LAHAUT Julien Victor

Par Jules Pirlot

Né le 6 septembre 1884 à Seraing (Province de Liège), assassiné le 18 août 1950 à Seraing ; ouvrier métallurgiste, militant syndical, délégué aux congrès du Profintern ; prisonnier politique ; président du Parti communiste de Belgique ; conseiller communal, échevin, conseiller provincial, député.

Julien Lahaut à la tribune d’un meeting.
Julien Lahaut à la tribune d’un meeting.
© CARCOB, Bruxelles

Julien Lahaut fut une figure emblématique du communisme en Belgique. Pourtant il ne fut pas un des fondateurs du PCB. Il se rattachait plutôt au courant "anarcho-syndicaliste" wallon.

Il vint au communisme en raison d’un conflit avec les dirigeants socialistes et par admiration pour l’URSS. Il ne fut pas un théoricien. Prodigieux orateur, personnage charismatique qui n’hésitait pas à distribuer des coups de poing et accumulait les condamnations pour rébellions, agissait souvent instinctivement de manière individuelle. La presse locale avait inventé un terme pour désigner ses partisans : « les lahautistes ».

Né d’un père métallurgiste, militant politique et syndical du Parti ouvrier belge (POB) et d’une mère femme au foyer, il passa son enfance à Seraing, en compagnie de ses deux grandes sœurs et des enfants de son quartier populaire, à l’époque des luttes sociales de la fin du 19ème siècle. Il fréquenta l’école maternelle et primaire communale puis étudia deux ans à l’école industrielle. Sur l’insistance de sa mère, il suivit le catéchisme, mais comme son père il marqua une indifférence tolérante par rapport à la religion.

Il entra dans la vie professionnelle à l’âge de quatorze ans comme ouvrier chaudronnier dans une petite usine. Il fut ensuite embauché par la grande entreprise Cockerill et se lança dans le syndicalisme. Il fut licencié à l’occasion d’une grève en 1902. Il participa, en 1905, à la fondation du syndicat Relève-toi qui est à l’origine de la Centrale des Métallurgistes affiliée au POB. En raison de son activité syndicale, il fut licencié en 1908 des Cristalleries du Val Saint-Lambert où il avait trouvé du travail. Il devint alors secrétaire syndical, rémunéré. Il fut incarcéré pendant la dernière grève générale pour le suffrage universel en 1913.

La même année, il épousa une ouvrière, Gérardine Noël, huit ans plus jeune que lui. Il l’avait connue pendant la grève de la cristallerie. Elle assista à l’assassinat de son mari et lui survécut jusqu’en 1970.

En 1914, alors qu’il n’était pas mobilisé, Julien Lahaut se porta volontaire et rejoignit l’armée belge en passant par les Pays-Bas. C’est ainsi qu’il fut affecté au corps des autos-canons-mitrailleuses et envoyé en Russie en 1915. Il séjourna à Petrograd puis connu le baptême du feu sur le front de Galicie. Il fut témoin des révolutions de 1917 en Ukraine, de la débâcle de l’armée russe, des affrontements sanglants entre les nationalistes ukrainiens et les rouges. Son unité revint de Russie en faisant le tour du monde, par le transsibérien, la Chine, les Etats-Unis et les océans. Julien Lahaut fut démobilisé en 1918, avec un grade de sous-officier, des distinctions honorifiques russes et belges et la conviction que Lénine avait raison.

Il reprit ses activités syndicales, dans le cadre de la Fédération liégeoise de la Centrale des métallurgistes. Il fit partie de la minorité qui souhaitait l’adhésion du POB à la IIIe internationale, mais ne rejoignit pas le parti communiste lors de sa fondation en 1921. Sa position favorable au bolchevisme et sa pratique syndicale radicale indisposaient les dirigeants socialistes. Une grève éclata dans la grande entreprise Ougrée-Marihaye qui faisait partie du secteur dont Julien Lahaut était responsable. Comme elle s’éternisait sans succès, la Fédération des Métallurgistes décida la reprise du travail et cessa de payer les indemnités de grève. Julien Lahaut incita au contraire les travailleurs à poursuivre leur action. Il organisa l’évacuation des enfants des grévistes confiés à des familles d’accueil. L’opération qui rencontra un énorme succès se déroula sous un calicot resté célèbre : « les patrons sont des méchants ». Victime d’une provocation Julien Lahaut fut arrêté. De sa prison il envoya sa lettre de démission aux dirigeants syndicaux qui avaient mis fin à la grève. Ces derniers déclenchèrent une campagne de presse contre lui et proposèrent son exclusion du POB.

Le bureau du parti tergiversa mais quand il apprit que Julien Lahaut et ses amis avaient gagné l’élection du conseil d’administration des coopératives de Seraing contre les candidats de l’Union communale socialiste, il n’hésita plus.

La dissidence syndicale menée par Julien Lahaut prit le nom de Chevaliers du Travail, se fédéra avec la Centrale révolutionnaire des Mineurs et adhéra à l’Internationale des Syndicats rouges, le Profintern. Julien Lahaut fut désigné comme représentant au IIIe Congrès de cette organisation qui se tint à Moscou en 1924. Il participa également au IVe en 1927 et au Ve en 1930.

Entre-temps, Julien Lahaut fut arrêté dans le cadre d’un grand procès intenté aux dirigeants communistes qui s’étaient prononcés contre l’occupation de la Ruhr par les armées française et belge. Il fut libéré parce qu’il n’était pas membre du PCB puis relaxé avec tous les inculpés. Il annonça, à cette occasion, son adhésion au PCB. Il fut élu conseiller communal en 1926.

En 1928, se relevant d’une grave maladie, il fit un long séjour en URSS pour passer sa convalescence à Sotchi. Au cours de ce voyage il renoua des contacts avec Frédéric Legrand un ouvrier militaire belge qui était resté en Russie après la Révolution d’octobre. Il visita le pays en compagnie de Joseph Leemans. Il négocia aussi une aide financière pour l’achat, par les Chevaliers du Travail, du théâtre de Seraing qui servait également de local au PCB et aux antifascistes italiens réfugiés en Belgique.

1929 fut une année difficile pour Julien Lahaut. Il faillit bien quitter le PCB. Il avait été élu conseiller provincial et souhaitait contre l’avis du bureau politique du PCB, soutenir de l’extérieur une Députation permanente (gouvernement provincial) socialiste homogène plutôt que de voir le POB s’allier avec un parti de droite. Comme il ne s’inclina pas, il adressa sa démission à la direction du PCB qui se divisa entre ceux qui voulaient son exclusion et les partisans d’une conciliation. D’autre part, le nombre des Chevaliers du Travail déclinait : d’environ deux mille en 1922, il n’y avait plus que trois cents métallurgistes et neuf cents mineurs affiliés. La commission syndicale du PCB proposa qu’ils fusionnent avec la Centrale révolutionnaire des Mineurs et que cette organisation syndicale affilie ses membres au PCB. Comme Julien Lahaut résistait, il fit l’objet d’un rapport accablant au Komintern. Il fut accompagné de Georges Van den Boom, partisan de son exclusion, au Congrès du Profintern en 1930. Mais à Moscou, l’IC avait tranché. Il n’était pas question de se séparer de Julien Lahaut, alors que la scission trotskiste n’était pas cicatrisée. Bien plus, en décembre 1930 le Comité central amorçait un tournant confirmé par le Ve Congrès du PCB en mai 1931. Le tandem Joseph Jacquemotte et Julien Lahaut s’affirmait. En 1934 l’ancienne direction fut sanctionnée pour avoir laissé la Jeunesse communiste conclure un accord avec la Jeune Garde socialiste (JGS) qui comportait des éléments trotskistes. En 1935, Julien Lahaut accéda officiellement au secrétariat du PCB.

La grève des mineurs de 1932 confirmait la ligne de proximité avec les masses. Julien Lahaut fut, une fois encore arrêté, mais il quitta la prison pour le Parlement où il venait d’être élu. L’orientation vers des fronts populaires était prise. Les communistes furent invités à rejoindre individuellement les syndicats socialistes, la centrale révolutionnaire des Mineurs négocia sa fusion avec la Centrale des Mineurs du POB. A cette occasion, Julien Lahaut, sollicita en 1936, l’intervention de Georges Dimitrov pour obtenir l’apurement des dettes de la centrale révolutionnaire qui avait puisé, pour soutenir la grève de 1932, dans la caisse des allocations de chômage.

Julien Lahaut n’était donc plus permanent syndical. Il était député. Le décès inopiné de Joseph Jacquemotte le fit apparaître un moment, au congrès de 1936, comme le principal dirigeant du PCB. Mais l’IC se méfiait. Andor Bérei, Xavier Relecom, Joseph Jacquemotte, Frédéric Legrand louaient son courage physique, ses qualités d’orateur, son dévouement, sa popularité, mais ils soulignaient aussi son manque de formation politique, ses piètres qualité d’organisateur et ses improvisations. C’est pourquoi Xavier Relecom fut appelé à devenir le principal dirigeant du PCB.

Julien Lahaut était un militant antifasciste. En 1924, avec ses partisans il avait interrompu brutalement un meeting de la Légion nationale. En 1933, on lui avait remis le drapeau nazi arraché au consulat d’Allemagne. Il l’amena lacéré, au Parlement. En 1935, il tint un meeting face au pavillon italien à l’exposition universelle de Bruxelles et fut arrêté pour rebellion. Il fut chargé de l’aide à l’Espagne républicaine. Suite au Pacte germano-soviétique, il joua le jeu de la neutralité. Il prit la défense des députés du Groupe Ouvriers et Paysans français jugés à Paris pour trahison et propagande communiste. Au moment de l’invasion de la Belgique, il resta à son poste de conseiller communal et exerça des fonctions d’échevin en absence des titulaires en fuite. Nanti de ce mandat il descendit en France dans la zone non occupée pour ramener à leurs parents les jeunes gens qui y avaient été déplacés et abandonnés. Sous l’occupation, il menait une activité politique publique, mais il disposait d’un logement clandestin à Bruxelles et poursuivait son travail de dirigeant avec les militants communistes entrés en résistance. A Liège, en janvier 1941, à la tête de milliers de manifestants, il affronta Léon Degrelle protégé par les soldats allemands. Pendant la grève des 100 000 en mai 1941, il se porta à la tête du mouvement et négocia avec les autorités de la Belgique occupée et avec l’administration allemande.

Le 22 juin, il fut arrêté et emprisonné au fort de Huy. Après trois tentatives d’évasion, il fut déporté à Neuengamme puis condamné à mort et déplacé à Mauthausen. Quand il fut libéré sa vie ne tenait plus qu’à un fil. Il laissa chez ses codétenus le souvenir d’un « roi de la solidarité » d’après le déporté français Martin tandis que son co-détenu, le prince Czetwertynski, lieutenant dans l’armée polonaise dit de lui « C’est un homme qui portait le soleil dans sa poche et en donnait un morceau à chacun ».

Son retour fut triomphal. Il était le seul des anciens secrétaires du PCB à avoir gardé son prestige. Le comité central créa pour lui le poste de président du PCB. Mais le numéro un était Edgar Lalmand, le secrétaire général. Après les élections de 1946, il accéda à la vice-présidence de la Chambre. Il devint échevin de Seraing, les socialistes le privant du poste de bourgmestre que le suffrage des électeurs devait logiquement lui conférer.

Il fut bien entendu un des acteurs de la grève de 1950 pour l’abdication du roi Léopold III.

Suite au compromis qui mit fin à ce conflit, le PCB raidit sa position et décida d’un coup d’éclat lors de la prestation de serment du prince Baudouin. Le groupe des députés communistes devait crier ensemble « Vive la République ! » au signal de Julien Lahaut dont la voix dominait celle des autres, mais Georges Glineur par erreur, cria seul le premier. Son cri entendu en direct à la radio fut attribué à Julien Lahaut, tandis que les voix des autres députés communistes dont celle de Julien Lahaut étaient déjà couvertes par le tumulte.

Quelques jours plus tard, le 18 août Julien Lahaut était assassiné à son domicile.

Il était entré dans la légende. Ses funérailles furent grandioses. L’enquête fut fort mal menée. Le crime est aujourd’hui prescrit. Des voix, y compris parlementaires se sont élevées pour réclamer que la lumière soit faite. D’autant plus qu’un journaliste et un historien ont identifié l’assassin, membre d’un groupe de droite, lié à l’Eglise, à la CIA et au service de renseignement de l’armée belge.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88443, notice LAHAUT Julien Victor par Jules Pirlot, version mise en ligne le 16 juillet 2010, dernière modification le 5 octobre 2010.

Par Jules Pirlot

Julien Lahaut à la tribune d'un meeting.
Julien Lahaut à la tribune d’un meeting.
© CARCOB, Bruxelles
11 décembre 1938, Gare du Midi Bruxelles. Julien Lahaut (au centre, avec noeud papillon) accueille des combattants belges de Brigades Internationales. A sa gauche, Jules Vanderlinden, responsable du soutien aux familles ; à l'extrême droite, le volontaire Albert De Coninck, dirigeant partisan et futur secrétaire national du PCB.
11 décembre 1938, Gare du Midi Bruxelles. Julien Lahaut (au centre, avec noeud papillon) accueille des combattants belges de Brigades Internationales. A sa gauche, Jules Vanderlinden, responsable du soutien aux familles ; à l’extrême droite, le volontaire Albert De Coninck, dirigeant partisan et futur secrétaire national du PCB.
© CARCOB, Bruxelles

SOURCES : RGASPI : 495 193 541, 495 74 66, 495 74,67. - CARCOB : dossier CCP ; Microfilms Moscou A 14, B 25, B 26. - Bob Claessens, Julien Lahaut, Une vie au service du peuple, Bruxelles, SPE, sd - Jules Pirlot, Julien Lahaut vivant, Cuesmes, le Cerisier-CArCoB, 2010 - Rudy Vandoorselaer et Etienne Verhoeyen, L’assassinat de Julien Lahaut. Une histoire de l’anticommunisme en Belgique, EPO, Anvers, 1987.

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