BELLOC Raymond

Par Gauthier Langlois

Né le 16 mai 1822 à Carcassonne (Aude), mort le 16 décembre 1896 à Paris (XVIIIe arr.) ; sculpteur, journaliste fouriériste dans l’Aude et à Bordeaux puis marchand de vin à Paris ; membre de la section bordelaise de l’Association internationale des travailleurs, sympathisant de la Commune de Paris.

Raymond Belloc caricaturé en capitaine Fracasse par Oscar Avrial
Raymond Belloc caricaturé en capitaine Fracasse par Oscar Avrial
(Panurge, n° 51, 10 novembre 1861).

Né à Carcassonne en 1822, Raymond Belloc est le fils d’un menuisier, Jean-Baptiste Belloc, et d’une couturière, Jacquette Malacamp. C’est sans doute dans l’entourage de son père et peut-être par le compagnonnage qu’il avait appris, tout comme son frère Antoine, le métier de sculpteur. Il semble avoir exercé ce métier dans le bâtiment, à mi-chemin entre l’artisan tailleur de pierre et l’artiste. Pourvu également d’une éducation intellectuelle et sachant donc écrire et compter, il a exercé diverses fonctions d’employé dans l’administration ou les chemins de fer. Mais ayant des prétentions littéraires il a vainement cherché à se faire un nom dans le journalisme pour vivre de sa passion et y faire passer ses idées politiques.

Raymond Belloc est connu pour avoir fondé trois éphémères journaux satiriques. Le premier, sous le titre La Casquette, à Alger en 1845, faisait sans doute référence à la casquette du père Bugeaud, alors gouverneur général de l’Algérie. Le second, Jehan Frollo, dont le titre était emprunté à un personnage du roman Notre Dame de Paris, reçut le soutien de l’auteur du roman, Victor Hugo. Son unique numéro, publié à Paris le 12 décembre 1858, fut décrit ainsi par le critique de presse Jean François Vaudin : « Ce journal grotesque et non gothique avait pour unique rédacteur M. Raymond Belloc, un jeune homme qui ne se proposait rien moins que la résurrection du personnage romantique avec son éternelle gaité, sa verve intarissable, son impitoyable persiflage !... M. Raymond Belloc en a été pour ses frais de papier, d’imprimerie et son modèle de comédie étrusque qui remplissait la quatrième page de son journal. Depuis ce formidable numéro, nous n’avons plus de nouvelles de ce littérateur en vieux. »

Cet échec amena Raymond à revenir dans le foyer familial audois. Il habitait alors avec ses parents, sa sœur ainée Marie, ses frères cadets le sculpteur Eugène et le négociant Antoine, au 50 rue Saint-Vincent. Il se lia alors avec Fortuné Henry, un journaliste d’origine nîmoise qui avait collaboré à de nombreux journaux fouriéristes ou socialistes parisiens, puis s’était installé à Carcassonne. Il soutint en 1860 la publication par Fortuné Henry d’un hebdomadaire satirique local, nommé Panurge. Cependant il se brouilla avec Henry dont il ne partageait pas toutes les convictions, notamment son anticléricalisme. Il décida donc de créer son propre journal satirique. Le 21 septembre 1861, Raymond Belloc, qui s’intitulait homme de lettres, déclara au préfet de l’Aude son intention de publier un hebdomadaire. Le premier numéro parut le 3 octobre 1861, sous le titre Le Témoin, journal non politique de la littérature, des arts, de l’histoire et des mœurs. Mais il fut bien moins accueilli par la population que Panurge, le journal qu’il voulait concurrencer. Belloc se plaignit en effet au préfet que deux des trois libraires de la ville avaient refusé de prendre son journal en dépôt. Dans les premiers numéros Belloc concentra ses satires sur Panurge, dont il avait débauché l’un des illustrateurs, Raymond Alary. En retour, Fortuné Henry et son illustrateur Oscar Avrial publièrent une série de caricatures de Belloc en grenouille ou en capitaine Fracasse.

À la mort de Jean Journet Belloc consacra un long article à l’apôtre fouriériste audois. En suggérant la réalisation d’un monument public à la mémoire de Jean Journet dans sa ville natale, Carcassonne, il affichait ses convictions fouriéristes. Cependant pour se démarquer de l’anticléricalisme de son concurrent, Belloc publia un poème de Journet à la gloire de Dieu.

Débarrassé de Panurge victime de la censure judiciaire, le Témoin ne survécut pas longtemps à son concurrent. Pour avoir critiqué l’administration municipale Belloc fut accusé d’avoir fait de la politique. Il fut condamné le 1er février 1862 à un mois de prison et 100 francs d’amende par le tribunal de Carcassonne. Cette condamnation mit fin au Témoin dont le dernier numéro était daté du 26 janvier.

Belloc forma un recours en grâce contre cette condamnation. Appuyant ce recours le préfet de l’Aude le décrivit ainsi au Ministre de l’Intérieur : « M. Raymond Belloc a été dans le temps attaché au service de la vicinalité dans l’Aude, puis percepteur et n’a su conserver aucune de ces positions. Il a quelques temps habité Paris sans autre ressource qu’une obscure collaboration dans la rédaction de quelques journaux de dernier ordre. Il a tenté pour son compte une publication dont le premier et unique n°, paru le 12 décembre 1858, sous le nom de Jehan Frollo, n’était qu’une violente diatribe contre Lamartine. Enfin tourmenté de la même manie d’écrire il a voulu, à Carcassonne, où l’avait ramené le besoin et où il occupait une place dans l’administration des hospices, essayer encore un journal. Écrivain maniaque, nature inquiète et mobile, le sieur Belloc n’est pourtant point un homme dangereux et peut-être est-il assez puni en ce moment de la perte de l’emploi qu’il avait à Carcassonne. On m’assure qu’il est aujourd’hui placé dans un service de chemin de fer… »

Suite à ce nouvel échec, Raymond Belloc s’installa à Bordeaux où il avait déjà vécu autour de 1855. Il se fit embaucher comme employé au service des chemins de fer puis comme sculpteur. En 1863, il épousa la fille d’un tailleur de pierres, Marguerite Michau, une jeune orpheline de treize ans sa cadette. Il reprit bientôt sa passion pour le journaliste. Il fit paraître, avec un certain Alphonse Macé, un hebdomadaire intitulé L’Atelier. Journal bordelais de l’artiste et de l’artisan. Selon La Muse gauloise ce journal était destiné à instruire la classe ouvrière. Peut-être avait-il ressenti la nécessité de l’instruction des ouvriers parce qu’il avait épousé une analphabète ? Bien que s’adressant à un public qu’il connaissait bien et dont il faisait partie, ce journal fut encore un échec. Publié à partir du 6 décembre 1863 il s’arrêta au 23e numéro, le 12 juin 1864.

Raymond Belloc s’engagea alors dans le soutien à l’action humanitaire. En 1855, il était tombé dans la Garonne derrière les chantiers navals Sainte-Croix. Il avait été sauvé de la noyade par un sauveteur bénévole, Raymond Burguerieu. C’est pourquoi il soutint les initiatives humanitaires du médecin Télèphe Desmartis, chef du service médical des Sauveteurs de la Gironde, et du littérateur Évariste Carrance, engagés dans les sociétés de sauvetages et dans le développement de la Croix Rouge récemment créée par Henry Dunant. C’est ainsi qu’il prit la plume pour les défendre face au directeur du Journal de Bordeaux. Il leur soumit par ailleurs un projet de correspondance humanitaire. Dans une brochure destinée aux comités de la Croix Rouge, Desmartis et Carrance le présentent ainsi : « ce projet de correspondance officielle élaboré par notre excellent ami M. Raymond Belloc est destiné à donner gratuitement et hebdomadairement, aux familles ayant des enfants dans les régiments en campagne, des nouvelles de ces militaires, et à ces derniers des nouvelles de leurs parents le tout sans frais et sans embarras pour l’administration. Suivant l’auteur de ce projet, dont les idées nous paraissent non-seulement logiques, mais encore et surtout, éminemment pratiques, en temps de guerre cette correspondance éviterait bien des alarmes et sècherait bien des pleurs ! » Ce projet semble préfigurer l’Agence internationale de renseignements et secours de la Croix-Rouge fondée à Bâle en 1870 pendant la guerre franco-prussienne.

Membre de l’Internationale à Bordeaux (Gironde), Belloc joua un rôle dans la formation de l’Union républicaine de la Garde nationale. Le 28 avril 1871, il signa avec Vézinaud, président de la section bordelaise de l’AIT, une déclaration affirmant que l’association ne porterait comme candidat au conseil municipal que ceux qui adopteraient le programme de la Commune de Paris. Il ne fit pas partie des membres de l’Internationale, candidats aux élections municipales du 30 avril 1871.

Après la guerre Raymond Belloc s’installa à Paris. C’est sans doute lui qui exerçait comme marchand de vin au 121 rue Cardinet dans le XVIIe arrondissement. En 1878, en pleine crise du phylloxéra, il fut condamné, avec d’autres commerçants, à 8 jours de prison et 50 francs d’amende pour avoir vendu du vin falsifié. Au moment de son décès, en 1896, il résidait avec sa femme au 208 rue Marcadet à Paris (XVIIIe arr.). Il était alors sans emploi et vivait sans doute grâce au travail de marchande des quatre saisons de son épouse.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article87562, notice BELLOC Raymond par Gauthier Langlois, version mise en ligne le 18 avril 2010, dernière modification le 3 février 2021.

Par Gauthier Langlois

Raymond Belloc caricaturé en capitaine Fracasse par Oscar Avrial
Raymond Belloc caricaturé en capitaine Fracasse par Oscar Avrial
(Panurge, n° 51, 10 novembre 1861).
Raymond Belloc caricaturé en grenouille et en buste par Oscar Avrial (Panurge, n° 52, 17 novembre 1861). La légende fait référence à la morale d’une fable de la Fontaine : l’âne et le petit Chien : Ne forçons point notre talent, / Nous ne ferions rien avec grâce / Jamais un lourdaud, quoiqu’il fasse / Ne saurait passer pour galant.

ŒUVRE : Le Témoin [hebdomadaire], Carcassonne, 1861-1862 — L’Atelier. Journal bordelais de l’artiste et de l’artisan [hebdomadaire], Bordeaux 1863-1864 — Lettre adressée à M. E. Moriac, du journal de Bordeaux ; en réponse à sa critique du livre intitulé : Les Sauveteurs, première série de l’ouvrage publié par, sous ce titre générique : Les hommes d’élite. In-8°, 16 p. Bordeaux, imp. Bord, 1866. — A une fille mère, Paris, Impr. de E. Rinuy, 1892, 2 p.

SOURCES : Arch. Aude 2T19 ; B°57. — État civil de Carcassonne, Bordeaux et Paris. — Vaudin, Gazetiers et gazettes : histoire critique et anecdotique de la presse parisienne, années 1858-1859, Paris, 1860, p. 25. — La Muse gauloise : journal de la chanson par tous et pour tous, 1864, p. 160. — Poytevin et Carrance, La charité internationale : quelques idées présentées aux comités établis en Europe pour concourir au soulagement des blessés sur les champs de bataille et dans les hôpitaux, Bordeaux, 1866, p. 16. — Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars 1871, Paris, Librairie législative Wittersheim, 1872, édition en un vol., p. 107. — Dorgan, Biographie de Raymond Burguerieu, Bordeaux, 1876, p. 7. — Le Petit bulletin des tribunaux, 7 juillet 1878. — Gauthier Langlois, « Les illustrateurs du journal satirique carcassonnais Panurge (1860-1862) : Jean-Bertrand Rouch, Raymond Alary, Oscar Avrial », Bulletin de la Société d’études scientifiques de l’Aude, tome CXVIII, 2018, p. 195-198. — Gauthier Langlois, « Fortuné Henry (1821-1882), itinéraire d’un communard méridional », La Commune de 1871 : une relecture, sous la direction de Marc César et Laure Godineau. [Actes du colloque tenu à Narbonne en mars 2011], Grâne/Ivry-sur-Seine : Creaphis éditions, 2019, p. 320-334. — Note de Julien Chuzeville.

ICONOGRAPHIE : Panurge [Hebdomadaire], n° 46-57, Carcassonne, 1860-1861.

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