulawko, Les jours de la mort et de l’espoir, 1954 et de Vassili Soukhomline, Les hitlériens à Paris, 1967, etc.

SOURCES : Témoignages de Marie-Laure Van Baren, née Hermann, et de Pierre Sudreau. — Témoignage de J.-M. Hermann recueilli par Marie Granet, le 22 février 1949. — Arch. PPo, dossier RG n° 206540. — Arch. Nat., dossier 820605/21. — Arch. CHEVS, fonds Daniel Mayer 3MA2. — OURS, dossier biographique. — Presse socialiste, progressiste, et syndicale. — Notice DBMOF par Jean Maitron. — Le Monde, 19-20 juin 1988. — Le Patriote résistant, juillet 1988. — Jean-Marc Binot, Bernard Boyer, Nom de code : Brutus. Histoire d’un réseau de la France libre, Fayard, 2007. — État civil — Notes de Rachel Mazuy.

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