JARRY Robert, Paul

Par Gérard Boëldieu

Né le 29 décembre 1924 à Connerré (Sarthe), mort le 17 septembre 2008 au Mans (Sarthe) ; ouvrier du bâtiment puis permanent politique ; premier secrétaire de la fédération de la Sarthe du PCF (de 1949-1950 à 1977) ; conseiller municipal d’opposition au Mans (1953-1959), conseiller général de la Sarthe (1967-1992), conseiller régional des Pays de la Loire (1976-1989 comme communiste, puis 1992-1998 comme divers gauche), maire du Mans (1977-2001).

Les grands-parents de Robert Jarry étaient de modestes ouvriers, dans le tissage du côté paternel, dans une tannerie du côté maternel. La condition de ses parents fut semblable, son père, après avoir été tisseur trouva à s’employer dans une poterie de Connerré puis dans divers chantiers pour les chemins de fer ; sa mère, travailla aussi dans le tissage puis fit des ménages et lava le linge chez des particuliers. Le couple eut deux garçons, des jumeaux qui, baptisés, reçurent une instruction religieuse (catholique). Les revenus de la famille ne permirent pas aux deux frères de poursuivre des études après l’obtention, dans un bon rang, du certificat d’études primaires. À la veille de la guerre, Robert Jarry était garçon de café au Mans. Pendant l’Occupation, il exerça plusieurs boulots, successivement dans une scierie, dans une entreprise chargée de l’entretien des voies ferrées entre Le Mans et Chartres. Sa passion pour le football, qu’il pratiqua alors au sein de l’Étoile sportive de Connerré, date de cette époque. Pour protéger ses deux fils requis comme lui au STO, le père de Jarry accepta de partir en Allemagne où il resta un an. Revenu lors d’une permission, il se cacha dans la Beauce. Dans tous ses emplois, Robert Jarry se fit remarquer par son sens de l’organisation. Même dans un sanatorium de Megève, lors d’un séjour de six mois en 1945. Partout il dénonçait l’exploitation ouvrière : horaires abusifs, salaires insuffisants… De révolté, il devint syndicaliste, adhérent de la CGT. À la fin de 1944, à vingt ans, il s’inscrivit au Parti communiste. De même son frère. Si, selon Robert Jarry lui-même, leur père, sans militer, votait communiste, il ne fut pour rien dans leur engagement. Un voisin communiste aurait, dans leur jeunesse, marqué les jumeaux. Jarry a dit aussi avoir été, avant-guerre, impressionné par Émile Chesne lors d’un meeting et par des défilés de manifestants communistes au Mans. Il reconnut aussi avoir été sensible au prestige acquis par les communistes dans la Résistance.

Dans les années qui suivirent la Libération, il contribua à la réorganisation de la CGT et du PCF dans son canton natal de Montfort-le-Rotrou. Il était secrétaire de la section communiste de ce canton et sans emploi, « victime de la répression patronale », quand Robert Manceau, dirigeant communiste sarthois et député, qui appréciait sa combativité et ses qualités d’organisateur et d’animateur, lui proposa de devenir le permanent politique de la fédération sarthoise alors en pleine restructuration. Le 20 février 1949, à l’issue de la 10e conférence fédérale, Robert Jarry entrait au bureau de la fédération sarthoise du Parti communiste au titre de « permanent administratif ». Promu second secrétaire fédéral, derrière Manceau, l’année suivante, il devint secrétaire politique (ou premier secrétaire) au début de 1951, après avoir suivi une école centrale du Parti communiste. Ses camarades le reconduisirent à ce poste jusqu’à sa démission une fois élu maire du Mans, en 1977. Le 19 novembre 1960, il épousa Solange Gros, une institutrice publique qui partageait ses idées ; ils eurent trois enfants. Résidant dans un quartier du sud du Mans non loin de l’Huisne et de la Sarthe, il s’impliqua activement dans une association de lutte contre les inondations.

Dirigeant de la fédération sarthoise du PCF dans la Sarthe pendant plus d’un quart de siècle, Robert Jarry n’eut de cesse de placer les communistes « au cœur des luttes des travailleurs », d’où ses relations étroites avec Léon Étienne, secrétaire de l’UD-CGT de 1953 à 1975, ainsi qu’au plus près des préoccupations quotidiennes des « simples gens », selon son expression, plus particulièrement de « ceux qui souffrent » économiquement et socialement. La plupart des grandes directives nationales du PCF furent concrétisées dans la Sarthe. Pendant la guerre d’Algérie, pour désamorcer des divergences dans sa fédération, Jarry se replia sur le conseil départemental du Mouvement de la paix dont le secrétaire, Henry Lelièvre, était un de ses proches. Ainsi au lendemain du discours du général de Gaulle sur l’autodétermination (16 septembre 1959) quand des communistes étaient pour le soutien à la proposition du chef de l’État et d’autres contre par opposition de principe au pouvoir personnel. En 1960, tandis qu’au plan national les dirigeants communistes prenaient finalement leurs distances avec la proposition de l’UNEF d’appeler à un vaste rassemblement unitaire contre la guerre d’Algérie le 27 octobre, dans la Sarthe, la fédération communiste sarthoise figura au nombre des organisateurs d’un meeting au Mans dans la préparation duquel le conseil départemental du Mouvement de la paix, s’engagea pleinement. Sur une base minimum d’entente, il réunit 6 000 personnes.

Les rapports de Jarry avec les dirigeants de son parti, parfois tendus, se dégradèrent sous Georges Marchais. Bien que présenté par sa fédération (à l’unanimité en 1966), il ne siégea jamais au comité central du PCF. À la suite de deux voyages en URSS au début des années 1970, il confiait à des intimes ne plus considérer l’URSS comme un modèle.

Sous sa direction, comme au plan national, le Parti communiste demeura dans la Sarthe la première force de gauche, électoralement parlant. Dans les négociations avec les groupements de la gauche non communiste en vue de la constitution de listes d’union aux municipales sous la Ve République, au nom du respect du suffrage universel, Robert Jarry savait se montrer intransigeant à propos de la répartition à la proportionnelle des sièges selon les résultats des élections précédentes, et relativement à la désignation d’une tête de liste communiste. Sur ces bases, en 1959, l’accord ne put se faire avec l’Union des forces démocratiques (UFD). En 1965, la liste d’union de la gauche menée par le communiste Pierre Combe échoua de quelques voix au second tour. L’année suivante, après la dissolution de la municipalité de centre-droit, pas d’accord à gauche, les socialistes et leurs alliés estimant que la création récente de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS) avait inversé le rapport des forces en leur faveur, les communistes, eux, ne considérant que les résultats de chacun des partis en lice aux scrutins précédents. En 1971, il n’y eu pas de liste d’union. En 1977, liste d’union se constitua mais le choix des communistes de Jarry pour la conduire suscita bien des réticences parmi les socialistes.

Robert Jarry fit relativement jeune ses classes d’élu local, de 1953 à 1959, au conseil municipal du Mans dans l’opposition au maire gaulliste Jean-Yves Chapalain. Aux cantonales, après un échec en 1961 dans le deuxième canton du Mans, détenu par Jacques Maury, centriste (ex-MRP), il l’emporta largement en septembre 1967 dès le premier tour avec 7 662 voix contre 1 822 à la candidate de droite, dans le canton Le Mans-Sud, nouvellement découpé. Toujours au premier tour, il y fut réélu en 1973 avec 56,7 % des exprimés, puis en 1979 avec 59,2 %. Après le nouveau découpage de 1982, il opta pour le canton Le Mans-Sud-Est où, en 1985, il l’emporta, à nouveau au premier tour, mais avec un score moindre : 51,8 %. Pendant ses quatre mandats de conseiller général il siégea continûment à la commission de l’éducation et de la culture. Après les cantonales de 1976, marquées dans la Sarthe par une poussée de la gauche, afin de signifier une ouverture vers la gauche modérée, il s’employa avec succès à faire élire président de l’assemblée départementale le socialiste indépendant Fernand Poignant qui avait souvent combattu les communistes. Pierre Combe* accéda à la première vice-présidence et Jarry, délégué par le conseil général de la Sarthe, fut le premier communiste à siéger au Conseil régional des Pays de la Loire. En 1979, la droite reprit la présidence du conseil général.

Jarry échoua aux législatives. À chaque scrutin ses adversaires ne manquaient pas de dévaloriser « l’homme d’appareil », voire « le stalinien ». En janvier 1956, placé en seconde position sur la liste communiste derrière Robert Manceau, député depuis 1946, et qui fut réélu avec 39 411 voix, Jarry, avec 39 310 suffrages fut victime de l’apparentement entre trois listes de droite. En 1958, candidat dans la 4e circonscription de la Sarthe (Le Mans-Sablé), peu favorable aux communistes, à chacun des deux tours il fut devancé par le jeune UNR Joël Le Theule. Placé en seconde position (14,1 % des exprimés au premier tour) il précéda le socialiste Christian Pineau, ancien ministre sous la IVe République (12,8 %) et le candidat MRP. En 1962 et 1967, dans la même circonscription, Le Theule, seul candidat de droite, l’emporta dès le premier tour, encore suivi de Jarry qui améliora sensiblement son score : 20,3 % des exprimés en 1962, 24,9 % en 1967. En 1968 et 1973, Jarry fut présenté dans la 2e circonscription (Le Mans-Saint-Calais), la plus à gauche, comme suppléant éventuel de Robert Manceau. Les communistes ne purent reprendre à l’UDR Jacques Chaumont le siège que le même Manceau avait conquis en 1962 au second tour à l’issue d’une triangulaire.

Aux municipales de 1977, Robert Jarry devint le premier maire communiste du Mans, la liste d’Union de la gauche (19 PCF, 17 PS, 2 PSU et 5 démocrates) l’emportant au second tour avec 54 % des suffrages exprimés. À l’inverse du maire de droite sortant, il ne cumula pas cette fonction avec celle de président de la Communauté urbaine qui revint aux socialistes, lui étant premier vice-président. Jarry s’était engagé à ne solliciter aucun mandat national afin d’être un maire « à plein-temps ». À la mairie, il ne fut procédé à aucune épuration administrative. Le secrétaire général de la mairie, installé par le maire précédent, devint même un collaborateur des plus efficaces. Dans l’immédiat une dynamique électorale profita au PCF avec l’élection de Daniel Boulay aux législatives de 1978 dans la 2e circonscription. Avec la poussée du PS et le recul du PCF à la présidentielle et aux législatives de 1981 où Boulay fut contraint de se désister pour le candidat socialiste finalement élu, les socialistes manceaux s’en prirent ouvertement à Jarry. Un de leurs élus municipaux, en séance publique lors de l’état de siège en Pologne, alla jusqu’à l’affubler du sobriquet de « Jarryzelski ». À partir de juin 1982 ils revendiquèrent la tête de liste au renouvellement de 1983.

En 1983, du fait des socialistes manceaux, en désaccord avec leur direction nationale, une primaire eut lieu à gauche. Son enjeu : le communiste Robert Jarry ou le rocardien Jean-Claude Boulard, 40 ans, énarque, battu aux législatives de 1978 et 1981, nouveau venu sur la scène politique mancelle, comme maire ? Au premier tour, la liste « d’union de la gauche conduite par Robert Jarry », placée en tête, précéda de 9 000 voix celle dite « Pour l’avenir du Mans avec la gauche unie autour des socialistes », elle-même devancée par la principale liste de droite. Beaucoup réalisèrent alors l’ampleur des voix personnelles de Jarry, son résultat du premier tour dépassant en effet largement le poids électoral du PCF dans la ville. Pour le second tour, la fusion des deux listes de gauche s’opéra selon ces résultats. Avec 53,6 % des exprimés, la gauche à nouveau unie obtint 42 élus (20 PCF, 16 PS, 6 divers gauche), la droite 13. Habilement, Boulard, devenu président de la Communauté urbaine, se glissa dorénavant dans l’ombre de Jarry.

En 1989, nouvelle primaire à gauche, cette fois entre, d’un côté Jarry, exclu du PCF, associé à Boulard, de l’autre Daniel Boulay, premier adjoint sortant et membre du comité central, présenté par le PCF. Opposé à toute immixtion de son parti dans les affaires municipales du Mans, Jarry n’aurait plus renouvelé sa carte dès 1984. À la présidentielle de 1988 il refusa d’appeler à voter pour Lajoinie. En vue des municipales, il entendait avoir entière liberté de manœuvre dans le choix de ses colistiers, ce qui entraîna un conflit avec la fédération communiste sarthoise soutenue par les instances centrales. Quatorze sortants, dont une majorité de communistes ipso facto exclus, repartirent à ses côtés. Le rejoignirent des cégétistes amis de Léon Étienne*, ainsi que nombre de responsables d’associations. Plébiscitée avec un score de 64 % des exprimés au premier tour, la liste Jarry-Boulard eut 48 élus contre 6 de droite et un seul communiste. Peu après, les amis de Jarry fondèrent le Mouvement de la gauche progressiste (MGP) auquel il n’adhéra pas, ni à aucune autre formation, par souci d’indépendance politique. Jarry sortit renforcé des régionales de mars 1992, car la liste du MGP aux régionales de mars 1992 qu’il avait accepté de conduire (ce qui l’amena à renoncer au conseil général), avec trois élus contre un seul du PS, qui paya ainsi « l’affaire urba », et aucun communiste, devint contre toute attente la première force de gauche de la Sarthe. Au conseil régional des Pays de la Loire, il fut alors porté au secrétariat permanent. Une de ses adjointes, Jeannine Haudebourg (MGP, ancienne communiste et dirigeante locale de l’UFF) lui succéda au conseil général.

En 1995, Jarry se présenta pour un quatrième et dernier mandat de maire, avec les mêmes forces qu’en 1989. En ballottage au premier tour (moins de 48 % des exprimés), ce qui surprit, il dut négocier avec les communistes. Après l’adjonction de quatre communistes dont deux éligibles sa liste l’emporta au second tour (53,5 %)

En 2001 il soutint Boulard. Élu maire, celui-ci resta président de la communauté urbaine.

Maire du Mans pendant 24 ans consécutifs, Jarry détient le record de longévité à ce poste. Il eut la durée et la stabilité politique pour, selon ses vœux, « changer la ville pour changer la vie ». Étudiant les transformations du Mans, des géographes de l’université du Maine ont décelé tout un système local qu’ils dénommèrent « le jarrysme » : un maire rassembleur au-delà des partis, pragmatique et fin politique, toujours en contact avec la population (il avait le tutoiement facile) ; une conception du pouvoir plutôt centralisée ; une vision « humaniste » (un mot que Jarry affectionnait) de l’économie et de la société.

Devenu maire honoraire du Mans, toujours actif et soucieux du rayonnement de sa ville, Jarry fut porté à la présidence du conseil d’administration de la Société d’économie locale du centre des expositions. Il siégea au conseil d’administration du Mans Union-Club. Par des déclarations ou signatures de pétitions il intervint à titre personnel dans la vie politique : contre le racisme, pour la reconnaissance et la condamnation de la torture en Algérie, pour dénoncer les méfaits du capitalisme, contre le traité de Maastricht. À la présidentielle de 2002, comme le MGP, il soutint publiquement la candidature de Jean-Pierre Chevènement, qui lui avait remis au Mans la croix de chevalier de la Légion d’honneur en juin 1999.
Jarry mourut d’une rupture d’anévrisme. Avant l’inhumation au cimetière de Pontlieue, sa dépouille reçut un vibrant hommage public devant l’hôtel de ville du Mans.

Le 23 septembre 2009 le « boulevard de la gare », dans un quartier qu’il avait contribué à transformer le plus, devint « boulevard Robert-Jarry ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88466, notice JARRY Robert, Paul par Gérard Boëldieu, version mise en ligne le 22 juillet 2010, dernière modification le 23 août 2010.

Par Gérard Boëldieu

ŒUVRE : 1920-1970. Les communistes au cœur des luttes des travailleurs sarthois (2 tomes), Le Mans, 1970.

SOURCES : Arch. comité national du PCF. — Arch. Dép. Sarthe (cabinet du préfet) 1359 W 120, 1359 W 124 (Sur la guerre d’Algérie, dossiers sous dérogation). — Presse locale (Le Maine Libre) et régionale (Ouest-France). — Presse communiste locale (L’Aurore sarthoise puis Les nouvelles de la Sarthe devenues Sarthe nouvelle). — Entretiens de Robert Jarry avec Michel Rosier (La vie mancelle d’avril 1975. — Le Bulletin de la Société d’Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe paru en 2008) — Annuaire des personnalités du département de la Sarthe, 1985. — Les « têtes » de la Sarthe, novembre 1993, p. 106. — Jean-René Bertrand, Jacques Chevalier, Rodolphe Dodier, Arnaud Gasnier, Le Mans. Peut-on changer la ville ? Anthropos, Paris, 2000 (Sur le « jarrysme »). — Alain Moro, Histoire des maires du Mans, Mulsanne, 2006, p. 183 à 226. — Nécrologies : L’Humanité, 18 septembre 2008 ; Libération, 18 septembre 2008. — État civil.

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