JULIA Guillaume, Sylvestre, Pierre

Par André Balent

Né le 2 novembre 1900 à Saint-Laurent-de-Cerdans (Pyrénées-Orientales), mort le 16 décembre 1976 à Montpellier (Hérault) ; instituteur à Saint-Laurent-de-Cerdans puis directeur du cours complémentaire de cette ville ; militant coopérateur, socialiste SFIO puis radical-socialiste, pétainiste, communiste à partir de 1945 et jusqu’à sa mort ; maire de Saint-Laurent-de-Cerdans (1947-1971) ; conseiller général du canton de Prats-de-Mollo–La Preste (1949-1955 ; 1959-1973)

Guillaume Julia, cliché <em>L’Indépendant</em>, collection André Balent
Guillaume Julia, cliché L’Indépendant, collection André Balent

Fils de Joseph Julia, ouvrier cerclier (âgé de vingt-cinq ans en 1900), et d’Anne Saquer, sans profession, originaires de Saint-Laurent-de-Cerdans, Guillaume Julia marqua profondément pendant plusieurs décennies du XXe siècle la vie de son bourg natal, un des grands centres industriels des Pyrénées-Orientales (espadrilles, chaussures, textile). Son oncle, Joseph Saquer, fut un des militants ouvriers importants de la localité. Forte personnalité, Guillaume Julia demeura très attaché à son village et enraciné dans cette terre du Haut Vallespir, petit « pays » pyrénéen au particularisme accusé.

Guillaume Julia entra à l’École normale d’instituteurs de Perpignan en 1916 et en sortit en 1919. N’obtenant pas immédiatement un poste dans son village, il se mit en disponibilité et effectua son service militaire dans un régiment d’infanterie comme sergent auto-moto. Ce ne fut que le 16 janvier 1924 qu’il obtient enfin le poste souhaité à Saint-Laurent. Entre temps il travailla comme ouvrier espadrilleur aux Établissements Ollé. Il adhéra au syndicat des instituteurs en 1924.

Guillaume Julia fit toute sa carrière d’enseignant à Saint-Laurent-de-Cerdans. D’abord instituteur adjoint à l’école primaire, il fut, lorsque la commune fut dotée d’un cours complémentaire, chargé d’un enseignement du français et de l’espagnol. Le 1er octobre 1944, il devint le directeur du cours complémentaire et des écoles primaires, puis, à compter de 1956, directeur du seul cours complémentaire. Il prit sa retraite en juillet 1959. Joueur de mandoline, il aimait utiliser cet instrument pendant ses cours. Bien que « théâtral » et « farfelu », il laissa un « souvenir impérissable » à des générations d’élèves. En dépit (ou à cause) de ses excentricités, il fut un remarquable pédagogue (témoignage de son neveu et élève, Jacques Saquer, agrégé d’histoire et historien). Il se maria le 29 septembre 1923 avec Pauline Gourdiole, ouvrière, avec qui il eut une fille Élisa Pauline Joséphine, née le 8 août 1925 à Saint-Laurent-de-Cerdans. Le mariage de sa fille, le 24 septembre 1949, à Saint-Laurent-de-Cerdans avec Jean Baills, ancien adhérant des Jeunesses du PPF — avec son père Michel Baills, collaborationniste notoire, recruteur de la LVF — et futur fonctionnaire de police à Montpellier (Hérault) alors que Guillaume Julia avait alors adhéré au PCF fit sensation et provoqua momentanément quelques remous dans le parti.

Impliqué dans la foisonnante vie sociale de sa commune, Guillaume Julia fut d’abord membre de « La Clairvoyante », société récréative regroupant la « jeunesse syndicaliste » de Saint-Laurent, créée en 1920 à l’initiative de la coopérative de consommation « Les Travailleurs syndiqués » (Voir Erre Dominique, Nivet Joseph, Poch Laurent, Saquer Jacques) et qui groupait dès le mois d’août 150 jeunes : elle avait mis en place des activités musicales (orchestre et chorale) et disposait à la Maison du Peuple —inaugurée à la mi-août 1920— d’une salle de réunions et d’une bibliothèque. Guillaume Julia écrivit, les paroles de La Clairvoyante, hymne de la société du même nom, Sauveur Serre composant la musique. Parallèlement à « la Clairvoyante » furent fondés « Les Coquelicots », une société culturelle destinée aussi à la jeunesse syndicaliste laurentine. Cette association dont Guillaume Julia fut l’un des mentors groupait les jeunes amateurs de théâtre qui présentèrent Ruy Blas de Victor Hugo lors de l’inauguration de la Maison du Peuple. Dans ce cadre stimulant Guillaume Julia put parfaire son goût pour la musique et le théâtre.

Guillaume Julia fut également associé à la fondation de « L’Union sandalière », coopérative ouvrière de production de Saint-Laurent. Il fut élu à son conseil d’administration par l’assemblée constitutive, le 21 novembre 1923. Par la suite, ses activités dans l’enseignement public empêchèrent Guillaume Julia de participer, au moins dans un premier temps, aux activités de « L’Union sandalière » qui eut rapidement le vent en poupe, au point de porter ombrage aux industriels de la commune.

En 1925, Guillaume Julia adhéra au Parti socialiste SFIO, comme la quasi totalité des animateurs du puissant mouvement coopératif et syndical de Saint-Laurent-de-Cerdans. Pour des raisons que nous ignorons, en 1930, il se détacha du parti SFIO qui conquit la mairie de Saint-Laurent en 1929, parachevant ainsi la construction de la « contre-société » ouvrière modèle entreprise dès le début du siècle. Il devint, selon divers témoignages, radical-socialiste. Son adhésion à un comité de ce parti, n’est cependant pas établie.

À la fin des années 1920 et pendant les années 1930, Guillaume Julia ne fit guère parler de lui et ne semble pas avoir eu d’activités marquantes, tant au plan syndical que politique. Certes, à Saint-Laurent, les clivages sociaux et politiques furent nettement marqués dans la longue durée. Ils recoupaient l’organisation spatiale de la localité dont les deux quartiers "el Molí" et "el Castell" s’opposaient dans tous les domaines de la vie politique et sociale : chacun possédait son comité des fêtes et l’organisation de ses propres réjouissances. Dans ce contexte, Guillaume Julia, homme du Molí, se rattachait du fait de sa tradition familiale et de son appartenance sociale, au « camp » de la gauche et de la classe ouvrière.

Cependant, après la défaite de 1940 et l’arrivée au pouvoir du maréchal Pétain, Guillaume Julia appuya activement l’État français et la « révolution nationale » de Vichy. Il devint le secrétaire local de la « Légion des combattants » : des témoignages, comme celui de son neveu Jacques Saquer ou celui de François Erre fils*, le confirment. Jacques Saquer dit même que cette adhésion fut sincère. D’ailleurs, pendant la même période, Guillaume Julia, n’hésitait pas, devant ses élèves, à faire des cours d’Histoire Sainte.

En octobre 1940, un cataclysme météorologique, l’Aiguat —les précipitations les plus importantes survenues en Méditerranée occidentale depuis qu’existent de relevés pluviométriques— occupa beaucoup Guillaume Julia, impressionné par ce prodigieux spectacle de la nature déchaînée, destructeur et meurtrier. Il aiguisa son sens de l’observation et de l’analyse. Sollicité, comme tous les instituteurs des Pyrénées-Orientales par Maurice Pardé, professeur de géographie à l’université de Grenoble, il rédigea à son intention un rapport détaillé d’une rare pertinence. En 1993, Gérard Soutadé professeur à Paris X-Nanterre qui publia les lettres de tous les instituteurs à Maurice Pardé, donna une version en fac-similé et en couleurs du travail manuscrit de Julia, écrivant à ce propos, que : « La carte dressée de M. Julia sur l’ampleur géographique de la catastrophe et ses nuances régionales est la seule à ce jour dont nous disposons ».

À la Libération, Julia s’efforça de faire oublier un passé maréchaliste qu’il partagea avec nombre de membres éminents de la SFIO, animateurs de la contre-société ouvrière de la commune. Son cousin germain, Guillaume Saquer, SFIO non compromis avec Vichy, désigné comme maire par le CDL, le protégea. Mais, dès 1946, Guillaume Julia donna son adhésion au PCF (dans ses deux biographies pour le PCF, remplies en 1948 puis en 1955, il indiquait comme année d’adhésion 1944 puis 1945). Longtemps secrétaire de la section communiste, il devint rapidement un leader au plan local. D’après son neveu, l’historien Jacques Saquer, Laurent Bosch —un « vrai » communiste d’avant 1939 du PCF, organisation localement marginalisée depuis les années 1920 dans le Saint-Laurent ouvrier du Molí et à la recherche d’un chef de file— vint solliciter son adhésion. Nous ignorons quel fut le contenu des discussions entre les deux hommes. Elles aboutirent à la réconciliation entre les deux quartiers du bourg, scellée par la fusion des deux comités des fêtes rivaux. Le Castell bourgeois, très actif dans la Résistance, avait eu une attitude qui contrastait avec la compromission ou la passivité des leaders du Molí ouvrier et socialiste. La réconciliation villageoise présidée par Guillaume Julia se fit au prix de l’oubli et de l’amnésie. Pour sa part, Guillaume Julia ne résista pas au chant des sirènes qui le propulsait au sommet du pouvoir local. Mais, toujours d’après Jacques Saquer, sa « conversion » soudaine fut « sincère » puisqu’il entreprit bientôt avec passion l’étude des classiques du marxisme.

Le 27 octobre 1947, Guillaume Julia fut élu maire de Saint-Laurent-de-Cerdans, à la tête d’une liste communiste qui évinça celle de la SFIO conduite par le maire sortant, son cousin, Guillaume Saquer.

Guillaume Julia, réélu en 1953, 1959 et 1965 exerça donc quatre mandats encore connus aujourd’hui à Saint-Laurent comme l’« ère Julia ». Cette intense activité politique correspondit à l’apogée puis au début du déclin de la contre-société ouvrière laurentine. Aux élections du 13 mars 1973, il fut battu par la liste de droite conduite par le docteur Rosé.

Maire de Saint-Laurent-de-Cerdans, Guillaume Julia paya de sa personne pour mener à bien quelques réalisations municipales. On le vit participer à la construction du stade de sa commune. Seul, sans l’aide de personne, il barra une petite rivière afin de doter la commune de la piscine dont il rêvait.

Le poste de maire de Saint-Laurent fut un tremplin pour accéder à celui de conseiller général du canton de Prats-de-Mollo – La Preste dont le chef-lieu était le rival de la « cité ouvrière » laurentine.

En 1945, ce siège avait été enlevé par le PCF, Pascal Bernole, Catalan certes, mais pas Vallespirien et qui manquait d’implantation locale : aussi renonça-t-il à son siège et, lors du renouvellement des 20 et 27 mars 1949, le PCF choisit comme candidat Guillaume Julia qui était en passe de devenir le populaire « Patriarche » (ainsi surnommé par ses concitoyens) de Saint-Laurent. Le conseiller général sortant, technicien, avait déjà été écarté du comité fédéral après l’intervention d’André Marty* qui suivait la fédération car il s’agissait, selon lui, d’ « augmenter le poids des éléments prolétariens ». Avec 1401 voix, Julia l’emporta dès le premier tour face à deux autres candidats. À l’issue de ce premier mandat, Guillaume Julia fut battu, dès le premier tour (17 avril 1955) par le candidat de la SFIO, Paul Alduy* (Julia 1355 voix, Alduy 1541). Mais lorsque lors que Paul Alduy fut élu, à l’occasion d’un scrutin partiel, conseiller général de Perpignan Est, le siège de Prats-de-Mollo fut à nouveau vacant et, le 21 juin 1959, Guillaume Julia le retrouva sans problème. Il fut réélu au premier tour le 4 juin 1961 et le 24 septembre 1967, l’emportant largement sur ses adversaires de la SFIO (François Erre* en 1961), de la FGDS (André Roquère* en 1967) ou de l’UNR (Bordes en 161). En 1973, il ne se représenta pas et laissa le siège de conseiller général de Prats-de-Mollo à Joseph Albert* (PCF).

Guillaume Julia acquit une grande popularité. Ses électeurs et ses adversaires politiques surent apprécier à la fois son franc-parler et sa modération. Élu d’une commune et d’un canton industriels frappés dès les années 1950 par une récession propre à son activité dominante (l’espadrille et la sandale), Guillaume Julia se fit le défenseur passionné du Haut Vallespir et de l’ « arrière-pays » catalan, trop souvent délaissé, à son gré, au profit du littoral méditerranéen et de la plaine roussillonnaise. Il plaida en faveur de l’ouverture de la route internationale du col d’Ares qui désenclava le Haut Vallespir le mettant directement en relation avec le Ripollès et, au delà, avec Barcelone. Grand pêcheur de truites, Guillaume Julia put faire construire une pisciculture afin de repeupler les cours d’eau du Vallespir.

Guillaume Julia sut devenir populaire grâce son profond sens de l’humain et à son aspect pittoresque. Son impressionnante barbe lui valut les surnoms de « Patriarche" et de « Moïse » qui révélaient par ailleurs le statut, qu’il acquit rapidement, de leader charismatique du Saint-Laurent ouvrier et, au delà, de tout le Haut Vallespir.

Guillaume Julia, dès sa jeunesse acteur amateur de talent, joua un petit rôle dans le film d’André Hunnebelle, Le Bossu, en grande partie tourné dans les Pyrénées-Orientales en 1959.

Guillaume Julia mourut à Montpellier, ville où résidait sa fille et où il s’était rendu pour la fête de Noël. Au moment où, déguisé en père Noël, il faisait un discours à des élèves d’une école de la ville, il s’affaissa, terrassé par une crise cardiaque. Il fut enterré à Saint-Laurent-de-Cerdans selon les rites de la religion catholique. Un boulevard porte son nom.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88101, notice JULIA Guillaume, Sylvestre, Pierre par André Balent, version mise en ligne le 24 mai 2010, dernière modification le 4 février 2022.

Par André Balent

Guillaume Julia, cliché <em>L'Indépendant</em>, collection André Balent
Guillaume Julia, cliché L’Indépendant, collection André Balent

SOURCES : Archives du comité national du PCF (notes transmises par Jacques Girault). — Arch. Dép. Pyrénées-Orientales, 26 W 41 ; 31 W 220 (cotes concernant les collaborationnistes du département et leurs condamnations). — Arch. com. Saint-Laurent-de-Cerdans, état civil de son épouse et de sa fille. — André Balent, « Politique, industrie, communauté villageoise à Saint-Laurent-de-Cerdans (Pyrénées-Orientales) : Guillaume Julia (1900-1976) », Domitia, revue du Centre de recherches historiques sur les sociétés méditerranéennes, Université de Perpignan, 1, Perpignan, 2001, pp. 21-31. — André Balent, « Sant Llorenç de Cerdans, el Molí i el Castell, dos barris, dos temperaments (1815-1945) », Aïnes noves, 2, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2008, pp. 89-111. (Voir ces deux titres pour les références des cotes d’archives et des témoignages, sauf celles et ceux indiquées ci-dessus ou ci-dessous, la liste exhaustive des témoignages et la bibliographie complète). — Gérard Soutadé, Quand la terre s’est ouverte en Roussillon. L’aiguat - octobre 1940, Perpignan, Publications de l’Olivier, 2010, 171 p. — Divers témoignages oraux recueillis à Saint-Laurent-de-Cerdans, juillet 2009.

ICONOGRAPHIE : Guillaume Julia, cliché L’Indépendant, collection André Balent.

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