BRENIER Joseph

Par Justinien Raymond

Né le 23 avril 1876 à Vienne (Isère), mort le 30 décembre 1943 à Lyon VIe arr. (Rhône) ; employé, ouvrier tisseur, puis négociant et fabricant de drap ; militant socialiste ; président de la Ligue de l’Enseignement ; maire de Vienne, conseiller général, député et sénateur de l’Isère.

Joseph Brenier
Joseph Brenier
Sénat, Notices et portraits, 1930

Orphelin à l’âge de douze ans, Joseph Brenier était l’aîné d’une famille ouvrière de cinq enfants. Il dut alors quitter l’école primaire pour l’usine où il exerça d’abord un modeste emploi avant de devenir ouvrier tisseur dès qu’il eut la force de conduire un métier. Il était « employé de fabrique » quand, le 7 janvier 1899, il épousa une couturière.

La vie de salarié le conduisit à l’action syndicale. Il était le secrétaire de l’organisation corporative du textile viennois quand il en dirigea la grande grève de 1900 et, la même année, engagea la lutte sur le terrain politique en tentant de pénétrer au conseil municipal. Il échoua et fut congédié. Alors, avec l’aide de sa femme et d’un camarade de travail, il s’établit à son compte, ouvrit un atelier et une boutique, fabriqua et vendit du drap. Il paya rigoureusement ses ouvriers et employés au tarif syndical et son entreprise prospéra. Il y trouva l’indépendance et une aisance croissante. Mais il resta fidèle à son orientation politique antérieure. Tout au plus peut-on penser que sa position sociale contribua à donner à son socialisme l’allure modérée et réformiste dont il ne se départit jamais.

Il resta en contact avec le prolétariat viennois et devint le chef d’un goupe socialiste local. En 1904, il fut élu conseiller municipal et, en 1906, lors d’élections partielles, il mena à un succès total une liste ouvrière et socialiste et devint maire de Vienne. Au renouvellement général des conseils municipaux de 1908 sa liste l’emporta par 3 100 voix contre 1 500 à la liste adverse et il conserva la mairie. Il fut partiellement réélu en 1912 alors qu’il était depuis deux ans député de la 1ere circonscription de Vienne. Il avait solidement organisé le Parti socialiste dans son arr., d’abord dans le sillage du mouvement lyonnais voisin, puis, après l’unité de 1905, se conformant aux règles impératives de la SFIO, il le rattacha à la Fédération de l’Isère. Militant laïque, on le retrouvait à la franc-maçonnerie qu’il disputait au monopole radical ; il la servit avec ardeur et conviction, monta dans la hiérarchie jusqu’à devenir, en 1926, président du Grand-Orient de France. Il créa et dirigea une vivante Amicale laïque dans sa ville. Il était délégué cantonal, animait le Sou des Écoles, l’œuvre des Enfants à la Montagne et diverses sociétés mutualistes.

Cette solide implantation explique le succès que, d’emblée, il remporta en 1910, aux élections législatives. Au 1er tour de scrutin, contre le député radical sortant Buyat, sans concurrent sérieux sur sa droite, il s’éleva à 8 728 voix contre 7 899 sur 22 376 inscrits et l’emporta au ballottage par 9 115 contre 8 366. Présenté par le Parti socialiste SFIO, il s’intitula « candidat républicain-socialiste » et affirma sans ambages, au nom d’un Parti et d’une Fédération qui cultivaient les formules révolutionnaires, « n’être pas partisan de « tout ou rien » » (Arch. Ass. Nat.). Il formula un programme de revendication que n’aurait pas désavoué un bon radical : suppression des petites patentes, de l’impôt foncier et des droits de mutations pesant sur les petits propriétaires exploitants : impôt sur le revenu ; liberté syndicale étendue aux fonctionnaires de l’État, des départements et des communes ; encouragement aux œuvres de mutualité ; assurance sociale contre les risques de chômage et de maladie ; lutte contre l’alcoolisme et la tuberculose ; scrutin de liste et RP ; défense de l’école laïque, arbitrage entre les nations.

La candidature de Brenier revêtit le même caractère en 1914. Sur 22 042 inscrits, il recueillit 7 041 voix contre 6 496 à Buyat et 3 614 à Dugain, libéral. Au second tour, il ne triompha que par 8 504 voix contre 8 450 à Ollier, candidat de concentration antisocialiste. Au cours de ses deux premières législatures, avant et pendant la guerre, Brenier siégea aux commissions de l’administration générale, du commerce et de l’industrie, des dommages de guerre. Ses principales interventions à la tribune portèrent sur les budgets du commerce, de l’industrie, du travail, de la prévoyance sociale, des travaux publics et de l’enseignement. En 1913 il interpella le gouvernement sur la politique de violence de Barthou contre les organisations ouvrières. Pendant la guerre, il attira à maintes reprises l’attention du gouvernement sur la répartition et l’utilisation des hommes, sur la répartition du charbon pour les besoins industriels et domestiques sur l’assistance aux vieillards, aux infirmes, aux incurables ; il déposa plusieurs propositions de résolution et de loi concernant les soldats libérés et malades, l’organisation des permissions et l’aide aux familles nombreuses.

Les soucis de l’élu répondaient aux préoccupations du candidat. Seules les circonstances locales donnèrent aux premiers combats politiques de Brenier l’allure d’un affrontement du socialisme et du radicalisme. Philosophiquement et politiquement, Brenier, socialiste réformiste, était attaché à l’Union des gauches, à l’entente avec les radicaux. Il la pratiquait à la franc-maçonnerie, dans toutes les activités gravitant autour de l’école publique, et, pendant longtemps, à la tête de la plus grande d’entre elles, la Ligue française de l’enseignement qu’il présida activement de 1934 à sa dissolution en 1940. Jusqu’en 1914, malgré ses tendances personnelles, Brenier fit corps avec sa Fédération et son Parti : il collabora au Droit du Peuple, organe fédéral, assura une active propagande dans tout le département, lutta vigoureusement contre la loi de trois ans. En 1912 même, il encourut la suspension de ses pouvoirs de police pour avoir refusé, comme maire de Vienne, d’interdire une manifestation pacifiste de Montéhus et d’Hervé dont il désapprouvait cependant l’attitude. Il assista aux congrès nationaux de la SFIO à Saint-Étienne (1909), Nîmes (février 1910), Lyon (1912), Amiens (1914). Sa présence fut silencieuse : il ne manquait pas de talent oratoire, mais il n’était pas l’homme des débats doctrinaux.

Il resta fidèle à lui-même en soutenant, la guerre venue, la politique de défense nationale et d’union sacrée, même quand, une minorité d’abord, puis la majorité du Parti et de la Fédération de l’Isère l’abandonnèrent. Sa carrière politique en fut affectée. Il ne figura pas sur la liste socialiste présentée aux élections du 16 novembre 1919 et, quelques semaines plus tard, il fut, avec tous ses camarades, battu aux élections municipales de Vienne. Mais la Fédération socialiste de l’Isère ralliée à l’Union des Gauches le désigna pour occuper la place réservée aux socialistes sur une liste de cartel aux élections sénatoriales du 6 janvier 1924. En compagnie de trois radicaux, Brenier fut élu sénateur. À la fin de son mandat, la tactique fixée par le Parti socialiste interdisait le renouvellement de la coalition de 1924. Deux courants sensiblement égaux partagèrent la Fédération de l’Isère dès le premier tour de scrutin : l’un pour une liste socialiste homogène, l’autre pour une liste de cartel. La CAP de la SFIO délégua Osmin au congrès fédéral du 18 septembre 1932. Cette mission de conciliation n’aboutit pas. Le 16 octobre s’affrontèrent une liste de candidats socialistes qui recueillirent 271, 235, 155, 120 voix et une liste de cartel sur laquelle figurait Joseph Brenier. Il recueillit 458 voix sur 1 322 votants et fut battu dès le premier tour. Il avait pâti des dissensions socialistes locales, de sa position de militant indiscipliné, et souffert d’une campagne de dénigrement personnel, cette élection venant peu après la liquidation judiciaire de son entreprise de Vienne. La CAP réussit à ramener la concorde dans la fédération de l’Isère par l’action de deux de ses membres, Grumbach et Pétonnet.

Deux ans après, Brenier accédait à la présidence de la Ligue de l’Enseignement, couronnement de sa vie de militant de la laïcité, témoignage de renonciation aux compétitions électorales. Cette fonction, comme son passé, le désignait à l’hostilité du gouvernement de Vichy qui, après avoir dissous la Ligue, astreignit son président à résider hors du département de l’Isère. Joseph Brenier s’installa à Lyon où il mourut trois ans plus tard.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88354, notice BRENIER Joseph par Justinien Raymond, version mise en ligne le 2 juillet 2010, dernière modification le 2 juillet 2010.

Par Justinien Raymond

Joseph Brenier
Joseph Brenier
Sénat, Notices et portraits, 1930

SOURCES : Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Arch. Dép. Isère, 8, 9, 18 et 83 M. — Arch. Mun. Grenoble, 12 (Police, 3 octobre 1908. — Arch. Mun. Vienne, 375 (souvenir de Hussel) et 8467 (Hommages à J. Brenier par Alb. Bayet). — Hubert Rouger, Les Fédérations socialistes II op. cit., pp. 237 à 258, passim. — La France socialiste, op. cit., pp 342-343. — Compte rendu sténographique des congrès du Parti socialiste SFIO. — Parti socialiste SFIO, rapports pour le XXXe congrès national, à Paris. 1933, pp. 55-56. — Statistique des élections au Sénat de 1876 à 1937, Paris, 1937, p. 33. — Pierre Barral, Le Département de l’Isère sous la IIIe République. — Histoire sociale et politique, thèse de doctorat ès lettre, Paris, 1958, passim. — Le Droit du Peuple, 1907-1938. — Le Travailleur de Savoie et de l’Isère, 9 février 1924, — La République de l’Isère, 11 mai 1932. — Le Nouvelliste de Lyon, 5 juillet 1932. — Renseignements recueillis auprès du secrétariat de la Ligue française de l’enseignement.

ICONOGRAPHIE : Hubert-Rouger, La France socialiste, op. cit., p. 343.

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