MERCADER Félix

Par André Balent

Né le 30 avril 1892 à Perpignan (Pyrénées-Orientales), mort le 11 mars 1949 à Perpignan ; architecte ; résistant (Libération-Sud) ; militant de la SFIO, maire de Perpignan de 1944 à 1949.

Félix Mercader
Félix Mercader
Collection de l’OURS

Fils de Jean, Ignace Mercader, marchand tapissier à Perpignan domicilié 6 rue du jardin botanique et de Joséphine, Augustine, Félicie Féraud, une Provençale, âgés respectivement de 41 et 33 ans, Félix Mercader fit ses études secondaires au collège de garçons (futur lycée François-Arago) de Perpignan. Il fit également toute sa carrière professionnelle dans sa ville natale. Il habita successivement 1 bis, rue traverse du Ruisseau (avant 1914) ; 5, rue Alphonse Daudet, de 1928 à 1934 ; 4, boulevard des Albères, à partir de décembre 1934, dans l’immeuble dont il dressa les plans situé dans le nouveau quartier du sud-ouest de Perpignan que l’on était en train d’urbaniser après la démolition de ce secteur des remparts de la ville.

Félix Mercader effectuait son service militaire au 53e RI (le régiment de Perpignan) depuis 1913 lorsqu’éclata la Première Guerre mondiale. Caporal depuis le 8 avril 1913, il partit au front le 7 août 1914. Il fut blessé à Flirey, le 29 septembre 1914, atteint par une balle qui lui traversa la jambe droite et provoqua une plaie suppurante. La participation à ce combat lui valut sa promotion au grade de sergent et une citation du corps d’armée avec les commentaires suivants : « Excellent gradé. A fourni à plusieurs reprises la preuve d’un courage et d’une énergie à toute épreuve. Blessé à la jambe au moment où il conduisait sa section à l’assaut, a, malgré sa blessure, continué à commander ses hommes jusqu’à ce que l’objectif soit atteint. » La croix de guerre avec médaille de vermeil lui fut attribuée. Versé dans le service auxiliaire, il y fut maintenu jusqu’au 28 novembre 1915. Au front dès le 29, il n’y demeura pas car il gagna à nouveau l’intérieur, dans le service auxiliaire, le 31 décembre. Appelé à nouveau au front, à partir du 6 octobre 1916, il y resta jusqu’au 25 septembre 1917. La commission de réforme de Perpignan le déclara « inapte provisoirement, à la zone des armées » le 13 septembre 1918. Le 13 octobre 1919, la commission de réforme de Béziers (Hérault) le maintint au service auxiliaire avec une pension temporaire de 20 %. Meurtri dans sa chair par la guerre, celle-ci ne lui inspirait que dégoût. Certains de ses articles dans la revue professionnelle départementale Lo Mestre d’Obres (ainsi dans le n° 13 de juin-juillet 1935 son article sur la défense passive) laissent transparaître ses convictions pacifistes. Concerné par la guerre civile espagnole, ce militant socialiste et pacifiste, analysait en expert, dans le n° 45 de mai-juin 1938, « L’effet des bombardements aériens sur les immeubles » de Figueres ou Port-Bou, localités de l’Ampourdan voisin (qu’il connaissait et où il avait des amis) ou, même, de Cerbère, commune roussillonnaise frontalière touchée par l’aviation allemande au service de Franco, le 26 mai 1938.

Avant la Seconde Guerre mondiale, il milita dans le mouvement des anciens combattants. Il fut trésorier départemental de la Fédération des mutilés des Pyrénées-Orientales (Union fédérale des Anciens combattants, UFAC). Il fut également président départemental de l’UFAC. Il était l’un des rédacteurs de son bulletin départemental, La Voix des poilus.

Le 10 octobre 1918, il épousa à Perpignan Marie, Thérèse, Madeleine Bernet, sans profession, née à Fourques (Pyrénées-Orientales), le 20 septembre 1896. Ils eurent deux enfants. L’aîné, Henry Mercader* (1920-1993) s’illustra principalement pendant la Résistance et comme animateur d’associations à finalités éducatives et sociales. Le second fils de Félix Mercader et de Marie-Thérèse Bernet, Robert (1928-1994) émigra aux États-Unis.

Au début des années 1920, Félix Mercader fut formé par Henry Sicart dont il fut le collaborateur au début de sa carrière et avec qui il réalisa, entre 1922 et 1924, la reconstruction de l’église de Théza (Pyrénées-Orientales). Plus tard, établi à son compte, il avait deux cabinets, l’un à Perpignan et l’autre à Prades. Mu par des préoccupations sociales et hygiénistes, il se fit le chantre (dans de nombreux articles de Lo Mestre d’Obres) et le réalisateur des équipements ruraux (réseaux d’adduction d’eau, d’égouts, de salles municipales) ou urbains (voirie de Perpignan, habitat social, colonies de vacances comme celle de « la Mauresque », près de Port-Vendres, évoquée en 1936 dans le n° 20). Mais l’une des réalisations dont il était le plus fier était celle, en collaboration avec Samuel Banyuls (frère de Marceau Banyuls*), du pont-siphon de Villefranche-de-Conflent, moderne dans sa conception (et toujours fonctionnel en 2013), qui permit d ‘« économiser » 5 km de trajet en terrain calcaire et difficile à un canal d’irrigation du Conflent, long de 62 km construit sous le Second Empire auquel il consacra un important ouvrage à la fois technique et historique en relatant sa construction, au XIXe siècle (L’Histoire mouvementée du canal de Bohère, Perpignan, 1933, 127 p., préface de Joseph Rous*, député SFIO des Pyrénées-Orientales).

Dans sa vie professionnelle, il s’illustra, dans les années 1930, pour avoir animé la revue Lo Mestre d’Obres, lieu d’expression de la féconde école architecturale perpignanaise qui s’épanouit dans ces années-là (voir aussi Lloansi Cyprien*). Il fut le gérant de cette revue mensuelle créée en 1934 qui proposa des solutions originales aux problèmes de la construction de maisons individuelles, de l’habitat collectif et de l’urbanisme.

Intéressé par le patrimoine monumental roussillonnais, il publia dans cette revue une série d’articles, assez éclectiques du point de vue des problématiques abordées. Il s’intéressa aussi au sort du monument perpignanais le plus imposant, le palais des rois de Majorque, propriété de l’armée jusqu’en 1946.

Félix Mercader adhéra au Parti socialiste SFIO dès 1920. Il fut candidat aux élections municipales de mai 1929 à Perpignan sur la liste socialiste SFIO conduite par Jean Payra. Battu au second tour, il se représenta aux élections municipales de mai 1935, sur la « liste socialiste Payra » et fut élu. Conseiller municipal, il ne cessa de s’intéresser aux problèmes d’urbanisme et d’habitat social. Il fut déchu de son mandat, le 1er décembre 1940, en même temps que les élus socialistes et radicaux de 1935.

En contact avec le mouvement Libération, auquel il adhéra, puis avec les MUR, Félix Mercader ne joua cependant pas un rôle de premier plan dans la Résistance perpignanaise. Il dut cependant s’éloigner à trois reprises de la ville car il se savait menacé par la police de Vichy puis par la Gestapo. La demeure familiale de sa femme à Fourques fut un premier "abri" tout relatif. Mais, pour se faire "oublier", il se réfugia momentanément à Levier (Doubs), chez un ami proche, Clovis Saulnier, pépiniériste. Approché par le chef départemental des MUR, Camille Fourquet*, il accepta d’être maire de Perpignan à la Libération. En effet, Fourquet, président du MLN des Pyrénées-Orientales ne voulait surtout pas que le maire désigné fût un affidé du « clan » socialiste local dont le chef de file était Louis Noguères*, qu’il détestait. Brice Bonnery*, adjoint de Payra, décédé en 1937, aurait dû occuper ce poste. Mais, ami de Noguères, il fut écarté par Fourquet qui pensa ensuite à l’avocat Louis Baixas qui se désista, avant que Mercader ne finisse par accepter. Le 19 et le 20 août 1944, Félix Mercader participa à la Libération de Perpignan et prit possession de l’hôtel de ville, en sa double qualité de maire désigné et de président du CLL. Cet organisme se réunit la première fois sous sa présidence le 4 septembre 1944. Le lendemain, il se transformait en conseil municipal et s’élargissait. Les élections municipales d’avril-mai 1945 à Perpignan provoquèrent la crise qui entraîna peu après le discrédit puis la disparition du CDL. Socialiste, Mercader accepta de jouer le jeu des « listes uniques » que proposaient Camille Fourquet et le PCF et que refusa la SFIO reprise en main par Louis Noguères. Sa « liste commune d’union patriotique et républicaine » qui rassemblait 16 socialistes, 8 communistes, deux représentants du FN, deux de la CGT, un de l’UFF, deux du MLN, un adhérent de « Jeune République » fut élue, et les socialistes qui en faisaient partie furent momentanément exclus de la SFIO qui avait suscité, avec les radicaux, la formation d’une liste concurrente. Félix Mercader et ses colistiers socialistes réintégrèrent bientôt leur parti et ne cherchèrent pas à maintenir leur alliance avec le PCF lorsque s’installa, en 1947, la guerre froide. Ce fut donc sans problèmes que, aux élections municipales des 19 et 26 octobre 1947, il conduisit une liste socialiste qui affronta quatre autres listes : du PCF, du MRP, du RPF et du Parti radical. La surprise vint du score du RPF qui emporta dix sièges. Les radicaux eurent 8 élus et les socialistes 7 (au lieu de 21, précédemment). Ils formèrent la majorité du conseil municipal contre le RPF et le PCF (12 élus conduits par André Tourné*). Le 26 octobre, le conseil municipal réélit Félix Mercader maire car son score personnel aux élections avait été considérable. Dans sa gestion, il ne cessa de manifester un vif intérêt pour les problèmes de voirie et d’habitat populaire. Amateur d’art éclairé, il décida d’installer à la place de la Loge de Perpignan une statue, chef d’œuvre d’Aristide Maillol qu’il connaissait personnellement. Ce fut aussi Félix Mercader qui fit acquérir en 1946 par la ville, l’hôtel Pams grande demeure bourgeoise construite au début du XXe siècle par Jules Pams, issu d’une famille de commerçants et industriels, plusieurs fois ministre et député radical du département qui fut candidat contre Raymond Poincaré à l’élection présidentielle de 1913. Ce bâtiment accueillit pendant de nombreuses années la bibliothèque municipale, les dépôts archéologiques des fouilles de Château-Roussillon et le siège d’autres institutions culturelles d’intérêt communal ou départemental.

Avant 1939, Félix Mercader exerça des responsabilités au sein du syndicat départemental des architectes des Pyrénées-Orientales : vice-président en 1934, trésorier en 1937-1938, président en 1939. Il fut également membre du conseil régional de l’ordre.

Franc-maçon, il était membre, avant 1940, de la loge perpignanaise de "Saint-Jean-des-Arts de la Régularité" (Grande Loge de France). Il est vraisemblable que ,comme beaucoup de ses amis proches (comme Cyprien Lloansi), ou comme pendant un bref moment son fils Henry, il se soit affilié, après la Libération, au Grand Orient de France, à la nouvelle loge "La République".

En 1945, Félix Mercader était le vice-président de l’ordre des architectes des Pyrénées-Orientales. Parmi les autres fonctions qu’il occupait en 1945 et qui témoignent de son engagement dans la vie sociale de sa ville et de son département, on peut noter : président de l‘Aéro-club du Roussillon (il obtint son brevet de pilote à l’âge de quarante-sept ans après son fils Henry) ; délégué à l’aviation populaire des Pyrénées-Orientales ; président du comité France-Espagne ; vice-président de l’œuvre « La Mauresque » (Port-Vendres), colonie de vacances des JLR, dès les années 1930, pour les enfants de Perpignan ; vice-président du club de natation « Les Enfants de Neptune de Perpignan » ; conseiller architectural de l’œuvre des Auberges de Jeunesse ; administrateur de la Coopérative centrale agricole ; président départemental, enfin, des Anciens de la Résistance.

Félix Mercader avait de multiples contacts avec les réfugiés espagnols, catalans plus particulièrement, nombreux à Perpignan : il entretint une correspondance avec le violoncelliste Pau Casals établi à Prades et soutint financièrement le Barcelonais Joan Claramunt i Quer (1893-1960), baryton et directeur de théâtre réfugié à Perpignan.

Atteint prématurément par la maladie, Félix Mercader, homme modeste et affable, apprécié de ses concitoyens, mourut d’un infarctus en 1949. Ses obsèques civiles furent l’occasion pour la population, en particulier pour tous les résistants de la gauche non communiste, de rendre au maire défunt un grandiose hommage officiel immortalisé par la caméra talentueuse d’un cinéaste perpignanais, Louis Llech. Son enterrement à Fourques, le village de sa femme, fut pour Llech l’occasion de filmer une séquence admirable, d’une beauté plastique remarquable.

Depuis le 20 juin 1949, un grand boulevard de Perpignan, celui le long duquel il avait réalisé la conception de l’immeuble qu’il habitait depuis 1934, porte son nom et honore sa mémoire. En septembre 2009, le maire de Port-Vendres, Jean-Pierre Romero, inaugura en présence des deux petites filles de Félix Mercader, afin de perpétuer sa mémoire, une stèle et une voie qui conduit à l’Institut médico-éducatif "La Mauresque", l’impasse Félix-Mercader. En effet, l’ancien maire de Perpignan avait cédé pour un franc symbolique les terrains nécessaires à la construction de ce centre éducatif et ne cessa, par la suite, de s’impliquer dans son administration.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article87971, notice MERCADER Félix par André Balent, version mise en ligne le 10 mai 2010, dernière modification le 20 avril 2022.

Par André Balent

Félix Mercader
Félix Mercader
Collection de l’OURS
Félix Mercader s'exprimant en public à Perpignan le 22 août 1944 devant les familles des victimes des combats de la Libération de la ville
Félix Mercader s’exprimant en public à Perpignan le 22 août 1944 devant les familles des victimes des combats de la Libération de la ville
Recadrage d’un cliché Chauvin.

SOURCES : Arch. Dép. Pyrénées-Orientales, 3 M 513, EM, 1935 ; 1 R 511, registre matricule. — Arch. com. Perpignan, 1 D 1 44 ; 1 D 1 45 ; 1 D 1 47, état civil. — Archives cinématographiques de L’Institut « Jean Vigo », films originaux de Louis Llech. — Arch. privées de la famille Mercader (Geneviève Gras et Claude Albert-Mercader, petites-filles de Félix Mercader). — Jean-Louis Coste, Catherine Delmas, Quand Perpignan était une île, film de montage, réalisé à partir des séquences filmées par Louis Llech entre 1948 et 1952, Perpignan, Atelier Jean Vigo, 2003. — Lo Mestre d’Obres, revue mensuelle du syndicat des architectes des Pyrénées-Orientales, Perpignan, 1934-1940. — Le Cri Catalan, 11 mai 1929. — Le Travailleur catalan, Perpignan, 21 avril 1945. — Le Républicain du Midi, en particulier, les n° des 12 et 13 mars 1949. — L’Indépendant, 13 septembre 2009. — Jean-François Charvet*,"Félix Mercader", Annales 1919-1932, publication de la Fédération départementale des associations d’anciens combattants et victimes de guerre des Pyrénées-Orientales, Perpignan, 1932, pp. 143-145. — André Balent, « Mercader Félix » , DBMOF, 36, 1990. — Anne Besnier-Desportes, Vivre et habiter à Perpignan de 1947 à 1954 à travers Le Travailleur catalan, maîtrise (dir. Jean-Marcel Goger), université de Perpignan, 2005, 266 p. — Roger Bernis, Roussillon politique. Du réséda à la rose, 1, Le temps de quatrième, Toulouse, Privat, 1984. — Camille Fourquet, Le Roussillon sous la botte nazie, [tapuscrit inédit de souvenirs concernant la Résistance dans les Pyrénées-Orientales], s.d. [1965], 207 p. — Cyprien Lloansi, « Dessins à la plume » [un amical portait, professionnel et politique, de Mercader par un confrère et camarade de parti], Lo Mestre d’Obres, revue mensuelle du Syndicat des architectes des Pyrénées-Orientales, 13, juin-juillet 1935, pp. 6-7. — Julie Stoumen, « L’architecture des années 1930-1940 à Perpignan », Actes de la IIe rencontre d’Histoire et d’Archéologie d’Elne, collège « Paul-Langevin », 30, 31 octobre et 1er novembre 1999, Ville et territoire. L’historien et l’archéologue dans sa cité, Elne, Société des amis d’Illiberis, 2003, pp. 333-340. — Entretien téléphonique (24 mai 2013) avec Geneviève Gras, domiciliée à Fourques, petite fille de Félix Mercader.

ŒUVRE : Onze articles principaux dans Lo Mestre d’Obres, Perpignan, 1934-1939. — Livre cité dans la notice.

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