LABIGNE Fernand, Antoine

Par Madeleine Singer

Né le 29 juin 1905 à Avesnes-sur-Helpe (Nord), mort le 14 décembre 1998 à Suresnes (Hauts-de-Seine) ; professeur de lettres ; secrétaire national du Syndicat général de l’Éducation nationale (SGEN) pour le Second degré (1938-1950), puis rédacteur d’École et Éducation (1950-1954).

Unique enfant d’Henri Labigne, comptable selon l’état civil devenu percepteur à Avesnes, Fernand Labigne dut, dès l’obtention du baccalauréat (série philosophie) en 1922, prendre un poste de maître d’internat au collège d’Avesnes (Nord) tout en poursuivant ses études à la faculté des Lettres du Lille où il obtint la licence ès lettres en 1927 (certificats de psychologie en 1925, d’Histoire de la Philosophie et de Morale et Sociologie en 1926, de Philosophie générale et logique en 1927). Il fut répétiteur au collège d’Avesnes en 1924, au lycée Faidherbe de Lille en 1927 où il devint professeur-adjoint licencié. Après son service militaire en 1929-1930 dans l’Infanterie, à Mulhouse et à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, qu’il termina avec le grade de sous-lieutenant, il fut nommé, à partir d’octobre 1930, professeur au lycée de Valenciennes. Il se maria en juillet 1933 à Hautmont (Nord) avec Jeanne Duperrat dont il eut trois enfants. Mobilisé de juin 1938 à octobre 1940 comme lieutenant, replié avec sa famille à Saint-Cyr-du-Ronceray (Calvados), il fut nommé professeur de lettres et de grammaire, puis « maître d’éducation générale » au lycée Malherbe de Caen (mention qui figure seulement pour le lycée Henri Wallon de Valenciennes à partir de 1942 dans son dossier administratif). Loin de faire chanter à ses élèves « Maréchal, nous voilà », il orienta leur activité vers le sport, vers l’aide aux femmes de prisonniers ou aux vieillards (culture de jardins, peinture d’appartements, etc.). Il revint en février 1942 à Valenciennes, le Nord ayant cessé d’être « zone interdite ». Auteur d’études sur Rubens Watteau et Mozart, il y fonda et y anima un groupe « La chaîne » qui, avec le concours des grands élèves du lycée, apportait un soutien aux prisonniers de guerre et à leurs familles. Puis en 1944, avant la Libération, il distribua à des amis sûrs quelques exemplaires des deux derniers numéros de Témoignage chrétien. Muté en 1945 au lycée de Saint-Cloud, annexe du lycée Hoche de Versailles, pratiquant une pédagogie active, chargé de la coordination à partir des années 1950, membre du conseil intérieur au milieu des années 1950, animateur des conseils d’orientation au milieu des années 1960, il y acheva sa carrière en 1971.

Dans une conférence faite en 1952, il dira qu’ayant d’abord adhéré à la CGT quand il était maître d’internat, il l’avait quittée en 1933 ; il resta alors adhérent du Syndicat autonome des lycées, gardant, dit-il, « la nostalgie d’une action syndicale digne de ce nom ». Il était à cette époque membre de la Paroisse universitaire, responsable du groupe Esprit de Valenciennes et adhérent de la Jeune république dont il deviendra en 1938 responsable pour le secteur.

On comprend que, dès la naissance du SGEN en 1937, un de ses collègues, Pierre Moisy, agrégé de lettres, sorti de l’École normale supérieure en 1934 et qui à ce titre connaissait Paul Vignaux, l’invita à adhérer au nouveau Syndicat et lui demanda de prendre en charge l’Académie de Lille : « Vous êtes dynamique, membre de la Jeune république et du groupe Esprit, tout-à-fait l’homme qu’il nous faut ». Fernand Labigne fut donc le premier Secrétaire académique de Lille et devint en outre Secrétaire national pour le Second degré quand, le 29 décembre 1938, le bureau national du SGEN se structura et se dota d’un Secrétaire général en la personne de Raynaud de Lage*. Dans un long article paru dans École et Éducation ce même mois de décembre, Fernand Labigne exposait les objectifs d’ un Syndicat qui veut être « non pas contre la CGT mais à côté et même si possible avec » car il vise à « réaliser un monde sans injustice ».

Dès son arrivée dans la région parisienne, il prit en mains en janvier 1946 le Second degré dont il sera le secrétaire national jusqu’en 1950, tout en représentant le SGEN au Bureau confédéral en 1946-1947. C’est pourquoi il fit partie avec Paul Vignaux et François Henry de la « commission des vingt et un » qui, au congrès confédéral de 1948, élabora une charte des droits de la minorité : il y défendit vigoureusement Vignaux qui avait été mis en accusation à cause d’une réunion à Saint-Etienne du groupe Reconstruction. Ces années 1946-1950 furent pour Fernand Labigne une période d’intense activité syndicale pour laquelle il ne bénéficia jamais d’aucune décharge de service car il voulait demeurer un professeur « à part entière » et ne consentait pas à ce que l’enseignement d’une classe fut réparti entre deux professeurs, l’un faisant le français, l’autre le latin. Il rédigeait des éditoriaux pour le bulletin syndical, faisait - et avec quelle efficacité ! - les démarches au ministère, multipliait les contacts avec la province, notamment quand il fallait établir des listes de candidats aux diverses élections nationales. Le secrétariat du SGEN étant à cette époque peu étoffé, les dirigeants devaient assumer eux-mêmes la correspondance.

En même temps il fallait batailler pour obtenir une représentation équitable du SGEN au Comité technique du Second degré. Or depuis décembre 1947, Fernand Labigne refusait de fournir au directeur du Second degré l’effectif de sa section, faisant valoir que la CFTC interdisait de se plier à une procédure contraire à la liberté syndicale puisque le contrôle des effectifs, à moins d’être illusoire, ne pouvait être que nominatif. Le ministre n’accorda d’abord qu’un siège sur dix, alors que les élections du 17 février 1948 aux commissions administratives paritaires nationales du Second degré avaient donné 28 % de voix au SGEN dans les sept commissions représentant le personnel. Lors de l’audience du ministre Depreux, le 11 avril 1948, Fernand Labigne obtiendra deux sièges dans ce Comité, après avoir présenté le SGEN par un magistral exposé dont il conserva les notes manuscrites : ayant trouvé dans la CFTC l’indépendance non seulement politique, mais confessionnelle, le Syndicat défend « une école publique ouverte à tous ». Il refuse donc qu’on considère « avec une suspicion tenace ceux de ses maîtres dont la vie, hors de l’école, ou bien exprime certaines orientations spirituelles, ou bien s’exprime par un athéisme militant ». C’est pourquoi le SGEN « perdrait sa raison d’être s’il ne réagissait à la fois contre la tendance d’une partie de la nation à se désintéresser de l’école publique et contre la tendance symétrique d’une autre fraction à s’annexer l’école publique ».

En même temps, Fernand Labigne menait la grève des examens déclenchée en juin 1948 avec le SNES et le SNALC, afin d’obtenir du ministre un cadre unique pour le personnel du Second degré et de l’Enseignement technique, c’est-à-dire la suppression d’un cadre supérieur auquel n’accédait au choix qu’une fraction du personnel. Les épreuves écrites furent surveillées, mais non pas corrigées jusqu’à ce que le ministre s’engageât, le 3 juillet, à faire aboutir ce cadre unique qui rendait effectif le reclassement des enseignants puisque tous pourraient obtenir l’indice terminal. Avant de donner l’ordre d’arrêter la grève, Fernand Labigne avait exigé du ministre qu’il confirmât au SGEN la promesse faite au SNES la nuit précédente.

Si Fernand Labigne laissa en 1950 le secrétariat du Second degré à Jean Mousel (voir ce nom), c’est qu’il devait prendre en charge la rédaction d’École et Éducation. Celle-ci était assurée depuis 1947 par un provincial, André Gounon qui ne pouvait plus faire face à une tâche qui devenait écrasante : depuis un an, il y avait deux éditions ayant huit pages communes auxquelles s’ajoutaient huit pages destinées soit au Premier degré, soit au Second degré. En outre le bureau national, soucieux de limiter le poids d’École et Éducation dans le budget du SGEN, demandait au rédacteur de rechercher de la publicité. Fernand Labigne géra ainsi pendant quatre ans le bulletin syndical, aidé par Aimé Poissenot (voir ce nom) qui avait repris en octobre 1950 la chronique pédagogique assurée auparavant par René Perrin (voir ce nom). Il trouvait encore le temps de participer à l’encadrement des sessions qui depuis 1952 réunissaient à Bierville de jeunes militants du SGEN

Fernand Labigne en 1954 passa en d’autres mains sa tâche de rédacteur car le secrétaire du Second degré, Jean Mousel, n’avait que trois heures de décharge et demandait de l’aide. Celui-ci confia à Fernand Labigne l’organisation de la section, depuis les établissements jusqu’au plan national. C’était précisément un moment crucial pour les dames-secrétaires des lycées qui depuis 1948 réclamaient en vain un statut que l’hostilité des Finances ne leur permettait pas d’obtenir. L’administration décida donc en 1954 de les intégrer dans des corps de fonctionnaires existants : les commis (catégorie C) et, pour 143 d’entre elles, les rédacteurs d’Académie. Pendant trois ans, Fernand Labigne multiplia les réunions avec les intéressées, les audiences et les lettres au ministère, suscita les motions de congrès. Il fallait contrôler le barème d’intégration, améliorer le sort des non-intégrées en catégorie B, éviter les mutations qui désorganisaient la vie familiale, etc. Il m’écrivit un jour qu’il avait « toujours éprouvé une tendresse particulière pour les catégories les plus démunies, les moins bien armées, soit en nombre, soit en prestige » ; il s’occupa de la même façon des Dames de la Légion d’honneur, des maîtres d’internat, etc. Dans ces catégories, ajoutait-il, « j’ai trouvé des militants admirables qui me consolaient de bien des adhérents égoïstes des "grandes catégories" ».

En 1962, bien que réélu au comité national et au bureau national où il siégeait depuis 1945 pour le premier et 1946 pour le second, Fernand Labigne quitta les fonctions nationales pour se mettre au service de sa section académique où il assuma les tâches les plus diverses jusqu’à sa retraite en 1971. C’est ainsi qu’après Mai 1968, il envoya aux démissionnaires qui reprochaient au SGEN sa « politisation », une lettre où il s’efforçait de les éclairer sur la signification exacte des positions du Syndicat.

Une fois à la retraite il poursuivit les activités culturelles et sociales qu’il avait menées parallèlement à son travail syndical. A Saint-Cloud, il était à la Libération membre fondateur d’une coopérative universitaire de construction, l’Athénée ; il faisait adopter par ses classes une école primaire en Algérie. On le retrouva donc en 1979 cofondateur et animateur d’un « Club du temps libre ». A Valenciennes déjà, professeur d’histoire de l’art à l’École nationale des Beaux-Arts, il tenait en outre dans Le guetteur une chronique régulière sur les sujets les plus divers et publiait en Belgique des conférences sur Rubens, sur Watteau, sur Mozart. Tout au long de sa carrière il écrivit des articles soit politiques pour La jeune république, soit syndicalistes dans la Vie intellectuelle. Officier de l’instruction publique, il avait reçu la Croix de guerre 1914-1918 et la Légion d’honneur à titre militaire.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article87514, notice LABIGNE Fernand, Antoine par Madeleine Singer, version mise en ligne le 15 avril 2010, dernière modification le 7 février 2012.

Par Madeleine Singer

SOURCES : Arch. Nat., F17/ 17820, 30335/A. — Madeleine Singer, Le SGEN 1937-1970, Th Lille III, 1984, 3 vol. (Arch. dép. Nord, J 1471) ; Histoire du SGEN, 1987, PUL. — École et Éducation (1937-1955), Syndicalisme universitaire (1955-1964). — Lettre de Fernand Labigne à M. Singer, 9 février 1995. Entretien du 24 février 1996.— Notes de Jacques Girault.

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