GUILBERT Paul, Jules, André

Par André Caudron, Nathalie Viet-Depaule

Né le 1er février 1909 à Douvrin (Pas-de-Calais), mort le 19 juin 1985 à Lyon (IIIe arr., Rhône) ; prêtre du diocèse de Soissons (Aisne), prêtre-ouvrier du Prado à Vénissieux (Rhône, 1949), manœuvre puis OS, « insoumis » ; délégué CGT ; membre du bureau national du Secours populaire français.

Son père, Félix Guilbert, ingénieur agronome, dirigea une sucrerie puis prit la tête d’un petite affaire de sélection de graines de betteraves à Pont-d’Ardres dans le Calaisis (Pas-de-Calais). Veuf en 1918, il fit un remariage que son fils accepta mal. Paul Guilbert eut, disait-il, une « jeunesse malheureuse ». La Première Guerre mondiale l’avait marqué : il avait vu des trains de blessés et vécu l’angoisse des combats et des bombardements. Peu enclin aux études, il avait été embauché comme apprenti orfèvre à Paris, à l’âge de seize ans. Il fréquentait alors les Conférences de Saint Vincent de Paul et le cercle Benoit Joseph Labre qui lui insufflaient un christianisme à forte connotation sociale.

Après le service militaire, effectué en 1929, Paul Guilbert, attiré par le sacerdoce, entra au « Bon conseil », maison de vocations tardives fondée par l’abbé Esquerré, puis au séminaire de Conflans-Sainte-Honorine (Seine-et-Oise, Yvelines), dont il fut renvoyé pour « insuffisance intellectuelle ». Il fut alors accepté à la Maison des vocations de Soissons (Aisne) et intégra ensuite le grand séminaire de cette ville. En 1936, il obtint l’autorisation d’accomplir en usine un stage dont il rendit compte à l’aumônerie nationale de la JOC. Ayant, non sans mal, achevé sa formation, il fut ordonné prêtre du diocèse de Soissons le 16 avril 1939 et nommé vicaire à Saint-Quentin (Aisne) où il ne resta qu’un mois à cause de la mobilisation. Sous-officier dans une section disciplinaire de la 2e Armée à Sedan-Montmédy, il devint ensuite aumônier du 169e régiment d’infanterie.

Capturé dans les Vosges, versé pour cinq ans au stalag III A à Berlin, Paul Guilbert travailla un moment dans une fabrique de lunettes mais se manifesta surtout par son esprit rebelle et fut des prêtres auxquels la guerre, la camaraderie des camps, les tâches manuelles révélèrent avec force la condition ouvrière. Aussi, une fois libéré par l’armée soviétique, devenu vicaire en Picardie, à Bohain (1945) puis Fargniers (1947), il éprouva le besoin de vivre dans un logement modeste, au cœur d’un quartier très populaire plutôt qu’au presbytère, au grand étonnement du voisinage. Ce profil hors normes ne plaisait pas à tout le monde. Par suite des pressions exercées, selon lui, par sa propre famille, il fut muté en 1948 près de Lyon, vivant dans un garni de Vénissieux qu’il ne quittera plus. Il rejoignit alors la Société des prêtres du Prado, dont il partageait l’esprit. En août 1949, il fut recruté comme manœuvre-balai à la Sigma, importante entreprise de mécanique générale. Gréviste dès novembre, adhérent à la CGT, élu délégué du personnel, il eut toutes les peines du monde à gravir les échelons menant à la qualification d’OS. En 1966, il était devenu pointeur de deuxième échelon.

Proche du Parti communiste auquel il n’allait adhérer que bien plus tard, trésorier de section syndicale CGT, Paul Guilbert milita surtout au Secours populaire français. Il organisa un comité local dont il devint président, en même temps que membre du bureau national et du comité départemental. Il assistait, parallèlement, aux réunions des prêtres-ouvriers de la région (Jean Breynaert, Maurice Combe, René Desgrand, Joseph Gouttebarge, Paul Guilbert, Georges Gulon, Robert Lathuraz*, Francis Laval*, Louis Magat*, Robert Pacalet*, Charles Portal*, Jean Tarby*) qui, progressivement, voyaient leur sacerdoce menacé. Lorsque Rome interdit aux prêtres-ouvriers d’être à la fois prêtres et ouvriers en leur demandant de quitter l’usine au 1er mars 1954, il resta au travail. Les prêtres-ouvriers de sa région d’adoption furent unanimes à refuser les injonctions romaines. Le 23 mars suivant, il signait la lettre de soutien à leur confrère Joseph Gouttebarge, adressée à l’archevêque de Lyon. Le nom de Paul Guilbert disparut de l’annuaire du Prado mais celui-ci demeura en relation avec son supérieur, Mgr Ancel. Dans les années 1957-1958, en liaison avec Bernard Chauveau et Robert Lathuraz, il s’efforça de reconstituer et de maintenir un groupe de prêtres-ouvriers « insoumis », réuni à Lyon d’abord puis étendu à des rencontres nationales à partir d’Issy-les-Moulineaux (Seine, Hauts-de-Seine).

En 1960, Paul Guilbert prit l’initiative d’une entrevue avec le cardinal Gerlier, approuvée par ses amis insoumis. Il entretenait lui-même des liens – mal vus par certains membres du parti – avec l’équipe de sa paroisse et, depuis 1961, réclamait le « celebret » qui lui avait été retiré pour désobéissance en 1954 et qui lui aurait permis de dire la messe à nouveau. Après douze ans de suppliques, il finit par l’obtenir « sous le manteau » avant de le recevoir officiellement du nouvel archevêque, le cardinal Renard, en 1977.
En 1976, la municipalité de Vénissieux l’avait nommé citoyen d’honneur de la ville, « une reconnaissance officielle pour tant d’activités au service des plus faibles ». À sa mort, la municipalité communiste, les militants du Secours populaire, du PC et de la CGT rendirent hommage à ce camarade « aimé et estimé de tous ». Pendant ses obsèques religieuses, ses compagnons de route, anciens prêtres-ouvriers et d’autres amis, rappelèrent combien il avait souffert du choix « impossible » entre sa fidélité à l’Église et sa fidélité à la classe ouvrière qu’il avait dû faire en 1954.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88696, notice GUILBERT Paul, Jules, André par André Caudron, Nathalie Viet-Depaule, version mise en ligne le 13 août 2010, dernière modification le 13 août 2010.

Par André Caudron, Nathalie Viet-Depaule

SOURCES : Archives du Prado, Limonest. – ANMT, Roubaix, 1993002 0001/0003/0005/0006 à 0008 ; 1994005 0008 ; 1997038 0127/0128. – Témoignage manuscrit Ruptures et découvertes des membres du « groupe Chauveau », 1966. – Olivier de Berranger, Alfred Ancel. Un homme pour l’Évangile, 1898-1984, Le Centurion, 1988. – Oscar L. Cole-Arnal, Prêtres en bleu de chauffe, Éditions ouvrières, 1992. – Hélène Macillot, Prêtres et religieuses en monde ouvrier à Lyon après 1945, mémoire de maîtrise, Université Lumière Lyon II, 1999. – La vie diocésaine de Soissons, 1er juillet 1985. – Sophie Barreau-Nicod, Insoumis : mémoire des prêtres-ouvriers, film, France 3 Ouest, mars 1995. – Témoignage de Marie Gouttebarge, novembre 1995. – Lettre de Michel Meynet, 28 novembre 1997. – Informations transmises par Monique Damezin, archiviste municipale de Vénissieux.

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