Par Madeleine Singer
Né le 15 janvier 1922 à Roubaix (Nord), mort le 11 novembre 2015 à Arras (Pas-de-Calais) ; professeur certifié d’allemand ; secrétaire départemental du Syndicat général de l’Éducation nationale (SGEN) du Pas-de-Calais de 1959 à 1980, puis secrétaire du syndicat SGEN d’Arras de 1980 à 1983.
Henri Singre portait le prénom de son père. Il était l’aîné des cinq enfants d’Henri Singre qui avait épousé Roseline Dérégnecourt. Son père travailla d’abord à Roubaix avec ses parents qui avaient une entreprise de transport et de fourrage pour les attelages qui sillonnaient alors la ville. Puis celui-ci reprit avec sa femme à Cambrai (Nord) un commerce d’ornements d’église et d’articles de piété auquel ils adjoignirent des coupons de tissu afin d’avoir un volume de vente suffisant. Le commerce passa au nom de Madame Singre lorsque son mari devint en 1945 secrétaire du Substitut du Procureur au tribunal de Cambrai.
Henri Singre fit ses études secondaires à l’Institution Notre-Dame de Grâce à Cambrai. En 1940 il fut évacué avec ses parents près de Dax, dans les Landes et passa là-bas le baccalauréat de mathématiques élémentaires. Il fréquenta alors l’université de Bordeaux (Gironde) où il obtint en 1946 la licence d’allemand. Appartenant à la classe 42, il ne fit pas de service militaire, mais dut de juillet 1943 à avril 1944 effectuer le STO (service du travail obligatoire) en Autriche, à la frontière hongroise. Revenu dans le Nord, il enseigna d’abord l’allemand, de 1946 à 1948, dans l’établissement où il avait fait ses études. Il passa alors dans l’enseignement public où il fut successivement maître auxiliaire, adjoint d’enseignement et enfin professeur titulaire en 1955 au collège Jessé de Forest à Avesnes (Nord), lequel devint ensuite lycée. En 1958 Henri Singre fut muté au lycée de garçons d’Arras (Pas-de-Calais) où il prit sa retraite en 1983. Il avait épousé en 1948 Jeanine Sailly qui enseignait alors l’anglais à l’Institution Blanche de Castille à Cambrai. Ils eurent trois enfants : un fils chef de service à la région Nord-Pas-de-Calais ; deux filles, mères au foyer après avoir été l’une traductrice, l’autre secrétaire de direction trilingue.
Henri Singre avait été jéciste pendant ses études secondaires et fit partie de la Paroisse universitaire lorsqu’il arriva à Arras. Il était maître auxiliaire depuis quelques mois à Avesnes lorsqu’il dut, pour raisons de santé, interrompre son service sans avoir droit à la moindre rémunération, vu son peu d’ancienneté. Il raconta plus tard à Christine Bard que sa tante, adhérente SGEN, lui avait alors conseillé de s’adresser à ce Syndicat dont les dirigeants débrouillèrent sa situation et lui prêtèrent même de l’argent. Bien entendu il adhéra au SGEN puisqu’on y trouvait des gens si dévoués. Quand il put reprendre son poste, il s’occupa peu à peu des surveillants et des maîtres auxiliaires de son établissement ; il créa en 1950 la première section SGEN du collège d’Avesnes. Il y fut aidé, dit-il, par le secrétaire académique, André Gounon, dont les réponses par retour de courrier étaient devenues légendaires. Celui-ci parvint d’ailleurs, avec le concours du SGEN national, à faire prendre en compte dans l’ancienneté d’Henri Singre son année de STO.
Nommé en 1958 au lycée de garçons d’Arras, H. Singre en devint le secrétaire de section l’année suivante et occupa cette fonction jusqu’à la retraite. A son arrivée, l’établissement ne comportait qu’un petit groupe d’adhérents SGEN assez conservateurs. Le SNES faisait circuler ses informations en même temps que celles de l’administration par le concierge qui passait dans les classes. Bien entendu H. Singre intervint avec un adjoint d’enseignement Raymond Guieu, pour faire cesser cette pratique.
Dès 1959 Henri Singre devint secrétaire départemental (SD) du Pas-de-Calais, à la demande de Claude Coutaux, professeur au lycée de Lens qui exerçait cette responsabilité, mais partait en Tunisie. Ce dernier le présenta à l’Inspection académique comme son successeur. Avec le secrétaire SGEN Premier degré, H. Singre eut à défendre bien des instituteurs ou institutrices, alors qu’il en connaissait mal le statut, « dans un climat d’ostracisme caractérisé », où telle mutation injustifiée s’expliquait par un conflit de personnes. L’essentiel de ses interventions concernaient les problèmes d’intégration des instituteurs venus des écoles des Houillères, nationalisées en 1945. Ceux-ci donnaient au SGEN une image de marque peu favorable car on ne pouvait guère attendre d’eux des prises de position en faveur de l’école publique alors que la loi Debré qui accroissait l’aide à l’enseignement privé, allait être votée le 31 décembre 1959. Par la suite Jacques Lefebvre, instituteur, puis directeur d’école, s’entoura de nouveaux adhérents et constitua une section départementale ouverte aux problèmes de l’heure, capable d’entraîner l’adhésion de jeunes normaliens et normaliennes, laquelle obtint aux élections de mai 1982 un siège à la commission administrative paritaire départementale (CAPD). Henri Singre resta SD jusqu’à la transformation du SGEN en une fédération de syndicats, au congrès d’Andernos (Gironde) en 1980 ; il fut alors secrétaire du syndicat d’Arras pendant les trois années qui le séparaient de sa retraite.
C’est en 1964, c’est-à-dire au moment de la déconfessionnalisation de la CFTC, qu’Henri Singre joua un rôle particulièrement important. Les dirigeants de l’Union départementale (UD) du Pas-de-Calais étaient en majorité hostiles à l’évolution, les uns par attachement à la référence chrétienne, les autres par souci de maintenir la cohésion de l’organisation au niveau départemental car la fédération des mineurs qui fut la seule à faire scission, représentait 43 % de l’effectif départemental ! En janvier 1964 parut Rénovation, « organe d’information des groupes d’études économiques, sociales et syndicales d’inspiration chrétienne » (AGESSIC) ; le secrétaire des mineurs, Joseph Sauty*, était l’un des deux vice-présidents de l’association ; Joe Simon*, secrétaire général de l’UD du Pas-de-Calais, faisait partie du bureau. Il y eut rapidement dans le Pas- de-Calais un comité provisoire AGESSIC dont J. Sauty annonça la constitution le 20 juin 1964 ; on y retrouvait une quinzaine de militants appartenant à différents secteurs professionnels : mineurs, postiers, Sécurité sociale, SNCF, etc. Ceci suscita parallèlement un regroupement « genre AGESSIC, de tendance opposée type CFDT » dont les réunions se tinrent une fois à Arras au domicile d’Henri Singre, le plus souvent à Aire-sur-la-Lys (Pas-de-Calais) chez Bernard Aupetit, céramiste. Sur le procès-verbal de la deuxième réunion, le 10 octobre 1964, on voit que les membres appartenaient à des professions variées (métallurgie, céramique, cheminots, EDF, PTT, SGEN) et représentaient huit secteurs géographiques. Bien entendu les dirigeants de l’UD freinaient de toute manière l’évolution : H. Singre qui habitait en face du siège de l’UD, avait vu combien d’exemplaires du rapport d’Eugène Descamps*, « Evolution et perspectives de la CFTC », étaient restés empilés dans les placards de l’UD avant le congrès confédéral.
La lutte s’engagea dès le lendemain du congrès confédéral des 6 et 7 novembre 1964. Le bureau de l’UD adopta le 10 novembre par 7 voix contre 6 la proposition Marquant (PTT) qui invitait le congrès départemental extraordinaire prévu pour le 22 novembre « à continuer l’application des statuts actuels de l’UD dans le but de continuer la CFTC ». Aussitôt le 13 novembre, Henri Singre alerta Paul Vignaux et participa le dimanche 15 à la réunion des syndicats adhérant à l’UD et favorables à l’évolution : Joseph Rose (métallurgie Lens-Béthune) écrivit au nom de ce groupe au président de l’UD, Georges Lair* pour protester contre la proposition Marquant, vu qu’un congrès départemental ne pouvait prendre une nouvelle décision sur une question déjà tranchée par un congrès confédéral. Or le Syndicat des agents des organismes de sécurité sociale d’Arras avait adopté le 13 novembre une motion qui se prononçait pour le maintien de l’adhésion de l’UD à la CFTC devenue CFDT, le terme de CFTC étant supprimé dans le titre de l’UD qui devenait « UD des syndicats libres du Pas-de- Calais ». Ce syndicat présenta sa motion le 22 novembre au congrès réuni à Saint-Omer : mise aux voix, celle-ci l’emporta avec 14.640 suffrages contre 13.363, 94 syndicats se prononçant pour, 16 contre. H. Singre n’eut donc pas à déposer une motion déclarant irrecevable la proposition Marquant, comme le lui avait conseillé Paul Vignaux venu le voir à Arras avant le congrès départemental.
Le Conseil de l’UD, réuni le 5 décembre 1964 avec 21 présents et 10 excusés, ne perdit que neuf membres qui n’avaient pas donné de leurs nouvelles. Ceux-ci furent alors remplacés par cooptation pour les secteurs non représentés ainsi que par les candidats ayant eu le plus de voix parmi les non-élus du congrès départemental du 14 juin 1964. Henri Singre figurait parmi ces derniers car il y avait eu à ce congrès un tir de barrage systématique contre les représentants des organisations favorables à l’évolution, dont le SGEN évidemment. Il avait pourtant siégé auparavant dans ce Conseil où Claude Coutaux l’avait introduit. Vingt-cinq ans plus tard, évoquant ses souvenirs pour Christine Bard, Henri Singre relatait les violents affrontements qui eurent lieu au congrès de Saint-Omer entre des militants dont l’un disait à l’autre : « Après cela tu pourras aller te confesser », ce qui illustrait bien certaines mentalités. En voyant les mineurs qui voulaient garder le C, il avait l’impression, dit-il, de retrouver un milieu qu’il avait connu dans sa jeunesse : « Ces gens-là vivaient avec 20 ans de retard ». Henri Singre continua de siéger dans le conseil de l’UD jusqu’à ce que celui-ci se mit en sommeil en 1970 car l’Union régionale interprofessionnelle (URI) Nord-Pas-de-Calais venait d’être créée. Toutefois il siégea également dans le conseil de cette URI de janvier 1973 à juillet 1975.
Le témoignage d’Henri Singre sur Mai 1968 n’est pas moins important. A Arras, à Lens et dans d’autres centres urbains, le SGEN, dit-il, fit vraiment partie du mouvement, collant d’assez près aux revendications des élèves, en accord avec tout le processus d’ouverture des lycées, la mise en cause de la hiérarchie, etc. Le Syndicat attira alors de nombreuses adhésions de jeunes surveillants, de maîtres auxiliaires pour qui il représentait « le syndicat révolutionnaire ». H. Singre avait des enfants de cet âge-là qui confectionnaient des banderoles du style « Ce lycée est nôtre », qui rédigeaient et imprimaient des tracts. Lui-même fut dans le mouvement : « Nous avons, dit-il, manifesté avec nos élèves dans les rues principales d’Arras, fait des « sitting ». Ma maison fut même surveillée par la police ». J’ai pu, ajouta-t-il, éviter les excès, mais ce n’était pas un hasard si le lycée de garçons d’Arras fut plus secoué que d’autres établissements car il y régnait une discipline beaucoup plus stricte qu’ailleurs : les jeunes devaient passer dans les couloirs dans un silence impressionnant, etc.
Les années d’après Mai 1968 furent délicates car certains nouveaux adhérents, maoïstes ou autres, tenaient un langage aberrant, très peu réaliste, allant jusqu’à nier la valeur du savoir. Henri Singre vit alors certains de ses collègues, scandalisés, se retirer sur la pointe des pieds du SGEN qu’ils fréquentaient pourtant depuis des années. « Nous avons, dit-il, mis le holà. J’ai souhaité quelques démissions », car quelques nouveaux venus n’avaient pas les exigences intellectuelles que le SGEN a toujours présentées.
Après cette crise momentanée, Henri Singre eut à affronter dans les années quatre-vingt le processus de désyndicalisation qui toucha alors tous les syndicats. Il déclara à Christine Bard que la perte d’adhérents au SGEN provenaient notamment des déceptions engendrées par l’échec du ministre Alain Savary dont les propositions pédagogiques avaient bien des similitudes avec les idées du SGEN. « Nous aurions voulu la mise en place d’équipes pédagogiques, l’instauration du tutorat, l’interdisciplinarité. Tout cela demandait aux enseignants un gros effort de modifications de leurs méthodes de travail. Nous nous sommes heurtés à une autodéfense du corps enseignant. « Un enseignant est là pour enseigner », nous a-t-on rebattu les oreilles dans les salles de professeur ». Or au moment du départ du ministre en juillet 1984 les réalisations étaient modestes car le gouvernement n’avait pas voulu prendre le risque d’un conflit avec les partisans du statu quo. Henri Singre ne vit pas la remontée du SGEN avant son départ en retraite : cette remontée dans le Pas-de-Calais se produisit à partir de l’année 1988-1989 et se poursuivait encore en 1998.
Une fois à la retraite, Henri Singre ne détela pas, alors qu’il avait pourtant été pendant 25 ans la cheville ouvrière du SGEN dans son département. Il devint presque aussitôt responsable régional (Nord-Pas-de- Calais) de la branche « retraité » du SGEN, puis en 1986 membre du conseil fédéral de cette branche, et garda ces deux responsabilités jusqu’en 1995. En outre il contribua à mettre sur pied l’Union locale interprofessionnelle des retraités (ULIR) d’Arras et y exerçait encore en 1998 un rôle influent, tout en représentant le SGEN depuis 1984 au conseil de l’Union régionale interprofessionnelle des retraités (URIR) ; il servait ainsi de trait d’union entre ce conseil et l’ULIR d’Arras. Enfin il secondait son épouse dans la section locale d’« Enfance et vie », mouvement régional d’aide à l’enfance en détresse, en particulier dans le Tiers- Monde. Il était officier des Palmes académiques.
Par Madeleine Singer
SOURCES : M. Singer, Le SGEN 1937-1970, Thèse Lille III, 1984, 3 vol. (Arch. dép. Nord, J1471) ; Histoire du SGEN, Presses universitaires de Lille, 1987. ; Le SGEN. Des origines à nos jours, Paris, Le Cerf, 1993, collection Histoire. (Arch. dép. Nord, J1578). — Christine Bard, Paroles de militants, Association 1884-1984, 104 rue Jeanne d’Arc, Lille, 1990, 15x21, 140p. — Lettres de H. Singre à M. Singer, 13 juin 1979, 7 décembre 1980, 31 janvier 1981, 18 février 1982, 15 mai 1995, 20 août 1998, 14 octobre 1998, 3 novembre 1998 (archives privées).