PAPON Pierre, Henri, Bernard

Par Madeleine Singer

Né le 11 février 1939 à Dijon (Côte-d’Or) ; docteur ès sciences, professeur à l’École supérieure de physique et chimie industrielles de Paris (ESPCI) ; membre du comité national du Syndicat général de l’Éducation nationale (SGEN) de 1964 à 1972, membre du bureau national de 1966 à 1972.

Pierre Papon était l’unique enfant d’Albert Papon, cadre commercial dans l’industrie du transport. Celui-ci avait épousé Denise Vautier, comptable dans l’édition. Pierre Papon fréquenta d’abord une école primaire publique de Dijon, puis entra en 1950 au lycée Buffon à Paris et passa le baccalauréat scientifique en 1956. Il prépara alors au lycée Chaptal à Paris le concours d’entrée à l’ESPCI où il fut admis en 1958. Il y fit pendant quatre ans des études d’ingénieur tout en suivant des cours en Sorbonne où il obtint en 1961 la licence de mathématiques appliquées. Chercheur au CNRS de 1962 à 1972, il s’en absenta en 1966-1967 pour faire son service militaire ; de 1968 à 1972, il fut directeur d’une équipe de recherche, « Physique des transitions de phase », tant au CNRS qu’à l’université Pierre et Marie Curie à Paris. Nommé en 1972 professeur de physique thermique à l’ESPCI, il enseignait encore dans cette École en l’an 2000.

En outre de 1972 à 1982, il cumula ses tâches d’enseignement avec la direction d’une Unité de recherche associée au CNRS, « Laboratoire des dispositifs infrarouges et de physique thermique ». Puis tout en gardant son poste à l’ESPCI, il fut en 1981-1982 conseiller technique dans le cabinet de Jean-Pierre Chevènement, ministre de la Recherche et de la Technologie. Celui-ci avait fait appel à lui quelques heures après la constitution du gouvernement de Pierre Mauroy. Pierre Papon accepta sur le conseil de Paul Vignaux et fut responsable, en liaison avec l’Hôtel Matignon, du Colloque national de la recherche et de la technologie. Quittant l’ESPCI de 1982 à 1986 pour assurer la direction générale du CNRS, il fut en même temps en 1984-1986 membre du 729
Conseil scientifique du CEA (Commissariat à l’énergie atomique). Il reprit en 1986 ses fonctions d’enseignant à l’ESPCI. À nouveau mis en disponibilité en 1989, il assuma alors diverses responsabilités : membre du conseil d’administration de l’AFME (Agence française pour la maîtrise de l’énergie) en 1989-1990 ; président- directeur général, de 1989 à 1995, d’un organisme de recherche public, l’IFREMER (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer). Reprenant à nouveau son poste à l’ESPCI en 1995, il fut en 1997- 1998 expert auprès de la commission mondiale indépendante sur les océans, etc. En l’an 2000, il était, depuis sa création en 1990, président du conseil d’administration de l’Observatoire des sciences et des techniques (OST), groupement d’intérêt public qu’il avait fondé à la demande du ministre de la Recherche, Hubert Curien.

Il avait en effet fait de hautes études scientifiques. Après avoir en 1967 soutenu en Sorbonne un doctorat d’État, « Application d’un modèle stochastique à l’étude de la relaxation et de la polarisation dynamique nucléaire », il fut en 1967-1968 « post-doctorate fellow de la National science foundation » au département de physique de l’université Rutgers, de l’État du New Jersey aux États-Unis. Il poursuivait encore en l’an 2000 des recherches, notamment sur les propriétés thermodynamiques et physico-chimiques des matériaux, publiait de nombreux ouvrages ou articles. Il avait épousé en 1963 Catherine Desbuquois qui préparait alors un doctorat en chimie et fut ensuite ingénieur à l’Air liquide. Ils eurent deux enfants : une fille spécialiste de l’édition, un fils ingénieur physicien.

Mais son travail scientifique n’empêchait pas Pierre Papon de participer à la vie sociale. Pendant ses études d’ingénieur, il milita à l’Union des grandes écoles (UGE) dont il fut vice-président en 1960-1961. Les gens de sa génération, dit-il, furent fortement marqués par le syndicalisme étudiant, en particulier pendant la période difficile de la guerre d’Algérie. C’est alors qu’il fit la connaissance de Paul Vignaux qui avait des contacts étroits avec le milieu étudiant (UNEF et UGE), notamment pendant la guerre d’Algérie. P. Papon découvrit ainsi le groupe Reconstruction et juge encore aujourd’hui que celui-ci a joué un rôle important dans le syndicalisme CFTC-CFDT des milieux de la Recherche. Lui-même collabora par la suite aux Cahiers Reconstruction : il y publia en octobre 1964 « La recherche scientifique », puis dans l’hiver 1969-1970 « Syndicalisme, politique de la science et politique de la technologie ». Aussi fit-il partie avec Paul Vignaux et Paul Martinet* du comité d’initiative qui en juillet 1974 interrogea les lecteurs de la revue pour savoir s’il fallait « Continuer ? » ce travail et de quelle manière.

On comprend donc que, dès son entrée au CNRS en 1962, Pierre Papon adhéra au SGEN et rejoignit la section des chercheurs animée par Jeanine Yon*. L’année suivante il évoqua dans Syndicalisme universitaire l’étroite collaboration entre le SGEN et d’autres fédérations CFTC afin d’entreprendre un travail de fond sur la Recherche. Peu après un autre article soulignait que les autorisations de programme pour le seul CNRS étaient inférieures de près de 50 % aux prévisions inscrites dans le IV° plan, que les créations de postes de chercheurs et de techniciens étaient inférieures de plus de 50 % aux demandes formulées par le directeur du CNRS. Puis il rendit compte de la journée de revendication et de manifestation organisée le 19 novembre 1963 tant à Paris qu’en province car en 1962 les sommes globales affectées à la recherche (publique et privée) ne s’élevaient qu’à 1,5 % du revenu national brut alors que ce pourcentage était de 2,5 en Angleterre et de 3 aux États-Unis. Devenu au début de 1964 secrétaire national adjoint de la section des chercheurs, Pierre Papon remplaça Jeanine Yon lors du congrès de mars 1964 car celle-ci avait pris en charge l’année précédente un laboratoire à Orsay (Essonne). Il avait d’ailleurs rédigé pour le congrès le rapport d’activité de la section.

Jusqu’à son départ aux États-Unis en 1967, Pierre Papon se dépensa sans compter. En audience intersyndicale chez le directeur du CNRS le 30 avril 1964, il rendit compte peu après dans Syndicalisme universitaire de la préparation du V° plan qui couvrait la période 1966-1970 ; à la commission spécialisée chargée de la Recherche scientifique siégeaient pour la première fois des représentants syndicaux : Jeanine Yon et Pierre Papon pour la CFDT. Nous ne pouvons citer les nombreux articles, de dix à quinze par an, dans lesquels P. Papon évoquait les problèmes de la Recherche et l’action entreprise par les organisations syndicales afin d’obtenir des crédits budgétaires suffisants. Il participa aux côtés de Jacques Julliard*, secrétaire Second degré, de Raymonde Mathis*, chercheur à Toulouse (Haute-Garonne) et de Noëlle de Mamantoff*, secrétaire des ITA (ingénieurs, techniciens, administratifs), à la conférence de presse donnée par le SGEN le 12 novembre 1964 au siège de la CFDT : « Face aux problèmes actuels de la Recherche scientifique ». Puis le 23 novembre 1964, P. Papon alla en audience avec Jeanine Yon à la Délégation générale à la Recherche scientifique et technique (DGRST). Toute la période 1965-1966 fut émaillée de grèves et de manifestations des chercheurs et techniciens : 27 janvier 1965, 31 mars 1965, 24 juin 1965, 21-24 mai 1966. Entre-temps il y avait des communiqués intersyndicaux tels que celui concernant en septembre 1965 le budget du CNRS et le V° plan. Des délégations SGEN où Pierre Papon figurait, furent reçues en octobre 1965 par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, puis le mois suivant par le président de la commission de recherche du V° plan. Il y eut bien entendu des audiences chez le directeur du CNRS, par exemple en novembre 1965.

Toute cette activité était suscitée par les nombreuses lettres que Pierre Papon envoya pendant cette période, lettres dont les doubles peuvent être consultés au siège du SGEN. Tantôt il s’agissait d’obtenir la coopération de tel ou tel scientifique à un groupe de travail du V° plan. Tantôt P. Papon demandait un entretien à l’une ou l’autre personnalité, le Délégué général à la recherche scientifique et technique (DGRST), le Président de la commission Recherche du Plan ; le 29 septembre 1965, il envoya à ce dernier onze pages de réflexions et suggestions de la CFDT sur le rapport du V° plan consacré à la Recherche. Le 28 février 1966, c’est à Michel Debré, ministre des Finances et des Affaires économiques, qu’il adressa une note de vingt-cinq pages sur une politique de la recherche technique.

Parti aux États-Unis en 1967, il fut remplacé à la tête de la section des chercheurs par Jacques Lautman qui garda cette fonction lors du retour de Pierre Papon. Celui-ci se contenta d’être l’un des trois secrétaires adjoints, mais tant qu’il fut au CNRS, il épaula Jacques Lautmann lors des diverses audiences avec le directeur du CNRS et fut candidat SGEN dans la section électronique pour les élections au comité national du CNRS en 1970. Il avait repris sa place au bureau national auquel il avait dû être élu en 1966 car lors de la réunion du 9 octobre 1968, le bureau national se félicita du retour en France de P. Papon qui n’avait pu, disait-il, participer aux précédents bureaux vu son séjour aux États-Unis. Celui-ci mit alors les participants au courant de son travail au sein de la CFDT car en 1965 la section des chercheurs avait constitué un groupe « Recherche et syndicalisme CFDT » avec la section CFDT du CEA et celle du Centre national d’étude des télécommunications (CNET) ainsi qu’avec la Fédération des ingénieurs et cadres de la CFDT. C’est P. Papon qui signa le compte rendu de la réunion de ce groupe le 14 novembre 1968. En 1969 il annonça la réunion constitutive du « Comité interfédéral CFDT de la recherche scientifique et technique » avec lequel allait fusionner le groupe précédent. Le 19 mars 1969, on retrouva dans le Comité les représentants des principales fédérations et syndicats nationaux intéressés par ces problèmes.

En même temps Pierre Papon faisait au comité national du SGEN diverses communications sur la Recherche scientifique. Il suscita lors de la séance du 1er mai 1969 une motion réclamant la création d’un Conseil de la science et de la technologie, représentatif de tous les scientifiques de tous les organismes de recherche et chargé de les associer à la préparation des décisions concernant la politique scientifique. Peu après il participa aux côtés de Paul Vignaux, le mercredi 28 mai, à la conférence de presse que le SGEN donnait à l’occasion des élections présidentielles. Comme il me le dit au cours d’un entretien en 1983, c’est lui qui avait fait, à la demande de Vignaux, une « Note (datée du 18 mai) sur la politique de la science et de la technologie dans la perspective des présidentielles ». Puis à la rentrée de septembre, le SGEN se préoccupa de compléter dans le domaine de l’enseignement le rapport d’orientation qu’André Jeanson avait rédigé pour le congrès confédéral de 1970. Le 5 décembre 1969, Paul Vignaux put envoyer à ce dernier la contribution de P. Papon ; mais de ces quatre pages dactylographiées sur la politique de la Recherche, le rapporteur retint simplement la nécessité d’une politique hardie de la Recherche scientifique et technique, condition de l’indépendance et du dynamisme de l’économie.

Dans l’intervalle, comme Paul Vignaux ne se représentait pas en 1970, le comité national du 1er Novembre 1969 s’était trouvé en présence de deux candidats au poste de secrétaire général : Charles Piétri soutenu par Vignaux et Jacques George, présenté par les « minoritaires » car les événements de Mai 1968 avaient provoqué une fracture au sein du Syndicat. Au cours de la discussion, Pierre Papon tout en admettant avec Jacques George qu’il était nécessaire de réfléchir sur l’usage que la société française faisait de la technologie, déclara que la société capitaliste utilisait non pas l’Université, mais les grandes écoles qui forment les ingénieurs ; par conséquent l’Université, contrairement aux assertions de Jacques George, n’avait pas de prise sur la réalité du pouvoir en France. Quant au malaise décelé par celui-ci dans les rapports entre le SGEN et la Confédération, il n’était pas de nature politique, mais tenait plutôt au fait que beaucoup de militants CFDT réagissaient à tort en tant que parents d’élèves. Lui-même constatait que ceux des fédérations intéressées par la politique de la science et de la technique, attendaient du SGEN un certain nombre d’idées directrices sur ces problèmes car ils se préoccupaient essentiellement du développement industriel du pays afin qu’en 1975 par exemple les travailleurs alsaciens n’eussent pas besoin de franchir le Rhin pour trouver du travail. P. Papon ne put être présent au moment du vote sur les deux rapports, mais aurait certainement rejeté celui de Jacques George dont il avait dénoncé les insuffisances.

Au congrès SGEN de 1970, c’est Charles Piétri qui fut élu. Pierre Papon demeura donc tant au bureau national qu’au comité national. Le bureau ayant appris que le Conseil supérieur de l’Éducation nationale (CSEN) devait être renouvelé, il remercia le 28 janvier 1972 Jeanine Yon du travail qu’elle avait accompli au CSEN et présenta à la Confédération la candidature de Pierre Papon qui fut aussitôt transmise au ministère par la direction confédérale. Pendant cette période, P. Papon se préoccupa notamment avec Paul Vignaux des articles qui devaient paraître dans le Bulletin du bureau d’études SGEN : ils avaient tous deux le souci d’assurer « la diffusion d’une information et d’une réflexion sur les grands problèmes économiques et sociaux du moment en dehors de tout dogmatisme » car « l’ignorance économique du milieu universitaire et de la Recherche est crasse », comme P. Papon l’écrivait à Paul Vignaux le 19 août 1971 ; cette date découle du contenu de la lettre car sur celle-ci, le millésime manque.

Le congrès SGEN de 1972 ayant élu secrétaire général François Garrigue, candidat des ex- minoritaires, Pierre Papon quitta le bureau national et le comité national. Mais lors de l’assemblée générale du Supérieur en mars 1972, il fit partie des six « techniciens » adjoints aux cinq membres élus de la commission exécutive où il était chargé de la formation professionnelle à l’Université. Au congrès extraordinaire de mai 1973, l’assemblée générale du Supérieur fit entrer au bureau deux candidats solidaires de F. Garrigue alors que Jean-Louis Piednoir, secrétaire de la section, en avait soutenu deux autres ; à l’issue de cette élection, celui-ci démissionna de son poste. Peu après P. Papon quitta le SGEN emmenant, dit-il, « dans (ses) bagages nos réflexions et nos analyses ; le travail s’est poursuivi ailleurs, tout particulièrement au sein de la commission de recherche du Parti socialiste (PS) ».

Il avait en effet adhéré au PS en 1972 et fut de 1974 à 1979 l’un des animateurs de ladite commission. Il garda ensuite des relations suivies avec plusieurs responsables et parlementaires. En l’an 2000, il se consacrait à son enseignement et à ses travaux de recherche, à la publication de nombreux ouvrages ainsi qu’aux divers conseils et commissions évoqués plus haut. Il était également actif dans les milieux européens de la Recherche, à travers ses responsabilités à l’OST, s’attachant à promouvoir une politique européenne de la recherche et de la technologie, estimant que ses combats des années 1960-1980 devaient se mener désormais à l’échelle de l’Europe. Cela ne l’empêchait pas de s’occuper d’une association qui aidait au développement d’une Université catholique en Afrique centrale. Il était officier de l’Ordre national du mérite et officier de la Légion d’honneur.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article87593, notice PAPON Pierre, Henri, Bernard par Madeleine Singer, version mise en ligne le 21 avril 2010, dernière modification le 21 avril 2010.

Par Madeleine Singer

ŒUVRE : outre la thèse publiée dans Physical Review, citons notamment Le pouvoir et la science en France, Le Centurion, 1978 . — Pour une prospective de la science, R. Laffont, 1983. — Les logiques du futur, Aubier, 1989. — Thermodynamique des états de la matière, avec J. Leblond, Hermann, 1990. — Economie et politique de la science et de la technologie, avec R. Barre, Hachette, 1993 . — Le sixième continent. Géopolitique des océans, Odile Jacob, 1996. — La république a-t-elle besoin de savants, avec M. Dodet et Philippe Lazar, PUF, 1998. — Physique des transitions de phases, avec J. Leblond et P.-H. Meijer, Dunod, 1999.

SOURCES : M. Singer, Le SGEN 1937-1970, Thèse Lille III, 1984, 3 vol. (Arch. Dép. Nord, J1471) ; Histoire du SGEN, Presses universitaires de Lille, 1987. ; Le SGEN. Des origines à nos jours, Paris, Le Cerf, 1993, collection Histoire. (Arch. Dép. Nord, J1578). — Syndicalisme universitaire (1963-1973). — Les Cahiers Reconstruction (1964-1974). — Outre les notes de l’entretien avec P. Papon le 16 mars 1983, les lettres de P. Papon à M. Singer, 12 septembre 1981, 18 juin 1995, 17 septembre 2000, 10 octobre 2000, 6 novembre 2000 (archives privées).

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