RAYNAUD DE LAGE Guy

Par Madeleine Singer

Né le 5 décembre 1905 à Périgueux (Dordogne), mort le 27 décembre 1993 à Royat (Puy-de-Dôme) ; agrégé des lettres, professeur honoraire (langue et littérature françaises du Moyen-Âge) de l’Université de Clermont-Ferrand II ; secrétaire général du Syndicat général de l’éducation nationale à la fondation et de 1945 à 1948.

Aîné de quatre enfants, Guy Raynaud de Lage était le fils de Léon Raynaud de Lage, directeur de l’enregistrement de la Vienne. La famille, originaire de la Corrèze, devait être bonapartiste ou orléaniste, mais le ralliement à la République du Cardinal Lavigerie en 1890 a dû être déterminant ; elle devint gaulliste le 18 juin 1940. De santé maladive, Guy Raynaud de Lage ne put fréquenter un établissement scolaire qu’à partir de la seconde ; il fit alors de très bonnes études au lycée de Poitiers et y prépara en khâgne le concours de l’ENS où il entra en 1926. Il y retrouva Paul Vignaux qui l’influença incontestablement.

À l’École, Guy Raynaud de Lage était connu comme « tala » (ceux qui vont-à-la-messe). Il y lança avec Vignaux une collecte lorsqu’en 1928 les syndicats chrétiens d’Halluin ouvrirent une souscription en faveur des familles réduites à la misère par la grève du textile. Invités tous deux par la CFTC, ils se rendirent à une réunion où l’on devait étudier les possibilités de pénétration dans l’enseignement public. Mais un représentant de l’Union nationale des membres de l’enseignement public y déclara que l’existence de son organisation ne permettait pas de fonder un syndicat CFTC dans l’enseignement public.

Toutefois la question continua de préoccuper Guy Raynaud de Lage. Un ancien du SGEN, Fernand Labigne, dans un manuscrit de 1952, déclarait que l’idée du syndicat germa d’abord dans la tête de deux camarades de la rue d’Ulm : « Si quelque jour nous voulons faire nous aussi notre pèlerinage aux sources, je crois bien que ce fut dans une ‘turne’ de l’ENS et aussi à l’infirmerie de l’École où l’un des deux compères passait, paraît-il, de nombreuses heures en inhalations et fumigations que nous devrions nous rendre. » Sorti de l’École en 1930, Raynaud de Lage exerça au lycée de Douai, au Prytanée militaire de La Flèche et au lycée de Toulouse. Mais l’éloignement ne l’empêchait pas de suivre le projet syndical : il participa pendant le deuxième trimestre de 1935-1936 à une réunion qui rassemblait une dizaine de personnes au siège de l’Association syndicale professionnelle des fonctionnaires CFTC. Là, avec Vignaux et quelques instituteurs, on envisagea la possibilité de créer un syndicat groupant les trois ordres d’enseignement. Ceci aboutit à la fondation du Syndicat général de l’Éducation nationale, le troisième jeudi d’octobre 1937 ; une dizaine de personnes — Vignaux et Raynaud de Lage notamment — adoptèrent une déclaration de principes et les statuts furent déposés le 9 novembre 1937.

Raynaud de Lage, nommé au lycée de Saint-Cloud le 1er octobre 1937, était à pied d’oeuvre. Chargé d’abord du second degré, il devint le premier secrétaire général du SGEN lorsque celui-ci se structura en janvier 1939 ; Vignaux nous a confié que Raynaud de Lage était le syndicaliste alors que lui-même était surtout engagé dans la formation confédérale. Depuis son entrée dans l’Éducation nationale, Raynaud de Lage avait rejoint le Syndicat de l’enseignement secondaire autonome qui se donnait pour objet la défense professionnelle. Mais il ne pouvait s’en contenter. Quinze ans plus tard, dans École et Éducation, il déclarait que cette organisation avait des bases saines, mais trop étroites, « étrangère aux problèmes qui n’étaient pas strictement ceux de l’enseignement secondaire, étrangère aux problèmes d’ensemble de l’éducation et de l’Université ». Or « nous étions certains d’une chose, ce fut que nous avions des problèmes communs avec les collègues du premier degré ». En outre, une organisation autonome était « étrangère au monde du travail ». Or « nous avons voulu entrer en liaison avec la classe ouvrière », écrit-il en décembre 1937, vu « qu’il n’y pas de véritable syndicalisme en dehors d’elle ; qu’elle seule a vraiment prise sur le monde ; que nous sommes ici un appoint, mais que rien de grand ne se fera sans elle, ni dans le domaine de la politique économique et sociale, ni dans les problèmes apparemment moins amples de la réforme de notre enseignement ». Pourquoi alors ne pas rejoindre cette classe ouvrière dans la CGT. ? « Si nous avons résisté à l’appel de la CGT, ce ne fut pas de gaieté de coeur ; nous avons été violemment sollicités de rejoindre la classe ouvrière et de souder notre action à la sienne […] Ce fut que nous n’avons pas cru trouver à la CGT le climat de liberté que nous aimons, et cette allure de mouvement ‘totalitaire’ qu’elle se donne quelquefois nous a fait préférer un autre rassemblement ouvrier. » La CFTC avait en effet attesté sa vitalité pendant les grèves de 1936 : elle apparaissait comme une force démocratique antitotalitaire à cette époque de montée des fascismes.

Survint la guerre. Raynaud de Lage, mobilisé, fut libéré le 1er mai 1940, à la naissance de son quatrième enfant. Il exerça quinze jours au lycée de Versailles, puis lors de la fermeture de l’établissement, il partit rejoindre sa famille à Poitiers pour la durée de la guerre. En rentrant à Saint-Cloud, il fut membre du Comité de libération de la ville à titre de syndicaliste clandestin et participa activement à la bagarre qui marqua les élections municipales de 1945, le Comité ayant présenté une liste.

Dès la libération de Paris, le SGEN s’était reconstitué autour de Marcel Reinhard, professeur de khâgne au lycée Louis-le-Grand, lequel devint secrétaire général. Raynaud de Lage vint donc l’épauler et lui succéda en janvier 1946, quand Reinhard partit à Rio de Janeiro. Depuis juillet 1945, il siégeait à la Commission Langevin, dans la section chargée du second degré. Secondé par Vignaux rentré en France en novembre 1945, il lui céda sa place pour raisons de santé en décembre 1947, après avoir mené pendant deux ans l’action du SGEN. Mais il resta durant cinq ans secrétaire général adjoint, remplaçant notamment Vignaux pendant les séjours annuels que celui-ci faisait au Canada.

En même temps, Raynaud de Lage poursuivait ses recherches en vieux français. Il avait passé en 1948 sa thèse sur Alain de Lille, poète du XIIe siècle. Il fut nommé en 1954 professeur à l’Université de Clermont- Ferrand. Dès lors, il se consacra entièrement à ses élèves. L’un d’eux déclarait qu’il l’avait beaucoup soutenu et que son Introduction à l’ancien français fut pendant trente ans la bible de tous ceux qui entreprenaient l’étude de cette discipline. Décoré de la Légion d’honneur en 1965 pour ses travaux scientifiques, Raynaud de Lage prit sa retraite en 1977 ; ses anciens élèves lui offrirent alors en hommage un recueil de ses principaux articles : Les Premiers romans français.

Resté jusqu’en 1960 au Comité national du SGEN en qualité de membre suppléant dans la section de l’enseignement supérieur, il apporta son soutien au Bureau national lorsqu’en 1956 le SGEN fut violemment attaqué dans l’hebdomadaire MRP à cause de ses prises de position sur la laïcité : il envoya avec M. Reinhard une note affirmant leur complet accord avec l’orientation définie dans le rapport de Paul Vignaux. Mais quelques années plus tard, un malheureux incident l’amena à démissionner du SGEN, le 27 janvier 1967. La CFDT et la CGT avaient lancé une grève d’ampleur nationale pour le 1er février, déclarant que le plein- emploi était de plus en plus compromis, que les atteintes aux libertés syndicales se multipliaient, que le patronat se refusait à engager de véritables négociations. Ces objectifs étant aussi ceux des fonctionnaires, leurs fédérations donnèrent également l’ordre de grève, ordre que le SGEN reprit à son compte. Raynaud de Lage déplora qu’en période préélectorale (les élections législatives devaient avoir lieu le mois suivant), la grève du 1er février apportât la caution du mouvement syndical à la FGDS, « interprétation confirmée, dit-il, par les commentaires de l’un ou l’autre secrétaire de la CFDT. » Descamps, alors secrétaire général, avait en effet, au cours d’un déjeuner de presse, établi une relation directe entre la grève et les élections législatives.

Pour situer Raynaud de Lage, il faut noter que son engagement syndical n’était pas, comme chez Vignaux, une tradition familiale, mais résultait, aux dires de ses proches, d’une « conviction personnelle ». À l’ENS, il était vraisemblablement antimilitariste avec une teinture socialiste. Il fut, semble-t-il, lecteur de Sept, l’hebdomadaire catholique de gauche que les dominicains firent paraître de 1934 à 1937. Il était abonné à Esprit, comme il le déclara lui-même en 1938 à Abraham, chef de cabinet de Jean Zay. Or la revue de Mounier défendait un humanisme personnaliste qui critiquait les excès du capitalisme contemporain et opposait l’ordre chrétien au désordre établi. Elle avait donc, du moins à cette époque, des visées morales plus que politiques. Ce fut probablement ce qui séduisit Raynaud de Lage car on ne trouve dans sa vie aucune trace d’engagement politique. Dans sa lettre de démission, il reprochait à la FGDS d’avoir des « leaders politiquement tarés, l’un par la légitimation donnée comme ministre de la Justice aux exactions couvertes en Algérie par Robert Lacoste*, l’autre par la guerre de Suez, les exactions en Algérie, etc. » Comme Vignaux, il se méfiait de de Gaulle ; ce fut l’une des raisons pour lesquelles il n’adhéra jamais au MRP. Mais il m’écrivait en 1979 qu’il n’avait « jamais accepté les vues de (son) camarade Vignaux sur les missions politiques du syndicalisme : vues inspirées par la pratique britannique du Labour. » Bref, il fut avant tout un syndicaliste.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article87603, notice RAYNAUD DE LAGE Guy par Madeleine Singer, version mise en ligne le 21 avril 2010, dernière modification le 4 décembre 2022.

Par Madeleine Singer

ŒUVRE : Alain de Lille, poète du XIIe siècle, 1948. — Introduction à l’ancien français, 1958. — Manuel pratique d’ancien français, 1964. — Les premiers romans français (Tristan, le Roman de Troie, le Roman de Thèbes, Eracle, etc.), 1976.

SOURCES : Who’s Who, 1979. — Madeleine Singer, Le SGEN, 1937-1970, thèse Lille III, 1984, 3 volumes (Archives départ. du Nord, J 1471). — Madeleine Singer, Histoire du SGEN, 1987, PUL. — École et Éducation, 1937-1960, notamment les numéros d’octobre 1937, octobre 1938, octobre 1946, 21 septembre 1953, 21 mars 1956. — Divers témoignages de la famille et des amis.

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