Par Madeleine Guilbert, Jean Maitron, Antoine Olivesi
Né le 13 septembre 1862 à Marseille (Bouches-du-Rhône), morte en mai 1927 à Marseille ; tailleuse ; syndicaliste du textile avant et après la Première Guerre mondiale, féministe.
Fille de Louis Boucher, mécanicien et d’Anne Arrufat, ménagère, elle épousa le 17 octobre 1885 Robert Augier ajusteur dont elle eut un fils, Joseph, en 1888 (ce sera un militant actif : Augier Joseph, Jean, dit Raymonval). Son mari et sa belle-famille étaient engagés dans le mouvement ouvrier. Elle fut veuve dès la fin des années 1890.
Déléguée du syndicat des tailleuses-lingères de Marseille au VIe congrès de la Fédération de l’Habillement (Limoges, 15-18 août 1906), au VIIe (Avignon, 15-18 août 1908), au VIIIe (Paris, 15-18 août 1908), au IXe (Bordeaux, 15-18 août 1912). Elle fut également déléguée au XVIIe congrès national corporatif — 11e de la CGT (Toulouse, 3-10 octobre 1910).
Au VIe congrès de l’Habillement, elle combattit une proposition de modification aux statuts qui tendait à fusionner les syndicats de métier pour ne constituer, dans chaque ville, qu’un seul syndicat d’industrie. Elle prit également la parole pour déclarer que, les moyens des femmes étant plus réduits que ceux des hommes, elle voterait contre une augmentation de la cotisation fédérale destinée à la propagande. Au cours de la discussion sur la législation, elle demanda que les inspectrices du travail soient recrutées parmi les ouvrières syndiquées.
Elle souhaitait l’interdiction d’employer les jeunes filles au-dessous de dix-huit ans et l’obtention d’un délai-congé de huit jours pour les couturières. Elle aurait voulu que les ouvrières puissent être renseignées sur la législation au moyen d’un affichage clair et précis. Elle demanda que les inspectrices du travail aient le droit de visiter même les placards où parfois on enferme les ouvrières pour les soustraire à l’inspection et qu’elles puissent entrer partout pour empêcher le travail de veillée. Au cours de la discussion sur l’apprentissage, elle s’opposa à la proposition, soutenue par Roche, délégué de la CGT, tendant à ce que les ouvriers refusent de former des apprentis.
Au VIIe congrès de l’Habillement, le syndicat des tailleuses-lingères et similaires de Marseille émit un vœu concernant les accidents du travail. L’indemnité temporaire d’accident du travail, étant proportionnelle au salaire, ne permettait pas à une femme de vivre. En aucun cas, elle ne devrait être, pour une femme, inférieure à 1 f 50 par jour. Le vœu était accompagné de longues considérations : la femme est, jusque dans les milieux syndicalistes, l’objet de préjugés. Elle a cependant, comme l’homme « des bras pour produire, un cerveau pour penser, un cœur pour aimer » et souffre plus que lui de l’exploitation capitaliste. Dans la discussion sur les cotisations, Élisa Augier vota contre une proposition de Toulouse visant à réduire la cotisation des femmes afin de tenter d’augmenter le nombre des ouvrières syndiquées ; elle était cependant opposée aux cotisations supplémentaires destinées à la propagande. Elle se déclara également hostile à la création d’une caisse fédérale de grève.
Au VIIIe congrès de l’Habillement, Élisa Augier présida la 3e séance. Au cours de ce congrès, le syndicat des tailleuses-lingères de Marseille revint sur la question des accidents du travail. À ceux qui reprochaient à ce syndicat de faire, à cette occasion, trop confiance au législateur et pas assez au syndicat. Élisa Augier répondit : « Dans les milieux syndicaux, on ne semble pas toujours bien sympathique aux revendications des femmes. Dans les congrès, on se prononce en faveur du salaire égal pour la femme et pour l’homme, mais on n’applique pas les votes que l’on émet ». Au cours de la discussion sur le travail aux pièces, elle revint sur la question, déjà soulevée au VIe congrès, des apiéceurs qui emploient des femmes « qu’ils exploitent pire que des patrons ».
Toujours au VIIIe congrès de l’Habillement, Élisa Augier intervint au cours de la discussion qui suivit le rapport présenté par le syndicat des coupeurs en cols et cravates sur le « groupement de l’élément féminin », discussion au cours de laquelle s’affrontèrent les partisans des syndicats mixtes et ceux des syndicats féminins. Elle déclara qu’elle « ne [voyait] pas la nécessité des syndicats mixtes. La femme peut très bien s’occuper de ses intérêts ». Elle déclara ensuite : « On dit que les femmes sont ignorantes, mais les hommes ne sont pas beaucoup plus avancés. Si l’on veut que la femme arrive à quelque chose, il faut lui laisser la faculté de faire quelque chose par elle-même et non la tenir en tutelle ».
Lors du IXe congrès de l’Habillement, Élisa Augier intervint, dans la discussion sur la semaine anglaise. Elle fit remarquer que beaucoup d’hommes « dont les filles, les sœurs, les femmes ou compagnes sont employées dans l’habillement négligent de les amener à la Bourse du Travail. C’est là une erreur, une faute même qu’il faudrait signaler au congrès confédéral du Havre ». C’est elle qui présenta le rapport sur l’hygiène et qui demanda que puissent être désignés, dans chaque syndicat, un ou plusieurs délégués qui auraient les mêmes pouvoirs que l’inspecteur du travail.
Au XIe congrès de la CGT, Élisa Augier rappela que le congrès précédent avait voté un ordre du jour concernant le montant de l’indemnité pour accidents du travail. Elle demanda qu’une active propagande soit faite en faveur de la fixation d’un minimum de salaire pour la femme accidentée.
En 1913, Élisa Augier était toujours secrétaire de son syndicat et gérante du bureau de placement gratuit pour femmes à la Bourse du Travail de Marseille. Elle était inscrite au Carnet B.
Pendant la guerre, elle fut secrétaire du syndicat des tailleuses-lingères de Marseille et c’est sous son impulsion que s’organisa dans cette ville, en août 1915, le syndicat des ouvrières du vêtement. Elle fit partie, la même année, d’un comité de défense pour l’application des lois du travail à domicile. En 1918, elle appartenait à la tendance minoritaire de la CGT mais, en 1922, le 1er Mai, elle participa au meeting des majoritaires de la CGT. En 1925, elle était toujours secrétaire du syndicat du vêtement et déléguée à la Bourse du Travail de Marseille pour le bureau de placement féminin.
Élisa Augier assistait régulièrement aux congrès de l’Habillement. Elle était intervenue à celui de Lyon, le XIe, 15-18 août 1919 et elle fut présente au XIIIe, Paris, 28-29 janvier 1923. La déclaration qu’elle fit au XIIe tenu à Lille du 1er au 4 août 1921 mérite d’être retenue (cf. p. 27 du c. rendu ronéoté) : « Pendant la guerre, j’ai été minoritaire, par antimilitarisme, par haine de la guerre ». Aujourd’hui « je suis d’accord avec la CGT […] je reste d’accord avec la Charte d’Amiens et ne veux pas de politique au syndicat. ».
« Amie de première heure » du groupe de l’Union française pour le suffrage des femmes, une des deux grandes associations suffragistes marseillaise, elle y défendit le travail féminin et sa protection. Elle lutta pour la création d’un orphelinat laïque départemental de filles.
Par Madeleine Guilbert, Jean Maitron, Antoine Olivesi
SOURCES : Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, M6/3851, rapport du commissaire spécial des 8 et 9 juillet 1918 ; M6/3860, rapport du 19 juillet 1913 ; XIV M24/60, rapport du 3 juillet ; M6 4833bis, rapports du 31 juillet et du 3 août 1915. — Le Petit Provençal, 17 mars 1919, 2 mai 1922 et 24 octobre 1925. — Indicateur marseillais, 1925. — J. Bonnabel, Le Mouvement ouvrier à Marseille… op. cit. — C. rendu des congrès de la Fédération de l’Habillement. — L’Ouvrier de l’Habillement, août-septembre 1923. — Arnault Masson et Huguette Vidalou-Latreille, « Augier Elisa », Marseillaises, Edisud, 1999, p. 45.