Par Jacques Girault
Né le 6 mars 1937 à Paris (XVe arr.), mort le 5 février 1998 à Paris (XVe arr.) ; professeur, universitaire ; militant communiste à Paris, membre suppléant du comité central du Parti communiste français (1976-1979).
Fils d’un comptable aux Messageries maritimes, d’origines alsaciennes, et d’une employée qui cessa de travailler, François Hincker fréquenta le lycée Janson de Sailly dans le XVIe arrondissement de Paris. Après avoir obtenu le baccalauréat, il fut élève, dans le même lycée, en classe préparatoire aux écoles normales supérieures (1954-1956). Puis, étudiant à l’Institut de préparation à l’enseignement secondaire, licencié d’histoire à la Sorbonne, titulaire d’un diplôme d’études supérieures (1959), il obtint l’agrégation d’histoire (1961). Professeur aux lycées Faidherbe à Lille, puis Henri Wallon à Valenciennes (Nord), où enseignait aussi Antoine Casanova, puis au lycée Voltaire à Paris (1963), il effectua son service militaire en 1964-1965 à l’école d’application d’artillerie. Il y contracta une tuberculose guérie en 1967. Il commença à travailler pour une thèse d’histoire sur les prix et les salaires à Paris sous l’Ancien Régime sous la direction d’Ernest Labrousse et devint assistant à la Sorbonne à partir de l’année universitaire 1968-1969, puis maître-assistant (1975) et maître de conférences (1986) à l’Université de Paris I. Il travailla avec Pierre Vilar, Albert Soboul, Jean Bouvier et Michel Vovelle et ses qualités pédagogiques furent appréciées. Préoccupé par la formation des enseignants, membre du jury du concours d’entrée à l’École normale supérieure de Saint-Cloud, il encadra la préparation des candidats au CAPES et à l’agrégation pendant toute sa carrière à l’Université.
Après avoir publié en 1963 un ouvrage sur l’œuvre politique d’Etienne de La Boétie, il commença des travaux d’histoire économique et financière qui furent le thème central de ses recherches qui ne se terminèrent pas par la rédaction d’une thèse de doctorat d’Etat, mais furent l’objet de plusieurs articles, communications dans des colloques et publications diverses. Un de ses thèmes privilégiés fut aussi la pensée et l’action de Condorcet. Il rédigea, avec Claude Mazauric, le premier tome de l’Histoire de la France contemporaine paru aux Éditions sociales, supervisé par Albert Soboul. Il intervenait en historien sur des grandes questions en débat dans la communauté universitaire, privilégiant la pratique de « l’urgence » comme il la qualifiait.
Pendant ses études, membre de l’Union nationale des étudiants de France, Hincker fut le vice-président de l’Association générale des étudiants des préparations littéraires et artistiques en 1956-1957.
François Hincker adhéra à l’Union de la jeunesse républicaine de France en juin 1951 et au Parti communiste français en janvier 1955. Après un voyage en Pologne avec une délégation des Jeunesses communistes, membre du bureau national de l’Union des étudiants communistes en 1959, responsable de l’idéologie, il fut l’organisateur de la réunion à la Mutualité avec Louis Aragon, le 21 avril, pour une conférence, titrée « Il faut appeler les choses par leur nom », prenant des distances avec les conceptions inspirées par le réalisme socialiste.
Hincker se maria en décembre 1958 à la mairie du XVe arrondissement avec Monique Foissac, fille d’un chauffeur de taxi, professeur de lettres, militante communiste. Le couple eut quatre enfants. Son épouse collabora parfois à ses travaux, notamment sur Condorcet.
Secrétaire de la cellule du lycée (1955-1956), François Hincker fut membre du comité de la section communiste du Trocadéro de 1956 à 1958. Devenu un des dirigeants communistes dans le Ve arrondissement de Paris, dans les années 1970, il entra au comité de la fédération communiste de Paris en 1970. Non réélu en 1972, il retrouva le comité fédéral en 1974. Associé depuis quelques années au secteur « intellectuel » auprès du comité central du PCF, il en devint le secrétaire de 1974 à 1979, sur la proposition de Roland Leroy* dont il était proche. Il assurait une partie du secrétariat de ce dernier et participa à la rédaction de son ouvrage La culture au présent. Il devint membre suppléant du comité central en 1976. Pendant ce mandat, il suivait la fédération communiste d’Ille-et-Vilaine. Il fut candidat suppléant aux élections législatives dans le Ve arrondissement en 1973.
Hincker entra, à la fin des années 1950, en tant que responsable de la « bataille idéologique » à l’UEC, au comité de rédaction de La Nouvelle Critique et devint, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, une des chevilles ouvrières de la nouvelle orientation de la revue comme rédacteur en chef adjoint puis comme rédacteur en chef d’avril 1975 à décembre 1979. Il intervenait à de multiples occasions dans des débats sur des sujets divers, considérant que des rapports nouveaux devaient s’instaurer avec les questions que se posaient les intellectuels, communistes ou non. La revue devait servir à certaines innovations à titre d’expériences. Il dirigea, notamment avec Antoine Casanova, les différents articles et contributions rassemblés sous le titre Aujourd’hui l’histoire (Paris, Editions sociales, 1974). Il participait aux activités du Centre d’études et de recherches marxistes. Il apparaissait comme un des plus brillants intellectuels communistes lors de l’ouverture du PCF en direction des intellectuels et du rapprochement progressif avec les socialistes, rapprochement qu’il considérait comme nécessaire tout en invitant à la vigilance. Homme de confiance de Roland Leroy, il participa à plusieurs émissions de radio et de télévision consacrées à diverses questions politiques ou culturelles. Lors de la rupture du programme commun de la gauche en 1977-1978, La Nouvelle Critique afficha son hostilité à cette décision de la direction du PCF. Dans deux de ses numéros, en avril et octobre 1978, contenant des articles critiques, il manifesta, avec une grande prudence, ses réserves sur cette ligne politique nouvelle, centrant son propos sur le fonctionnement du Parti. De même dans les réunions de la cellule Gabriel Peri à l’Université de Paris I, il restait toujours discret dans ses jugements. Pourtant, son mandat au comité central ne fut pas renouvelé en 1979, son nom n’étant pas proposé par la commission des candidatures. Il était donc sanctionné en tant que rédacteur en chef de la revue qui était condamnée par la direction du PCF.
Le bureau politique, le 28 septembre 1979, réorganisa le secteur « intellectuel, culture, enseignement » et Hincker perdit sa responsabilité dans le secteur pour n’être responsable que de La Nouvelle Critique. Moins de trois mois après, la décision d’arrêter la parution de la revue fut prise par la direction du PCF. Il devint un des rédacteurs adjoints du nouvel hebdomadaire en direction des intellectuels, Révolution, créé sur décision du bureau politique. Après quelques mois, considérant que l’organe ne correspondait pas à ses conceptions de l’orientation du travail en direction des intellectuels, de la recherche et de la création, il démissionna en juin 1980. Il rejoignit Henri Fiszbin et fut le rédacteur en chef du bulletin de ce courant contestataire, Rencontres communistes hebdo. Il fit partie, en octobre 1981, de ce groupe de militants communistes qui s’étaient mis « hors du parti » selon la formule employée. Il publia un essai sur la politique du PCF fondé sur l’exploitation de ses archives. Par la suite, il se rapprocha du Parti socialiste et collabora au lancement d’un hebdomadaire Vendredi. Il participa aussi à diverses recherches sur l’histoire récente du communisme (colloques et articles), collabora avec les responsables d’Actuel Marx au congrès mondial en 1984 sur Marx et le marxisme, participa à des colloques organisés par la revue Communisme. Une « posture politique nouvelle » (Claude Mazauric) apparut au milieu des années 1990, se traduisant par un article dans l’Humanité, la participation à un débat au siège du mensuel Regards, une contribution sur l’anniversaire du Manifeste communiste organisé par l’Espace-Marx.
Vers le milieu des années 1980, progressivement, Hincker se détacha de l’activité politique intense qui avait été la sienne. Au côté de Michel Vovelle, directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française, il réinvestit le terrain de la recherche universitaire qu’il n’avait jamais quitté. Il devint le secrétaire général de l’Institut, le secrétaire de rédaction des Annales historiques de la Révolution française à partir de 1994 et fut un des dirigeants de la Société des études robespierristes.
Lors de son décès, l’Humanité, le 7 février 1998, publia un article d’Arnaud Spire « François Hincker, la conviction d’un intellectuel ». Lors de la levée du corps à l’hôpital Boucicaut, une foule d’intellectuels, anciens communistes ou toujours communistes, et de militants se pressaient. Il fut enterré dans l’Aveyron dans le village d’origine de son épouse. Le directeur de l’UFR d’Histoire de son université fit diffuser une lettre « Nous n’oublierons pas François Hincker » soulignant ses qualités enseignantes. Une journée d’études en 1998, à l’Université de Paris-Sud, sur « les finances en temps de crise » lui fut dédiée. Les Annales historiques de la Révolution française en 1998 publièrent une partie spéciale d’un numéro en hommage à l’historien de la Révolution française et au militant, avec des articles de Claude Mazauric, de Serge Bianchi, de Philippe Bourdin, de Jacques Girault.
Par Jacques Girault
ŒUVRE : Le catalogue de la Bibliothèque nationale comprend 20 références dont La Boétie, Œuvres politiques. Discours sur la servitude volontaire. Mémoire sur l’édit de janvier 1562, Présentation et notes par François Hincker, Paris, Éditions sociales, Classiques du peuple, 1963 ; Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, Introduction et notes par François et Monique Hincker, Paris, Editions sociales, Classiques du peuple, 1966 ; Les Français devant l’impôt, Paris, Flammarion, Questions d’histoire, 1971 ; Expériences bancaires sous l’Ancien régime, textes choisis et présentés par François Hincker, Paris, Presses universitaires de France, Dossiers Clio, 1974 ; La Révolution française et l’économie : décollage ou catastrophe ?, Paris, Nathan, 1989 ; Le Parti communiste au carrefour : essai sur quinze ans de son histoire, 1965-1981, Paris, A. Michel, 1981 ; En collaboration avec Jean Fabre et Lucien Sève, Les communistes et l‘État, Paris, Editions sociales, 1977, avec Pierre Saly, Jean-Paul Scot…, La dissertation en histoire, Paris, Armand Colin, Cursus, 2002, Claude Mazauric, 1789-1799, dans Histoire de la France contemporaine, sous la dir. de Jean Ellenstein, préface d’Albert Soboul, Paris, Éditions sociales.
SOURCES : Archives du comité national du PCF. – Presse nationale. – Articles nécrologiques par Émile Ducoudray, dans Historiens et Géographes (juin-juillet 1998) et par Claude Mazauric dans Lendemains, 1998 (90). — Sources orales. – Notes de Jean-Paul Bertaud, de Louis Hincker et de Claude Mazauric. — Frédérique Matonti, Intellectuels communistes. Essai sur l’obéissance politique La Nouvelle Critique (1967-1980), Paris, La Découverte, L’espace de l’histoire, 2005. — Aude Portalis, Les dirigeants de l’UEC. Essai d’analyse prosopographique, mémoire de maîtrise, Université de Paris I, 2001.