ROUDY Yvette [née Yvette SALDOU]

Par Charles Sowerwine

Née le 10 avril 1929 à Pessac (Gironde) ; journaliste ; traductrice de Betty Friedan, auteure de livres sur la condition féminine, militante du Mouvement Démocratique Féminin (MDF), députée socialiste européenne (1979-1981), ministre des droits de la femme (1981-1986), députée socialiste (1986-1993, 1997-2001), maire de Lisieux (1989-2001).

Yvette Roudy et Antoine Prost lors de la Journée Maitron de décembre 2008.
Yvette Roudy et Antoine Prost lors de la Journée Maitron de décembre 2008.

Yvette Roudy a un parcours inhabituel de militante qui est le fruit de son ascension sociale. Son père, ouvrier dans la métallurgie, revint de la Première Guerre mondiale avec une pension d’invalidité et devint employé de la municipalité de Pessac. Yvette Saldou a développé un caractère indépendant, réagissant contre la formule de ses parents, « Ça, ça n’est pas pour nous” (A cause d’elles, p. 16) et contre le principe d’autorité patriarcale de son père. En 1941, alors qu’elle avait douze ans, sa mère mourut. Cherchant l’indépendance mais forcée de travailler, elle devint dactylographe dans une conserverie de poissons bordelaise à dix-sept ans.

En 1948, elle rencontra et se lia vite avec Pierre Roudy, lycéen. Pierre l’aida dans sa découverte du monde des livres. Ils se marièrent le 16 juillet 1951 à Pessac. Elle s’était inscrite au Centre national d’enseignement par correspondance pour préparer son baccalauréat. Pour préparer sa licence, Pierre obtint un poste d’assistant en Écosse. Partis ensemble à Glasgow en 1951, ils y firent un séjour de trois ans, ce qui permit à Yvette de perfectionner sa connaissance de l’anglais.

De retour à Bordeaux en 1955, Yvette Roudy réussit à passer le baccalauréat et prit un emploi dans une compagnie américaine. La compagnie se déplaça à Paris en 1956 et le couple suivit aussi. Pierre, qui organisait des activités théâtrales au lycée où il enseignait l’anglais, présenta une pièce adaptée par Colette Audry, Yvette fait ainsi connaissance de cette ancienne de la Résistance, socialiste et féministe, proche de Pierre Mendès-France, militante à cette époque au Mouvement Démocratique Féminin (MDF).

Colette Audry confia à Yvette Roudy sa première traduction importante, celle du livre de l’Américaine Betty Friedan, The Feminine Mystique (1963), qu’elle traduisit sous le titre La femme mystifiée (1964). Elle traduisit par la suite Ma Vie d’Eleanor Roosevelt (1965) et La Place des femmes dans un monde d’hommes d’Elizabeth Janeway (1972). Grâce à ce travail, elle put quitter son emploi et se consacrer au travail intellectuel.

La femme mystifiée, qui a fait sensation aux États-Unis, fut considéré comme une base du renouveau du féminisme outre-atlantique. Yvette Roudy trouva qu’il lui manquait, une dimension politique, mais fut tout de même impressionnée par le problème qu’il posait, celui de la femme éduquée qui souffrait “de vivre au-dessous de ses capacités” (À Cause d’elles, p. 77). Colette Audry ayant aidé Yvette dans la traduction, une amitié s’était nouée.

Suite à sa demande, en 1964 Yvette Roudy suivit Colette Audry dans le MDF et y fit la connaissance de Marie-Thérèse Eyquem, qui présidait alors cette organisation. Y. Roudy milita sérieusement dans le MDF et, à l’automne 1965, fonda un journal bi-mensuel, La femme du XXe siècle, édité par le MDF, dont elle resta directrice jusqu’à sa disparition en 1971, suite à la fondation du nouveau Parti socialiste. Colette Audry et Marie-Thérèse Eyquem firent partie du comité de rédaction. La voici donc journaliste.

La femme du XXe siècle prônait les droits des femmes, dont le droit à la contraception (appelée alors « planning familial »), encore interdite à l’époque. Les femmes du MDF ont demandé à François Mitterrand* en 1965 de soutenir ces thèses à l’occasion de sa première campagne présidentielle ; il s’y était engagé. C’est dans un entretien accordé à cette revue que François Mitterrand s’est déclaré « partisan du planning familial » (La femme du XXe siècle, n° 3, octobre-novembre 1965, p. 4).

Suite à son succès relatif lorsqu’il arriva au second tour face au Général de Gaulle en 1965, Mitterrand constitua la Convention des Institutions Républicaines (CIR) en vue des élections législatives de 1967. Le MDF y entra dès le départ. Pour ces élections, Mitterrand souhaitant des candidatures féminines, Y. Roudy se présenta, à Meaux Coulommiers, circonscription sans espoir.

Yvette Roudy aida Mitterrand en préparant des rapports sur les sujets américains d’actualité, tels les Black Panthers et Angela Davis. Elle représenta la Convention au comité de soutien à Angela Davis et au Mouvement de la paix et dans d’autres instances de la gauche. Elle aida ainsi F. Mitterrand dans son projet de rassembler la gauche.

Pour le MDF et La femme du XXe siècle, elle fit en 1968 des recherches sur le rôle des femmes en Suède et obtint une interview avec Olaf Palme, premier ministre social-démocrate. De retour à Paris le 10 mai 1968, elle découvrit les évènements, qu’elle vécut un peu en-dehors. Candidate (20e arrondissement de Paris) aux élections législatives de juin 1968, elle échoua comme presque toute la gauche. Après diverses expériences, dont un passage au Club Med comme GO (gentil organisateur dans le langage de l’époque), Y. Roudy entra en franc-maçonnerie, dans la Grande Loge féminine de France. Elle resta laïque et anticléricale dans sa vision de la société.

Au congrès d’Épinay de juin 1971, François Mitterrand atteignit son objectif : rassembler la gauche non communiste dans un nouveau Parti socialiste. Yvette Roudy y entra avec le MDF, déjà militante éprouvée. Soutenue par Mitterrand, Y. Roudy passa quatre ans à sillonner la France, organisant des conférences. Mais dans le nouveau parti, elle rencontra une opposition misogyne. Lors des élections législatives de 1973, elle ne fut pas candidate et il n’y eut pas une seule femme parmi les nouveaux députés socialistes. L’année suivante, Mitterrand échoua aux élections présidentielles anticipées qui suivirnt la mort de Georges Pompidou.

« Pour y voir plus clair », Yvette Roudy écrivit La Femme en marge, ouvrage paru en 1975, l’année de la femme (ONU). C’était un livre féministe étoffé. Elle obtint de Mitterrand une préface de soutien, dans laquelle notamment il loua Yvette Roudy, « militante qui, depuis dix ans, n’a cessé de réfléchir et de lutter à la fois sur deux fronts : le féminisme et le socialisme » et avoua, « sur le fond du débat, je ne peux que lui [Yvette Roudy] donner raison : il existera une vraie société socialiste le jour où la femme ne sera pas seulement reconnue par nous comme une égale, mais comme différente, c’est-à-dire où nous n’essaierons plus de lui imposer notre propre modèle, mais où nous accepterons qu’elle invente le sien » (La femme en marge, p. 8).

Le congrès de Suresnes, en 1974, accepta un quota féminin de 15 % et la création du secrétariat national aux droits de la femme, dont Yvette Roudy devint la première secrétaire nationale. Le congrès de Nantes (juin 1977) soutint « une Convention Nationale sur les Droits de la Femme », qui adopta le 15 janvier 1978 un Manifeste du Parti socialiste sur les droits des femmes orientant le parti sur des principes féministes assez larges. Le Manifeste fut publié dans Le Poing et la rose, février 1978, et en brochure en 1979 sous le titre, Féminisme, socialisme, autogestion.

Aux élections législatives de 1978, Y. Roudy fut parachutée à Lyon mais n’y fut pas élue. Pour les élections au Parlement européen en 1979, au scrutin de liste, elle réussit à obtenir pour les femmes 30 % des places gagnables et c’est ainsi qu’elle se retrouva parmi les six femmes sur vingt députés socialistes et radicaux de gauche. Elle y fonda la commission des droits des femmes et en devint la première présidente. Son rapport fut adopté.

Au lendemain de la victoire de Mitterrand aux élections présidentielles, le 10 mai 1981, Pierre Mauroy, qui venait d’être nommé premier ministre, lui offrit, à sa grande surprise, le Ministère des droits de la femme. Valéry Giscard d’Estaing avait créé un Secrétariat à la condition féminine (y nommant Françoise Giroud), mais Y. Roudy fut nommée ministre et membre du gouvernement. Qui plus est, de l’appeler « des droits de la femme » invoquait les « droits de l’homme » de 1789, phrase qui a toujours une grande résonance dans la culture française.

Le ministère a eu quelque cinq mille employés et un budget dix fois plus important que celui du précédent Secrétariat. Yvette Roudy commença par une campagne nationale de publicité pour le principe et les méthodes de contraception par des « spots » télévisés. Roudy demanda à la célèbre cinéaste Agnès Varda un court-métrage sur ce sujet tabou. Fin 1981, chaque soir paraissait à la télévision de la publicité pour la contraception qui à la grande surprise de beaucoup fut très bien reçue.

Y. Roudy persuada le président de fêter la journée internationale des femmes—célébrée d’abord par les femmes socialistes en 1910 et reprise ensuite par les femmes communistes — comme événement officiel. Le 8 mars 1982, donc, François Mitterrand a présidé une grande cérémonie et y a prononcé un discours prônant « l’autonomie, l’égalité, [et] la dignité » de la femme, confiant à Yvette Roudy la tâche de corriger les injustices dont souffraient les femmes.

Yvette Roudy nomma l’historienne Madeleine Rebérioux et la sociologue Madeleine Guilbert à une commission qui a présenté en 1982 un rapport très important, Les Femmes en France dans une société d’inégalités. Ce rapport fut à la base de maintes réformes. Le ministère encouragea et subventionna les organisations féminines, pour un montant de 60 millions de francs en 1983. Y. Roudy fit publier le Guide des droits des femmes, en 1982, qui en 95 pages informait les femmes de tous leurs droits. Elle créa 136 Centres de consultation pour conseiller les femmes sur leurs droits et distribuer le Guide des droits des femmes. Elle assura le développement de refuges pour les femmes battues dans toutes les villes. Elle prescrivit des normes pour la représentation des femmes dans les manuels scolaires.

La loi sur l’égalité professionnelle, parue dans le JO du 14 juillet 1983 après deux ans de préparation, s’inspirait des lois américaines contre la discrimination raciale et sexuelle. Elle exigeait que tous les patrons fournissent des rapports annuels sur la situation des femmes dans leurs entreprises et qu’ils préparent des « contrats pour l’égalité ». Il fallut d’autres mesures en 1989 pour mettre fin à la pratique consistant à masquer les inégalités par des descriptions différentes de travaux similaires, mais cette loi marquait une importante étape vers l’égalité pratique.

Le Ministère inspira des femmes et des féministes à travers le monde et a même donné naissance à un néologisme en anglais : « femocrat ». Mais il y a eu des déceptions inévitables. L’Assemblée nationale accepta un projet de loi assurant que les femmes constitueraient au moins 25 % sur toutes les listes de candidature électorales, mais en 1983 le Conseil Constitutionnel invalida la loi, la jugeant discriminatoire.

Yvette Roudy avait réussi à assurer le remboursement partiel de l’IVG. En effet, la loi Veil, légalisant la procédure, n’avait prévu aucun remboursement, laissant peser ainsi sur les femmes pauvres un poids terrible. Le projet de loi qu’avait déposé Y. Roudy avait rencontré une opposition farouche. Mitterrand avait tranché par un compromis, révisant la loi Veil afin d’assurer le remboursement mais seulement à 70 % et par un budget spécial, non pas par la Sécurité sociale.

La plus grande déception qu’éprouva Yvette Roudy résulta du projet de loi dite « anti-sexiste ». Annoncé dans le discours lors de la Journée internationale des femmes en 1983, il reprenait la loi anti-raciste et cherchait à empêcher la publicité dégradante pour la femme. Après un débat d’une virulence inouïe, le projet fut enterré sans suite.

Le 22 mars 1983, deux semaines après la Journée internationale des femmes, le gouvernement Mauroy limita la participation au Conseil des Ministres aux ministres à part entière au nom de l’efficacité (en fait il s’agissait de préparer le tournant économique et le rejet de la politique socialiste). Y. Roudy, en tant que ministre déléguée auprès du premier ministre, se trouvait donc exclue de ces réunions, comme une dizaine d’autres ministres. Mais Yvette Roudy sortit renforcée de cette épreuve. En 1984 (grâce, pense Yvette Roudy, à l’intervention de Simone de Beauvoir auprès de François Mitterrand), elle est nommée ministre à part entière et eut donc un statut supérieur, mais lors de l’avènement du gouvernement Chirac en 1986 le ministère fut démantelé.

Forte de son succès au ministère, Yvette Roudy fut élue députée du Calvados en 1986 et devint maire de Lisieux en 1989. Elle siégea à l’Assemblée jusqu’en 2002, exception faite de la législature 1993-1997. Elle resta maire de Lisieux jusqu’en 2001. Elle continua son activité en faveur des femmes et joua un rôle important dans la parité. Elle initia les rencontres d’éminentes femmes politiques, rencontres qui aboutirent à la célèbre couverture de L’Express du 6 juin 1996, où l’on voit dix femmes élues qui avaient occupé des postes importants, cinq de gauche, cinq de droite. À l’intérieur, huit pages entières, avec l’historique et la sociologie de la question, un manifeste des dix femmes élues soutenant la parité, et surtout l’engagement d’Alain Juppé, premier ministre précédent, et de Lionel Jospin, premier ministre à l’époque, en faveur de la parité.

Les principales féministes dans le Maitron : https://maitron.fr/spip.php?mot192

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88601, notice ROUDY Yvette [née Yvette SALDOU] par Charles Sowerwine, version mise en ligne le 4 août 2010, dernière modification le 8 mars 2020.

Par Charles Sowerwine

Yvette Roudy et Antoine Prost lors de la Journée Maitron de décembre 2008.
Yvette Roudy et Antoine Prost lors de la Journée Maitron de décembre 2008.

ŒUVRE : Traductions et éditions : Audry Colette, Rien au-delà, Paris, Denoel, 1992. Postface d’Yvette Roudy. — Friedan Betty, La femme mystifiée. Traduit de l’américain par Yvette Roudy, Paris, Gonthier, 1964. — Friedan Betty, Les femmes à la recherche d’une quatrième dimension. Traduit de l’américain par Henriette Etienne et Yvette Roudy, Paris, Denoël, 1969. — Janeway, Elizabeth. La Place des femmes dans un monde d’hommes, traduit de l’américain par Yvette Roudy, Paris, Denoël- Gonthier, 1972. — Roosevelt, Eleanor. Ma Vie. Traduit de l’américain par Yvette Roudy, Paris, Gonthier, 1965.
Ouvrages : La femme en marge. Préface de François Mitterrand. Paris : Flammarion, 1975 (collection La Rose au poing), 2e éd. Paris : Flammarion, 1982. —. Mais de quoi ont-ils peur ? Un vent de misogynie souffle sur la politique. Paris : A. Michel, 1995. —À cause d’elles. Paris : A. Michel, 1985. — Yvette Roudy et Lydie Péchadre, avec la collaboration de Sarah Peltant. La Réussite de la femme. Paris : Denoël, 1970.

SOURCES : Interview avec Yvette Roudy, le 17 mai 2001. — L’Express, 6 juin 1996, p. 28-38. — La Femme du 20e siècle, revue bimestrielle éditée par le Mouvement Démocratique Féminin. N° 1, juillet-août 1965-N° 17, 1971. — Le Nouvel observateur, 5 avril 1971, p. 5-6. — Le Poing et la rose : bulletin socialiste, organe mensuel d’information du Parti socialiste. — Ministère des droits de la femme, Les Femmes en France dans une société d’inégalités : rapport au Ministre des droits de la femme, Présidente de la commission : Madeleine Rebérioux, Paris, La Documentation française, 1982. — Ministère des droits de la femme. Guide des droits des femmes, Paris, La Documentation française, 1982. — Parti socialiste. Féminisme-Socialisme-Autogestion : Les grands thèmes du manifeste du parti socialiste sur les droits des femmes. Paris, Parti socialiste, 1979. — Jane Jenson et Mariette Sineau, Mitterrand et les Françaises : un rendez-vous manqué, Paris, 1995. — Sîan Reynolds, « The French Ministry of Women’s Rights 1981-1986 : Modernisation or Marginalisation ? ». In John Gaffney, ed., France and modernization (Aldershot Hants, 1988). — Sîan Reynolds, « Women and Political Representation during the Mitterrand Presidency - or the Family Romance of the Fifth Republic », In Mairi Maclean, ed., The Mitterrand years : legacy and evaluation, London, 1998. — Charles Sowerwine, France since 1870 : Culture, Politics and Society, London, Palgrave Macmillan, 2001. Chapitre 26. — Dorothy M. Stetson Women’s rights in France, New York, 1987. — État civil.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable