JEAN Raymond, Auguste, Henri

Par Robert Mencherini

Né le 21 novembre 1925 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 3 avril 2012 à Gargas (Vaucluse) ; agrégé de lettres, professeur de lycée, assistant à la Faculté de Rennes puis à l’université de Philadelphie (États-Unis), attaché culturel au Vietnam, puis au Maroc, professeur de lettres à l’université d’Aix-en-Provence, écrivain ; résistant, membre du Mouvement de la paix, puis du Parti communiste français ; conseiller régional de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (1992-1998).

Raymond Jean à son bureau
Raymond Jean à son bureau
Cliché fourni par Robert Mencherini

Raymond Jean est né dans une famille de la petite bourgeoisie marseillaise cultivée. Son père, vérificateur, puis inspecteur des douanes, se réclamait d’une gauche large et non sectaire. Raymond Jean, scolarisé dans une école privée catholique, le cours Ferrari, puis au lycée Saint-Charles fut très bon élève. Enfant, il assista avec sympathie, avec son condisciple, Antoine Olivesi aux manifestations du Front populaire. Lors de vacances à Sainte-Tulle (Basses-Alpes), il découvrit le pays et les œuvres de Jean Giono.

Après le baccalauréat, il poursuivit ses études en khâgne au lycée Thiers. En 1944, avec l’un de ses camarades, Hugues Journés, il participa clandestinement à des transports et distributions de tracts du Front national et à des exercices de maniement d’armes. Mais Hugues Journés fut arrêté et Raymond Jean fut lui-même convoqué pour le Travail obligatoire. Il se réfugia alors à Tourves, dans le Haut-Var auprès de sa sœur. Après le débarquement, il rejoignit Marseille, avec brassard FTPF, en août 1944, à bord d’une jeep américaine. Il devint alors responsable du secteur étudiant du Front national dont il fut directeur du bulletin bimensuel régional, FNE.

Il prépara sa licence et son DES à la Faculté des Lettres d’Aix tout en suivant les cours pour l’agrégation de lettres à la Sorbonne. Lauréat de ce concours au début de l’été 1948, il fut nommé au lycée de Nevers. Il rencontra dans cette ville George (Georgette) Martel qu’il épousa la même année. Inscrit en thèse de doctorat sur Nerval, il accepta, en 1949, un poste d’assistant à la faculté des lettres de Rennes. Il publia, en 1952, un article sur Van Gogh dans Le Mercure de France et, en 1953, chez Seghers, un recueil de poésie Le Bois vert. Il s’intéressait alors particulièrement à Jean-Paul Sartre et aux Temps modernes.

Il obtint en 1953 un poste d’assistant à l’université de Philadelphie (États-Unis) qu’il rejoignit avec son épouse et ses deux enfants. En octobre 1955, on lui proposa un poste à Saïgon où il enseigna au lycée et à l’université, avant de faire fonction, l’année suivante, d’attaché culturel. Il continua dans cette voie en 1957 au Maroc, à Rabat d’abord, puis, en 1959, à Casablanca. Tout en terminant son premier roman, Les ruines de New-York, inspiré par son expérience américaine et accepté chez Albin Michel, il prit connaissance, avec intérêt, des œuvres et positions du Nouveau Roman.

Parallèlement, il ne cachait pas ses idées de gauche et fréquentait les jeunes intellectuels marocains proches de Mehdi Ben Barka qu’il rencontra également. Il signa le Manifeste des 481 demandant « une paix de justice sur la base de la reconnaissance de l’indépendance algérienne ». L’affaire provoqua des remous. Raymond Jean fut suspendu de ses fonctions. Renvoyé en France en mars 1959, il enseigna, pendant deux ans, le français à des classes de 6e et 5e du lycée Saint-Charles de Marseille. La famille, qui compta bientôt quatre enfants, s’installa à Aix-en-Provence, accueillie provisoirement pendant l’été chez Georges Mounin. Raymond Jean donna alors des critiques littéraires au Monde et collabora aux Cahiers du Sud. Il fréquenta Jean Ballard et Jean Tortel et entra en contact avec de nombreux poétes, parmi lesquels René Char, Saint-John Perse, Eugène Guillevic. En 1961, il obtint un poste de maître assistant à la Faculté de lettres d’Aix. Il publia, au début des années 1960, plusieurs romans liés à la décolonisation, La Conférence, Les Grilles et Le Village. L’écriture était inspirée par le Nouveau Roman dont pourtant l’affirmation de « non-engagement » lui posait problème.

Parallèlement, au cours de ces années, Raymond Jean se rapprocha du Parti communiste, auquel appartenait Lucien Sève professeur de philosophie au lycée Saint-Charles. Surtout, Raymond Jean s’engagea au Mouvement de la paix, dirigé à Marseille par Jean Espana qui l’accueillit chaleureusement. Il fut élu au comité national de ce mouvement et présida le comité communal d’Aix. Il participa en 1961, aux campagnes du Mouvement de la paix, à une délégation à Moscou et, en juillet 1965, au congrès mondial de la paix d’Helsinski, aux côtés de Jean-Paul Sartre et de Jacques Madaule.

Raymond Jean était alors considéré comme un « compagnon de route » du PCF, auquel il adhéra en mai 1968. Il participa à plusieurs reprises aux listes communistes lors de diverses élections. Lui-même se définit plutôt comme un « compagnon de doute ». Il critiqua en effet, à plusieurs occasions, certaines orientations et pratiques du PCF et de l’URSS. Il donna ainsi, en 1971, à la demande de Jean Lacouture, une préface à l’ouvrage Un « procès de Moscou » à Paris de Charles Tillon. Ce dernier habitait alors, avec son épouse Raymonde, à Aix-en-Provence et Raymond Jean sympathisa avec lui. Dans la même veine, l’ouvrage Les Deux Printemps, rédigé à la suite d’un voyage à Prague, avril 1969 constitua une remise en cause de l’intervention soviétique et de la normalisation en Tchécoslovaquie. En 1969, Raymond Jean participa à la création à Marseille, avec d’autres militants et intellectuels, de la librairie Lire dont le gérant était Jean Espana, exclu du PCF. Celle-ci devint un lieu de rassemblement de l’extrême-gauche. Dans ces mêmes années, il prit parti en faveur d’une de ses anciennes étudiantes, Gabrielle Russier, jeune professeur de lettres au lycée Nord de Marseille, condamnée à douze mois de prison pour sa liaison avec un lycéen de 17 ans. Après le suicide de celle-ci, en septembre 1969, Raymond Jean préfaça ses Lettres de prison. En 1973, alors que les incidents contre les maghrébins se multipliaient dans la région, il écrivit La Ligne 12 qui traitait du racisme à partir d’un fait-divers.

En 1974, Raymond Jean soutint à la Sorbonne sa thèse de doctorat ès Lettres, La Poétique du désir. Nerval, Lautréamont, Appolinaire, Éluard. Parallèlement à son œuvre romanesque, il publia plusieurs ouvrages d’analyse littéraire générale et des œuvres sur Gérard de Nerval, Paul Éluard, Jean Tortel, René Char, André Chénier et Sade, ainsi qu’une biographie de Paul Cézanne. En 1976, Raymond Jean se tourna vers le roman historique avec La Fontaine obscure. Une histoire d’amour et de sorcellerie au XVIIe siècle, ou L’Or et la soie, au temps de la peste à Marseille.

Pourtant, il participa toujours à des débats très contemporains. Lors de la polémique qui, au sein du PCF, suivit la rupture de l’union de la gauche, il soutint les contestataires aixois, qui avec Michel Barak demandaient plus de démocratie au sein du parti (article dans Le Monde du 31 mars 1978). Il signa également dans ce sens le « Manifeste des trois cents [communistes] », publié dans Le Monde du 31 mai 1978.

Dans les années 1980, ses ouvrages, publiés chez Actes Sud à Arles, furent d’une veine moins engagée, plus intimiste et érotique, construits souvent autour de fortes figures féminines. C’est le cas du recueil de nouvelles Un fantasme de Bella B. et autres récits ou des romans La Lectrice, paru en 1986, adapté au cinéma par Michel Deville et Transports.

Raymond Jean prit sa retraite en 1992 comme professeur émérite de l’université de Provence. La même année, le 22 mars, il fut élu conseiller régional, sur la liste de Guy Hermier pour un mandat de six ans. Il écrivit, de 1997-2002, des rubriques dans le quotidien communiste La Marseillaise, publiées sous le titre Le fil du temps. Chroniques du Sud. Raymond Jean vit aujourd’hui retiré dans le Lubéron tout en participant à diverses manifestations culturelles à Marseille ou à Aix. Son récent dialogue en 2009 avec Jean Lacouture, « au pays des ocres », fut l’occasion de revenir sur sa vie depuis le Maroc.

Son fils Rémy, militant très actif de la JCR, puis de la LCR (Jeunesse puis Ligue communiste révolutionnaire) est aujourd’hui dirigeant de la Fédération pour une alternative sociale et écologique (FASE).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88334, notice JEAN Raymond, Auguste, Henri par Robert Mencherini, version mise en ligne le 27 juillet 2010, dernière modification le 3 avril 2022.

Par Robert Mencherini

Raymond Jean à son bureau
Raymond Jean à son bureau
Cliché fourni par Robert Mencherini

ŒUVRE CHOISIE  : Les ruines de New-York, Albin Michel, 1959, rééd Marseille, Transbordeurs, 2005, précédé de Entretien préliminaire avec Pia Petersen. — La conférence, Albin Michel, 1961. — Les Grilles, Paris, Albin Michel, 1963. — Nerval, Le Seuil, coll. Écrivains de toujours, 1964. — Éluard, Paris, Le Seuil, coll. Écrivains de toujours, 1966. — Le Village, Albin Michel, 1966. — « Pour Gabrielle », préface à Gabrielle Russier, Lettres de prison, Le Seuil, coll. Points Actuels, 1970. — Les Deux Printemps, Le Seuil, 1971, rééd. Suivi de « Paris-Prague », Union générale d’Éditions, coll. 10/18, 1978. — « L’interrogation », préface à Charles Tillon, Un « procès de Moscou » à Paris, Le Seuil, 1971, repris en annexes dans La singularité d’être communiste. — La Ligne 12, Le Seuil, 1973, rééd. coll. Points-Roman, 1981. — La Poétique du désir. Nerval, Lautréamont, Appolinaire, Éluard, Paris, Le Seuil, coll. Pierres vives, 1975, rééd. Le Seuil, coll. Points Littérature, 1977..— La Fontaine obscure. Une histoire d’amour et de sorcellerie au XVIIe siècle, Le Seuil, coll. Points Roman, 1976, rééd. 1983, rééd. Le Livre de Poche, 1978 ; Rombaldi, Bibliothèque du Temps présent, 1979. — Jean Tortel, Paris, Seghers, coll. Poètes d’aujourd’hui, 1984. — La Lectrice, Arles, Actes Sud, 1986, rééd. J’ai lu, coll. Librio, 1988, 1996, rééd. Arles, Actes Sud, coll. Babel, 2003. — Un portrait de Sade, Arles, Actes Sud, 1989, réed. France Loisirs, 1989, rééd. Arles, Actes Sud, coll. Babel, 2002. — Mademoiselle Bovary, Arles, Actes Sud, 1991. — Cézanne et Zola se rencontrent, Arles, Actes Sud, 1994. — La Cafetière, Arles, Actes Sud, 1995, rééd. J’ai lu, 1996. — Le Dessus et le dessous ou l’érotique de Mirabeau, Arles, Actes Sud, 1997. — René Char, un trajet en poésie, Tournai, La Renaissance du Livre, coll. Paroles d’Aube, 2001.

SOURCES : Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, dossier 72 W 36. — Site Match ID, Acte n°7, Source INSEE : fichier 2012, ligne n°200846. — Notes de Renaud Poulain-Argiolas.
Ouvrages de Raymond Jean, La singularité d’être communiste, Le Seuil, coll. J’écris ton nom … Liberté, 1979. — Les Lunettes, Gallimard, 1984. — Belle clarté, chère raison, Desclée de Brouwer, coll. Connivence, 1985. — La Terre est bleue. Souvenirs, Tournai, La Renaissance du Livre, 2002. — Le livre et le mot, Montréal, Leméac, Arles, Actes Sud, coll. L’écritoire, 2004. — avec Jean Lacouture, Dialogue ininterrompu - Maroc 1958 - Luberon 2008. Entretiens au pays des ocres, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, Coll. Regards croisés, 2009 ; La Marseillaise, Le Provençal, Le Monde. — Lire, écrire autour de Raymond Jean, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 1998. — Françoise Bonali Fiquet, Lire Raymond Jean, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 2005. — Correspondance avec l’auteur.

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