Par Jacques Debesse
Né le 23 mai 1920 à Paris (IXe arr.) ; ouvrier vérificateur téléphoniste ; permanent de la JOC (1941-1942) ; secrétaire général du syndicat CFTC des ouvriers de la Métallurgie de la Région parisienne (1948) et de l’UPSM (1949-1957), président de l’URP-CFTC puis CFDT(1961-1971), conseiller technique de l’UNIRS (1957-1983), président fondateur du SNORCO (CFTC puis CFDT).
Fils d’un enfant de l’Assistance publique, artisan chauffeur de taxis, sans croyance religieuse, décédé en 1953, et d’Isabelle Delage, cravatière puis ouvrière à la biscuiterie Gondolo à Maisons-Alfort (Seine, Val-de-Marne), catholique fervente, décédée en 1959, Roger Gillot étaitl’aîné de trois enfants (une sœur née en 1928 et une plus jeune décédée en bas âge). Il fréquenta l’école primaire de son quartier (Paris, IXe arr.) puis fut admis en 1932 à l’École supérieure et professionnelle de garçons d’Arsonval à Saint-Maur-des-Fossés (Seine, Val-de-Marne). Au bout de trois ans, trop jeune pour s’inscrire à l’examen du brevet professionnel, il redoubla la classe de troisième (option électricité), mais en cours d’année scolaire, en février 1936, il entra comme apprenti à Thomson-Houston-Téléphone, 251 rue de Vaugirard à Paris, composé de 2 500 salariés. Les grèves de 1936 lui firent découvrir le mouvement ouvrier. Occupant l’usine une nuit sur deux, il consacrait ses matinées à reprendre ses cours. Il obtint ainsi les brevets élémentaire et professionnel, ce qui lui valut de devenir ouvrier vérificateur téléphoniste.
Catholique pratiquant, enfant de chœur jusqu’à l’âge de seize ans, Roger Gillot qui avait entendu le cardinal Verdier, archevêque de Paris, inviter à adhérer au syndicat chrétien, s’engagea à la CFTC en 1936, à la section paroissiale de Charentonneau à Maisons-Alfort où il ne resta qu’un an. Sollicité par un ami, il entra à la JOC en 1938 à la section de Maisons-Alfort, créée après le rassemblement du Parc des Princes en 1937, et devint en 1939 responsable fédéral de Paris-Est. Ayant contracté la tuberculose en mars 1940, contraint de séjourner au sanatorium de Saint-Martin-du-Tertre (Seine-et-Oise, Val-d’Oise), il y créa une section JOC qu’il anima jusqu’en mai 1941. Une fois déclaré « consolidé », il reprit ses activités fédérales et professionnelles. Il devint aussitôt membre du secrétariat national de la JOC, d’octobre 1941 à octobre 1942, étant permanent avec la responsabilité des malades et des prisonniers en zone Nord occupée.
Restreignant ensuite ses activités aux malades d’Île-de-France, il eut à nouveau des responsabilités fédérales à Paris-Sud-Ouest, car sa famille avait déménagé à Vanves (Seine, Hauts-de-Seine). Son passé de tuberculeux lui permit d’échapper aux réquisitions du STO et de se consacrer à la JOC, notamment d’obtenir, par l’intermédiaire d’un aumônier jociste, de faux certificats de baptême pour deux camarades juifs et d’impulser des Équipes d’entraides ouvrières (EEO), reconnues par les mairies et les mouvements de résistance, pour l’aide et la distribution de nourriture aux plus démunis.
À la Libération, Roger Gillot débuta son activité syndicale au sein de Thomson-Houston. À l’occasion de la venue dans l’établissement de Joseph Dumas*, membre du bureau confédéral de la CFTC, au titre de l’Union régionale de Paris, et du Comité parisien de Libération, il se présenta comme membre de la CFTC – bien que n’ayant pas encore repris sa carte – et accepta de faire partie comme titulaire ouvrier, avec le suppléant Georges Levard*, employé, d’une commission paritaire du Comité d’épuration sous l’égide du CNR. Il fit en sorte qu’une section syndicale CFTC fût créée à la Thomson et rassemblât adhérents et adhérentes. Il contribua au débat qui traversa la CFTC « pour ou contre » les syndicats mixtes. Secrétaire de cette section début 1945 et conseiller du Syndicat chrétien des ouvriers de la métallurgie et parties similaires de la région parisienne, il devint le 1er janvier 1946 secrétaire permanent sur sollicitation de Lucien Léonard*, secrétaire général de l’Union des syndicats ouvriers de la région parisienne.
Le 18 juin 1948, Roger Gillot remplaça Léon Bilger*, secrétaire général du syndicat CFTC des ouvriers de la Métallurgie de la Région parisienne. Les négociations avec le groupe patronal de la métallurgie région parisienne (GIMMCRP) pour mettre en application les nouvelles grilles de classification dites Parodi-Croizat, concernant l’ensemble des catégories professionnelles, sauf les cadres lui firent très vite ressentir la nécessité d’une structure intercatégorielle qui fasse le poids face au patronat et vis-à-vis de la CGT, organisée en syndicats locaux de la métallurgie. Le débat interne dans la CFTC pour la mise en place des fédérations d’industrie en lieu et place des fédérations catégorielles était d’ailleurs déjà engagé par les « minoritaires ». Le 29 janvier 1949, l’Union parisienne des syndicats de la métallurgie (UPSM-CFTC) était créée par trois syndicats fondateurs, affiliés à la Fédération générale de la Métallurgie (FGM-CFTC) : le syndicat (ouvriers de la métallurgie) dont Roger Gillot était le secrétaire général, le Syndicat général des agents de maîtrise, techniciens et employés de la métallurgie fondé en 1937 (distinct du syndicat des employés de la métallurgie qui restait affilié à la fédération des employés) et le syndicat de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie (BJO) datant de 1903. Cinq secteurs industriels étaient définis : automobile, mécanique générale, construction électrique, aéronautique et BJO.
Roger Gillot, nommé secrétaire général de l’UPSM, allait assumer cette responsabilité jusqu’au 31 décembre 1957. Les négociations avec le patronat de la métallurgie parisienne à l’issue des grèves de février 1950 furent déterminantes pour la maturité de la jeune union professionnelle. La loi de 1949 remettant en vigueur les conventions collectives suscita un immense espoir chez les salariés qui revendiquèrent des augmentations de salaire liées à la forte inflation. Quatre semaines de grève dans la plupart des entreprises de la métallurgie en région parisienne ne débloquèrent pas l’intransigeance du patronat qui se cantonnait à 5 % de progression salariale, jugés ridicules par les grévistes et les syndicats. Une négociation s’ouvrit avec difficulté. Roger Gillot conduisit la délégation CFTC qui, après débat dans les syndicats de l’UPSM, signa l’accord du 31 octobre 1950. Modeste sur l’augmentation des salaires réels, l’accord prévoyait une refonte complète des grilles de classification, surtout favorable aux mensuels, avec des salaires minima fortement révisés et une clause contractuelle de renégociation des minima lorsque l’évolution du coût de la vie franchirait le seuil de 5 %. Pour la première fois dans la métallurgie parisienne, la CFTC décidait de ne pas se conformer à la position de la CGT non signataire. Un éditorial de Benoît Frachon dans l’Humanité, qualifia ainsi Roger Gillot de « traître à la classe ouvrière pour avoir signé dans le dos de la CGT ». Cet accord allait faire tache d’huile dans bon nombre de régions, préludant les futures conventions collectives territoriales de la métallurgie.
Lors du XXIIe congrès à Paris les 22 et 23 mai 1947 de la Fédération générale de la Métallurgie CFTC, Roger Gillot entra au bureau et y fut reconduit à chaque congrès fédéral jusqu’à celui de Grenoble (7-9 septembre 1951) au cours duquel il ne se représenta pas. Convaincu d’une nécessaire complémentarité entre le syndicalisme professionnel et interprofessionnel, il était entré au conseil de l’Union régionale parisienne des syndicats chrétiens en 1946. Présenté par l’URP, il fut élu au conseil confédéral par le congrès de la confédération de 1953, mais il ne fut pas reconduit au congrès suivant en 1955 – conséquence d’une virulente contestation de la direction confédérale qui, par accord du 20 août 1953 avec le gouvernement par médiation du Mouvement républicain populaire (MRP), avait stoppé la grande grève d’août 1953 dans la fonction publique, soutenue par des syndicats du privé dont ceux de l’UPSM. Roger Gillot fit partie des militants chrétiens qui combattirent l’alliance de la CFTC avec le MRP au nom du syndicalisme libre et affranchi de toute obédience politique. Il « secoua » la machine régionale gérée comme une structure administrative sans identité propre. Une alliance minoritaire prit forme, dont l’UPSM fut une des forces motrices, pour briser la triple résistance sur l’indépendance, la réforme des statuts et la déconfessionnalisation, afin de transformer la CFTC régionale en une réelle structure d’action syndicale.
Lorsqu’un conflit éclata entre la coalition des syndicats dits minoritaires et la direction de l’URP au congrès des 2 et 3 mars 1957, Roger Gillot émit de vives critiques sur le fonctionnement de l’Union. Il demanda au congrès extraordinaire du 30 novembre 1957 la convocation « d’une table ronde » pour sortir de la crise. Plusieurs tables rondes eurent lieu. Leur esprit et leur teneur provoquèrent la démission dès juillet 1958 du président de l’Union, Pierre Forray*. L’ensemble de la CFTC était alors en pleine tourmente avec l’appel à la manifestation parisienne du 28 mai 1958 contre le coup de force des ultras à Alger et les menaces de putsch. Le trouble était d’autant plus vif que Gaston Tessier, ancien président de la CFTC, était en tête de cortège avec à son bras Roger Gillot aux côtés de Pierre Mendès France* et Édouard Depreux. Bien que la décision d’appel à la manifestation fût décidée à l’unanimité du bureau de l’URP en accord avec la confédération, la plupart des syndicats de fonctionnaires CFTC ainsi que des secteurs locaux d’employés s’y opposèrent et s’insurgèrent contre l’emploi des termes « fascismes » et « factieux » du communiqué d’appel du 14 mai. Ces tables rondes se conclurent par un nouveau congrès extraordinaire en deux temps, les 18-19 octobre 1958 puis le 6 décembre 1958. Dans un climat délétère, le congrès refusa à une courte majorité la suppression du terme « chrétien » dans l’appellation officielle de l’URP, mais un compromis fut finalement voté : de nouvelles règles statutaires furent adoptées, et les syndicats minoritaires entrèrent au bureau. Roger Gillot présenta une motion au nom de 41 syndicats mandatant le futur conseil pour orienter l’activité de l’Union.
Conscient de la précarité du syndicalisme en région parisienne et des enjeux dans le contexte politique et social, Maurice Bouladoux et Eugène Descamps, respectivement président et futur secrétaire général de la confédération, en accord avec les nouveaux responsables parisiens, sollicitèrent Robert Duvivier, alors secrétaire général de l’UD d’Ille-et-Vilaine, pour monter à Paris et devenir délégué général de l’URP-CFTC. Au conseil du 27 octobre 1959, celui-ci fut confirmé dans ses fonctions et Roger Gillot devint vice-président chargé de l’animation du secteur fonctionnel, propagande et organisation. Leur collaboration allait être fructueuse. Il revint ainsi au conseil confédéral, il allait y siéger jusqu’en 1970.
Lors du conseil du 8 décembre 1961, par 34 voix pour et 2 bulletins blancs, 20 conseillers ne prenant pas part au vote, Roger Gillot fut élu président de l’URP-CFTC. À la tête de toutes les réformes de l’Union depuis 1947, il s’était engagé dans le processus de déconfessionnalisation et le soutien au peuple algérien. Actif dans l’ancienne minorité avec le don de la médiation et du compromis, à l’initiative de la table ronde en 1958, le nouveau président déclara au moment de son élection « vouloir s’efforcer de convaincre plutôt que de rejeter, veiller au jeu normal de la démocratie syndicale dans la consultation, l’analyse, la décision, l’exécution […], démasquer et exclure de la CFTC les partisans de l’OAS […], lutter contre tous les fascismes ». Au bureau régional du 25 mai 1970, il annonça son intention de quitter la présidence de l’URP-CFDT pour mettre un terme à l’exercice de responsabilités très pesantes. Son départ fut effectif le 23 janvier 1971. Robert Duvivier lui succéda et Guy Gouyet* devint le nouveau secrétaire général.
Sous sa vice-présidence puis sa présidence, le syndicalisme CFTC-CFDT en région parisienne avait traversé des événements tels que la guerre d’Algérie avec des positions de plus en plus affirmées pour la paix et contre l’OAS (ce qui lui avait valu des menaces de mort). Il avait surmonté l’épreuve de la déconfessionnalisation, et s’était affranchi de la tutelle confédérale avec des positions spécifiques, notamment lors des grandes grèves de Mai 68, à l’occasion des congrès confédéraux traitant des choix de société et des orientations vers le socialisme démocratique et antérieurement par l’appel à la manifestation de Charonne du 8 février 1962 à laquelle la confédération n’était pas favorable ; il s’était engagé sur la voie de la décentralisation par la création des sept Unions départementales à la suite du découpage administratif de l’Île-de-France.
Parallèlement à son intense activité syndicale en région, Roger Gillot assumait également depuis plusieurs années des responsabilités importantes dans l’univers des retraites complémentaires et de l’assurance vieillesse. Lorsque l’Union nationale des institutions de retraite des salariés (UNIRS) fut fondée, il en devint conseiller technique au titre de la confédération du 1er octobre 1957 jusqu’en 1983. Il quitta alors son statut de permanent syndical et sa responsabilité de secrétaire général de l’UPSM, remplacé par André Téqui* au 1er janvier 1958. Il fonda le Syndicat national des organismes de retraites complémentaires (SNORCO CFTC puis CFDT) qu’il présida, négocia et signa la convention collective inter-caisses de retraites complémentaires en 1974. Il fut secrétaire confédéral au secteur « action professionnelle et sociale » et anima la commission confédérale des retraites complémentaires de 1958 à 1970. Il présenta un rapport de la commission sociale confédérale, lors du conseil confédéral de juin 1965, qui préconisait le rapprochement des institutions de retraites complémentaires et la fusion du régime général de la CNAV avec les régimes particuliers. Il fut également administrateur de la Caisse régionale d’assurance vieillesse de la Sécurité sociale (région parisienne) en 1963, puis de la Caisse nationale d’assurance vieillesse jusqu’en 1981.
Victime d’une grave affection cardiaque, il subit un quadruple pontage coronarien en 1980 et prit sa retraite en 1983, devenant membre de l’Union confédérale des retraités et président de l’Union des retraités de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) où il résidait à « l’Habitat communautaire ».
Roger Gillot avait adhéré au MRP en 1945 mais n’y était resté qu’un mois. En 1971, il avait rejoint les rangs du PS et n’avait pas renouvelé son adhésion après le congrès de Rennes en 1990.
Marié le 15 septembre 1945 avec Jacqueline Bonnet qu’il avait rencontrée lors des ses activités jocistes à Vanves, il eut trois enfants : Marie-Josephe née en 1946, Christine née en 1950 et François né en 1952. Sa femme dactylographia les premiers bulletins du groupe Reconstruction et assura bénévolement, pendant de nombreuses années, le secrétariat du Syndicat Renault des travailleurs de l’automobile (SRTA CFTC puis CFDT). Elle mourut en novembre 2005.
Le couple avait fait partie de l’Action catholique ouvrière (ACO) à partir de 1950.
Par Jacques Debesse
SOURCES : Arch. UPSM et confédérales, interview enregistrée, 16 juin 1996, par Louisette Battais. — Solidaires, revue de l’URP-CFDT, 373, novembre 1994. — Jo Bibard, Faire l’histoire ensemble. La CFDT en région Île de France 1887-1990, Beaune, La Toison d’Or éditions, 2007. — Entretien avec sa fille Marie-Josèphe, 25 novembre 2009, contribution écrite de sa fille Christine.