ISSARTEL Yvonne, Augusta

Par Pierre Bonnaud

Née le 27 novembre 1914 à Vals-les-Bains (Ardèche), morte le 17 février 2005 à Aubenas (Ardèche) ; institutrice ; militante syndicaliste révolutionnaire ; secrétaire générale de la section SNI de l’Ardèche de juillet 1946 à juillet 1948, puis de juillet 1949 à juillet 1950 ; membre du bureau national du SNI et du CA de la FEN de 1947 à 1954 ; responsable nationale de la tendance École émancipée en 1954-1955 ; participe à la fondation de la MGEN en 1946 (congrès de Grenoble) ; vice-présidente de la section MGEN de l’Ardèche jusqu’en 1986 ; vice-présidente de la Fédération des œuvres laïques de l’Ardèche ; militante du Parti des Travailleurs.

Ouvriers dans une entreprise textile de Vinezac Saint-Pierre (Ardèche), Louis Issartel et son épouse Maria Arzalier, vinrent s’installer à Vals-les Bains sur une petite exploitation agricole, quelques années avant la Première Guerre mondiale. Dans cette localité naquit leur troisième enfant, Yvonne. La réussite scolaire de celle-ci fut sans doute stimulée par un milieu familial où l’on cultivait la tradition républicaine et laïque. Élève de l’école publique de Vals-le-Prat puis de l’école primaire supérieure d’Aubenas, Yvonne Issartel entra à l’École normale de Privas (1932-1935) Louise Abrial, professeur à l’école normale de jeunes filles, unique adhérente de son établissement à la Fédération unitaire de l’enseignement, fut son premier contact avec le syndicalisme. La passivité des autres membres du corps enseignant de l’école normale, lors de la grève du 12 février 1934, la convainquit a contrario de la nécessité de l’action militante.

À la rentrée scolaire de 1935, Yvonne Issartel fut nommée à l’école primaire de Montpezat-Rieutord. Elle donna son adhésion au syndicat alors que la réunification au sein de la CGT venait de se réaliser entre la FUE et le SN au congrès de Magic-City en décembre 1935. Le courant syndicaliste-révolutionnaire, issu de la FUE, dominait en Ardèche, autour des fortes personnalités d’Élie Reynier* et de Gilbert Serret*. En son sein, Yvonne Issartel noua de solides amitiés, entre autres avec Yvonne Sansonetti* et son époux Étienne Sansonetti*, secrétaire général de la section ardéchoise du Syndicat national des instituteurs de 1937 à 1939. Elle acquit des convictions profondes fondées sur l’antifascisme, l’antistalinisme, le pacifisme révolutionnaire.

L’année 1938 fut déterminante pour elle. Elle partagea le point de vue exprimé par l’assemblée générale de la section syndicale qui décida d’envoyer, le jour même où s’ouvrait la conférence de Munich (29 septembre), un télégramme à Hitler-Mussolini-Chamberlain-Daladier : « sauvez la paix ! » Le 30 novembre, elle participa à la grève générale contre les décrets-lois Daladier et fut sanctionnée de 8 jours de suspension de traitement avec 258 instituteurs et institutrices du département dont le journal syndical publia les noms dans un « tableau d’honneur ».

Au moment de l’entrée en guerre, la mobilisation puis la répression contre « les menées défaitistes » conduite par les derniers gouvernements de la Troisième République, désorganisèrent le conseil syndical. Avec Élise Avenas, Simone Freisse et Cécile Reynier, Yvonne Issartel fit partie d’un bureau provisoire qui s’efforça d’assurer la continuité de l’organisation. Trésorière départementale, elle fut chargée de distribuer à ses camarades révoqués, emprisonnés, déplacés administrativement, les fonds de la caisse de solidarité. Le conseil syndical put fonctionner pendant quelques mois, tenant des réunions semi-clandestines à La Voulte et à Valence, avant de cesser toute activité sous le régime de Vichy.

Nommée à l’école de Fabras, Yvonne Issartel y demeura durant la guerre avant d’obtenir une mutation pour Vals-Tesseaux en 1944, poste en classe unique qu’elle occupa jusqu’à sa retraite. Une enquête de gendarmerie, conduite sur sa personne au début de l’été 1940, demeura sans suite. Sans s’engager directement dans une organisation de Résistance, elle rendit des services à l’Armée Secrète en transportant de fausses cartes d’identité au cours de ses déplacements au chef-lieu du département.

En 1944, après la Libération, Yvonne Issartel participa avec Jean Vernet*, Raymond Brun*, France Serret*, à la reconstruction du syndicat qui tint sa première assemblée générale à La Voulte le 18 octobre en présence de six cents instituteurs. Dans le nouveau conseil syndical, toujours marqué par la prédominance du courant syndicaliste révolutionnaire, « Ecole émancipée », elle retrouva ses fonctions de trésorière départementale. Le 15 avril 1945, elle représenta, avec Étienne Sansonetti, les instituteurs syndiqués de l’Ardèche au premier congrès de l’UD-CGT Drôme-Ardèche, à Valence. Elle y interpella Gaston Monmousseau* sur les questions de l’indépendance syndicale et de l’incompatibilité des responsabilités syndicales et politiques.

La coexistence du syndicat des instituteurs ardéchois au sein de la CGT devint vite difficile. Yvonne Issartel et Raymond Brun, secrétaire général de la section ardéchoise du SNI, participèrent au deuxième congrès de l’UD-CGT de l’Ardèche, désormais détachée de celle de la Drôme, qui se tint au Teil le 31 mars 1946. Dans un climat houleux, ils dénoncèrent radicalement la politique du gouvernement tripartiste et l’absence de mobilisation syndicale.

Les clivages à l’intérieur de la section ardéchoise du SNI réapparurent sur des bases renouvelées par rapport à l’avant-guerre : les anciens militants du courant réformiste majoritaire nationalement dans le SNI en 1945, soutinrent localement les syndicalistes révolutionnaires de « l’École émancipée », qui s’opposaient à la montée en puissance du courant cégétiste dans lequel se trouvaient à présent les militants communistes. De 1944 à 1954 se succédèrent ainsi quatre secrétaires généraux « École émancipée » à la tête de la section ardéchoise du SNI, avec une interruption cégétiste de juillet 1948 à juillet 1949. Pour sa part, après l’assemblée générale du SNI ardéchois du 4 juillet 1946, Yvonne Issartel succéda à Raymond Brun au secrétariat général de la section. Elle eut un nouveau mandat au secrétariat général de juillet 1949 à juillet 1950. Son amie Yvonne Sansonetti*lui succéda alors. Elle comparut le 8 décembre 1950 devant le tribunal correctionnel de Privas pour répondre de la rédaction, au nom de la section du SNI, d’un télégramme adressé aux magistrats et jugé comme injurieux. La relaxe fut prononcée.

Yvonne Issartel participa régulièrement aux réunions des instances nationales du syndicat .Lors de la réunion du conseil national, le 30 décembre 1945, elle fut élue à la commission nationale des conflits. Lors du congrès national du SNI, le 24 juillet 1946, elle critiqua le bureau national qui avait accepté le barème pour l’avancement et les mutations.

Dans la vie du syndicalisme sur le plan national qui se termina par l’éclatement de la CGT en 1948, Yvonne Issartel intervint, dès la réunion du conseil national du 27 décembre 1946 pour dénoncer l’attitude des communistes qui, selon elle, violaient l’indépendance du mouvement syndical. Elle déposa un ordre du jour de protestation contre l’attitude des communistes et contre les luttes de tendances auquel s’opposèrent Henri Aigueperse*, Jean Auguste sénèze* et Paul Delanoue* qui affirmèrent chacun à sa manière que les luttes de tendance n’avaient pas nui au fonctionnement du BN.

D’autre part, Yvonne Issartel dénonça l’attitude des responsables du courant Force Ouvrière et défendit l’idée de l’autonomie des syndicats de l’Éducation nationale au nom de l’unité. (article « devant la scission » dans L’Émancipation, décembre 1947-janvier 1948). Membre de la direction nationale, elle participa au congrès extraordinaire du SNI à la Maison de la Chimie les 22, 23, 24 mars 1948 (auquel étaient également délégués les instituteurs ardéchois Margirier et Besson) et contribua à la rédaction de la motion Bonissel*-Valière* qui établit les bases de l’autonomie et fut reprise ensuite dans le congrès de la Fédération de l’Éducation nationale des 25, 26, 27 mars 1948.

Dans L’Émancipation, d’avril-mai 1948, Yvonne Issartel expliquait ainsi la philosophie du compromis : « nous voulons une autonomie franche, loyale, viable. Elle ne sera pour nous ni un retour à l’amicalisme, ni un repliement sur nous-mêmes, ni une étape vers FO. Les mêmes principes révolutionnaires qui dictaient hier notre attitude dicteront désormais notre attitude de syndiqués autonomes […]. Si la FEN autonome nous vaut l’immense avantage d’une organisation unique devant l’administration et les pouvoirs publics pour le triomphe des revendications qui doivent en effet être défendues en commun, comme la revalorisation de la fonction, la défense laïque, la paix, elle garde comme objectif essentiel la nécessité absolue de travailler à la réunification syndicale ».

De décembre 1947 à décembre 1953, Yvonne Issartel représenta le courant École émancipée à la direction nationale du SNI : elle fit partie de son bureau national et de la commission des jeunes. Pour l’élection du BN à la proportionnelle, elle fut élue sur la liste C des vingt candidats « d’indépendance et d’action syndicale » conduite par Marcel Valière*. Le 27 décembre 1949, elle fut réélue en deuxième position sur la liste C. Deux ans plus tard, elle figurait en tête de la liste. En décembre 1955, en décembre 1956, puis en décembre 1957, elle figurait en 19e puis en dernière position sur les listes présentées par « les Amis de L’École émancipée ». Lors de la réunion du BN, le 12 janvier 1950, elle devint membre des commissions des affaires corporatives, des affaires administratives, d’action laïque, des jeunes et de la propagande, des œuvres et réalisations sociales. En janvier 1952, s’y ajoutaient les commissions de l’éducation populaire et des finances. Elle présida en tant que membre du BN plusieurs séances des congrès nationaux du SNI.

Yvonne Issartel fut membre suppléante (1948) puis titulaire (1949-1953) de la commission administrative nationale de la FEN ; Elle participa aux commissions d’éducation sociale (1949), puis de 1950 à 1952 aux commissions corporative, internationale et de la jeunesse.

Tandis que la Guerre Froide prenait son essor, les affrontements furent rudes avec les militants du courant cégétiste. Minoritaire en Ardèche, Yvonne Issartel n’en milita pas moins avec opiniâtreté et demeura membre du conseil syndical jusqu’au début des années 1960. Elle était également membre de la commission administrative de la section départementale de la FEN. Répondant en 1992 à une lettre d’Eric Darrieux, elle définit ainsi son travail syndical quotidien : « mon action […] fut celle de tous mes camarades : défense de la démocratie syndicale, défense des instituteurs lésés, participation aux mouvements avec comme mot d’ordre lutte contre la note de mérite, lutte contre toutes les distinctions honorifiques qui entraînent la démission du personnel… Nous avons toujours dénoncé « l’enracinement » des responsables aux postes de responsabilité et nous avons toujours scrupuleusement appliqué cette règle à nous-mêmes ».

Yvonne Issartel, qui avait été élue, le 14 juin 1954, membre du conseil d’enseignement du premier degré (collège de chargés d’écoles mixtes filles et garçons) fut réélue en 1958 avec 7 103 voix sur 7 121 suffrages exprimés. Yvonne Issartel continuait à développer les analyses de son courant de pensée dans la presse et dans les réunions nationales du SNI. En 1950, elle participa à une commission d’enquête de douze membres mandatés par la FEN, qui se rendit en Yougoslavie et rédigea un livre blanc sur ce pays. L’École Libératrice, le 1er mars 1951, publia son article titré « Le problème du réarmement allemand » et, critiquant les analyses de la CGT, elle considérait que « Le problème allemand, comme tout autre, relève de l’action révolutionnaire du prolétariat mondial. Il est l’affaire de l’internationale des exploités. Hors de cette vérité, point de salut. » lors du congrès national, le 18 juillet 1957, dans la discussion du rapport moral, elle souhaitait une action générale du SNI sur la question des libertés et sur la question algérienne. En novembre 1963, elle signa le texte programme pour l’élection au bureau national du SNI « Pour un syndicalisme révolutionnaire : Programme des « Amis de l’École émancipée ».

Les activités d’Yvonne Issartel se déployèrent sur bien d’autres terrains : en 1946, elle représenta l’Ardèche au congrès de fondation de la Mutuelle générale de l’Éducation nationale à Grenoble. L’année suivante, membre du conseil national, elle participa à la mise en route de la mutuelle à Paris. Durant de nombreuses années, jusqu’en 1986, elle assuma la vice-présidence de la section MGEN de l’Ardèche, et fut présente à la plupart des congrès nationaux.

D’autre part, en 1947, Yvonne Issartel fut aussi l’une des fondatrices de la Fédération des œuvres laïques de l’Ardèche dont elle devint, aux côtés du président Paul Sérusclat*, la vice-présidente. Elle assura la représentation ardéchoise à de nombreux congrès de la Ligue Française de l’Enseignement. Responsable de la rédaction du journal Envol, elle rédigea en 1956 un article sur Suez et Budapest où elle renvoyait dos-à-dos réformistes et staliniens, suscitant une crise interne dans l’organisation laïque ardéchoise.

Lorsqu’Yvonne Issartel n’exerça plus de responsabilités syndicales, elle encadra pour la Ligue Française de l’Enseignement de nombreux voyages culturels et humanitaires à l’étranger, dans les pays d’Europe de l’est, la Yougoslavie, la Chine, le Maghreb et le Moyen Orient, l’Afrique et l’Amérique latine. Ces séjours à l’étranger la conduisirent à rencontrer des personnalités marquantes : Che Guevara à Cuba en 1964, et dans les années 1980, Lech Walesa en Pologne. En 1996, infatigable voyageuse, elle poursuivait ses périples, adepte des bivouacs et traversées pédestres des déserts, au contact des populations les plus marginalisées, parrainant des actions d’aide humanitaire.

Sur le plan politique, après avoir refusé avec constance un engagement précis tant qu’elle exerçait des fonctions syndicales, Yvonne Issartel adhéra au Parti des Travailleurs (issu du Mouvement pour un parti des travailleurs fondé en 1985 dont elle était membre depuis 1987) au moment de sa fondation en 1991. Elle accepta symboliquement de faire partie de la liste des candidats présentés par cette organisation à l’élection du Parlement Européen en 1994. Par ailleurs, lorsque la FEN éclata en 1992, signifiant son refus de la scission, elle choisit de rester en dehors des nouvelles organisations.

En juin 1996, lors du 50e anniversaire de la fondation de la MGEN, elle déclarait : « Dans notre société du profit et de l’argent qui engendrent tous les malheurs du monde, j’ai toujours été, je suis et je resterai de tous les combats qui s’efforceront de créer un monde meilleur, démocratique et laïque d’où seront exclues la guerre et l’exploitation […]. Ma seule fierté dans ce monde changeant riche en caméléons, c’est d’être restée toujours fidèle aux choix de mes vingt ans ».

Yvonne Issartel était célibataire.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article87550, notice ISSARTEL Yvonne, Augusta par Pierre Bonnaud, version mise en ligne le 22 juillet 2010, dernière modification le 29 août 2022.

Par Pierre Bonnaud

ŒUVRE : Nombreux articles dans la presse syndicale et mutualiste enseignante, notamment dans le bulletin de l’École émancipée. — Témoignage d’Yvonne Issartel dans Une belle figure vivaroise, Élie Reynier, imprimerie Lienhart, Aubenas, 1967.

SOURCES : Arch. de la FEN (Laurent Frajerman). — L’École libératrice (1945-1992). — L’École émancipée (1945-1992). — L’Émancipation, bulletin de la section ardéchoise du SNI, (1938-1939 et 1944-1992). — Envol, mensuel de la FOL de l’Ardèche (1948-1999). — Bulletin national de la MGEN (juin 1996). — Bulletin départemental de la MGEN Ardèche (décembre 1997). — Le Dauphiné libéré, (15 octobre 1987). – Eric Darrieux, Une génération d’instituteurs ardéchois de l’école publique dans la crise des années trente, mémoire de maîtrise d’histoire, université Aix-Marseille I, 1995. – « Un syndicalisme d’exigence morale, entretien avec Yvonne Issartel », Mémoires d’Ardèche et temps présent, n° 61I, Archives départementales de l’Ardèche, Privas, 15 février 1999. — Correspondance et entretien avec l’intéressée. – Notes de Jacques Girault et de Loïc Le Bars.

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