IZARD Georges, Émile, Joseph

Par Justinien Raymond, Gilles Morin

Né le 17 juin 1903 à Abeilhan (Hérault), mort le 20 septembre 1973 à Paris ; avocat et journaliste, fondateur de la revue Esprit, écrivain ; membre du Front Commun puis du Parti socialiste SFIO ; député de Meurthe-et-Moselle (1936-1940) ; secrétaire général de l’OCM ; avocat de colonisés et de V. Kravtchenko, vice-président de France-Maghreb ; académicien.

Georges Izard naquit dans la région de Béziers. Ses ancêtres paternels vivaient depuis des générations du sol qu’ils cultivaient. Ses origines rurales étaient donc toutes proches car son père fut le premier à accéder à la vie de l’esprit, puisqu’il était instituteur laïc à l’époque héroïque de la République, attaché à la démocratie, à la patrie et affranchi de toute influence religieuse. De tempérament mystique, tourmenté dès sa jeunesse par le problème de la mort et de la destinée, Georges Izard ne put se contenter de l’agnosticisme paternel. Ses interrogations, ses angoisses le portèrent d’abord vers la religion réformée et il fut un temps président des étudiants protestants. C’est en khâgne, à Louis-le-Grand, sous l’influence d’André Deléage, qu’il embrassa le catholicisme et devint bientôt président des étudiants catholiques et admirateur de Péguy. C’est à la même époque qu’il connut deux étudiants, Emmanuel Mounier et Louis-Émile Galey qu’il retrouvera plus tard. Après avoir passé une licence de philosophie et soutenu un diplôme d’études supérieures de philosophie, comme il était peu tenté par l’enseignement, il passa une licence de droit et se fit inscrire comme avocat au barreau de Paris en 1932, exerçant à la Cour d’Appel. Il sera secrétaire de la conférence des avocats de 1933 à 1934 et il illustrera sa profession dans quelques procès retentissants. Il fut aussi professeur de droit à l’École supérieur d’organisation professionnelle.

Mais auparavant, une autre expérience marqua son existence, sa formation et sa vie personnelle. En 1926, à vingt-trois ans, il fut attaché au cabinet de Charles Daniélou, sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil, ministre entreprenant, élu d’une gauche bien modérée mais qu’il affirmait en Bretagne. Georges Izard acquit une autre connaissance des hommes et découvrit la politique. Le 25 août 1929, dans le village si breton de Locronan, il épousa Mlle Catherine Daniélou et devint ainsi le beau-frère du futur cardinal Jean Daniélou. Ils eurent quatre enfants, trois filles et un garçon.

Sans doute membre de la Jeune République, car il participa à la campagne en faveur de Philippe Serre, député de Briey en 1932, G. Izard avec L.-E. Galey et Emmanuel Mounier, fonda la revue Esprit dont le titre fut suggéré par Mme Charles Daniélou. Izard en fut le rédacteur en chef en 1932-1933. Mais, contrairement à Mounier, il voulait relier cette revue à une action politique et il s’engagea dans une action qu’on appelait de " Troisième force " parce que sans " compromission " avec le communisme ; elle prétendait contester la société présente. En 1934, devenu directeur du cabinet de Charles Daniélou, ministre de la Marine marchande, Izard rejoignit Gaston Bergery, député de Mantes, un temps " jeune loup " du radicalisme et promoteur du " Front commun " et de son organe La Flèche qui se proposait de lutter contre l’influence de l’argent et contre l’influence de l’étranger. Il devint secrétaire national adjoint du mouvement. La « Troisième force » et le Front Commun s’associèrent pour fonder le Front social en 1935. Izard en devint secrétaire national adjoint et rédacteur à La Flèche. À l’occasion des élections législatives de 1936 qui devaient voir la victoire du Front populaire, Georges Izard se lança dans l’arène électorale au nom de la " gauche indépendante " dans la 2e circonscription de Briey, en Meurthe-et-Moselle. Lui qui avait déjà défendu le journal Le Temps contre le Comité des Forges allait tenter de ravir son siège à un homme de la droite conservatrice et catholique, Amidieu du Clos au surplus puissant maître de forges, dans une circonscription ouvrière où le socialiste Legras et le communiste Schumacher étaient aussi sur les rangs. Izard demanda à l’évêché d’être neutre en face des deux candidats catholiques mais n’obtint aucun engagement. Son succès, au premier tour, à l’issue d’une campagne brillante, sans concession aucune, n’en fut que plus remarquable : il enleva le siège dès le 1er tour par 7 983 voix sur 18 206 inscrits et 15 779 suffrages exprimés, contre 6 610 à Amidieu du Clos, 1 121 et 565 aux candidats du PS et du PC. C’était l’arrivée au Parlement d’un " socialiste " qui ne se réclamait pas de Marx et disait bien haut ses convictions chrétiennes. Il était vice-président de la commission du travail.

À la fin de l’année 1937, conscient qu’il fallait un tremplin plus solide à son action que le " frontisme ", Georges Izard adhéra à la SFIO et à son groupe parlementaire. Son adhésion fut saluée par Le Populaire de l’Est du 11 décembre 1937. Il appartenait à la section de Longwy-Bas et entra au comité fédéral au congrès de décembre 1938. Il fut rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner les projets sociaux du gouvernement de Front populaire. Il intervint à la tribune de la Chambre des députés sur la nationalisation des industries d’armement et sur la politique à l’égard de l’Espagne républicaine qu’il voulait soutenir. En décembre 1938, il devint directeur politique du Populaire de l’Est, organe des Fédérations socialistes de Meurthe-et-Moselle et de Moselle. Antimunichois militant, il fut membre du Comité de direction du journal Agir, réunissant, autour de Georges Monet*, Daniel Mayer* et Tanguy-Prigent* les socialistes qui refusaient de nouvelles concessions à l’Allemagne.

Maintenu dans ses foyers lors de la mobilisation générale, en 1939, après avoir pris conseil de Léon Blum, il fut engagé volontaire et Izard rejoignit son corps, le 149e Régiment d’infanterie dans la Meuse, sur la ligne Maginot. Lieutenant, cité à l’ordre du régiment pour ses actions de renseignement du 14 au 18 juin, il fut fait prisonnier à l’heure de l’armistice devant Saint-Dizier. Il ne fut donc pas présent le 10 juillet 1940 à Vichy. Souffrant d’un ulcère de l’estomac, il fut ramené de son Oflag en fin novembre 1940 pour être soigné au Val-de-Grâce d’où, guéri, il fut libéré comme député.

Izard se lança dans la Résistance, et travailla avec l’OCM (Organisation civile et militaire) à partir de 1942, sans adhérer véritablement à une organisation. Sans lien avec le PS clandestin, il tenta de reconstituer la fédération socialiste de Meurthe et Moselle dans la région de Longwy. Son adresse étant trouvée sur un militant qui détenait une convocation de militants, il fut arrêté le 16 mars 1943, suspecté « d’activités communistes ». Emprisonné à Fresnes trois mois, il fut jugé à Nancy où on ne réussit pas à le confondre et il fut libéré en mai suivant. Il participa à des actions de résistance très variées (renseignement, faux papiers, logement de personnes évadées, etc.). Il tenta d’entrer en contact avec l’organisation socialiste, par l’intermédiaire de Tanguy-Prigent et de Bouhey. Il fut de nouveau recherché par la milice en juillet 1944, alors que l’on évoquait son nom pour remplacer Teitgen, arrêté, à l’information.

N’ayant pas appartenu au parti socialiste clandestin, ni formellement à un mouvement de résistance, le retour d’Izard au parti fut contesté comme en témoigne une abondante correspondance. La section de Nancy-Banlieue et Peeters notamment contestait son rôle dans la reconstruction du PS local. Aussi adhéra-t-il formellement cette fois à l’OCM et il rentra à sa direction qui était en renouvellement total. Y rentrait aussi à ce moment-là d’autres socialistes, Jacques Rebeyrol, secrétaire général qui avait adhéré en même temps que lui en 1937 à la SFIO, et Jacques Piette, son adjoint. Il fut désigné par le comité directeur de l’OCM pour engager, avec Saillant et Ribière, les pourparlers de fusion avec Libération-Nord.

Maintenu au sein du Parti socialiste rénové par son congrès de Paris (novembre 1944), auquel il est délégué par la fédération de Meurthe-et-Moselle et où il intervient sur les buts de l’UDSR, Georges Izard siégea en 1944-1945 à l’Assemblée consultative au titre de l’OCM dont il fut le secrétaire général de 1944 à 1948. Il représentait le mouvement au Conseil national de la Résistance. Il fut aussi durant quelque temps, en 1944 au moins, un des directeurs du Parisien libéré. puis se consacra au barreau et aux lettres.

Membre de la première UDSR, il fut l’un des rédacteurs du manifeste du mouvement avec Henri Frenay, Léo Hamon, Leyonnel et Jean Texcier en juillet 1945 et fut nommé secrétaire général adjoint du mouvement le 8 juillet. À l’automne, il participa au comité d’entente SFIO-UDSR qui tenta de mettre en place partout des listes communes, avec un succès mesuré. En fait, avec Avinin, il faisait partie des hommes qui appartenaient aux deux organisations et il rêvait alors d’un Parti travailliste dans lequel il espérait rassembler toutes les forces novatrices soulevées par la Résistance et le Parti socialiste. C’était l’ambition de l’hebdomadaire Clartés qu’il lança et qui reprenait l’idée d’une " troisième force ". Il intervint au Conseil national de la SFIO du 20 mai 1945 pour expliquer l’évolution des pourparlers entre les organisations de la Résistance et la SFIO.

Georges Izard tenta de reprendre pied en Meurthe-et-Moselle. La réunion du 6 octobre 1945 de la fédération SFIO de Meurthe-et-Moselle ne le désigna pas comme candidat à la députation, décidant que la tête de liste serait de Nancy. Selon un rapport des renseignements généraux, du 9 octobre 1945, il “est parti en secouant sans ménagement la poussière de ses fins brodequins sur une réunion ingrate”. Le Front national, par l’intermédiaire de son journal local, Le Charbon ardent, l’accusait d’avoir collaboré en 1941 à la NRF de Drieu La Rochelle et d’avoir été l’avocat du Comité d’organisation de Vichy. En 1949, il se mit à la disposition de la fédération socialiste de la Seine-et-Marne, adhéra à la section de Melun, mais Jacques Piette*, en conflit avec la fédération, fit campagne contre sa présence, le soupçonnant de s’être entendu avec les dirigeants fédéraux pour prendre la tête de liste aux législatives de 1951.

Izard, sans être totalement retiré de la vie politique militante, joua désormais surtout les grands rôles au barreau : retenons, en 1949, sa plaidoirie pour Kravtchenko, auteur de J’ai choisi la liberté, et sa défense, en 1952, devant le tribunal militaire de Tunis de vingt-huit manifestants du Néo-Destour qu’il arracha à une peine de mort certaine.

Izard fut vice-président de l’association France-Maghreb fondée par des libéraux dans le domaine colonial et lié aux responsables de l’UGTT, comme son vice-président Boudali Hamadi.

En 1970, Izard fut élu à l’Académie française, au fauteuil d’un catholique, mais qui fut un de ses plus ardents adversaires, Henri Massis. Il fut aussi l’avocat et un collaborateur du Figaro. Toujours très hostile aux communistes, il émettait des réserves publiques, par l’intermédiaire de la “ tribune libre ” du Monde, sur l’Union de la gauche. François Mitterrand, dans son ouvrage La Rose au Poing, poursuivit le dialogue avec lui sur ce thème.

Les jours de Georges Izard étaient alors comptés. Il continua son action au barreau et son oeuvre littéraire avant de mourir à soixante-dix ans. Il était titulaire de la Croix de guerre 1939-1940.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article87682, notice IZARD Georges, Émile, Joseph par Justinien Raymond, Gilles Morin, version mise en ligne le 23 avril 2010, dernière modification le 22 août 2010.

Par Justinien Raymond, Gilles Morin

OEUVRE : La Fédération européenne, 1930. — La Pensée de Péguy, 1931. — Où va le communisme ?, 1936. — Les classes moyennes, 1937. — La bataille de France, 1939. — Viol d’un mausolée, 1957. — Lettre affligée au général de Gaulle, 1967 (pamphlet de 95 pages où G. Izard exprime sa déception). — Bibliographie de Sainte Catherine de Gênes, 1969.

SOURCES : Arh. Nat., F/715490, n° 2576 ; F/1cII/280 ; 20010216/94/2723/195. — J. Jolly, Dictionnaire des parlementaires, t. VI, pp. 1998-1999. — G. Lachapelle, Les élections législatives de 1936. — G. Lefranc, Histoire du Front populaire, op. cit., pp. 40, 76, 167, 243. — Le Monde, 13 février 1971, 22, 23-24 septembre et 3 octobre 1973, 25 avril 1975. — J.-M. Moine, Le Mouvement socialiste en Meurthe-et-Moselle sous la IIIe République, Mémoire de Maîtrise, Nancy, 1972, 241 p. — F. Pique, La SFIO en Meurthe-et-Moselle, sous la IVe République, mémoire de maîtrise, Nancy, 1992. — Éric Duhamel, L’UDSR, 1945-1965, thèse d’histoire, université de Paris IV, 1993. — Le Populaire de l’Est, 1937-1939 et 1944-1945. — Rapports des congrès de la SFIO, 1944-1967. — Notes d’Étienne Kagan.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable