PRALLET Raymond, Eugène

Par Madeleine Singer

Né le 18 septembre 1918 à Pouzin (Ardèche), mort le 1er novembre 1966 à Settat (Maroc) ; agrégé d’histoire ; président de l’Association générale de l’Éducation nationale de 1956 à 1966.

Raymond Prallet était le deuxième des quatre enfants de Louis Prallet, directeur commercial, qui avait épousé Jeanne-Marie Mérat. Il fit ses études au collège Saint Thomas d’Aquin, à Oullins (Rhône), puis au lycée du Parc à Lyon. Après le baccalauréat, il fréquenta la faculté des lettres de cette ville, obtint une licence d’histoire et prépara l’agrégation. En 1939 il était à l’école de cavalerie de Saumur. Ayant contracté une pleurésie à la suite de manoeuvres, il séjourna à l’hôpital en mars 1940, puis partit en convalescence dans les Monts du Lyonnais. Ayant ensuite postulé des postes à l’extérieur de la métropole (Liban, Egypte, etc.), il fut en 1941 nommé au lycée de Fez (Maroc). Avec les spahis marocains il participa à la campagne d’Italie en 1943-1944, notamment à la bataille du Mont Cassino, puis à la libération de l’Alsace et à la campagne d’Allemagne. C’est alors que la Croix de guerre lui fut décernée.

Revenu au lycée de Fez en 1945, il fut reçu à l’agrégation en 1947 et nommé au lycée d’Oran (Algérie). Responsable d’un groupe de jeunes scouts pendant son séjour dans ce pays, il se maria en juin 1951 avec Marie-Andrée Hérodote, professeur de sciences naturelles dans cette ville. Nommés la même année à Casablanca, lui au lycée Lyautey, elle au lycée Moulay Abdallah, ils appartinrent alors à la Paroisse universitaire. Ils eurent quatre enfants. R. Prallet enseigna l’histoire et la géographie dans le secondaire, puis en classe de propédeutique, faisant appel au maximum à la participation active de ses élèves. Nommé en 1965 inspecteur des établissements du Second degré pour l’histoire et la géographie par le ministre marocain de l’Éducation nationale, R. Prallet mit à accomplir cette dernière tâche de remarquables qualités de travail acharné, d’intelligence inventive, d’organisation. Cela l’amena à concevoir et à réaliser, avec une équipe de collaborateurs marocains et français, une méthode inédite d’enseignement par fiches et un livre d’histoire du Maroc, plus dégagé des situations périmées, plus respectueux du Maroc nouveau. Sa femme de son côté mettait tout son coeur dans son enseignement, soulageait quand elle le pouvait, les misères rencontrées. Elle pleura un jour en pleine classe en apprenant brusquement la mort d’un de ses élèves. Leur travail fut brutalement interrompu le 1 er novembre 1966 par une terrible collision de voitures qui entraîna la mort du couple et d’un de leurs enfants ainsi que de quatre victimes marocaines.

D’après le témoignage du secrétaire SGEN (Syndicat général de l’Éducation nationale) d’Oran, Yves Vié Le Sage*, R. Prallet avait déjà adhéré à ce syndicat pendant son séjour en Algérie. Quand il revint au Maroc en 1951, il y trouva une section SGEN très active et bien structurée dont Madame Attuyt était la secrétaire depuis 1945 ; il n’eut donc pas de responsabilité à y assumer. Le Maroc vivait alors sous régime policier : un entrefilet de Témoignage chrétien cita le cas d’un petit colon français, Pierre Parent, mutilé de guerre 100 %, expulsé parce qu’il avait écrit le 7 juillet 1952 dans l’hebdomadaire Istiqlal, organe du parti qui prônait l’indépendance : « Il est d’autres moyens pour aboutir que de faire couler le sang d’innocents ». C’est dans ce contexte que survinrent les événements tragiques de Casablanca. Le 7 décembre 1952, l’Istiqlal avait lancé un ordre de grève pour le lendemain, afin de protester contre l’assassinat du leader tunisien, Ferhat Hached : des heurts entre des manifestants et la police entraînèrent des morts des deux côtés. Les obsèques des victimes marocaines conduisirent à de nouveaux affrontements et à de nouveaux morts ; le parti de l’Istiqlal fut aussitôt dissous et 112 de ses dirigeants arrêtés. Or ces événements furent l’objet de récits contradictoires car la presse française du Maroc voulait en faire porter la responsabilité par les Marocains. Sans relater la polémique qui s’instaura en janvier 1953 entre le Centre catholique des intellectuels français et la Résidence générale à Rabat, retenons que le 18 décembre 1952, treize professeurs du lycée Lyautey, parmi lesquels R. Prallet, envoyèrent aux directeurs des journaux une lettre dans laquelle ils dénonçaient diverses inexactitudes, toutes au détriment des musulmans, et demandaient une « enquête impartiale » pour déterminer les origines des violences, l’etendue de la répression, le chiffre exact des morts, les conditions des interrogatoires, le sort de ceux qui avaient été arrêtés et en particulier de Mahjoub, secrétaire de l’Union générale des syndicats marocains. En août 1953, le sultan Si Mohammed fut déposé par les autorités françaises. On comprend que Mauriac ait pu alors écrire dans Le Figaro : « L’ordre règne aujourd’hui à Rabat comme jadis à Varsovie ».

Si Mohammed ne revint d’exil qu’en novembre 1955. L’indépendance du Maroc fut solennellement reconnue par la déclaration commune du 2 mars 1956 qui réglait les relations entre le Maroc et la France. Les milieux colonialistes avaient tout fait pour empêcher cette solution. Un groupe « Présence française » appelait à « résister à la politique d’abandon de la France », recrutait dès 1953-1954 des hommes de main chargés de « liquider » des personnalités tant marocaines que françaises : ainsi fut assassiné, le 11 juin 1955, Jacques Lemaigre-Dubreuil, animateur du journal Maroc-Presse. Le fait fut reconnu par un des tueurs, arrêté plus tard en France, au cours de son procès en décembre 1962. C’est dans ce contexte que R. Prallet signa avec Madame Attuyt un manifeste « Conscience française » qui rappelait les impératifs de la patrie des Droits de l’homme. Aussi au comité national du 3 décembre 1955, Paul Vignaux souligna « le courage individuel de quelques collègues au Maroc ». Le comité national vota l’envoi d’une lettre de félicitations à ceux qui « aux heures de confusion, ont exprimé les exigences de leur conscience française et syndicaliste ». Dans les Cahiers Reconstruction, R. Prallet avait publié en août 1955 un magistral article « Démocratie marocaine ou oligarchie à l’orientale ? » ; une note de la rédaction le désignait comme « un de ces Français de Casablanca qui ont été, avec une courageuse lucidité, les témoins de la conscience française ». R. Prallet compléta le texte en mai 1956 par une étude sur « L’indépendance marocaine : le problème de l’enseignement ».

Syndicalisme universitaire fut donc heureux de reproduire en février 1956 un éditorial de R. Prallet, paru dans le bulletin de l’Union marocaine CFTC. Dans le Maroc de demain, disait-il, il ne s’agit pas seulement de chercher à consolider les avantages acquis par les salariés. « Elargissons nos revendications de la défense de nos intérêts particuliers à la lutte pour la promotion humaine de tous les travailleurs ». « Nos camarades musulmans se jetant dans l’action syndicale, élargissons la nôtre, dans le respect réciproque de nos structures syndicales, aux dimensions d’un monde ouvrier qui est ici essentiellement un monde musulman ».

Sur le plan de l’enseignement, comme il ne pouvait plus y avoir de syndicat français dans un état indépendant, les membres du SGEN fondèrent l’Association générale de l’Éducation nationale (AGEN) qui, selon ses statuts, « regroupe au Maroc, avec une référence constante au SGEN, les universitaires, les fonctionnaires qui dépendent de la Mission culturelle française et ceux qui, au titre de la coopération, sont dans les différents ministères du pays, au service de l’Éducation nationale ». C’est pourquoi la cotisation de l’AGEN comprenait une partie pour cette association et une seconde partie pour l’abonnement à Syndicalisme universitaire, celui-ci étant toutefois facultatif. Il semble que R. Prallet ait été dès l’origine président de cette association car il l’était déjà lorsque Marcel Beck* arriva au Maroc en 1958. D’ailleurs lorsqu’à la rentrée de 1959, Syndicalisme universitaire donna les noms des responsables AGEN pour les divers établissements du Maroc, c’est celui de R. Prallet qui figura pour le Lycée Lyautey de Casablanca.

À partir de 1960 Syndicalisme universitaire évoqua l’action de R. Prallet telle qu’elle se reflétait dans les rapports qu’il faisait lors des assemblées générales de l’AGEN. Il se chargeait à cette époque de la collecte des cotisations, des liaisons avec les correspondants d’établissement de la Mission et du ministère de l’Éducation nationale au Maroc, de la participation avec l’ADEFRAM (association des éducateurs français résidant au Maroc) aux démarches officielles auprès de l’ambassade de France et du chef de Mission pour les questions professionnelles. En 1961 il rappela solennellement l’orientation de l’AGEN : coopération avec les associations similaires, adaptation de l’enseignement à un monde en pleine mutation, rôle d’information auprès de la CFTC de manière à ce que les adhérents de l’AGEN participent à toutes les formes d’assistance technique et culturelle débordant du plan scolaire, appui au bureau SGEN et à la Confédération pour une reprise des négociations susceptibles de ramener la paix en Afrique du Nord. Quelques mois plus tard, R. Prallet participait au congrès SGEN de Marseille qui, en avril 1962, pouvait se féliciter des accords d’Evian.

Sous sa présidence, le bureau de l’AGEN dut, en octobre 1962, défendre des collègues menacés pour délit d’opinion, soit qu’on mît fin brutalement à leur détachement, soit qu’on leur ait refusé ce détachement après les avoir laissé enseigner un an au Maroc. Or il était difficile d’organiser une action commune avec la FEN qui avait au Maroc hérité des interdits de la métropole à l’égard du SGEN. En 1963 il dut agir pour obtenir le respect de la convention culturelle franco- marocaine, relative notamment au régime des vacances d’été. En 1964 ce furent les restrictions budgétaires imposées par Paris à la Mission universitaire et culturelle française (MUCF) qui conduisirent à des licenciements, à des mutations arbitraires : on retrouva donc R. Prallet en audience chez l’ambassadeur de France.

Outre la défense du personnel, R. Prallet se préoccupait de la régularité des élections lors du renouvellement des commissions administratives paritaires siégeant à Rabat, car celles-ci furent l’objet d’un litige avec l’administration en 1961. Dans une lettre adressée à l’ambassadeur de France, R. Prallet le priait de faire procéder à une contre-enquête sur les conditions des élections et sur les motifs de refus d’annulation exprimé par M. le Conseiller culturel. Il se souciait également d’assurer la liaison avec la CFTC sur le plan local par le Comité de liaison des associations professionnelles (CLAP). Sous son impulsion l’AGEN menait des études pédagogiques, réclamant par exemple des manuels mieux adaptés aux besoins des élèves ou une répartition des crédits de la MUCF plus soucieuse des réalités de l’enseignement. On comprend que dans l’éditorial d’un supplément de Syndicalisme universitaire consacré en 1963 aux « relations culturelles », Paul Vignaux ait « salué l’équipe que Prallet sut regrouper au Maroc pour faire face aux problèmes de la décolonisation ».

Bien entendu l’AGEN dut, lors de l’assemblée générale du 16 décembre 1965, se donner un nouveau président car sa fonction d’inspecteur ne permettait plus à R. Prallet de poursuivre son action syndicale. Lors de son décès, l’année suivante, Syndicalisme universitaire rendit hommage à « un de ces « trop rares Français libéraux » qui ont gagné la confiance des nationalistes et des syndicalistes marocains, des syndicalistes algériens aussi ». Il laisse, dit Paul Vignaux, « le souvenir d’un militant aussi lucide que désintéressé, au jugement équilibré, profondément attaché au Maroc et à son peuple et n’oubliant jamais de quelle discrétion doit s’accompagner la collaboration d’un étranger à l’oeuvre d’éducation nationale d’un pays nouvellement indépendant ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article87601, notice PRALLET Raymond, Eugène par Madeleine Singer, version mise en ligne le 21 avril 2010, dernière modification le 21 avril 2010.

Par Madeleine Singer

SOURCES : École et Éducation (1945-1955). — Syndicalisme universitaire (1955- 1966). — Cahiers Reconstruction, août 1953, août 1955, mai 1956. — Cahiers de Témoignage chrétien XXXV, « Le drame marocain devant la conscience chrétienne », non daté, vers février 1953. — Divers articles de journaux, notamment L’Express, 13 juin 1955 ; Le Monde, 12 décembre 1962. — Lettres (accompagnées de documents) de Paul Prallet, frère de R. Prallet, à M. Singer, 17 novembre 1996, 15 décembre 1996. — Lettre de Y. Vié Le Sage, secrétaire d’Oran à M. Singer, 24 janvier 1997 (archives privées).

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