SALVAT Jean, Joseph, Pierre

Par André Balent

Né le 6 mars 1904 à Bourg-Madame (Pyrénées-Orientales), mort le 30 mars 1989 à Bourg-Madame ; cuisinier et hôtelier ; militant du Parti socialiste SFIO ; maire de Bourg-Madame (1945-1965).

La famille paternelle de Jean Salvat était aisée. Des apparentés vivaient aussi à Puigcerdà, de l’autre côté de la frontière. Les Salvat, petits notables, siégèrent souvent au conseil municipal de Bourg-Madame au XIXe siècle. Son père, Pierre Salvat, âgé de 46 ans en 1903, appartenait à une famille d’hôteliers-aubergistes qui, au XIXe siècle, tint à Bourg-Madame —une bourgade née au XVIIIe en Cerdagne, près de la frontière franco-espagnole et de la ville de Puigcerdà, dans l’État voisin — une maison qui acquit une réputation méritée. Sa mère, Rose Saboya était originaire de la Llagonne (Pyrénées-Orientales), en Haut Conflent où son grand-père maternel était ouvrier maçon. Jean Salvat perdit son père à l’âge de huit ans. Il reçut les sacrements catholiques, du baptême à la confirmation. Il fréquenta d’abord l’école primaire de Bourg-Madame, mais à la mort de son père, il fut confié à son oncle, le frère de sa mère, instituteur à Perpignan (Pyrénées-Orientales) qui fut directeur d’écoles réputées de cette ville, Paul Bert et Jules-Ferry. Il eut comme instituteur Pierre Gineste* un militant socialiste, qu’il qualifiait en 1984 de « brillant pédagogue ». Bon élève, il avait un an d’avance et passa le certificat d’études à onze ans. Dans la foulée, il présenta le concours d’entrée à l’EPS de Perpignan. Le 3 juin 1922, le conseil municipal de Bourg-Madame vota une bourse d’études en faveur de Jean Salvat, afin qu’il poursuivît ses études à l’EPS de Perpignan. Il fréquenta cet établissement pendant deux ans à l’issue desquels il prépara le concours d’entrée à l’école des Arts et Métiers. Il fut reçu.

Mais il avait promis à sa mère de prendre en charge l’hôtel-restaurant familial. À l’âge de quatorze ans, à la fin de la Première Guerre mondiale, il préféra cependant partir à Paris, où il travailla comme cuisinier. Il adhéra alors à une organisation corporative, la Société des cuisiniers de la ville de Paris. En 1919, il travailla à Deauville puis fit des « saisons » sur la Côte d’Azur, à Nice (il travailla au Negresco sous la direction d’un chef cuisinier réputé, Auguste Escoffier) et à Monte-Carlo. L’hiver, il revenait à Paris à Paris et fut employé dans divers restaurants dont le Palais de la Jetée et Maxim. Il fit également un stage au buffet de la gare de Liverpool (Royaume-Uni). À l’issue de ces « stages pratiques », il fréquenta pendant deux ans le cycle supérieur de l’école hôtelière de Toulouse (Haute-Garonne).

Sursitaire, il fit son service au 156e RI à Herrensbrendstein près de Coblence (Rhénanie). Soldat de 2e classe, il refusa de suivre l’EOR.

Jean Salvat fut une des figures de Bourg-Madame dans les années 1930-1960. Jusqu’en 1935, il ne venait à Bourg-Madame que pendant les mois de juillet et août, retournant à Paris pendant l’hiver. À partir de 1935-1936, il prit en mains, aidé par ses sœurs, les destinées de la célèbre Hostellerie cerdane (maison Salvat) que son père avait su développer. Au plan politique, il sympathisa avec le mouvement socialiste, dès ses séjours parisiens, au début des années 1930. Il affirma, dans un entretien oral, avoir connu Marceau Pivert dont il suivait les meetings et appréciait les positions. Élu conseiller municipal de Bourg-Madame, le 12 mai 1929, Jean Salvat s’engagea, toujours plus, au nom de l’antifascisme. Il fut impliqué personnellement dans la dynamique locale du Front populaire qui se manifesta dès 1935, dans ce bastion modéré qu’était Bourg-Madame, y compris avec la participation active de Jean Rous*, neveu du député de la circonscription, Joseph Rous*.

Dans un entretien oral, en 1984, Salvat affirma avoir employé, avant le début de la Guerre civile espagnole, dans son hôtel, Antonio Martín alias le « Cojo de Málaga », militant de la FAI et de la CNT, originaire d’Estrémadure et établi à Puigcerdà. À ce moment-là, il ne nourrissait aucune animosité, au contraire, vis à vis de cet activiste anarchiste, toujours à la recherche d’emplois, des deux côtés de la frontière. Il connut aussi un important activiste de la FAI, Joan Jordà, alias « Penja Robes », qui joua un rôle important et controversé pendant les premiers mois de la guerre civile à Puigcerdà. S’étant brouillé avec Martín, Jordà se réfugia à Bellver, tenue par l’ERC : Salvat pensait à tort que « Penja Robes » avait abattu le 27 avril 1937 son ancien compagnon Martín et pensa qu’il s’était mis du côté de celui des nationalistes catalans alors que, plus vraisemblablement, il avait rejoint le PSUC.

La Guerre Civile eut un profond retentissement à Bourg-Madame et en Cerdagne française et ce parce que Puigcerdà fut le théâtre de tragiques événements. Connu pour ses actions aussi controversées que sanglantes à Puigcerdà et en Cerdagne espagnole, du 18 juillet 1936 au 27 avril 1937, date à laquelle il fut abattu par les villageois de Bellver, localité cerdane qu’il tentait de contrôler, Antonio Martín et ses partisans contribuèrent à jeter le discrédit sur le camp républicain en Cerdagne française. Une partie des modérés du crû, dont le maire de Bourg-Madame le pharmacien Thomas Casals, se radicalisèrent rapidement à l’extrême droite, et devinrent d’autant plus des soutiens actifs de la rébellion franquiste qu’ils avaient des parents à Puigcerdà qui furent la cible, et parfois les victimes des anarchistes. La gauche cerdane dut se positionner. Si l’hostilité de Salvat (ami pourtant des pivertistes, favorables au soutien des anarchistes de Puigcerdà (Voir Delcamp Georges, Forgas Isidore) et de son ami Jean Ribot* à l’égard de Martín et des faistes de Puigcerdà était totale, ils n’ignoraient pas qu’il y avait d’autres composantes dans le camp républicain. Ils s’opposèrent alors frontalement au maire de Bourg-Madame, localité qui fut aux premières loges de la Retirada de février 1939. La 26e division de l’armée républicaine (l’ancienne milice Durruti) reflua en Cerdagne française. Salvat mit à disposition des réfugiés son hôtel, ses remises et des locaux agricoles.

En 1937, Jean Salvat et son ami Jean Ribot furent désignés comme candidat de la SFIO par le congrès cantonal (canton de Saillagouse) du 13 septembre 1937. La section SFIO d’Err, représentée par Pierre Saury*, défendit la candidature du sortant, Barthélemy Lledos, président du conseil d’arrondissement de Prades. Mais l’étoile du maire d’Err avait pali dans la SFIO cerdane dont les militants votèrent l’investiture de Jean Salvat et de Jean Ribot. Le 10 octobre 1937, tous deux affrontèrent donc Thomas Casals, (712voix) autre conseiller sortant et maire de Bourg-Madame, et Michel Aris (735 voix), minotier qui furent furent élus au premier tour. Jean Salvat et Jean Ribot obtinrent respectivement 352 et 358 voix et les communistes Sauveur Rougé* et François Vidal* 232 et 230.

Avant 1939, Jean Salvat a soutenu alternativement le « tandem » Jean Payra* /Georges Pézières* et Joseph Rous*, le député de la circonscription à laquelle était rattachée la Cerdagne. Il se souvenait en 1984 avoir été en accord avec Paul Faure, sans approuver, toutefois, ses choix lors de la conférence de Munich (1938).

Mobilisé en 1939, au 3e bataillon de Chasseurs pyrénéens, formé à Mont-Louis (Pyrénées-Orientales), il suivit cette unité en 1939-1940. D’abord postée dans les Pyrénées-Orientales, dans la plaine du Roussillon —Salvat fut d’abord à Saint-Cyprien puis à Laroque-des-Albères— , le 3e BCP fut acheminé à Pontarlier (Doubs) puis à Giromagny (Territoire de Belfort) où il fut fait prisonnier de guerre en juin 1940, le capitaine Llense, un ancien instituteur, ayant fait déposer les armes. Il demeura en captivité au stalag 2 A à Neubrandenburg (Mecklenburg) — il fut compagnon de captivité de Marceau Banyuls, militant socialiste et maire de Collioure (Voir Combeau Paul) — jusqu’à ce qu’il fut délivré par l’Armée rouge. Après avoir séjourné dans un « centre de tri » à Gnevsdorf (Mecklenburg), il ne put être de retour à Bourg-Madame que le 24 mai 1945.

Pressenti comme maire par le CLL de Bourg-Madame pour remplacer Thomas Casals réfugié en Espagne car lourdement compromis, avec ses fils, dans la collaboration Jean Salvat fut élu maire le 10 juin 1945 et fut constamment réélu en 1947, 1953, 1959 et 1965. Le 5 septembre 1965, le conseil municipal ne l’élut pas délégué sénatorial. Mis de la sorte en minorité, il renonça, le 12 septembre 1965, à son mandat de maire et à ses fonctions de conseiller municipal.

Le 5 août 1949, lors d’une séance extraordinaire du conseil municipal, Jean Salvat dut s’opposer en personne à un projet de délibération signé par des conseillers qui demandait le retour de l’ancien maire collaborationniste Thomas Casals réfugié en politique en Espagne avec trois de ses fils miliciens et Francs Gardes dont deux condamnés à mort par contumace pour participation à l’attaque et à la destruction de Valmanya, en Conflent, avec les Allemands (3 août 1944) : « (…) Considérant que les signatures ont été obtenues de façon déloyale, discourtoise vis à vis du maire et à son insu,
Considérant que M. Cazals (sic, pour Casals) fils a déclaré à certains conseillers municipaux que M. le maire donnerait son avis favorable au retour de son père M. Cazals Thomas ce qui constitue une manœuvre de chantage tendant à désolidariser les membres du conseil municipal et de son maire ?
Considérant que cette délibération a été présentée afin de semer la confusion dans la région et à ridiculiser le maire,
Considérant que durant l’occupation, M. Cazals Thomas a eu une attitude antifrançaise et anti républicaine (…) réprouve les agissements de M. Cazals fils, déclare nulle et non avenue la délibération présentée par son fils ».

Après la guerre, il se détacha peu à peu de la SFIO. Dans la querelle qui opposa Arthur Conte* à Louis Noguères* qui déchira la SFIO des Pyrénées-Orientales au début des années 1950, il prit partie pour le député maire de Thuir. En août 1984, il estimait être resté fidèle à ses idéaux politiques de jeunesse.

À partir de 1945, il participa à la rénovation de Bourg-Madame. Salvat vendit son hôtel-restaurant à Font-Gavalda. Ce dernier le vendit à son tour à la CCI de Perpignan. Il fut envisagé d’en faire une école hôtelière. Après la mort de Jean Salvat, celui qui lui succéda en 1965, Joseph Calvet, fit racheter l’« Hostellerie cerdane » par le conseil municipal qui fit détruire le bâtiment, remplacé par un parking municipal.

Jean Salvat était demeuré célibataire.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article87932, notice SALVAT Jean, Joseph, Pierre par André Balent, version mise en ligne le 4 juillet 2010, dernière modification le 4 novembre 2022.

Par André Balent

SOURCES : Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 3 M 382 (élections cantonales d’octobre 1937). — Arch. com. Bourg-Madame, état civil, registre des délibérations. —André Balent, « Frontière, négoce, contrebande, espionnage et politique : un notable cerdan de la première moitié du XXe siècle, Barthélemy Lledos (1884-1951) », Études roussillonnaises, XIV, Perpignan, 1996, pp. 129-150 [en particulier, p. 141, note 4]. —André Balent, « Joan Jordà « Penja Robes » (1897-1951), la Guerre Civile espagnole, son retour en Cerdagne française », Records de l’Aravó, 4, Latour-de-Carol, 2007, p. 6-10. — André Balent, "La mémoire des Première et Deuxième guerres mondiales à Bourg-Madame (Pyrénées-Orientales). Réfexions autour d’un monument aux morts", Le Midi Rouge, 12, Montpellier, 2008, pp. 19-25. — Le Socialiste des Pyrénées-Orientales, Perpignan, 13 septembre 1937. — Entretien avec Jean Salvat, Bourg-Madame, Hôtellerie cerdane, 24 août 1984. — Enquête orale en Cerdagne française, 2004-2008. — Courriels d’Éric Marty de Bourg-Madame ("Éric el català"), 20 Août 2020.

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