KAHN Jeannine [née YON Jeannine, Marie, dite YON-KAHN Jeannine]

Par Madeleine Singer

Née le 10 février 1927 à Paris (Xe arr.), morte le 20 juillet 2020 à Garches (Hauts-de-Seine) ; docteur-ès-sciences physiques, directeur de recherches au CNRS ; membre du bureau national du Syndicat général de l’Éducation nationale (SGEN) de 1960 à 1964.

Jeannine Yon était l’aînée des deux enfants de Charles Yon, ingénieur, qui avait épousé Germaine Béal. Elle fit ses études secondaires à Paris, au cours Adeline Désir, comme Simone de Beauvoir, et obtint en 1944 les baccalauréats de mathématiques et de philosophie. Elle fréquenta alors la Sorbonne et fut en 1948 licenciée de sciences physiques. Puis elle prépara sa thèse tout en occupant divers postes. Attachée de recherches au CNRS en 1953, elle soutint en 1955 un doctorat ès-sciences physiques et devint alors chargée de recherches au CNRS, puis maître de recherches et enfin directeur de recherches. En 1963 elle prit la direction du laboratoire d’enzymologie physico-chimique et moléculaire à Orsay, laboratoire dont elle avait assuré l’implantation. Tout en restant dans le cadre du CNRS dont le laboratoire est une unité associée, elle fut en même temps professeur à l’Université de Paris-Sud, responsable d’un DEA et d’une formation doctorale. Elle prit sa retraite en 1995, mais en 1997 elle continuait à travailler au laboratoire d’Orsay en qualité de directeur de recherches émérite ; le département des sciences de la vie du CNRS l’avait nommée chargée de mission pour les relations avec le Brésil. Elle avait épousé, en 1977, Théophile Kahn, directeur de recherches au CNRS.

Jeannine Yon appartenait à une famille catholique traditionnelle ; elle fut membre de la JEC pendant ses études secondaires et universitaires. Plus tard elle participa à un petit groupe de la Mission de France. Peu après son entrée au CNRS, elle adhéra au SGEN et joua très vite un rôle actif dans la section des chercheurs. Lors de la manifestation solennelle du 13 mars 1958 dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, manifestation qui avait pour but de dénoncer la gravité de la situation faite à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, elle représenta le SGEN aux côtés des responsables du syndicat pour l’Enseignement supérieur. Le mois suivant, elle participa aux travaux des commissions, pendant le colloque du Mouvement national pour le développement de l’enseignement scientifique, lequel se tint à Paris du 19 et 21 avril 1958.

Déjà elle avait en juin 1958 suppléé Madame Aubel, alors secrétaire des chercheurs SGEN du CNRS, lors de la réunion de la commission administrative de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Aussi lorsque démarra au CNRS en novembre 1958 un mouvement qui avait notamment pour objectif de protester contre le budget de 1959 où rien n’avait été prévu pour l’augmentation de leurs salaires, alors déclassés d’au moins 50 % par rapport à ceux du secteur privé, elle représenta les chercheurs du SGEN au sein du Comité intersyndical qui se rendit en délégation aux Finances, à l’Éducation nationale, à la présidence du Conseil et chez le directeur du CNRS. Si Madame Aubel mena encore la grève du CNRS les 10 au 10 décembre 1958, c’est la signature de J. Yon qui figura ensuite dans Syndicalisme universitaire, chaque fois qu’il fallait exposer les problèmes de la Recherche.

Lorsque le Premier ministre Michel Debré organisa le 23 avril 1959 un Comité interministériel chargé de la recherche scientifique, ce comité résultait de longues discussions. Le général de Gaulle avait confié le dossier de la Recherche à André Malraux qui le transmit à Geneviève Anthonioz de Gaulle, amie de Résistance de la sœur d’Etienne Bauer qui était au Commissariat de l’énergie atomique. Celui-ci eut alors plusieurs rencontres avec Jacques Monod et A. Lichnérowich, professeurs au Collège de France, avec Charles Sadron, professeur à l’Université de Strasbourg, ainsi qu’avec Jean-Louis Crémieux-Brilhac, diplômé d’études supérieures. Ce dernier qui avait été conseiller technique au cabinet de Pierre Mendès France en 1956, puis auprès de René Billères (1956-1958), était depuis lors secrétaire général de l’Association pour l’expansion de la recherche scientifique. C’est dans sa villa à Saint- Cloud qu’eut lieu un dimanche d’octobre 1958 une réunion à laquelle participèrent également Madame Aubel-Sadron et Jeannine Yon. Celle-ci en mai 1959 rendit compte dans Syndicalisme universitaire de la naissance de ce Comité qui répondait bien à la nécessité de coordonner des centres de recherche qui dépendaient de onze ministères, mais elle soulignait toutefois que sa direction devait être temporaire. On attendait en effet la création de la Délégation générale de la recherche scientifique et technique (DGRST).

Déjà présente en octobre 1957 au colloque de Grenoble sur les relations entre Université et industrie, J. Yon représenta le SGEN en juin 1959 au colloque de Lyon sur le même sujet et en exposa les travaux dans Syndicalisme universitaire où elle fit également un historique de l’Association d’études pour l’expansion de la recherche scientifique, créée en juin 1958. Quelques années plus tard, elle participa également avec Paul Vignaux au colloque de Caen en novembre 1966 sur Recherche-Université-Industrie dont elle rendit compte également dans le bulletin syndical.

À la rentrée de 1959, elle avait remplacé Madame Aubel en qualité de secrétaire nationale des chercheurs SGEN. Or c’était un moment crucial car depuis juillet s’élaborait un statut des chercheurs dont le projet fut soumis aux représentants syndicaux. L’intersyndicale dans laquelle J. Yon représentait le SGEN, fit plusieurs critiques concernant notamment le régime des retraites et la prime de recherche qui avait été diminuée car son financement aurait exigé 58 millions supplémentaires. En outre la composition du comité national du CNRS était modifiée par l’adjonction de membres nommés : l’intersyndicale demandait que le nombre de ceux-ci n’excédât pas celui des membres élus. Les seuls points positifs du statut proposé, c’était l’accélération des débuts de carrière ainsi que la transformation des chercheurs débutants - qui étaient alors de simples « allocataires » - en contractuels d’État.

Lorsqu’après diverses péripéties, le statut parut en décembre 1959, le Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS-FEN) organisa une conférence de presse à laquelle le SGEN fut invité. Paul Vignaux, empêché, envoya une lettre dans laquelle il déplorait notamment la non-reconnaissance des maladies professionnelles liées à l’activité de recherche et se félicitait de l’unité d’action réalisée entre les organisations de chercheurs. Au cours de cette conférence de presse, J. Yon regretta le maintien des articles 28 et 38 du statut, articles dont l’intersyndicale avait vainement demandé la suppression. L’un deux prévoyait que le directoire du CNRS pouvait interrompre les recherches dans un domaine déterminé et par conséquent licencier les chercheurs qui se refuseraient à effectuer des travaux en d’autres domaines fixés par le directoire ou qui n’auraient pas la formation scientifique nécessaire pour de telles recherches. L’autre article permettait de réduire le nombre des chercheurs et de licencier ceux qui seraient en excédent. J. Yon déplora cette atteinte à la Recherche fondamentale dont le caractère essentiel est la liberté : il suffisait que les travaux des chercheurs fussent jugés par les commissions du comité national. Quant à réduire le nombre des chercheurs, cela ne pouvait qu’aggraver le retard de la France par rapport aux pays anglo-saxons. Ce qu’on redoutait alors, dit- elle, c’était « un pilotage de la recherche par l’aval, autrement dit l’accent mis sur une recherche finalisée plutôt que sur la recherche fondamentale, tendance qui s’est beaucoup accentuée depuis ».

Dans le rapport de la section Recherche pour le congrès de 1960, J. Yon fit remarquer que le seul résultat positif de leur action concernait la composition du comité national du CNRS, vu que le nombre des membres nommés par le ministre n’excédait pas celui des membres élus. Apportant l’adhésion de la section aux positions nationales sur le problème scolaire, elle souligna la participation de cette section à toutes les activités du SGEN qui à cette époque concernaient notamment la défense des libertés et la politique algérienne. Aussi lorsqu’en 1961-1962, les attentats de l’OAS se multiplièrent, J. Yon participa à la lutte menée en métropole. Un groupe se réunit alors chez Marcel Bataillon, administrateur du Collège de France, et rédigea un appel qui fut remis le 1 er mars 1962 au général de Gaulle, avec la signature de 553 universitaires appartenant au CNRS, au Collège de France, à l’École nationale des chartes, à l’École nationale des langues orientales modernes, à l’École pratique des hautes études, au Muséum national d’histoire naturelle, aux facultés de droit, de lettres, de médecine, de pharmacie, des sciences. Cet appel s’élevait contre « toute forme de violence physique ou morale, en premier lieu la torture » « car elle met celui qui s’y livre hors de la société des hommes » ; il rappelait qu’un État démocratique « cesse d’exister quand le droit et la légalité sont violés par l’arbitraire ou par la force ». Le texte fut publié dans Le Monde du 3 mars ; la correspondance devait être adressée à J. Yon. Elle reçut, dit-elle, énormément de signatures, en particulier de la plupart des intellectuels en renom.

Au congrès de 1960, elle était entrée tant au comité national qu’au bureau national. En outre elle fit désormais partie du secrétariat du SGEN-Supérieur, auquel le comité national déléguait entre deux sessions la conduite de la section. Dans les années qui suivirent, l’action des chercheurs ne se démentit pas. Le 3 juin 1960, le SNCS-FEN et le SGEN-Recherche organisèrent une réunion d’information relative au problème de la prime de recherche car celle-ci, créée le 14 mars 1957 pour remédier au déclassement matériel des chercheurs du CNRS, représentait au départ 20 % du salaire moyen ; une lettre signée par les deux organisations fut alors envoyée à Giscard d’Estaing, secrétaire d’État au budget, pour réclamer une augmentation des crédits permettant le paiement de cette prime au taux prévu. Peu après fut mis sur pied un bulletin commun édité par les chercheurs et les ITA (ingénieurs, techniciens et administratifs) du SGEN, afin de donner aux adhérents des renseignements plus détaillés que ne pouvait le faire Syndicalisme universitaire. La coopération s’intensifia entre les deux sections SGEN du CNRS car à partir de 1961, il y eut une réunion mensuelle des responsables des chercheurs et des ITA chez Noëlle de Mamantoff*, secrétaire des ITA.

Aussi au congrès de Marseille en avril 1962, la motion du CNRS fit état avec satisfaction de ces relations étroites entre les deux sections et évoqua les problèmes en suspens : en effet, le 30 novembre 1961, les chercheurs du CNRS avaient manifesté devant le ministère des Finances, puis étaient partis en cortège jusqu’au ministère de l’Éducation nationale car le passage d’attaché de recherches à chargé de recherches - lequel sanctionne normalement la thèse de doctorat - s’accompagnait, pour un grand nombre, par une diminution de traitement, selon l’échelon auquel ils se trouvaient auparavant. J. Yon représentait le SGEN dans la délégation de trois personnes, reçue dans les deux ministères.

Le statut de 1960 ayant instauré une commission paritaire compétente pour les sanctions disciplinaires et les licenciements, le SGEN avait alors présenté une liste commune avec le SNCS-FEN et obtenu ainsi un élu dans chacune des trois sections. Lors du renouvellement en mars 1963 de cette commission, J. Yon figura parmi les candidats. Mais prenant en charge un laboratoire à Orsay, elle fut heureuse de trouver peu après en Pierre Papon* un secrétaire adjoint apte à la seconder. C’est ce dernier qui rédigea pour le congrès de 1964 le rapport d’activité de la section Recherche et qui remplaça J. Yon dans sa fonction de secrétaire nationale. Celle-ci quitta alors le bureau national, mais demeura au comité national jusqu’en 1970. Elle continua toutefois à apporter son soutien à la section des chercheurs car on la retrouve par exemple aux côtés de P. Papon lors de l’audience que le directeur du CNRS accorda au SGEN le 15 décembre 1966.

Elle avait d’ailleurs d’autres charges. En février 1964 sa candidature fut avec celle de P. Papon présentée par Paul Vignaux à la CFTC afin de représenter la Confédération dans la commission Recherche du Ve plan (1964-1967). Puis en 1967 elle entra au comité national du CNRS et y siégea jusqu’en 1991, tantôt élue, tantôt nommée par le ministre. Elle fut également membre du Conseil supérieur de l’Éducation nationale de 1966 à 1969, car elle avait été désignée par le bureau national du SGEN pour y représenter la CFDT. Elle quitta le SGEN en même temps que Paul Vignaux : on retrouva sa signature sur la lettre que Le Monde publia le 6 mars 1974, lettre dans laquelle vingt démissionnaires de l’Enseignement supérieur et de la Recherche expliquaient à leurs collègues les raisons de leur geste.

Il est impossible de citer toutes les responsabilités que J. Yon assuma sur le plan scientifique. Disons seulement qu’elle fut présidente de la commission chimie du Palais de la découverte ainsi que du Cercle français de biologie cellulaire, vice-présidente de la Société de chimie biologique, membre du conseil de nombreuses sociétés, telles que la Société de Chimie- physique, expert depuis 1982 auprès de la « National science foundation » qui attribue les crédits de recherche aux laboratoires américains, membre de la « New-York Academie of sciences » ainsi que de nombreuses autres sociétés françaises et étrangères. Élue en décembre 1997 à l’Académie des sciences du Brésil, elle y fut reçue en mai 1998. Elle fut donc un de ces savants qui ont fait honneur à la science française, tout en étant une militante syndicale soucieuse de la défense de sa profession.

Directeur de Recherche Emérite, elle continua à travailler à Orsay jusqu’en 2006 puis se consacra à la rédaction d’ouvrages scientifiques : Enzymologie moléculaire et cellulaire en collaboration avec Guy Hervé, Histoire de la Science des protéines, Rencontre de la Science et de l’art : l’architecture moléculaire du vivant.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article87513, notice KAHN Jeannine [née YON Jeannine, Marie, dite YON-KAHN Jeannine] par Madeleine Singer, version mise en ligne le 15 avril 2010, dernière modification le 6 mars 2021.

Par Madeleine Singer

ŒUVRE : outre 250 articles publiés dans des revues internationales, divers ouvrages parmi lesquels Protein folding (Le repliement des protéines), Academic Press New York, 1982 (en collaboration avec Charis Ghélis).

SOURCES : M. Singer, Histoire du SGEN, 1987, Presse Universitaires de Lille. — Syndicalisme universitaire, 1958-1970. — Lettres de J. Yon-Kahn à M. Singer, juillet 1995, 28 août 1996, 14 septembre 1997, 29 septembre 1997, 12 octobre 1997, 4 juillet 1999 (archives privées).

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