TIRAND Joseph, Eugène

Par André Balent

Né le 13 mars 1897 à Florensac (Hérault) , mort le 8 novembre 1973 à Castelnaudary (Aude) ; travailleur agricole à Ferrals-les-Corbières (Aude), employé dans un garage automobile à Perpignan (Pyrénées-Orientales), économe au dispensaire de Perpignan, agent d’assurances à Castelnaudary (Aude) ; militant de l’Aude et des Pyrénées-Orientales ; socialiste SFIO ; franc-maçon ; résistant ; adjoint au maire de Castelnaudary (1945-1947) ; conseiller général de Castelnaudary Nord (1945-1973).

Le père de Joseph Tirand, prénommé Paul, était né à Reilhanette (Drôme). Il fut receveur des Postes à Florensac puis à Marseillan, localités de l’Hérault. Très anticlérical, il avait été initié le 7 décembre 1903 à la loge « L’Action sociale » de Béziers (Hérault) où il côtoya Antoine Moulin, (directeur d’école et père de Jean, préfet puis résistant) dont il fut l’ami. Il mourut à Ferrals-les-Corbières (Aude) le 7 juillet 1927. Sa mère, Julia Mourgues, née à Montagnac (Hérault) le 18 février 1863, sans profession, mourut à Perpignan en mai 1941. Elle était issue d’une famille républicaine opposée à l’Empire : son père appartenait au cercle républicain de Montagnac et son oncle participait, avant août 1870 à des réunions républicaines.

Joseph Tirand ne reçut aucune éducation religieuse. Il se maria le 17 juillet 1926 avec Fernande Hortala, fille de petits viticulteurs de Lézignan-Corbières (Aude) où elle était née le 28 avril 1900. Quatre enfants naquirent de ce mariage : Michel, mort en 1933 ; Paul, né en 1927 ; Jean, né en 1934, ouvrier potier, retraité en 1992.
Paul Tirand, cadre de banque —il fut directeur du CIC pour la région Picardie, avant sa retraite, en 1988—, lui-même militant de gauche, devint l’historien de Castelnaudary et du Lauragais sur lequel il publia deux ouvrages documentés : Castelnaudary et le Lauragais audois 1815-1852, Toulouse, Éd.. Eché 1989 et 1870-1945, Castelnaudary d’Auguste Fourès à Jean Mistler, Castelnaudary, 1991 ainsi qu’une histoire de la franc-maçonnerie audoise sous le titre Loges et francs-maçons audois 1749-1945. Il écrivit également (Paris, l’Harmattan, 2007) une biographie entièrement nouvelle d’Émile Digeon, leader de la Commune de Narbonne, mettant en évidence, grâce à l’exploitation de sources inexplorées, de nouveaux pans de la vie de ce grand militant languedocien. Jean Tirand est conseiller municipal (apparenté socialiste) de Castelnaudary depuis les élections de 1995.

Joseph Tirand poursuivit, après l’école primaire, ses études dans un cours complémentaire à Béziers.

En mars 1915, il fut mobilisé au 40e RI de Nîmes (Gard). Au front, il fut à Verdun puis sur la Somme, à Foucaucourt, près de Péronne. Peu avant la fin de la guerre, il fut gazé à Ypres (Belgique). Le 11 novembre 1918, il se trouvait dans la commune belge de Nazaré, près de Gand. Devant rejoindre Montauban (Tarn-et-Garonne) afin d’y être démobilisé, il fut (4 septembre 1919) grièvement blessé dans un accident de chemin de fer à Saint-Jory puis hospitalisé pendant plusieurs mois à l’issue desquels il put enfin trouver une activité professionnelle. Pendant sept ans, de 1921 à 1930, il travailla auprès de Joseph Dupré, son oncle (mari de la sœur de son père), exploitant agricole et éleveur de moutons à Ferrals-les-Corbières. Il vint ensuite s’établir à Perpignan où ce même Joseph Dupré l’employa au sein du garage station-service qu’il avait ouvert boulevard Clemenceau. À partir de 1938, il obtint le poste d’économe du dispensaire départemental.

Éprouvé par son expérience de la guerre, il fut tout d’abord un militant pacifiste actif. Ce militantisme s’exprima tout d’abord dans l’Aude, dès les années 1920, pendant lesquelles il participa à de nombreuses réunions dans les villages des Corbières. À Perpignan, il se lia à deux fortes personnalités, elles aussi farouchement pacifistes, Cyprien Lloansi* et Marianne Rauze* Comignan dont il devint l’ami. Peut-être a-t-il alors rejoint les « Combattants de la Paix » dont Lloansi fut un des animateurs locaux ? Sans doute, sous leur influence, il adhéra peut-être à la SFIO. Son fils Paul pense que cette adhésion était peut-être formalisée dès avant 1939, mais il n’en est pas certain. En tout cas ceux qu’il côtoyait dans son action militante des années 1930 étaient à la fois socialistes et francs-maçons (Henri Abbadie*, Léon Abblard capitaine et radical, Jean Olibo*, Charles Bourrat*). Lui-même fut initié à la franc-maçonnerie le 9 avril 1932, à la loge « Progrès et Fraternité » de Perpignan affiliée à la Grande Loge de France. Il fut, de 1937 à 1940, le vénérable de cette loge installée rue de l’Incendie alors que son aînée « Saint-Jean des Arts » disposait du temple situé rue Petite la Réal.

Après 1945, Joseph Tirand demeura fidèle à son idéal maçonnique. Dès octobre 1944, il fut contacté par Léon Abblard de Perpignan pour reconstituer la loge « Progrès et Fraternité ». Mais ce projet tourna court et seule une des deux loges perpignanaises affiliées à la Grande Loge de France avant 1940 (« Saint-Jean des Arts ») fut effectivement reconstituée. Joseph Tirand, qui avait décidé de rester à Castelnaudary s’affilia donc aux « Vrais Amis Réunis » de Carcassonne, loge la plus proche de son domicile.
Pendant la Guerre Civile espagnole, Joseph Tirand fut très actif. Son fils Paul expliqua, dans un entretien de 2008, qu’il participa à des transports clandestins de matériel militaire vers l’Espagne, les camions étant garés chez son beau-frère, garagiste. Hébergeant des volontaires étrangers désireux de passer en Espagne républicaine, il eut également des contacts avec des militants de la FAI. On peut considérer que cette activité clandestine de Joseph Tirand se confondait avec celle du comité du « Continental bar », animé par les pivertistes et auquel participait son ami Lloansi (Voir aussi Delcamp Georges). Des relations avec Barcelone et la Catalogne furent également nouées dans le cadre de la franc-maçonnerie.. Ainsi, le 19 décembre 1938, une réunion de maçons des deux côtés de la frontière (Grandes Loges de France et d’Espagne) eut lieu à Perpignan. En sa qualité de vénérable de loge, Joseph Tirand était l’un des protagonistes principaux de cette rencontre. Il y avait été décidé une rencontre de francs-maçons à Barcelone en janvier 1939. Paul Tirand pense que cette rencontre à laquelle devait participer son père n’eut probablement pas lieu, du fait de l’offensive franquiste contre la Catalogne suivie bientôt de la Retirada qui submergea le Roussillon. Dans ces circonstances tragiques, Joseph Tirand mit tout en œuvre pour soulager le plus possible les réfugiés. Le temple maçonnique de Perpignan fut transformé en centre d’hébergement. Il participa aussi à l’accueil d’enfants réfugiés à la colonie de vacances de « la Mauresque » à Port-Vendres (Voir Mercader Félix). Avec la complicité de francs-maçons, Rongier, juge d’instruction à Céret et Bebel, capitaine au 24e Régiment de tirailleurs sénégalais en garnison à Perpignan, il réussit à faire sortir quelques Espagnols internés à Argelès-sur-Mer et à Saint-Cyprien.

Joseph Tirand fut un résistant de la première heure dans les Pyrénées-Orientales. Dès le mois d’août 1940, il faisait partie de ceux qui se réunissaient au bureau de Jean Olibo, chef de cabinet du maire SFIO, Laurent Baudru*, afin de jeter les bases d’un premier réseau de renseignements qui pourrait faire parvenir des informations aux services secrets britanniques via le consulat du Royaume-Uni à Barcelone. Il participa ensuite, à Perpignan, aux activités de l’un des multiples réseaux animés par Jean Olibo (« Bordeaux-Loupiac » fondé par Jean-Claude Camors ). Dès la fin de 1940, il faisait passer clandestinement des fugitifs en Espagne, souvent des candidats à l’intégration dans les forces de la France Libre.

Son action en faveur de l’Espagne républicaine, lui valut d’être dénoncé, dans une lettre anonyme (4 mars 1941) adressée au ministre de l’Intérieur. Une enquête fut menée. Son fils Paul écrit dans une réponse au questionnaire adressé par l’auteur de la notice que les conclusions sont justes en ce qui concerne son action pendant la Guerre Civile espagnole, mais qu’elle était « pleine de fiel car elle sous-entend qu’il aurait profité de la situation pour s’enrichir ». Le 19 août 1941, le nom de Joseph Tirand fut publié dans le Journal officiel qui fit apparaître sa qualité de franc-maçon et ses titres dans les loges. Obligé de quitter ses fonctions au dispensaire départemental, il se replia à Castelnaudary où il trouva un emploi d’agent d’assurances qu’il conserva jusqu’à sa retraite. Francis Vals* qu’il avait connu dans la franc-maçonnerie le mit en contact avec le réseau de renseignements « Cotre ». Ce réseau, infiltré par un indicateur de la police française et de la Gestapo —le « lieutenant Roger » qui prétendait recruter pour les maquis, fut à l’origine de plusieurs arrestations et fut exécuté avant la Libération par des maquisards— mit la sécurité de Joseph Tirand en danger qui préféra donc quitter Castelnaudary pendant quelques semaines. Après s’être réfugié chez un ami, près de Moissac (Tarn-et-Garonne), il alla ensuite chez ses beaux-parents à Lézignan où il retrouva sa famille. Il revint à Castelnaudary peu avant la Libération de la ville.

À la Libération, Joseph Tirand adhéra (ou réadhéra ?) à la SFIO. En avril 1945, il fut candidat aux municipales à Castelnaudary sur la liste « républicaine et antifasciste » qui s’opposa à une liste radicale. La section locale de la SFIO s’opposait ainsi à la position définie par le parti en faisant cause commune avec le PCF, partisan de « listes uniques antifascistes ». À l’issue de ce scrutin, Joseph Degrave fut élu maire de Castelnaudary et Joseph Tirand premier adjoint. En octobre 1947, la liste socialiste conduite par Joseph Tirand à la place de Joseph Degrave qui ne se représentait pas fut battue par la liste radicale conduite par Gaston Garouste. Il en fut de même en avril-mai 1953.

Aux élections cantonales de septembre 1945, Joseph Tirand fut élu conseiller général de Castelnaudary Nord dont le siège avait été détenu par Jean Mistler, député radical rallié à Pétain pour qui il vota en le 20 juillet 1940. Ce mandat fut constamment renouvelé —1949, 1955, 1961, 1967— jusqu’aux élections de 1973 où il ne se représenta pas. Il fut président de la commission départementale et oeuvra constamment pour mettre en œuvre une politique de proximité. Dans son canton il travailla à l’électrification des écarts, à l’aménagement du réseau routier et des ressources hydrauliques de la Montagne Noire, dans le cadre d’un organisme interdépartemental (Aude, Tarn, Haute-Garonne), à la mise place duquel il contribua activement en 1948. Il fut aussi président de l’Office départemental d’HLM, fonction qui lui procura de grandes satisfactions car elle lui permit de réaliser la mise en place de l’habitat social.

Il fut à plusieurs reprises, candidat de la SFIO aux élections législatives, en quatrième position non éligible, sous la IVe République, ou comme suppléant au candidat du parti dans la 3e circonscription, sous la Ve République.

Dans la SFIO audoise, parti hégémonique du département depuis 1945, il fut très proche de Georges Guille*, député et président du conseil général. Lorsque celui-ci refusa de demeurer au sein d’un PS désormais dirigé par François Mitterrand, Joseph Tirand comprit cette prise de position sans aller toutefois, comme son camarade, jusqu’à quitter le parti.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88259, notice TIRAND Joseph, Eugène par André Balent, version mise en ligne le 4 juillet 2010, dernière modification le 27 novembre 2017.

Par André Balent

SOURCES : Arch. privées Paul Tirand (Castelnaudary), en particulier le PV de la réunion du 19 décembre 1938 à Perpignan entre la Grande Loge de France et la Grande Loge d’Espagne. — André Balent, « Perpignan la résistante », in dir. Raymond Sala & Michelle Ros, Perpignan une et plurielle, Perpignan, Éditions Trabucaire & Archives de la Ville de Perpignan, 2004, pp. 523-549. — Ramon Gual, Jean Larrieu, Vichy, l’occupation nazie et la résistance catalane, II a, Els alemanys fa (pas massa) temps, Prades, Terra Nostra, 1996, p. 199. —Jean Larrieu, Vichy, l’occupation nazie et la résistance catalane, I, Chronologie des années noires, Prades, Terra Nostra, 1994, p. 50. —Henri Noguères, Marcel Deglialme-Fouché, Jean-Louis Vigier, Histoire de la résistance en France, Paris, Robert Laffont, I, 1982, p. 125. —Jean Lenoble, « Le parti socialiste dans l’Aude de la Libération à la fin de la IVe République », Le Midi Rouge, bulletin de l’association Maitron Languedoc-Roussillon, 1e partie, n° 8, pp. 17-22, Montpellier 2006, 2e partie, n° 9, pp. 12-22, Montpellier, n° 10. —Patricia Ramon-Baldie & Jacques Mongay, Deux siècles de maçonnerie en Roussillon (1744-1945), Saint-Estève, Les Presses littéraires, 2003, p. 296 planches hors-texte reproduisant un rapport du commissaire divisionnaire de Perpignan, 17 mai 1941]. — Paul Tirand, "Les francs-maçons du Roussillon et du Bas-Languedoc et la Guerre d’Espagne" in André Balent & Nicolas Marty (coord.), Catalans du Nord et Languedociens et l’aide à la République espagnole, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan & Ville de Perpignan, Direction de la Culture, 2009, pp. 97-108. — Réponse à une questionnaire d’André Balent par Paul Tirand, 1er septembre 2008. — Courrier électronique de Paul Tirand, 5 septembre 2008.

ICONOGRAPHIE : Paul Tirand, op. cit., 2009, p. 103, p. 104.

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