Par Marc Giovaninetti
Né en 1904 dans la petite ville d’Abaújszántó, dans l’extrême nord-est de la Hongrie actuelle, mort en 1965 ; dirigeant de l’Internationale communiste des Jeunes ; dirigeant du Parti communiste hongrois.
Michal Wolf, le plus sûr pilier de l’Internationale communiste des Jeunes à partir de la fin des années 1920 et jusqu’à sa dissolution, fut le prototype de ces kominterniens natifs de l’Empire des Habsbourg, à la nationalité mal définie, dont la compétence justifia une durable carrière administrative à Moscou, où il réchappa aux purges et à la guerre pour se recycler ensuite dans l’appareil dirigeant des démocraties populaires, pour lui la Hongrie.
Né dans l’extrême nord-est de la Hongrie actuelle, aux confins de la Slovaquie, Hermann Löwy fut élevé par une mère célibataire, juive, domestique dans une famille de l’aristocratie hongroise de Kassa (Košice, dans l’actuelle Slovaquie). Il aurait suivi des études primaires supérieures et une formation de mécanicien-imprimeur. Tôt gagné aux idées communistes, comme nombre de jeunes juifs d’Europe centrale, il était dès 1919 signalé comme secrétaire des Jeunesses ouvrières de Košice, principale ville de la région, puis comme animateur des Jeunesses socialistes de Slovaquie, qui prônèrent le ralliement à la IIIe Internationale à leur congrès de septembre 1920.
Établi au nord de la nouvelle frontière, il semble avoir échappé aux convulsions de la révolution hongroise de 1919. Il adhéra au PC tchécoslovaque à sa fondation en 1921, et seconda le secrétaire régional du PCT, le fameux Eugen Fried qui devait plus tard inspirer l’action du PC français, dans ses efforts de bolchevisation du parti. Arrêté deux fois en 1924, notamment pour son rôle dans l’organisation d’une grève locale, il fut condamné à plusieurs années de prison en 1925, et purgea une partie de sa peine en compagnie de Fried, condamné lui aussi pour ses activités politiques à une détention un peu moins longue. Les Löwy vivaient alors très pauvrement, d’après le témoignage du fils d’Hermann. Celui-ci déjà marié et père d’un petit garçon né en 1925, prénommé Vladimir en l’honneur de Lénine, cohabitait avec sa mère et sa sœur. Le hongrois était la langue familiale, et la grand-mère, pourvue d’un grand charisme malgré sa faible éducation, également gagnée aux idéaux communistes, était une personnalité locale du Secours rouge international. Les parents du petit Vladimir se séparèrent pendant la détention du père, la mère trouva refuge en France, et le garçon grandit auprès de sa grand-mère.
On retrouve la trace du « camarade Michel » évoqué par Fried à Moscou après sa libération. En juillet 1929, Branko Lazitch le mentionne comme délégué du PC hongrois sous le pseudonyme de Wolf au 10e Plenum de l’Internationale communiste. Bien que ne figurant pas sur la liste des 90 membres du Comité exécutif de l’Internationale communiste des Jeunes, qui réunit aussi son Plenum quelques mois plus tard, c’est au sein de cette organisation, encore dirigée par Rafail Khitarov puis par Vassili Tchemodanov, que Wolf s’illustra bientôt par d’importantes responsabilités.
De 1932 à 1935, il aurait été affecté au WEB, le Bureau de l’Europe de l’Ouest de l’IC, soit quelques mois à Berlin jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Hitler qui contraint les kominterniens à quitter la capitale allemande. Plus sûrement, d’après une longue lettre qu’il envoya en 1937 à Dimitrov, « de l’automne 1933 à l’automne 1934 », il avait « travaillé en France comme seul employé du WEB ». Il participa en effet au 13e plenum de l’ICJ qui s’ouvrit à Moscou le 20 décembre 1933 pour traiter essentiellement de la question française, et surtout, il représenta l’organisation internationale au congrès extraordinaire des Jeunesses communistes françaises convoqué à Ivry au début du mois de février 1934. Il s’agissait, en l’occurrence, de réaligner les Français derrière leur secrétaire Raymond Guyot, récemment libéré de prison, assisté de Victor Michaut, les deux hommes choisis par l’IC sous l’influence de Manouilski et Piatnitski, et surtout de Fried et Thorez qui les ont investis de toute leur confiance pour réaliser le « tournant » qui transformerait les JC en organisation de masse, sans pour autant abandonner (pour l’instant) la tactique « classe contre classe » adaptée à la prétendue « troisième période ». Pour ce faire, il a été décidé d’évincer quasiment toute la direction intérimaire des JCF, dans le sillage de Georges Charrière, le plus durement critiqué pour l’ « opportunisme » de sa « politique dégoutante », et après lui Gaston Coquel, Jeannette Vermeersch, Auguste Delaune et quelques autres. Jacques Duclos, le responsable du PCF chargé de suivre les JC, ne s’étant apparemment pas montré assez dur lors des réunions de préparation, Michal Wolf va faire le sale boulot. Dans son discours à Ivry, rédigé dans un français un peu maladroit mais très intelligible, il rabroua sans ménagement les jeunes visés, qui s’étaient préalablement autocritiqués avec plus ou moins d’ardeur : « toute une série [de] camarades dirigeants [n’ont reconnu que] très lentement et avec difficultés leurs fautes […]. Leurs faiblesses […] représentent toute une tendance : le fossé opportuniste entre les paroles et les actes, […], l’acceptation en parole de la ligne véritable mais sa non exécution dans la pratique […]. Les cadres […] ne doivent pas être assis dans les bureaux et faire grincer les plumes, se plonger dans les papiers, user leurs fonds de culottes dans des réunions interminables […] ». Michaut enfonça le clou avec la même vigueur, tandis que Guyot distribuait parcimonieusement quelques consolations. Aucun ne fut exclu, mais tous furent écartés. La « camarade Jeannette », qui d’après Guyot avait été une « des bêtes noires » de Wolf, lui en aurait gardé une rancune tenace. Guyot devait d’ailleurs affirmer bien plus tard que le délégué de l’ICJ n’avait « pas beaucoup éclairé ici », mais lui-même était resté dans son sillage, et ne devait se révéler qu’à la faveur du véritable « tournant » stratégique consécutif aux émeutes du 6 février 1934. Celles-ci éclatèrent le soir même de l’intervention de Wolf à Ivry.
De nouveau convoqué à Moscou à la fin de cette année 1934 pour une réunion du présidium du KIM, Guyot fut à son tour très vertement critiqué par Tchemodanov à cause de la tournure très « opportuniste » impulsée en France par la nouvelle stratégie unitaire. Wolf, qui sentait le vent incertain, comme Manouilski et Dimitrov (Staline n’avait pas encore tranché), se montra alors prudent. Finalement, les Français furent approuvés, ce qui permit à Wolf dans cette lettre de 1937 déjà citée de dénoncer son ancien supérieur Tchemodanov, qui « affirmait une ligne sectaire » et entretenait « une ambiance très mauvaise et des dispositions très hostiles, tout d’abord contre les camarades Manouilski et Raymond ». Logiquement, la nouvelle ligne devait consacrer Guyot comme secrétaire général de l’ICJ à son 6e Congrès, en septembre-octobre 1935, Tchemodanov étant rétrogradé à la troisième place, derrière Wolf. Présenté dans les comptes-rendus comme délégué de la Tchécoslovaquie (tout comme aux 12e et 13e Plenum, en 1932 et 1933), ce dernier gardait sa place de pivot en deuxième position au secrétariat. Ce congrès, le dernier, avait été préparé sous la responsabilité d’Otto Kuusinen, après la déchéance d’Ossip Piatnitski. Si Wolf, à l’applaudimètre consciencieusement noté dans les comptes-rendus, se situait un cran derrière ses deux camarades (applaudissements debout, mais simples pour lui, « frénétiques » pour les autres), c’est à lui qu’échut la lourde tâche de présenter le rapport d’activité, interminable, sur le « front unique de la jeunesse », et en commun avec Guyot sur son application en France. Dimitrov, le jour de l’ouverture, l’avait distingué, avec trois autres secrétaires (les deux déjà cités plus l’Américain Gil Green), parmi les « camarades qui ont grandi dans ce mouvement ». Juste après le congrès, Guyot étant rentré à Paris pour régler sa succession, Wolf se chargea de rembarrer le Comité national des JC britanniques qui contestait la nomination du cinquième titulaire du Secrétariat, l’Écossais Alex Massie, considéré comme « non représentatif », au détriment de leur favori John Gollan. « Nous exprimons notre profond étonnement au sujet du caractère inadmissible de vos décisions », écrit Wolf. « Le conseil national tente de parler avec l’exécutif de l’ICJ un langage qu’il n’emploie même pas avec ses adversaires politiques ». Quelques mois plus tard, toujours en l’absence du secrétaire général, il participa à l’accueil des quatre jeunes socialistes et communistes espagnols venus à Moscou négocier la fusion de leurs deux organisations, mais d’après le témoignage de Santiago Carrillo, Tchemodanov tint alors le rôle principal.
Quand Guyot s’installa à Moscou pour occuper ses fonctions, Wolf se fixa à Paris avec pour mission d’appuyer les démarches unitaires des JC dans les démocraties occidentales. Une correspondance suivie (en allemand) s’établit entre les deux hommes, particulièrement en juillet, après les succès du Front populaire en France et ses premières menaces en Espagne. Au cours de ce mois, Wolf organisa dans la capitale française une importante réunion de responsables de l’ICJ, principalement destinée à préparer le Congrès mondial de la Jeunesse pour la Paix, prévu pour la fin du mois d’août sous le couvert de la SdN en son Palais genevois, mais en fait voulu et organisé par l’ICJ. Les pièces maîtresses du dispositif étaient pour la France l’étudiant André Hoschiller (futur André Carrel), et le « sous-marin » de l’ICJ Marcel Godard (Erwin Pollack de son vrai nom, lui aussi un originaire d’Europe centrale, et proche ami de Wolf), qui dirigeait à Paris le Rassemblement universel pour la Paix et sa revue le Courrier universel de la Jeunesse, une couverture pour tisser des liens avec les jeunes d’autres sensibilités, particulièrement les chrétiens. Wolf l’envoya à Genève aplanir les difficultés avec les représentants de la SdN. Au bord du lac Léman se mêlèrent en effet des centaines de jeunes communistes et chrétiens (mais peu de socialistes, peu de catholiques, et ni Allemands ni Italiens). Wolf appartenait à la délégation officielle de dix membres de l’ICJ mais ne se distingua guère. Les autres ténors y étaient aussi, et ce fut une des dernières apparitions publiques de Tchemodanov, arrêté l’année suivante, enfoncé par des lettres de dénonciation de Wolf et Godard. Un secrétariat mondial pour la paix fut mis en place, dirigé de Paris par une autre « sous-marin » communiste, la Britannique Betty Shields-Collins, dont la tâche essentielle fut de préparer un deuxième Congrès encore plus imposant, en 1938 à New York. Mais là, l’ICJ ne fut pas représentée en tant que telle, et Wolf ne fit donc pas le voyage transatlantique. Par contre, relayant ses camarades russes, et Guyot qui avait déjà réalisé deux missions en Espagne fin 1936 pour arrondir les angles entre les militants réunis dans les Jeunesses socialistes unifiées, Wolf représenta l’ICJ au Congrès qui entérina enfin la fusion des jeunesses socialistes et communistes sous la direction de Carrillo. De ce déplacement de janvier 1937, en pleine guerre civile, il serait pourtant hasardeux de déduire, comme l’avancent certaines biographies, qu’il a « combattu en Espagne »… Les deux hommes, Guyot et Wolf, se trouvèrent encore réunis à l’occasion du 9e Congrès des Jeunesses françaises, en juillet 1937 à Paris.
Juste après le congrès de Genève, la jeune Lise Ricol (plus tard London) qui rentrait d’un séjour prolongé à Moscou où elle avait travaillé comme secrétaire au Komintern, rencontra Wolf à Prague lors d’un transit passé en compagnie de son beau-frère. Elle raconte sur lui une anecdote peu flatteuse, où il se serait montré grossier, grivois sans doute, déclenchant la fureur de son compagnon qui le qualifia ensuite de « voyou » en dépit de ses excuses.
Dès 1937, et en tout cas en 1938, Wolf demeurait à nouveau à Moscou. Guyot avait pris ses distances. Rentré à Paris fin 1937 pour se faire élire député Guyot ne fit plus que des séjours de courte durée à Moscou, sauf entre mai 1940 et octobre 1941, et Wolf devint de fait le numéro un du KIM., toujours sous la tutelle de Dimitrov, Manouilski et Kuusinen. Cela se vérifie aux mentions à son nom dans le journal du secrétaire général du Komintern à partir de 1938, à son abondante correspondance avec les dirigeants des jeunes communistes de divers pays, à sa présence aux réunions des instances de direction, y compris au Secrétariat de l’IC, dont il n’était pourtant que membre suppléant du Présidium depuis le 7e Congrès de 1935. Devenu un kominternien endurci, bureaucrate sévère, scrupuleux mais efficace d’après la lecture de ses rapports et courriers, il ne fut sans doute guère ému par le revirement consécutif au Pacte germano-soviétique et l’abandon de la propagande antinazie, ni par l’invasion allemande et l’exode du Komintern à Oufa en octobre 1941, ni même par la dissolution des organisations communistes internationales en mai 1943. On note cependant en mars 1939 un reproche adressé au secrétariat du KIM à propos de la Tchécoslovaquie : la situation de ce pays, le seul où Wolf avait durablement exercé ses capacités militantes dans un cadre national, n’a pas été évoquée une seule fois depuis son dépeçage consécutif aux accords de Munich. Peut-on corréler cette lacune avec une exceptionnelle préoccupation familiale du secrétaire ? Au cours de cet hiver, il réussit non sans mal à faire venir à Moscou son fils âgé de treize ans et qu’il n’avait quasiment jamais vu, sauf lors de visites en prison dans ses toutes jeunes années. Le jeune garçon découvrit consterné les conditions de vie sommaires de son père, confiné avec sa seconde femme, avec leur petite fille de deux ans, Renata, et une aide ménagère soviétique dans deux minuscules chambres de l’Hôtel Lux, au même étage que les familles Gottwald et Pieck. Rude désillusion pour un enfant communiste qui croyait au paradis socialiste, mais qui vécut pourtant la suite de sa vie dans l’orbite de ce père pour qui il n’éprouvait aucune tendresse.
À partir de novembre 1938, les communications avec les militants actifs hors d’URSS devenant de plus en plus difficiles et aléatoires à cause de la clandestinité, de la répression puis de la guerre, la radio devint le media à développer en priorité. Les émissions internationales à destination de la jeunesse constituèrent ainsi l’essentiel des sujets évoqués lors des rencontres de Dimitrov avec Wolf et le Soviétique Sloutsker, l’autre dernier dirigeant actif de l’ICJ, à partir de 1941 (au moins six mentions). Depuis Oufa, ce fut même quasiment la seule activité qui occupait encore quelques employés, avec le suivi des écoles et orphelinats réservés aux enfants et adolescents étrangers réfugiés en URSS, principalement espagnols et germanophones, et des « jeunes stagiaires de l’école du parti » à Kouchnarenkovo. Pour ces derniers, l’après guerre était envisagé dès août 1942. Un des rares témoins, désabusé, à avoir raconté la pitoyable agonie du Komintern à Oufa ne mentionne à la fin plus que deux militants travaillant pour l’ICJ, et encore n’avaient-ils « plus rien à faire », un Espagnol et un Hongrois. Ce dernier, récemment échappé des geôles de son pays, n’était donc pas Wolf mais sans doute Weinberger. Pourtant, au moment de la dissolution, il fallait un responsable titré pour entériner la décision prise au nom du Présidium de l’IC. Ce fut Wolf qui participa aux dernières réunions autour de Dimitrov, les 13 et 17 mai 1943, avec les autres secrétaires et dirigeants qui avaient pu se rassembler, Thorez, Marty, Dolorès Ibarruri, Pieck, Ulbricht, Rákosi, Anna Pauker, Manouilski, Stepanov, Fürnberg… Il signa l’acte au nom de l’ICJ.
Désormais, les préparatifs étaient à l’après-guerre, et pour Wolf, clairement orientés vers la Hongrie, dans le sillage de ses deux aînés Mathias Rákosi et Ernst Gerö – ce dernier, comme lui, un dirigeant kominternien de longue date, qui avait aussi supervisé les communistes français au début des années 1930. Déjà avant la dissolution, le 23 février, Dimitrov avait rassemblé six Hongrois ; parmi eux, Gerö, Wolf et Weinberger lui firent « un rapport sur leur séjour dans les camps remplis de la masse compacte des prisonniers ». Dimitrov se réjouit qu’ « ils [aient] réuni des renseignements très utiles sur la situation en Hongrie », et leur « donne des instructions sur les mesures concrètes en direction des prisonniers de guerre hongrois ». Quelques mois plus tard, Wolf et deux autres communistes hongrois furent envoyés clandestinement en Hongrie, et s’acquittèrent suffisamment bien de leur mission pour que Rákosi fît à Dimitrov un rapport sur « les affaires » de son pays. Peu après, le 8 août 1943, l’ex secrétaire général du Komintern recevait Wolf pour une nouvelle « infiltration » en Hongrie, et lui donnait « des instructions ». Une mission à haut risque, évidemment, qui prouvait que l’homme, en plus de l’expérience, ne manquait pas de courage. En octobre 1944, Dimitrov reçut à nouveau cinq dirigeants hongrois, « Rákosi, Gerö, Wolf, Revaï, Magyar ». La question du pouvoir était cette fois à l’ordre du jour, et Dimitrov se montrait plus sévère, critiquant « leur façon irréelle de voir les choses, leurs spéculations politiques et autres », leur conseillant « de retravailler leur plateforme », et, « le plus important, de s’occuper sérieusement de l’envoi d’un groupe de dirigeants du parti sur le territoire hongrois pour un travail de parti sur place. » Ce dernier conseil, au moins, devait être suivi. Une semaine plus tard, il recevait le général commandant le front ukrainien « en compagnie de Gerö, Revaï et Wolf, sur le travail de ces derniers pour le PC de Hongrie sur les territoires en Hongrie pris par l’Armée Rouge. »
Commençait alors pour l’ex-kominternien une carrière de dirigeant de démocratie populaire dans les plus hautes sphères du pouvoir. D’abord, en 1945, comme sous-secrétaire d’État à l’Intérieur et chef de la police. Dimitrov le mentionna une dernière fois dans son Journal, en février 1947, quand lui-même était rentré en Bulgarie. Wolf (Farkas précise-t-il entre parenthèses, car son ancien subordonné avait adopté un nom hongrois dont la signification est la même que son précédent pseudonyme allemand, le « loup ») et un autre « sont venus pour étudier notre système électoral ». La maîtrise des élections, améliorée de la « tactique du salami » chère à Rákosi, devait bientôt assurer aux communistes un pouvoir hégémonique. En septembre, Farkas fut de ceux qui fondèrent le Kominform sous la houlette de Jdanov à Szklarska Poreba en Pologne. Ministre de la Défense nationale entre 1948 et 1953, il apparaissait comme une pièce maîtresse du régime de terreur progressivement mis en place par Rákosi. Son fils le tient pour le principal responsable en second. Ainsi, la réputation de « férocité » que lui prête l’historien Pierre Broué lui vient de son rôle dans l’élimination de László Rajk, le ministre des Affaires étrangères et rival de Rákosi, victime en 1949 du premier grand procès stalinien de l’après guerre à l’est du Rideau de Fer, puis de nombreux autres responsables hongrois, sauvagement brutalisés ou torturés, selon le témoignage repentant de son fils Vladimir Farkas, devenu à cette époque un haut gradé de la police politique. Il aurait notamment assisté et encouragé ce dernier lors des interrogatoires de János Kádár, et Gábor Péter, le chef de la police politique, aurait été arrêté en sa présence, dans la maison de Rákosi.
En 1953, cependant, après la mort de Staline, désormais privé du soutien de Moscou, son étoile commença à pâlir avec celle de Rákosi, d’autant que, toujours d’après son fils, ses relations avec ce dernier s’étaient refroidies à partir de 1952. Exclu du gouvernement de « cours nouveau » d’Imre Nagy, qu’il soutint pourtant, il perdit ses responsabilités dans les domaines policiers et militaires, et fut confiné au parti, où il garda sa place au secrétariat, à des tâches culturelles et journalistiques plus anodines. En 1955, le regain d’influence de Rákosi, resté secrétaire général du Parti, ne lui permit pas de retrouver des fonctions plus prestigieuses. Bien au contraire, il perdit ses places au secrétariat et au bureau politique, et commençait à faire figure de bouc émissaire idéal pour les excès répressifs de la période précédente. Il aurait également été victime de l’antisémitisme rampant qui commençait à gangrener la société hongroise, fomenté notamment par Rákosi, pourtant lui aussi d’origine juive. Quand Rákosi, face à la montée de l’agitation, dut renoncer en juillet 1956 à ses fonctions et s’autocritiquer, des voix avaient déjà réclamé la mise en accusation de son ancien bras droit. Des enquêtes étaient en cours contre lui et son fils, sur les montages de fausses accusations dans les procès de la période stalinienne. Il fut exclu du Parti au mois de juin et déchu de son grade de général. L’éphémère accession au secrétariat général de son ancien compagnon moscovite Gerö, puis l’écrasement de la Révolution et l’emprisonnement de Nagy ne purent sauver Farkas qui apparait comme la principale victime expiatoire des événements. La rumeur courut, jusque dans les rangs du PC français, de son assassinat, soit par la population insurgée, soit par des agents de la police politique paniqués par ses possibles révélations. En fait, il fut arrêté le 12 octobre, jugé et condamné pour ses crimes à seize ans de prison en avril 1957. Son fils subit un destin analogue. Rákosi, le principal coupable de tant de crimes, avait trouvé refuge en URSS, où il vieillit tranquillement, un exil que Farkas aurait pour sa part refusé aux heures les plus chaudes de l’année 1956. Il fut cependant gracié en 1960 par le nouveau dirigeant du pays, János Kádár, une de ses anciennes victimes. Vladimir, dernier libéré des condamnés pour les crimes de l’époque stalinienne, la même année que son père, eut alors à cœur de témoigner, tandis que Mihály trouvait un travail de traducteur dans une maison d’édition, ce à quoi le prédisposaient ses qualités de polyglotte (au moins le hongrois, le slovaque, l’allemand, le russe, le français). Il mourut en 1965 d’une crise cardiaque (une faiblesse physique déjà mentionnée par son fils en 1939), oublié dans son pays mais définitivement affublé d’une détestable réputation.
Par Marc Giovaninetti
SOURCES : RGASPI, 495-18-1109, 1117 (Secrétariat de l’IC), 495-73-57 (lettre de Wolf à Dimitrov), 533-1-236, 237, 256, 259, 260, 267, 169, 306 (6e Congrès du KIM), 533-2-141, 179, 182,190 (12e et 13e Plenums du KIM), 533-9-2, 35, 36, 47, 48, 60, 71, 89, 112 (correspondances, brouillons), 533-10-2606. — Archives du PCF, fonds Raymond Guyot, 283 J 2 (Congrès extraordinaire des JCF), 4 AV 2469 (entretiens enregistrés avec Raymond Guyot). — Archives nationales, fonds Thorez, 626 1P 229 (cahier-journal 1956). — L’Avant-Garde, notamment n°670, 29 août 1936, et 717, 24 juillet 1937. — La Correspondance internationale, n°113-114, 30 novembre 1935, article de Michal Wolf, « L’Internationale socialiste des Jeunes et le front unique de la jeunesse contre la guerre ». — Santiago Carrillo, Memorias…, Ed. Planeta, Barcelona, 1973. — Enrique Castro Delgado, J’ai perdu la foi à Moscou, Gallimard, Paris, 1950. — Lise London, Le Printemps des camarades, Seuil, Paris, 1996. — Georgi Dimitrov (présentation Gaël Moullec), Journal, 1933-1949, Belin, Paris, 2005. — Branko Lazitch et Milorad Drachkovitch, Biographical Dictionary of the Comintern, The Hoover Institution Press, Stanford, 1986 . — Pierre Broué, L’Histoire de l’Internationale communiste, 1919-1943, Fayard, Paris, 1997. — Annie Kriegel et Stéphane Courtois, Eugen Fried, le grand secret du PCF, Seuil, Paris, 1997. — Souria Sadekova, « Dimitri Manouilski », Communisme, n°40-41, 1994-1995. — Marc Giovaninetti, 50 ans au cœur du système communiste : Raymond Guyot, un dirigeant du PCF, thèse de doctorat d’histoire, Université de Paris 13, 2009. — Patrick Rotman et Jérôme Kanapa, Le destin de Laszlo Rajk, film documentaire, 1996. — Interview de Vladimir Farkas par Gyula Kozák, « Born into the labour movement », 1988,
<http://www.re.hu/history_of_1956/sz...>
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