Par Guillaume Bourgeois, Jean Maitron, Claude Pennetier
Né le 24 mars 1903 à Paris (IIe arr.), mort le 25 octobre 1977 à Paris (XIVe arr.) ; artisan encadreur ; dirigeant des Jeunesses communistes, animateur du Parti communiste à Levallois-Perret (Seine, Hauts-de-Seine) ; député de la Seine (1936-1940), démissionna du Parti communiste le 11 janvier 1940 (sans doute à la demande du parti) puis reprit contact en janvier 1943 ; déporté à Auschwitz.
Maurice Honel était le fils de Caroline Blœsmist et de Gustave, Charles Honel (né le 12 janvier 1869 à Strasbourg), militant socialiste d’origine juive dont la famille avait rallié la France en 1871 et qui fut, de 1887 à 1893, membre du Cercle Germinal, du Comité de l’agglomération parisienne du Parti ouvrier et de la Ligue pour la défense de la République, avant de siéger en 1921 au comité exécutif de la Fédération communiste de la Seine. Charles Honel quitta toutes responsabilités en 1923 sans cesser de fréquenter la section communiste du XIVe arr. puis le rayon de Clichy-Levallois-Perret. Il habitait et travaillait comme artisan encadreur à Levallois-Perret.
Son fils Maurice choisit son métier après le Certificat d’études primaires, dès l’âge de treize ans. Son père était alors mobilisé et son frère aîné au front. Il adhéra aux Jeunesses socialistes en 1919. Le 31 octobre, au congrès de la « Bellevilloise », il fut élu membre suppléant du Comité national de la Fédération nationale des Jeunesses socialistes-communistes. Deux mois plus tard, il entra comme suppléant à la commission exécutive de la 4e Entente et devint en 1921 secrétaire du groupe de Levallois-Perret. Au Ier congrès national de la Jeunesse communiste, salle de l’Égalitaire à Paris (15-16 mai 1921), Maurice Honel fit partie de la majorité qui s’opposa à l’autonomie. La nouvelle direction comprenait : Maurice Laporte (secrétaire général), Camille Fégy (secrétaire adjoint) et Maurice Honel (directeur de l’Avant-Garde). Il assista au Ier congrès du Parti communiste à Marseille (25-30 décembre 1921) au titre de la Jeunesse communiste. La question du Front unique divisa les JC à leur IIe congrès (Montluçon, mai 1922) : une majorité s’opposa à l’application en France d’une politique qui impliquait un front commun avec la Jeunesse socialiste et la Jeunesse syndicaliste. Maurice Honel, qui s’était illustré par ses attaques contre la droite du Parti communiste, fut délégué en février 1922 à une conférence internationale des JC à Moscou, où il vota « en faveur du Front unique, c’est-à-dire pour le principe, mais contre son application en France ». Il représenta les JC dans d’autres assemblées internationales à Iéna et à Moscou. Honel fut un temps secrétaire politique intérimaire lors du départ de Maurice Laporte mais, en janvier 1923, il démissionna de sa fonction du Comité national des Jeunesses communistes, sans « en donner le motif » précise un rapport de police (Arch. Batal-Jean Maitron). Il continua cependant à militer activement puisque son nom apparut dans l’Humanité du 11 mars 1923 au bas du manifeste « Aux conscrits » qui dénonçait l’occupation de la Ruhr. La justice l’inculpa alors de provocation de militaires à la désobéissance puis prononça un non-lieu le 13 juin. Honel était, avec Rosa Michel et Pierre Provost, un des responsables du mouvement des Enfants, organisation de loisirs et d’éducation prolétarienne. Ajourné par le conseil de révision en 1923 et 1924, il fut incorporé en mai à la 5e compagnie du 519e régiment de chars d’assaut à Metz.
Déjà secrétaire du 7e rayon communiste de la Région parisienne (Levallois, Clichy, XVIIIe et VIIIe arr.) en 1923, il retrouva cette fonction en 1928 et entra au comité régional en 1929. La police l’interpella le 24 mars 1929, salle Reflut à Clichy où se tenait la conférence communiste de la Région parisienne (voir Maurice Ancelle). Le Parti communiste le présenta aux élections législatives d’avril 1928 dans la 5e circonscription de Saint-Denis (Asnières) contre le ministre du Commerce Maurice Bokanowski qui fut élu dès le premier tour. Sur 20 675 inscrits et 17 798 votants, 4 387 électeurs avaient voté pour Maurice Honel et 1 357 pour le socialiste Weil. On ignore les raisons de son absence aux élections législatives partielles du 5 décembre 1928 (candidat Albert Lebouc) et aux élections de mai 1932 où le Parti communiste fut représenté dans la 5e circonscription de Saint-Denis par Mocquard. Son rôle semble discret de 1929 à 1933. L’Album des parlementaires communistes rappelle cependant qu’il était « le 6 février 1934 à la tête d’une colonne de contre-manifestants antifascistes » et que, le 9 février, il prit une part active à la manifestation de la place de la République au cours de laquelle il aurait été interpellé. La police l’appréhenda une nouvelle fois le 12 février devant les usines Hotchkiss et Citroën alors qu’il appelait à participer à la grève générale. Il était un actif militant du syndicat unitaire du Bois.
Maurice Honel fut candidat en deuxième position de la liste communiste, aux élections municipales du 5 mai 1935 à Levallois-Perret. Le Parti communiste le présenta au conseil général dans la deuxième circonscription de Levallois (Porte Champerret), le 26 mai 1935. Il recueillit 1 140 voix sur 5 776 votants et sur 8 146 inscrits, puis se désista en faveur de Perney, vice-président du Parti radical. Pour les élections législatives d’avril-mai 1936. il obtint l’investiture dans la 7e circonscription de Saint-Denis (Clichy-Levallois). Sa tâche n’était pas aisée puisqu’il affrontait deux personnalités issues du mouvement ouvrier : Charles Auffray, maire communiste puis socialiste-communiste de Clichy, et Louis Rouquier maire socialiste puis socialiste indépendant de Levallois-Perret, conseiller général. Au premier tour, le secrétaire du rayon communiste de Clichy se plaça en tête des candidats se réclamant du Front populaire avec 8 080 voix contre 7 351 à Auffray et 1 889 au socialiste SFIO. Jean Itard, sur 33 111 inscrits et 29 876 votants. Élu député au second tour, Honel siégea aux commissions du commerce et de l’industrie, de l’enseignement et des beaux-arts, du suffrage universel, de l’Algérie, des colonies et des pays de protectorat.
Il s’affirma surtout comme un actif défenseur des artisans et des commerçants et présenta des propositions de loi sur la révision des baux commerciaux, l’octroi de délais supplémentaires aux locataires et commerçants menacés de vente ou d’expulsion. Il intervint par ailleurs dans de nombreux débats (voir le détail dans le Dictionnaire des Parlementaires, t. 6).
Maurice Honel fut mêlé de près aux violents incidents qui éclatèrent le 16 mars 1937 à Clichy entre antifascistes et militants du Parti social français qui tenaient une réunion. Cinq militants communistes périrent au cours des affrontements avec la police. Honel étant avec Auffray le signataire de l’affiche qui appelait la population à manifester, il fut poursuivi et cité à comparaître le 24 juin devant la 12e Chambre correctionnelle de Paris. Député d’une circonscription comprenant de nombreuses entreprises, il se fit l’écho, dans une lettre à Maurice Thorez publiée par l’Humanité du 13 mai 1938 (avec une photographie de Honel), de « l’inquiétude grandissante, d’une angoisse même » des ouvriers de l’usine Citroën de Clichy. « Ils souhaitent, disait-il, plus de vigueur et certains expriment le désir d’aller au-delà de la formation du Front populaire par la constitution d’un « front ouvrier » ou d’un « front révolutionnaire ». Le 15 mai, Maurice Thorez tint à répondre longuement à cette lettre surprenante de la part d’un député communiste.
Maurice Honel avait voyagé aux colonies, dans le cadre de ses responsabilités électives lorsqu’il se rendit au Cameroun en 1937 ou, la même année, à des fins purement militantes, quand le PCF le chargea de prendre contact en Indochine avec les dirigeants communistes clandestins. Selon l’historien Pierre Brocheux, il fut chargé de faire éclater l’alliance entre les communistes et les trotskystes vietnamiens, ce qui fut fait en juin (Pïerre Brocheux, Ho Chi Minh, Presses de Sc. Po, 2000, p. 152).
Mobilisé en septembre 1939 à la 6e section de l’Infirmerie militaire stationnée au quartier Oudinot, à Bar-le-Duc (Meuse), Maurice Honel ne manifesta pas son opposition au Pacte germano-soviétique et, selon le témoignage d’Adrien Langumier, il n’était pas résolu à « abdiquer » devant les pressions (G. Bourgeois, op. cit.). Mais, à la séance de la Chambre du 9 janvier 1940, lorsque Lévy-Alphandéry salua dans son discours l’Armée française, il se leva avec l’ensemble de l’assemblée et cinq autres députés communistes tandis que Raymond Guyot, Fernand Grenier, André Mercier et Charles Michels, parlementaires plus proches de la direction clandestine du PCF, restaient assis afin de provoquer un incident. Roger Benenson, Sulpice Dewez, Adrien Langumier, Darius Le Corre et André Parsal, Maurice Honel se désolidarisèrent de ce qui était apparu comme une prise de position antimilitariste. Le député de Clichy avait été comme les autres surpris et son attitude, qui fut interprétée comme une rupture politique de facto avec son parti, fut avant tout le fruit des circonstances.
Maurice Honel annonça sa démission du Parti communiste dans une lettre adressée au président de la Chambre le 11 janvier 1940. Il fut cependant déchu de son mandat de député le 21 janvier 1940. Fait prisonnier de guerre à Dijon, en juin 1940, il obtint sa libération en juillet, grâce à sa qualité de membre des services sanitaires. Maurice Honel vécut chez lui, rue Danton à Levallois-Perret, avant de décider de gagner la zone sud pour s’intégrer au mouvement Libération-sud (réseau Laforgue) et de s’installer dans la région marseillaise. Découvert lorsque son organisation fut démantelée à la fin de cette même année, il ne dut son salut qu’à sa fuite par un balcon. Honel revint alors à Paris où il prit contact avec le Front national par l’intermédiaire d’Henri Krasucki. Il se cacha dans un studio que lui avait fourni Maurice Berkowitz, rue Montcalm, dans le XVIIIe arrondissement, où il ne courait aucun risque jusqu’au jour où une forte bronchite le contraignit à se soigner dans un autre lieu : l’appartement de son père, au 18 de la rue Théophraste-Renaudot, dans le XVe arr. La police arrêta Berkowitz et identifia, d’après son carnet, la planque de la rue Montcalm. Mira, l’épouse de Maurice Honel, y fut arrêtée par hasard le 31 mars 1943 : elle fut battue à la préfecture de police, n’avoua rien, mais les inspecteurs décidèrent, par simple routine, de se rendre au logement du seul Honel qu’ils avaient pu identifier dans l’annuaire du téléphone... Se voyant pris, et persuadé qu’il était arrêté à la suite de l’affaire de Marseille, Honel tenta alors de se trancher la gorge avec un couteau de cuisine. On découvrit à son domicile une lettre récemment adressée à la direction du Parti communiste dans laquelle il revenait sur sa démission et offrait ses services « pour quelque tâche que ce soit » (Arch. Batal-Jean Maitron). Mira fut déportée et soumise à des expériences médicales dans le camp de Ravebsbrück.
Hospitalisé à Necker, Maurice Honel fut ensuite incarcéré trois mois à la prison de Fresnes, puis transféré au camp de Drancy d’où il partit pour Auschwitz le 31 juillet 1943. Il était très proche de l’épuisement lorsqu’il eut la chance de pouvoir être affecté aux mines de Yaworzno où on lui confia la pelure des pommes de terre aux cuisines. Le Comité français de solidarité qu’il fonda permit de sauver des vies et d’améliorer les conditions d’existence des déportés. Le député de Clichy travailla ensuite à l’installation d’une centrale électrique de l’AEG jusqu’au jour de janvier 1945 où l’évacuation du camp fut ordonnée. Le 17 janvier 1945, Honel subit une marche de la mort vers Breslau qui aboutit au camp de Blechhammer. Il s’évada et partit à la rencontre des troupes soviétiques, puis rentra par bateau d’Odessa à Marseille.
il retrouva sa fille qui avait été cachée par Jeanne Dallet à Montigny-sur-long où elle dirigeait la pharmacie du village.
Premier président de l’Amicale d’Auschwitz, Honel se consacra activement au mouvement des déportés au sein de la FNDIRP. Le PCF le réintégra à la base après qu’il eut publiquement fait son autocritique devant la section de Clichy. Une attaque d’hémiplégie l’obligea, en 1948, à cesser toute activité professionnelle et l’essentiel de son action militante. Personnage hors du commun, peintre à ses heures, adepte du yoga dont il avait appris en autodidacte les rudiments dans les années trente, Maurice Honel a laissé de très nombreux poèmes, édités pour certains à plus de quarante ans d’intervalle, et dont les premiers parurent en 1934 dans Commune, revue de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires. Marié à Paris, XIVe arr., le 17 avril 1926 avec Angelica Hafner, divorcé le 20 juillet 1939 et remarié le 11 avril 1940 avec Mira Bojm, Honel eut une fille, Laura.
Une attaque d’hémiplégie l’oblige, en 1948, lui fit cesser toute activité professionnelle et politique
Ajoutons qu’au début des années 1970, Alain Guérin, commentant les démissions des députés communistes, donna une nouvelle version de l’évolution de Honel : « C’est vingt et non vingt et un (députés démissionnaires) qu’il faut écrire, le cas de Maurice Honel, cet ancien dirigeant des Jeunesses communistes devenu député de Clichy-Levallois devant, en effet, être mis à part puisque ce fut sur instruction et pour assurer une tâche clandestine particulièrement délicate qu’il accepta de jouer la comédie du désaveu et de passer pour un renégat » (La Résistance, chronique illustrée, 1930-1950, Paris, 1972-1976, t. 1, p. 327).
Lorsque son livre fut réédité en 2000 aux éditions Omnibus, Alain Guérin apporta des précisions sur les dessous de l’affaire, indiquant qu’il les tenait de l’intéressé lui-même : « La comédie du désaveu, il l’avait jouée à la demande des services secrets soviétiques auxquels il appartenait. […] L’étonnant Honel parla après nous avoir fait promettre de ne rien en dire tant qu’il serait vivant. Il nous raconta comment, enfants, son frère et lui, avaient « sauté sur les genoux de Jules Guesde ». Comment plus tard, ils avaient cru bien faire en aidant la « Guépéou », notamment dans sa lutte clandestine, à Paris, contre les activistes de l’émigration russe blanche, souvent agents nazis. Une aide qui les avait amenés à favoriser l’enlèvement du général Koutiepov […]. Mais une aide que la direction du PCF allait lui reprocher implicitement, sans jamais le dire, en l’écartant de la direction de l’Amicale des anciens déportés d’Auschwitz ou en le confinant au travail syndical parmi les artisans et petits commerçants. »
Par Guillaume Bourgeois, Jean Maitron, Claude Pennetier
ŒUVRE : Prophétie des accouchements, Le Plessis-Robinson, FNDRP, s.d. — Poèmes, Paris, édition à titre posthume, 1982.
SOURCES : Arch. Nat., F7/13119, 24 mars 1929. — Arch. Jean Maitron. — Arch. Ass. Nat. — Arch. PPo. 50, juillet 1922. — Bulletin communiste, 5 octobre 1922. — P. Broué et N. Dorey, « Critique de gauche et opposition révolutionnaire au Front populaire (1936-1938) », Le Mouvement social, n° 54, janvier-mars 1966. — Album des parlementaires communistes, Paris, 1936. — J. Jolly, Dictionnaires des Parlementaires, t. 6. — G. Bourgeois, Le Groupe parlementaire communiste d’août 1939 à janvier 1940 : la question des démissionnaires, Mémoire de Maîtrise, 1979, op. cit.. — J. Varin, Jeunes comme J.C., op. cit. — A. Rossi, Les Communistes français pendant la drôle de guerre, Paris, Les Îles d’or, 1951, 256 p. — Extrait des actes de naissance, Paris IIe arr. de Paris. — Entretien de Guillaume Bourgeois avec Mira Honel, mars 1987. — Notes de Jean-Pierre Ravery.