Par Pierre Boichu
Née le 28 juillet 1882 à La Chaux-de-Fonds (Suisse), morte le 19 septembre 1973 à Paris ; institutrice libre ; secrétaire du groupe communiste français de Kiev (1919), membre du bureau politique (1924-1926) et du comité central (1924-1928) du Parti communiste, secrétaire du PC (1925), exclue le 1er février 1928, réintégrée en 1930 ; sénatrice communiste de la Seine (1946-1958).
L’enfance de Suzanne Girault puis son parcours avant son adhésion au bolchevisme ont pu être reconstitués par ses écrits et témoignages dont les archives ont gardé trace. Officiellement, Suzanne Girault, de son vrai nom Suzanne Depollier, était la fille de François Depollier, citoyen français, et de Louise Tissot-Daguerre. Mais son père biologique, celui qui devait l’élever, était en fait le Suisse Auguste Spichiger, ouvrier horloger, dirigeant de la Fédération jurassienne. Au sein de cette organisation anarchiste issue d’une scission de la Ire Internationale, Spichiger fréquentait alors Pierre Kropotkine, James Guillaume ou encore Adhémar Schwitzguébel.
Marquée par une enfance difficile, placée plusieurs années dans une famille genevoise, Suzanne Girault quitta la Suisse pour Moscou pendant l’hiver 1899. Elle occupa dans un premier temps un emploi de gouvernante au sein d’une famille allemande, puis dans une famille russe qu’elle suivit lors de son installation à Odessa. Elle y rencontra son premier mari, un Russe cadre dans une banque d’Odessa. Devenue institutrice libre, Suzanne Girault vivait en Ukraine lorsqu’elle mit au monde ses deux premiers enfants : Jeanne en 1903 et Léon en 1905. Elle y vécut les révoltes ouvrières d’Odessa en 1905, participant à une manifestation, puis hébergeant quinze juifs lors du pogrome antisémite qui s’ensuivit. Au début de la Première Guerre mondiale, la famille déménagea pour Kiev, qui devait devenir une base arrière du conflit. Vivant de manière relativement bourgeoise – son mari était néanmoins syndicaliste –, Suzanne Girault fut peu à peu gagnée aux thèses révolutionnaires. Révulsée par les conditions de vie du prolétariat russe, elle rejoignit dès octobre 1917 le parti bolchevique sans en devenir membre pour autant. C’est à cette époque que son fils Léon, âgé de seulement treize ans, aurait intégré l’armée Rouge. Il fréquentait à Kiev le milieu des soldats français ralliés à la Révolution, et aurait servi à son insu d’agent d’information.
Selon les notices biographiques remplies à son entrée au Komintern, Suzanne Girault adhéra officiellement au Parti communiste russe en mars 1919. Elle fit à cette époque connaissance avec Marcel Body, chargé par Jacques Sadoul de former à Kiev un groupe communiste français. Dans ses mémoires, Marcel Body évoquait sa rencontre avec Suzanne Girault : elle « avait largement dépassé la trentaine et dès le premier abord sa hardiesse nous avait frappés. Elle était entièrement acquise à la Révolution bolchevique et, très vite, devint un des piliers du nouveau Groupe communiste français » (Un piano en bouleau de Carélie. Mes années en Russie 1917-1927, p. 102). Au départ de Body, Suzanne Girault fut élue secrétaire de ce tout nouveau groupe créé le 5 avril 1919, et fut l’un des trois orateurs à un meeting de langue française.
Toujours selon ses souvenirs, Suzanne Girault fut évacuée vers Moscou en septembre 1919 dans le sillage du bureau du sud de l’Internationale communiste pour lequel elle travaillait aussi depuis quelques mois. Il s’agirait en fait plutôt de la fédération centrale des groupes étrangers, organisation établie à Kiev en 1919, le bureau du sud n’étant mis en place qu’à partir de 1920 à Kharkov. En tout état de cause, ce fut avant son départ d’Ukraine qu’elle fit la rencontre d’Angélica Balabanova.
Après un pénible voyage, elle fut accueillie et hébergée avec ses enfants par Jacques Sadoul. Pendant l’hiver 1919-1920, Suzanne Girault rejoignit un orphelinat en périphérie de Moscou. Elle fut versée dès son retour au commissariat du peuple aux Affaires étrangères pour, semble-t-il, accompagner les délégations étrangères, tout en travaillant dans une coopérative italienne et en participant à la vie mouvementée du groupe communiste français de Moscou. Elle assista à l’été 1920 au 2e congrès de l’Internationale communiste. Si la personnalité de Lénine la séduisit immédiatement, elle s’indigna de l’attitude des délégués français, à l’exception du couple Rosmer auquel elle servit de traductrice. En avril 1921, Suzanne Girault fut recrutée par le Komintern comme traductrice au secrétariat sur le travail auprès des femmes, sur recommandation d’Angélica Balabanova dont elle assurait déjà le secrétariat.
Suzanne Girault revint en France en compagnie des Rosmer au cours de l’année 1921 – ce qui situerait au mois d’octobre son retour –, chargée par l’IC de récolter des fonds pour les affamés du Caucase. Elle séjourna d’abord à Metz (Moselle) puis à Pantin (Seine, Seine-Saint-Denis). Hébergée par la militante pacifiste Hélène Brion, elle milita au sein du Comité d’assistance au peuple russe et dans la section féminine du PCF. L’IC la chargea en outre de suivre le travail auprès des femmes dans le Parti communiste allemand.
Si la chronologie des événements qui suit demeure assez floue, il semble que Suzanne Girault fut rappelée à Moscou par Clara Zetkin en janvier 1922 – cela correspondrait à son témoignage évoqué par l’Humanité en 1972 où « elle racontait récemment comment, revenue en France pour collecter des fonds pour les affamés du Caucase et croyant y rester trois mois, elle y était demeurée » (l’Humanité, 31 juillet 1972) –, mais qu’une fois arrivée en Allemagne, l’IC lui donna l’ordre de rejoindre la France. C’est peut-être au cours de ce voyage retour que la police l’arrêta à Forbach (Moselle) le 2 février 1922, en possession de 427 000 marks et de nombreux documents. Évadée dans la nuit du 3 au 4 février, elle fut de nouveau appréhendée, inculpée d’usage de sauf conduit, mais bénéficia d’un non lieu le 29.
Revenue en région parisienne, Suzanne Girault continua à militer au sein du Comité d’assistance au peuple russe et, à ce titre, participa à la première commission centrale du mouvement des femmes communistes le 13 mars 1922. Elle signa, sous le nom de Suzanne Girault, un premier article consacré à l’avortement dans le journal L’Ouvrière, publié par le secrétariat féminin du PCF, le 1er juillet 1922.
Suzanne Girault, joua un rôle dans la lutte de tendances qui agitait le PCF en ce début d’année 1922, en premier lieu au sein de l’importante fédération de la Seine. En septembre 1922, elle accéda à sa direction comme secrétaire adjointe permanente, fonction confirmée l’année suivante. En janvier 1924, le congrès de Lyon l’élut au comité directeur du PCF. À la séance du comité directeur du 12 février 1924, elle fut affectée à la commission féminine dirigée par Marthe Bigot.
Cette rapide promotion s’expliquait par le soutien porté par l’IC à la tendance de gauche du PCF – emmenée un temps par Boris Souvarine et Albert Treint – puis à son éclatement. Le tandem politique Treint-Girault se raffermit en effet dans le contexte de la lutte engagée dans le parti russe par la troïka Zinoviev-Kamenev-Staline contre Trotsky, dont l’une des répercussions fut en France la mise à l’écart de Boris Souvarine. Dès la fin de l’année 1923, celui-ci, visant Treint et Girault, mit en cause les méthodes appliquées dans la réorganisation de la fédération de la Seine sur la base de cellules d’usines. Ces critiques portèrent puisque Albert Treint ne fut pas réélu au BP au congrès de Lyon (20-23 janvier 1924). L’intervention de l’IC, par l’intermédiaire de son représentant en France, permit néanmoins d’imposer dans les premiers mois de 1924 les grands axes de la réorganisation du parti voulue par le comité exécutif de l’IC, définie dans une résolution du 21 janvier 1924 (résolution publiée dans le Bulletin communiste du 4 avril 1924), mais aussi d’isoler Boris Souvarine et ses proches. Cette transcription au parti français d’une impulsion donnée par l’IC fut actée par la présentation et le vote au comité directeur du 18 mars 1924 de thèses rédigées conjointement par Treint et Gouralski, lançant le PCF dans la voie de sa bolchevisation. La direction du PCF, en partie réticente, devait être remaniée et confiée à des militants sûrs, parmi lesquels Albert Treint, François Sauvage ou Suzanne Girault. Celle-ci fut nommée au bureau politique par le comité directeur du PCF à sa séance du 8 avril 1924 en remplacement d’Alfred Rosmer, puis se vit confier, avec Sauvage, la responsabilité d’une commission chargée de la mise en place des cellules le 3 juin.
Si la direction issue du congrès de Lyon ne satisfaisait pas l’IC, le 5e congrès mondial (17 juin-8 juillet 1924), qui fit entrer Suzanne Girault à son comité exécutif en qualité de suppléante, clarifia la situation. La direction française fut remaniée, ce qu’entérina le comité directeur du PCF le 29 juillet 1924 par la nomination d’un bureau politique composé de Pierre Semard (secrétaire général), Louis Sellier, Jean Cremet (secrétaires généraux adjoints), Suzanne Girault, Georges Marrane, Marcel Cachin, Jacques Doriot et Albert Treint. Suzanne Girault impulsa à cette même séance une réorganisation du travail de la direction qui dissociait les tâches du bureau politique, chargé de l’étude des problèmes et tâches politiques, de celles confiées à un bureau d’organisation – structure mise en place quelques mois auparavant – au rôle politique affirmé, chargé de diriger l’appareil administratif pour engager le parti dans la voie de la bolchevisation organisationnelle – enracinement dans les entreprises par la création de cellules et de rayons – et de faire le lien avec les structures intermédiaires du parti. Suzanne Girault présenta en ce sens un plan de travail au bureau politique du 18 août 1924, approuvé par le comité directeur du 19 août et fut, en liaison avec Albert Treint en poste à Moscou depuis le printemps, la cheville ouvrière de la bolchevisation. François Sauvage, son compagnon, fut en outre confirmé au bureau d’organisation. Si la responsabilité de ce bureau fut confiée à Georges Marrane, François Sauvage y joua un rôle de premier plan et, bien que non élu au bureau politique, y siégea quasiment systématiquement après le 5e congrès mondial. Le mot d’ordre en vigueur, qui visait au renforcement du parti, était alors « 100 000 membres – 400 000 lecteurs – 1 000 000 de francs ». Au bureau politique du 11 août 1924, Suzanne Girault fut en outre nommée secrétaire du groupe parlementaire et responsable de la liaison avec les fédérations de la Seine et de la Seine-Inférieure.
Le congrès de Clichy (17-21 janvier 1925) confirma Suzanne Girault au bureau politique. Elle y rapporta sur la première phase de bolchevisation organisationnelle du parti, concédant un retard dû à des difficultés inattendues, puis annonça un délai de trois mois pour finaliser le travail entrepris. À la réunion du comité central du 19 janvier 1925, elle fut désignée, avec Marrane, secrétaire du parti, Semard conservant ses fonctions de secrétaire général.
La ligne politique théorisée par Treint, mais mise en pratique par Suzanne Girault et François Sauvage, provoqua de vigoureuses critiques dans le parti français, souvent sanctionnées par l’exclusion. Méthode d’organisation, la bolchevisation fut conçue comme un instrument politique d’éducation, de contrôle interne et d’homogénéisation idéologique qui heurtait nombre de militants d’un parti issu d’un mouvement socialiste français aux spécificités propres, et fut souvent vécue comme brutale, administrative et bureaucratique.
Les mauvais résultats des élections municipales de mai 1925, où Suzanne Girault fut présentée sans pouvoir être élue, apparurent comme un premier désaveu de la ligne incarnée par Treint et Girault. Le bureau politique du 6 mai 1925, analysant le scrutin, reconnut un déficit d’organisation et une absence de vie politique dans les échelons intermédiaires du parti.
Des tensions apparurent entre Treint et Girault dès l’été 1925. À la commission politique du 21 juillet, les divergences se firent jour, notamment sur la question de la guerre du Rif et la tactique électorale. En accord avec Gouralski, Suzanne Girault dénonça l’orientation gauchiste de Treint, désormais minoritaire au sein des instances de direction, et demanda implicitement sa mise à l’écart.
La conférence nationale tenue du 18 au 20 octobre 1925, qui devait ouvrir la discussion sur la crise traversée par le parti français, ne permit pas de répondre aux attentes d’une partie des militants déboussolés par la bolchevisation. Mise en place par un bureau d’organisation aux mains de François Sauvage et de Girault, la conférence n’offrit aucune tribune aux critiques de l’opposition qui auraient dû s’y exprimer. Malgré les commentaires satisfaits de la presse du parti, l’analyse du bureau politique qui suivit la conférence fut peu optimiste, Gouralski, Semard et Doriot notant une atmosphère de crainte sensible au cours des débats. Seule Suzanne Girault en tira un bilan positif. Mais dès le 23 octobre, le bureau politique posa la question du renforcement du secrétariat. Dans les semaines qui suivirent, l’autoritarisme de Suzanne Girault et François Sauvage fut stigmatisé, Treint cherchant de son côté à manœuvrer pour se disculper. L’arrivée en France de Manouilisky, sur mandat de l’IC, laissait présager des changements importants à la tête du PCF. La conférence extraordinaire des 1er et 2 décembre 1925 ouvrit le débat sur la crise du parti. Suzanne Girault y intervint une unique fois, reconnaissant avoir commis des erreurs et proposant de se retirer pour faciliter le travail de recomposition d’une direction homogène. Elle fut finalement écartée du secrétariat, comme François Sauvage du bureau d’organisation, mais conserva sa place au bureau politique.
La situation au sein du Parti communiste russe devait précipiter la chute de Suzanne Girault, qui bénéficiait jusqu’alors du soutien de Zinoviev. Le 14e congrès du PC d’URSS (18-31 décembre 1925) se conclut en effet par une victoire de ligne défendue par Staline et de Boukharine sur celle de Zinoviev et Kamenev. Manouilisky informa le bureau politique de la situation russe dans sa séance du 31 décembre 1925. Suzanne Girault, qui lisait le russe et pouvait donc avoir accès à des textes originaux, dénonça une présentation unilatérale des événements par Gouralski, puis insista pour qu’aucune décision ne fût prise ni aucune résolution votée par le bureau politique avant la publication des documents.
Suzanne Girault vivait depuis 1924 avec François Sauvage, à qui elle donna une fille, Nadiège, en 1926. Selon des documents saisis au domicile du couple lors d’une perquisition à la suite des incidents de la rue Damrémont le 24 avril 1925, elle s’occupait aussi de la répartition des fonds en provenance de Moscou entre les différentes sections européennes.
Suzanne Girault, enceinte, ne fut pas, contrairement à François Sauvage, de la délégation française qui se rendit à l’exécutif élargi de l’IC ouvert à Moscou en février 1926. Elle fut néanmoins, avec Treint, au centre des débats de la commission française présidée par Manoulisky, à laquelle participèrent Zinoviev et Staline. Critiquée par Semard qui demandait, avec Cremet et Thorez, son éviction du bureau politique, elle bénéficia de l’habile temporisation de Staline qui, refusant toute élimination, conseilla de former un groupe dirigeant autour de Semard, Cremet, Doriot et Monmousseau. Le congrès de Clichy (20-26 juin 1926) ne la réélut pas au bureau politique, mais elle conserva sa place au comité central.
L’aggravation des tensions secouant le parti russe et l’IC, et la constitution d’une opposition autour de Zinoviev, Kamenev et Trotsky, provoquèrent le passage de Suzanne Girault dans une opposition de plus en plus active à la direction du PCF dont le bureau politique vota le 28 octobre 1926 deux résolutions annonçant la fin de la discussion sur la question russe et condamnant « la ligne antiléniniste du bloc oppositionnel ». Appelée à s’expliquer à cette même séance, elle refusa de condamner l’opposition et dénonça les méthodes de lutte contre les tendances dans le parti russe. Membre suppléante du comité exécutif de l’IC, et à ce titre déléguée de droit à l’exécutif élargi de l’IC qui devait se tenir peu après (22 novembre-16 décembre 1926), elle se vit retirer l’autorisation de parler au nom du Parti communiste et de siéger avec voix délibérative. Elle refusa pour ces raisons de partir à Moscou.
Dès cette période, Suzanne Girault fut suspectée par le bureau politique de chercher à organiser un mouvement oppositionnel dans le PC. Le bruit courut qu’elle entretenait des relations avec Boris Souvarine. Mais c’est par le biais de la section féminine qu’elle entreprit de résister. Elle critiqua la politique du parti en direction des femmes et notamment la suppression de L’Ouvrière. Le 24 mars 1927, le bureau politique l’entendit sur ces questions. Semard introduisit la discussion en citant de longs extraits des lettres qu’elle avait adressées au bureau politique, puis la somma de justifier sa position sur la ligne générale suivie par le parti. Une lettre de Suzanne Girault, accompagnée d’une réponse point par point du bureau politique, fut remise aux membres du comité central du PCF. La charge était cinglante (RGASPI, 517/1/507) : y étaient dénoncées les méthodes appliquées par Suzanne Girault lorsqu’elle dirigeait le parti (« Sur ce terrain, les méthodes de Suzanne Girault ont suffisamment démontré leur impuissance et leur stérilité »), ainsi que son soutien à l’opposition russe (« Ainsi s’avère le désaccord de Suzanne Girault et de ses amis avec le Parti et l’Internationale dans la question des perspectives et de la situation internationale. […] C’est seulement sur les questions du parti russe qu’elle a affirmé bien avant l’Exécutif des désaccords avec l’IC et s’est déclarée d’accord avec l’opposition russe »). Le journal L’Ouvrière fut finalement supprimé. En première page de son dernier numéro paru la 31 mars 1927, Suzanne Girault y publia un article sur la Chine et la Russie, qu’elle introduisit d’une phrase pleine de sous-entendus : « On a reproché plus d’une fois à L’Ouvrière de parler trop de politique […]. »
Le retour d’Albert Treint en France à la fin du mois de mai 1927 offrit à Suzanne Girault – et au petit groupe qu’elle animait – la possibilité de sortir de son isolement. Celui-ci, après avoir donné des gages de fidélité en soutenant à Moscou la majorité du parti russe, fut proche d’être réintégré à la direction du PCF. Mais il prit, dans les mois qui suivirent son retour, des positions qui l’entraînèrent à la rupture. Nuancé lors de la conférence nationale du PCF de Saint-Denis (26-29 juin 1927), qui montra une opposition désunie et battue politiquement, il sortit de sa réserve en juillet pour dénoncer les erreurs commises par l’IC en Chine et les errements de la direction Staline-Boukharine.
La session du comité central des 8 et 9 novembre 1927, qui entérinait les sanctions prises en Russie contre Zinoviev et Trotsky, et marquait l’alignement définitif de la direction du parti français sur le parti russe, provoqua une levée de bouclier de la tendance oppositionnelle constituée autour de Treint et Girault. Contestant la régularité de sa convocation et donc la validité de ses conclusions, le groupe Treint-Girault, dont l’expression était muselée dans les organes du parti, se résolut à faire paraître à la fin du mois de novembre une brochure intitulée Contre la scission ! Pour l’unité du parti et de l’Internationale, dénonçant la « scission staliniste » en voie de réalisation. Un rapprochement se fit alors avec une autre tendance de l’opposition, animée par Maurice Paz autour de la revue Contre le courant, qui déboucha sur un télégramme commun envoyé au 15e congrès du PC de l’URSS.
Le 15 décembre 1927 parut le premier numéro de la revue L’Unité léniniste, qui devait servir de tribune politique au groupe Treint-Girault. Ces différentes entorses à la discipline conduisirent à l’exclusion de Suzanne Girault lors de la conférence nationale réunie du 30 janvier au 1er février 1928. Elle y prononça une ultime intervention justifiant sa position et son travail oppositionnel, mais fut finalement exclue le 1er février avec Treint, Marguerite Faussecave et Henri Barré.
Le groupe L’Unité léniniste continua peu de temps son combat en dehors du parti. Dès février, des divergences se firent jour entre les proches de Suzanne Girault et ceux d’Albert Treint sur l’analyse de la tactique « classe contre classe ». La rupture fut finalement consommée en mars (n° 12), par un article indiquant la sortie de Treint et Barré du comité de rédaction de la revue.
Dès le 6 juin 1928, Suzanne Girault adressa deux demandes de réintégration – finalement refusées – au 6e congrès de l’IC (17 juillet-1er septembre 1928) et au 6e congrès du PCF (31 mars-7 avril 1929), au nom du groupe L’Unité léniniste dont la revue cessa de paraître le 31 mai 1928. Ces demandes furent rejetées, et c’est à la suite d’une déclaration, faite le 11 mars 1930, en réponse à une démarche du bureau politique, que Suzanne Girault et François Sauvage furent réintégrés.
De janvier à juillet 1930, Suzanne Girault purgea une peine de 6 mois de prison pour ses activités antimilitaristes pendant la guerre du Rif. Réintégrée pendant son séjour en prison, le PCF ne lui donna aucune responsabilité de premier ordre à sa sortie. Renvoyée à la base, elle n’occupa que des fonctions modestes dans les années 1930. Employée au dispensaire municipal de Vitry-sur-Seine en décembre 1932, elle devint vice-présidente de l’association d’Aide aux réfugiés allemands, et continua à militer parmi les femmes. En 1934, la Caisse mutuelle du personnel des communes l’embaucha comme rédactrice. En 1935, le syndicat des employés et ouvriers des communes de la Seine la nomma secrétaire adjointe.
Malgré ces responsabilités modestes, le PCF s’inquiéta à plusieurs reprises de ses activités et de sa fidélité. En 1936, selon un document en russe mentionné « secret », un « camarade responsable (par exemple Duclos) » aurait recueilli auprès d’elle des renseignements sur ses fréquentations à l’époque de ses activités oppositionnelles (RGASPI, 495-270-7453).
En 1940, suite à son licenciement de la Caisse mutuelle pour activité communiste, elle quitta Paris et s’installa avec François Sauvage à Laives (Saône-et-Loire), chez les parents de ce dernier. Un arrêté du préfet de Saône-et-Loire de mai 1940 les plaça en résidence surveillée à Dompierre (Saône-et-Loire). Sans attache dans cette ville, le couple sembla obtenir peu après auprès des autorités la possibilité de résider à Laives. Vers 1942, François Sauvage passa dans la clandestinité et combattit dans les FTPF de Saône-et-Loire. En 1943, à la suite d’une perquisition opérée à Laives par la police, Suzanne Girault fut arrêtée, détenue dans un premier temps à la prison du Petit-Dépot de Lyon, puis internée dans le camp de concentration de Brens avec Fernande Valignat et Josette Billoux. Sur ses cartes de membre de la Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes, Suzanne Girault indiqua avoir été arrêtée le 28 juillet 1943. À la Libération, elle occupa des responsabilités dans les FFI en région lyonnaise, sans que l’on sache exactement ses fonctions. Un document dactylographié contenu dans le fonds Raymond Guyot (Arch. Dép. Seine-Saint-Denis, fonds PCF, 283J9) la cite à cette même époque membre du bureau de la région lyonnaise (du PCF ?), avec comme indication de « fonction actuelle » « FN départemental ».
Le fils de Suzanne Girault, Léon Depollier, subit quant à lui la déportation. Responsable national des camps d’internés politiques et des prisons, il fut chargé d’organiser les militants communistes emprisonnés et de faciliter leur évasion. Arrêté place d’Italie en décembre 1942, livré aux Allemands en janvier 1943, il fut déporté en avril au camp d’Orianienbourg, d’où il revint en 1945 invalide à cent pour cent. Sa première fille Jeanne fut mariée avec le journaliste et résistant lyonnais Georges Altman, sa seconde, Nadiège Sauvage, avec le responsable communiste, également résistant et déporté, Raoul Jeanjean.
De retour à Paris en 1945, Suzanne Girault fut élue en décembre 1946 sénatrice de la Seine au Conseil de la République, mandat qu’elle abandonna en 1958 pour prendre sa retraite politique. Durant l’été de cette même année, elle séjourna deux mois en URSS. Elle milita dans de nombreuses organisations liées au PCF, en particulier au sein de l’Union des femmes françaises ou à l’Amicale des vétérans dont elle fut encore une des dirigeantes en 1970. En 1967, le gouvernement soviétique lui décerna « l’ordre du drapeau rouge » pour avoir combattu en Russie aux côtés des bolcheviks.
Par Pierre Boichu
SOURCES : Fonds Suzanne Girault, Arch. dép. de Seine-Saint-Denis (265 J), inventaire en ligne. — RGASPI, fonds 517/1 ; 495-270-7453 (dossier Albert Treint) ; 495-270-3062 (dossier Suzanne Girault). — Arch. Dép. Seine-Saint-Denis, fonds Suzanne Girault (265J) ; fonds Raymond Guyot (283J) ; microfilms en provenance de l’ex-Institut du marxisme léninisme, actuel RGASPI (3 MI/6) ; collection microfilmée du journal L’Ouvrière — Arch. personnelles de Suzanne Girault détenues par sa petite-fille Irène Altman. — Arch. de la Préfecture de police de Paris : dossier Suzanne Girault (BA 393-105) ; dossier Léon Dépollier (BSI carton 24). — Arch. du Sénat. — Arch. INA, émission de Radio-France « La révolution russe racontée par ses témoins » enregistrée le 9 février 1966. — Arch. Nat., F715480 (dossier des Renseignements généraux sur Suzanne Girault) ; F7 13942 (« Comité et organisations pour l’aide à la Russie »). — Conseil général de la Seine-Saint-Denis/Fondation Gabriel Péri, Réunions du comité central du PCF. État des fonds et des instruments de recherche, t. 1 (1921-1939), 2007. — Notice DBMOF par J. Maitron et Cl. Pennetier (se référer aux sources citées) ; notice de Cl. Pennetier, Le Komintern : l’histoire et les hommes : dictionnaire biographique de l’internationale communiste (1919-1943), Éd. de l’Atelier, 2001 (idem). — P. Kropotkine, Mémoires d’un révolutionnaire, Scala, Paris, 1989. — P. Ville, Les groupes communistes français dans la Russie révolutionnaire et la naissance de l’idéologie communiste en France (1916-1921), thèse d’État d’Histoire, Paris 10, 1999, 850 p. — S. Wolikow, Le Parti communiste français et l’Internationale communiste (1925-1933), thèse d’État d’Histoire, Paris 8, 1990. — A. Durr, Albert Treint : itinéraire politique, thèse d’Histoire, Paris 13, 2006. — S. Saule, Théories et pratiques de l’internationalisme prolétarien chez les communistes de la Seine durant l’entre-deux-guerres, DEA, Paris 13, Villetaneuse, 1996, 132 p. — P. Boichu, Suzanne Girault. Itinéraire d’une bolchevik française, DEA, Paris 13, 2000. — Entretien avec Nadiège Jeanjean (fille de Suzanne Girault). — Entretien avec Irène Altman (petite-fille de Suzanne Girault).