JEANNE Pierre, Marie, Paul

Par Louisette Battais, Frank Georgi

Né le 19 septembre 1920 à Rouen (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), mort le 1er novembre 1995 à La Neuville-Chant d’Oisel (Seine-Maritime) ; ouvrier traceur ; président fédéral de la JOC, secrétaire de l’UD-CFTC de Seine Inférieure en 1950, secrétaire national de la fédération de la Métallurgie CFTC-CFDT (1960-1968) ; membre du conseil confédéral CFTC-CFDT (1959-1965), puis du bureau national (1970) CFDT, président de l’Union régionale CFDT Haute-Normandie.

Fils d’un employé de commerce et d’une mère sans profession, Pierre Jeanne grandit dans une famille catholique très pratiquante. Son père, chantre et sacristain, avait suivi son curé de Rouen au Trait, où, après une scolarité au petit séminaire, le jeune Pierre devint apprenti traceur et obtint son CAP en 1938. Il fut marqué par la toute puissance du patronat des chantiers navals dans cette cité ouvrière, ainsi que par la remise en cause de cette autorité en juin 1936. À cette date, il adhéra à la JOC et participa au grand congrès national de 1937. En 1938, à l’occasion de la grève contre les décrets-lois Reynaud, il prit sa carte de la CFTC « par anticommunisme » dit-il. À la mort de son père en 1940, il se retrouva soutien de famille pour son frère et ses deux sœurs. À la fin de l’année 1942, il fut envoyé en Allemagne, et participa à la construction de sous-marins à Dantzig (Gdansk). En juin 1943, bénéficiaire d’une permission, il en profita pour ne pas repartir, se cacha, travailla dans une ferme, puis dans une abbaye. Après la Libération, il entra au Magasin général comme employé. Il milita à la CFTC (délégué du personnel, membre du comité d’entreprise et secrétaire du syndicat) et à la JOC, dont il fut président fédéral, jusqu’à son mariage le 2 octobre 1947 avec Édith Hericher, elle-même présidente fédérale de la JOCF. En 1947, il entra au bureau de l’Union départementale CFTC de Seine-Inférieure, où, à la demande de Gérard Espéret, il se chargea de la formation à l’échelle locale, départementale, puis de l’ensemble de la Normandie (écoles normales ouvrières). En 1950, il fut élu secrétaire de l’union régionale des syndicats de la métallurgie, puis secrétaire de l’UD. Ce n’est qu’en 1953 qu’il devint permanent à l’Union départementale et à l’Union régionale.

Favorable à l’unité d’action malgré une grande défiance personnelle à l’égard de la CGT – « pour souper avec le diable, il faut une longue cuiller », disait-il souvent – ainsi qu’à l’abandon de la référence confessionnelle, il devint rapidement l’un des piliers de la minorité et de Reconstruction. Se définissant comme « personnaliste », il puisait ses sources d’inspiration chez Mounier et Maritain, à Économie et Humanisme, à La Vie nouvelle, entre autres. Il fut également quelques années membre de l’Action catholique ouvrière (ACO), à laquelle il reprocha ensuite sa trop grande proximité avec la CGT. Sur le plan politique, il adhéra un moment à la Jeune République, et, quelques mois seulement, au MRP de la Libération. Il se garda ensuite de tout engagement partisan jusqu’en 1971, où il rejoignit au PS, tout en affirmant la nécessaire dimension politique du syndicalisme et en défendant la notion de « socialisme démocratique ». Minoritaire intransigeant, il fut membre du « bureau provisoire de la tendance » lors de la crise d’octobre 1952 qui secoua la CFTC ainsi que de la délégation permanente du « comité de vigilance syndicaliste » l’année suivante.

Dans la deuxième moitié des années 1950, il s’investit davantage dans la fédération de la Métallurgie, à la demande d’Eugène Descamps. En 1958, il entra au bureau fédéral. Deux ans plus tard, il fut secrétaire national chargé de la branche construction navale, du secteur social et professionnel et, ici aussi, de la formation. Il joua un rôle important dans le processus de déconfessionnalisation. À l’échelle fédérale, il fit partie en 1960 de la commission chargée de réfléchir à l’évolution de la CFTC et en présenta le rapport devant le congrès de la Métallurgie, proposant, au nom de l’« unité ouvrière », une ouverture de la centrale sur la base de « valeurs » partagées par les « chrétiens », les « socialistes », les « humanistes ». À l’échelle de la confédération, Pierre Jeanne, élu au conseil confédéral depuis l’année précédente, membre de la commission confédérale de formation, fut l’un des sept membres de la commission constituée à la fin de l’année 1960 pour étudier et préparer une laïcisation en douceur de la CFTC. Sa position de au sein de la commission reflétait la double contrainte qui était celle de la Métallurgie, résolument « minoritaire », mais en même temps tenue à un esprit de responsabilité par son statut de première fédération de la centrale : faire avancer au plus vite le changement, tout en acceptant les compromis nécessaires pour limiter l’ampleur de la scission à venir. Il vota ainsi au conseil confédéral pour la réintroduction de « l’humanisme chrétien » dans les nouveaux statuts, qu’il désapprouvait, au nom de « l’intérêt de l’organisation ». Au lendemain du congrès de novembre 1964, il fut également membre du « groupe de travail idéologique » confédéral, chargé d’éclairer les perspectives de la jeune CFDT.

Il ne se représenta pas au conseil confédéral en novembre 1965, mais, de 1965 à 1968, fit partie du conseil d’administration de l’Institut syndical de coopération technique internationale, fondé par Gérard Espéret, et anima des sessions de formation en Afrique. Il siégea également au conseil d’administration de l’Institut des sciences sociales du travail. Au début de l’année 1968, il abandonna ses fonctions de permanent à la fédération de la Métallurgie et revint s’installer à Rouen, où il fut employé pendant trois ans dans un centre social du quartier de la Sablière et s’occupa des familles marginales (logement, alphabétisation, animation) ; sensibilisé à ces problèmes, il travailla pour le comité régional de défense contre l’alcoolisme. Il fut à nouveau brièvement embauché en 1970 comme permanent à mi-temps par l’Union régionale CFDT, dont il assura ensuite la présidence. Il siégea en 1970 au bureau national de la CFDT, au titre des représentants des régions.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88841, notice JEANNE Pierre, Marie, Paul par Louisette Battais, Frank Georgi , version mise en ligne le 23 août 2010, dernière modification le 23 août 2010.

Par Louisette Battais, Frank Georgi

SOURCES : Arch. conf. CFDT. — interview par Pierre Autexier et Louisette Battais, 2 mars 1987. — Notice biographique L. Battais (Inventaires, Fonds personnels). — Arch. interfédérales CFDT, FGMM-CFDT. — Entretien avec Frank Georgi (29 août 1990). — Gérard Adam, La CFTC 1940-1958. Histoire politique et idéologique, Armand Colin, 1964. — Hervé Hamon, Patrick Rotman, La Deuxième gauche. Histoire intellectuelle et politique de la CFDT, Ramsay, 1982. — Michel Branciard, Histoire de la CFDT. 70 ans d’action syndicale, La Découverte, 1990. — Frank Georgi, Soufflons nous-mêmes notre forge. Une histoire de la fédération de la Métallurgie CFTC-CFDT 1920-1974, Éd. ouvrières, 1991. — Frank Georgi, L’Invention de la CFDT 1957-1970, Éd. de l’Atelier/CNRS, 1995. — État civil.

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