KOSSAREV Alexandre. Autres orthographes, Косарев, Kosarev, Kasarev ; diminutif, Sacha.

Par Marc Giovaninetti

Né en 1903 ou 1904 – mort vers 1954 ; dirigeant des Jeunesses communistes soviétiques ; dirigeant de l’ICJ.

Stèle Kossarev
Stèle Kossarev
Cliché Marc Giovaninetti

Il fut avec Vassili Tchemodanov le plus important dirigeant des Jeunesses communistes soviétiques de la période stalinienne d’avant-guerre. Mais alors que son camarade, avec qui il formait un fréquent duo, était davantage investi à l’ICJ, lui dirigeait les Komsomols, et était apparemment davantage intégré aux cercles du pouvoir moscovite.

Alexandre Kossarev figurait dès 1929 dans les instances dirigeantes de l’ICJ, plusieurs années avant les autres jeunes Soviétiques qui l’y côtoyèrent dans les années 1930. Il était alors, au 10e Plenum du Comité exécutif, le numéro deux de la « délégation soviétique », derrière le secrétaire général Rafail Khitarov. À cette date il dirigeait déjà les Jeunesses communistes-léninistes d’URSS comme secrétaire général, et le 6e Congrès des Jeunesses communistes françaises, à Paris, le saluait à ce titre en deuxième place derrière Staline à son « Présidium d’honneur » (octobre 1929). Une photo datée du 28 avril 1930 le montre en uniforme assistant à une parade sportive sur la place Rouge. Par la suite, dès 1931, Tchemodanov s’imposa comme dirigeant de l’ICJ, alors que Kossarev restait à la tête de la puissante organisation des komsomols qui regroupait plusieurs millions de membres (d’après le panégyrique de Raymond Guyot au 6e Congrès de l’ICJ, il aurait fait progresser son organisation de 1,3 à 3,5 millions entre 1928 et 1935), alors que le total des autres organisations de jeunesses communistes affiliées à l’ICJ ne se montait qu’à quelques centaines de milliers d’adhérents. Ami du grand footballeur Nicolai Starostine, Kossarev l’aurait encouragé à fonder le club du Spartak de Moscou, dont le sportif devint l’inusable entraîneur puis président

Sa fonction lui valut d’être invité à Paris en septembre 1933, à la tête d’une délégation soviétique pour le Congrès mondial de la Jeunesse contre la guerre et le fascisme, salle de la Mutualité, un des premiers prolongements du mouvement Amsterdam-Pleyel, encore essentiellement communiste, mais qui préfigurait les futurs rassemblements unitaires du Front populaire. Kossarev y prononça un discours tout à la gloire de Staline et de l’URSS. Il y retrouva Raymond Guyot, récemment libéré de prison, qu’il avait déjà dû connaître comme délégué en URSS des Jeunesses françaises pendant l’année 1930. Désormais et pour longtemps dirigeant des JCF, celui-ci devait toujours parler de Sacha Kossarev comme d’un véritable ami. Les deux hommes se retrouvèrent peu après au 12e Plenum de l’ICJ à Moscou, où Tchemodanov se montra sévère à l’égard des piètres résultats des Français, mais en accord avec les efforts prévus par Guyot pour redresser la situation.

Lorsque l’année suivante les communistes s’orientèrent clairement en France vers le Front populaire en abandonnant le sectarisme de la tactique « classe contre classe », Kossarev se rangea discrètement parmi les soutiens de Guyot, convoqué à Moscou en décembre avec Thorez et Fried pour les 13e Plenums de l’IC et de l’ICJ, alors que Tchemodanov rudoyait sans ménagement le Français pour l’ « opportunisme » de sa formule d’ « union de la jeune génération ». Celle-ci devait pourtant s’imposer, grâce au soutien des dirigeants de l’Internationale, Dimitrov, Manouilski et Kuusinen, et l’approbation de Staline. Les deux dirigeants des jeunesses soviétiques furent alors envoyés clandestinement à Paris, en avril-mai 1935, pour une tentative de noyautage des Jeunesses socialistes qui devait faire long feu (voir la biographie de Tchemodanov). D’après le témoignage de Fred Zeller, c’était plutôt Tchemodanov qui argumentait du côté soviétique ; il décrit Kossarev sans aménité, comme « un petit gros à l’air rébarbatif », énonçant ses positions de façon dogmatique. L’année suivante, il ne fit pas meilleure impression sur Santiago Carrillo, invité à Moscou avec trois autres jeunes Espagnols pour préparer la fusion des jeunesses socialistes et communistes de son pays. Il le jugeait « présomptueux, comme s’il voulait imiter Staline dans sa manière de parler et de se comporter ». Lors de cette visite de février 1936, Tchemodanov tenait encore le rôle principal, conformément à la distribution organisée sous la tutelle d’Otto Kuusinen, le dirigeant de l’IC qui supervisait l’ICJ, pour son 6e Congrès, celui qui avait suivi le 7e du Komintern, en septembre-octobre 1935. Raymond Guyot devenait alors secrétaire général, en reconnaissance aux Français de leurs succès unitaires, et Tchemodanov, rétrogradé, restait néanmoins au secrétariat, en troisième place derrière le Hongrois Michal Wolf. Kossarev, prioritairement en charge des komsomols soviétiques, n’était que membre du Présidium, et non du Secrétariat. Il n’empêche que quand Dimitrov vint faire son discours le jour de l’ouverture du Congrès, c’est son nom qui déclencha les applaudissements et les chants les plus frénétiques, d’autant que le secrétaire général de l’IC le citait parmi quatre jeunes Soviétiques décorés de l’Ordre de Lénine. L’année suivante, il était reconduit à la tête des Komsomols à leur 10e Congrès, en avril 1936, en présence de tout l’aréopage des Jeunesses communistes internationales. Il y prononça un de ces interminables discours imposés, tout à la gloire de Staline et des succès du régime.

L’année 1936 fut émaillée pour Kossarev de nombreuses autres missions en URSS et à l’étranger. Une photographie le montre le 1er juin aux côtés des écrivains Maxime Gorki et Romain Rolland entourés de souriantes jeunes komsomoles. En juillet, il retourna à Paris, toujours en compagnie de Tchemodanov, pour concilier les JS et JC espagnols échaudés par la rudesse de la déléguée de l’ICJ dans leur pays, une Allemande mariée à un officier espagnol. La rencontre tourna court, car elle était prévue le jour même où commença l’insurrection franquiste. D’autres, Guyot puis Wolf, devaient finalement mener la fusion à son terme. Les deux Russes étaient aussi à Paris pour participer à la réunion du bureau parisien de l’ICJ, installé dans la capitale française après avoir dû quitter Berlin, et piloté cette année-là par Michal Wolf. Début septembre, Kossarev se rendit à Genève pour conduire la délégation soviétique au premier Congrès mondial de la Jeunesse pour la Paix, organisé par l’ICJ depuis la France sous la responsabilité de Michal Wolf, mais sous couvert de la SDN qui mettait son palais à la disposition des congressistes, en majorité communistes ou chrétiens protestants. Le Russe y avançait la proposition de désigner 1937 comme « année de la Paix », tandis que le reste de la délégation soviétique, avec Tchemodanov, était accusé par un délateur ultérieur de « rester à l’hôtel à se saouler » (voir la biographie de Tchemodanov). Le 2 août 1936, Kossarev avait présenté devant le secrétariat de l’IC un rapport sur le « plenum du Bureau international des Jeunes pour la Paix, la Liberté et le Progrès », autrement dit la préparation du rassemblement genevois. Puis le 16 septembre, d’après Dimitrov dans son Journal, il exposa les « résultats très satisfaisants » du « sixième congrès » (celui de l’ICJ ? il s’était pourtant déroulé un an avant), et la « proposition de convocation d’un congrès international de la jeunesse catholique », un prolongement de celui de Genève, qui devait réunir en effet essentiellement les jeunes communistes et chrétiens protestants en septembre 1938 à New York (l’imprécision des notations de Dimitrov n’indique-t-elle pas le faible intérêt porté par le Komintern à ces questions ?).

Alors que Tchemodanov s’effaçait, arrêté dès 1937, Kossarev restait très présent jusqu’en novembre 1938. Le secrétaire général de l’IC le signale aux places d’honneur à plusieurs cérémonies protocolaires : discourant au Mausolée de la place Rouge, entre Khrouchtchev et Staline, pour l’enterrement d’Ordjonikidze (février 1937) ; au dîner des principaux dirigeants, Staline compris, chez Vorochilov, après le défilé du 20e anniversaire d’Octobre (7 novembre 1937) ; portant un toast, à l’instar de Dimitrov, lors d’une autre cérémonie au Kremlin (17 mars 1938) ; à la tribune de la place Rouge, aux côtés notamment de Dimitrov et Boulganine, pour un défilé de la jeunesse (6 septembre 1938, c’était la date habituelle de la « semaine internationale de la jeunesse ») ; enfin, comme l’année précédente, au « déjeuner commun au Kremlin » des dignitaires pour la célébration de la Révolution (7 novembre 1938). Mais cette fois, ce fut le chant du cygne. Dimitrov notait que Mikoian, qui avait la charge de porter les toasts « en rafale, pour tous », selon la coutume, fut « critique en particulier sur Kossarev », et que Kaganovitch enfonça le clou en estimant que « Kossarev ne corrige toujours pas ses principales erreurs ». Le tout en présence de Staline, qui maugréa que « le discours Mikoian [était] trop mou ». Que pouvait-on reprocher à Kossarev, officiellement ? Lui, évidemment au fait des usages, dut comprendre qu’il était perdu. Arrêté peu après, il connut le triste sort commun à tant d’autres cadres fidèles du régime.

Mais lequel, précisément ? Si les brèves biographies qui lui sont consacrées le déclarent exécuté, comme Tchemodanov, en 1939, Lise London, d’après le témoignage de son beau-frère Raymond Guyot, affirme qu’il fut condamné à la déportation, et qu’il survécut au Goulag et à son ancien maître et persécuteur Staline. Une version corroborée par le communiste français Pierre Olivieri, dans son livre 1956 ou les Commourants. Libéré vers 1954, Kossarev se serait éteint peu après, âgé d’une cinquantaine d’années. Sa veuve profita de la visite rendue publique de Guyot à Moscou pour les cérémonies du cinquantième anniversaire du Komintern et du KIM, en 1969, pour prendre contact avec lui. « Très ému », l’ancien secrétaire de l’ICJ, qui restait un des cadres dirigeants du PCF, se rendit à l’invitation d’une soirée privée organisée par les veuves de ses anciens camarades soviétiques martyrisés, où leur mémoire fut honorée. À la date de l’arrestation de celui qu’il disait avoir été son proche ami, Guyot n’habitait et ne travaillait plus aussi régulièrement à Moscou que dans les années 1936-1937 puis 1940-1941. Il s’était naturellement gardé d’oser une question ou une remarque sur la disparition de Kossarev, mais prétendit sur le tard n’avoir alors « rien compris » à ce qu’il avait vécu comme « un drame ». Il devait encore, à diverses occasions par la suite, citer les noms des défunts dans des discours anniversaires. Mais il est vrai que Kossarev et ses compagnons d’infortune avaient alors été réhabilités.

Un bas-relief d’Alexandre Kossarev est apposé parmi des dizaines d’autres sur la façade de la « Maison du quai » (d’après le titre d’un fameux roman d’Iouri Trifonov), cet immeuble collectif de bon standing construit sur la rive de la Moskova au début des années 1930 pour héberger les dignitaires du régime (et parmi eux, Dimitrov). La plaque indique qu’il y vécut de 1931 à 1938.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88563, notice KOSSAREV Alexandre. Autres orthographes, Косарев, Kosarev, Kasarev ; diminutif, Sacha. par Marc Giovaninetti, version mise en ligne le 31 juillet 2010, dernière modification le 31 juillet 2010.

Par Marc Giovaninetti

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Stèle Kossarev
Cliché Marc Giovaninetti

SOURCES : RGASPI, 533-10-3264 (6e Congrès JCF), 533-2-118 (10e Plenum ICJ), 533-7-39 (Congrès de la Jeunesse contre la guerre et le fascisme), 533-2-179 (12e Plenum ICJ), 533-1-234, 256, 259, 269 (6e Congrès ICJ), 533-10-2606 (10e Congrès JCLUS), 495-18-1102 (Secrétariat IC) ; Archives du PCF, fonds Raymond Guyot, 283 J 2, 34, 42 et 43, 4 AV 2469 et 2470 (entretiens enregistrés avec Raymond Guyot). — L’Avant-Garde, notamment n° 517, 30 septembre 1933, et 670, 29 août 1936. — Cahiers de l’Institut Maurice Thorez, n° 14, 2e trimestre 1969. — France nouvelle, n° 1781, 29 décembre - 4 janvier 1980. — Santiago Carrillo, Memorias…, Ed. Planeta, Barcelona, 1973. — Fred Zeller, Trois points c’est tout…, Laffont, Paris, 1976, et Témoin du siècle…, Grasset, Paris, 2000. — Lise London, Le Printemps des camarades, Seuil, Paris, 1996. — Pierre Olivieri, 1956 ou les Commourants, La Table ronde, Paris, 1981. — Georgi Dimitrov (présentation Gaël Moullec), Journal, 1933-1949, Belin, Paris, 2005. — Annie Kriegel et Stéphane Courtois, Eugen Fried, le grand secret du PCF, Seuil, Paris, 1997 (Kossarev y est désigné sous l’orthographe erronée de Kasarev). — Jean-François Gelly, « A la recherche de l’unité organique : la démarche du Parti communiste français (1934-1938) », Le Mouvement social, n° 121, 1982. — Entretiens avec Fernande Guyot, 2002, et avec Lise London, 2006. — Internet, <visualrian.com/images/item/6228> , <visualrian.com/images/item/98546> , <en.wikipedia.org/wiki/Nikolai_Starostin> . — Marc Giovaninetti, 50 ans au cœur du système communiste : Raymond Guyot, un dirigeant du PCF, thèse de doctorat d’histoire, Université de Paris 13, 2009.

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