LÉTOQUART Raymond, Gustave

Par Madeleine Singer

Né le 15 janvier 1910 à Desvres (Pas-de-Calais), mort le 26 novembre 1981 à Voisins-le-Bretonneux (Yvelines) ; agrégé de grammaire ; secrétaire pédagogique national du Syndicat général de l’Éducation nationale (SGEN) de 1950 à 1958.

Aîné de trois enfants, R. Létoquart était le fils de Georges Létoquart, commerçant en graines. Après une licence de lettres, il fit son service militaire en 1933- 1934 et en sortit avec le grade d’EOR Il entra alors dans l’Éducation nationale en qualité de délégué ministériel et se maria l’année suivante avec un professeur de lettres classiques dont il eut quatre enfants. Reçu agrégé en 1937, il fut affecté au lycée de Valenciennes. Prisonnier en Allemagne de 1940 à 1945, il fut à son retour nommé au lycée Lakanal à Sceaux, puis au lycée Hoche à Versailles. Chargé de cours à l’Université de Montréal de 1963 à 1965, il rentra ensuite en France et devint alors inspecteur pédagogique régional de lettres pour les académies de Reims et de Nancy, puis en 1972 inspecteur pédagogique régional pour l’académie de Versailles où il fut élu par ses collègues président de leur Association jusqu’à sa retraite en 1976.

Dès son arrivée au lycée de Valenciennes en 1937, il avait connu, dit-il, l’existence du SGEN par Fernand Labigne* et Etienne Borne qui, entré à l’École normale supérieure en 1926, y avait rencontré Paul Vignaux. Désireux d’appartenir à une Confédération, R. Létoquart adhéra aussitôt au SGEN et participa à des réunions nationales, présentant au congrès de 1939 un rapport sur l’orientation. Par un arrêté du ministre Jean Zay, la classe de Sixième avait en effet été remplacée à titre expérimental dans quelques établissements par une classe d’orientation. Alors que les milieux de l’enseignement traditionnel étaient réservés à l’égard de cette initiative, le SGEN y fut dès l’abord favorable. R. Létoquart discutait donc dans son rapport les principales objections faites à cette réforme.

En captivité il fit la connaissance de Bernard Vacheret (voir ce nom). Pendant cinq ans, ils eurent, dit-il, le temps de réfléchir et de préparer l’avenir. « Mes options pédagogiques, ajoute-t-il, datent de là, d’où mon opposition à la Société des agrégés et à la Franco-ancienne auxquelles j’appartenais avant- guerre ».

Ce fut en 1950 qu’il prit en charge, avec B. Vacheret et Pierre Cournil le travail collectif du SGEN sur la réforme de l’enseignement. Le ministre de l’Éducation nationale, Yvon Delboss, avait déposé le 5 décembre 1949, devant le Conseil supérieur de l’Éducation nationale, un projet de loi très en retrait sur le plan Langevin, issu de ladite commission qui y avait travaillé depuis 1944. Paul Vignaux demanda au congrès de 1950 qu’on prit position sur la nécessité de la réforme, conséquence de la prolongation de la scolarité, les effectifs ayant plus que doublé entre 1922 et 1948 rien que pour le secondaire proprement dit, sans compter le développement des cours complémentaires et des établissements techniques. Il fallait donc que le Syndicat cherchât « comment l’École pourrait accueillir les enfants de toutes origines sociales, leur assurer la compétence optima dans une civilisation de plus en plus technique et complexe, contribuer au plein épanouissement de leur personnalité ».

Le cadre de la recherche ayant été tracé en octobre 1950 par un magistral article de B. Vacheret, c’est R. Létoquart qui se chargea de rechercher les bases de cette culture commune dont B. Vacheret avait montré la nécessité. Il faut tenir compte de l’état psychologique les élèves dont l’attention est faible, la mémoire peu exercée, la nervosité inquiétante. Nous devons donc voir comment on peut utiliser les différentes disciplines (français, mathématiques, etc.) en vue de l’apprentissage des facultés logiques de l’esprit, comment assurer la formation pratique chez des élèves du classique et du moderne qui ne sont pas aussi favorisés à ce sujet que les élèves du technique ; nous devons enfin chercher comment travailler à la formation humaine dans laquelle B. Vacheret avait distingué la formation critique du jugement, la formation historique qui permet à l’esprit de se situer dans le temps et l’espace, la formation sociale (initiation à la Sécurité sociale, au syndicalisme, etc.). Cette étude de R. Létoquart avait paru dans le Bulletin intérieur d’avril 1952 afin de préparer le congrès qui se tenait ce mois-là. Elle sera reprise un peu plus tard dans École et Éducation en vue de la journée nationale d’études pédagogiques qui, le dimanche 29 mars 1953, précéda le congrès annuel.

Pour le congrès de 1954, R. Létoquart présenta un rapport sur l’orientation qui se situait dans la perspective du comité national de juin 1953 : celui-ci, sous la direction de B. Vacheret, avait critiqué un projet ministériel de réforme du Second degré qui « consacrait une pré-orientation » puisqu’il laissait de côté les classes primaires, les cours complémentaires et l’enseignement technique. Létoquart montrait que les professeurs des divers degrés d’enseignement étaient mal préparés à conseiller un passage dans un autre type d’enseignement ; il demandait un maximum de 25 élèves par classe, même si « c’est pour le moment pure utopie ». Aussi signa-t-il avec B. Vacheret un deuxième rapport sur les conditions impératives de toute réforme de l’enseignement : réaliser l’égalité des chances, adapter l’enseignement aux besoins économiques et sociaux, donner à tous les degrés une culture véritable. Le congrès donna mandat à la commission pédagogique, de poursuivre le travail selon les directives des deux rapports et sous le contrôle du comité national.

R. Létoquart prépara alors le congrès de 1955 par un long rapport qui montrait notamment comment l’enseignement moderne pouvait donner une véritable culture, comment il fallait former les maîtres du premier et du second degré : il réclamait pour eux une formation professionnelle commune (avec un complément de spécialisation) dans des instituts pédagogiques rattachés à une ville de Faculté. Le congrès donna mandat à la commission pédagogique de continuer l’étude d’un tronc commun d’une durée de deux ans, à la condition que ce tronc commun dépendît d’une direction administrative autonome. Sinon les cloisonnements actuels ne seraient pas effectivement supprimés.

Aussi lorsque le Comité d’études que le gouvernement avait réuni, publia peu après un projet de réforme de l’enseignement, R. Létoquart se félicita, dans un article du 18 mai 1955, de ce que ce projet réclamait « un enseignement moyen et d’orientation », c’est-à-dire en fait un tronc commun. Il faisait observer que cette idée qui était la pièce maîtresse du plan Langevin avait désormais de nombreux partisans. « Seuls, ou presque, la Société des agrégés et le SNES ont pris une position hostile, ce dernier à la suite d’un référendum d’où s’est dégagée une majorité relativement faible ». En défendant le tronc commun, « le SGEN, syndicat GENERAL a conscience d’apporter une solution originale, élaborée grâce à la collaboration confiante de tous les degrés d’enseignement ». Il faut en effet noter que dès le départ le bureau national avait posé en principe qu’aucune commission pédagogique, tant à Paris qu’en province, ne pouvait se réunir sans la présence de tous les degrés d’enseignement : il fallait notamment que les agrégés et les professeurs de cours complémentaire apprennent à se connaître et à travailler ensemble. R. Létoquart ajoutait que le SGEN « affilié à une Confédération OUVRIERE a conscience de présenter une solution qui rende accessible à TOUS ceux qui ont les qualités nécessaires la culture la plus haute ».

Peu après, en juin 1955, R. Létoquart déplorait que le projet ministériel qui remplaçait celui du Comité d’études, contînt deux modifications qui en faussaient l’esprit : d’abord les maîtres du secondaire, du technique ou du primaire qui enseigneront dans ces cycles d’orientation, restent attachés administrativement à leurs établissements d’origine, ce qui perpétuera les divisions entre les différents degrés et conduira à une orientation faite en fonction de l’origine du personnel. Ensuite étaient prévues trois options : classique, moderne, continuation du primaire ; ce n’était plus de l’orientation puisqu’on conservait la distinction actuelle entre Sixième classique, Sixième moderne, classe de fin d’études.

En même temps, R. Létoquart réfutait, dans École et Éducation, les objections qu’on avait faites aux rapporteurs de la commission pédagogique, avant, pendant et après le congrès. Il s’agit de rendre le latin accessible à tous et non d’en faire faire à tous. Agrégés et instituteurs pourront s’entendre si l’on choisit au départ des maîtres volontaires, dotés de qualités pédagogiques et si l’on créé des instituts pédagogiques pour former les maîtres qui enseigneront lorsque l’expérience, limitée d’abord à quelques centres, se généralisera. Enfin les bons élèves ne seront pas sacrifiés, à condition qu’il y ait des classes de 25 élèves et des maîtres qualifiés, en n’oubliant pas qu’il faut aussi réformer les horaires et les programmes du Premier et du Second degré.

Pour le congrès capital de 1956, R. Létoquart présenta une étude plus poussée des classes d’orientation, en étudiant notamment les réformes nécessaires dans le Premier degré pour que le cycle d’orientation fût « fructueux ». Par 9.487 mandats contre 392, et 197 abstentions, le congrès entérina ces propositions et par conséquent la création d’un tronc commun de deux ans.

Pour les congrès suivants, en 1957 et en 1958, R. Létoquart présenta encore des rapports qui précisaient la conception que le SGEN avait du tronc commun, sans négliger pour autant les questions d’actualité (arrêté modifiant les horaires et programmes de la classe de Sixième, etc.). Il déplorait en février 1958 « l’enlisement de la réforme de l’enseignement dans la procédure parlementaire ».

Si ce rapport fut le dernier, c’est que R. Létoquart quitta peu après le congrès la présidence de la commission pédagogique du SGEN Ce fut pour des raisons de famille et de santé : comme il habitait Jouy- en-Josas, les réunions tardives et fréquentes à Paris le fatiguaient et étaient peu favorables à une vie de famille. Or il voulait suivre de plus près son plus jeune fils, fort brillant, qui allait entrer en Sixième. Il avait préparé son départ en rencontrant régulièrement à Versailles Claude Bouret qui put ainsi lui succéder. R. Létoquart écrira d’ailleurs, en novembre 1958, à Fernand Labigne* que le départ du ministre de l’Éducation nationale, René Billères, lui avait fait perdre « tout espoir en une réforme valable de l’enseignement » et qu’il ne se sentait pas « le courage de continuer un combat perdu d’avance ».

Élu au comité national en 1948, R. Létoquart y siégea jusqu’en 1960 et appartint au bureau national (1954-1955) en qualité de secrétaire national pour l’organisation de l’enseignement. Il était chevalier de la Légion d’honneur et de l’ordre national du Mérite, commandeur des Palmes académiques. Il a, pendant des années qui furent cruciales pour le SGEN, apporté toute son autorité d’agrégé de grammaire, à la conception et à la défense de ce tronc commun qui devait surmonter les réticences du secondaire traditionnel.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article87519, notice LÉTOQUART Raymond, Gustave par Madeleine Singer, version mise en ligne le 16 avril 2010, dernière modification le 22 octobre 2020.

Par Madeleine Singer

SOURCES : École et Éducation-Syndicalisme universitaire (1937-1960). Biographie parue dans le Monde, 29-30 novembre 1981. — Lettres de R. Létoquart à M. Singer, 25 décembre 1978, 13 février 1979, 26 novembre 1979 ; lettres de Madame Létoquart à M. Singer, 22 février 1995, 17 janvier 1996 (archives privées).

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