LÉGER Fernand [LÉGER Joseph, Fernand, Henri]

Par Nicole Racine, Jean-Paul Morel

Né le 4 février 1881 à Argentan (Orne), mort le 17 août 1955 à Gif-sur-Yvette (Seine-et-Oise) ; artiste peintre ; membre de l’AEAR à partir de 1932 et du PCF depuis 1945.

Fernand Léger était fils d’Henri Armand Léger (1846-1884), éleveur de bestiaux à Argentan, et de Marie Adèle Daunou (1852-1922). Il se maria avec Jeanne Lohy (1895-1950) en 1919, et, après la mort de cette dernière, se remaria avec Nadia Khodossievitch (1904 -199 ?), elle-même peintre, en 1952.
Dans les années trente, Fernand Léger prit place dans les manifestations d’intellectuels et d’artistes en faveur du Front populaire et dans leur lutte contre la montée des fascismes. Ami de Paul Vaillant-Couturier (dont il regrettera la mort prématurée en octobre 1937) et de Léon Moussinac, avec qui il avait monté le projet d’un Théâtre d’action international en mars 1932, il s’inscrivit à l’Association des Écrivains et Artistes révolutionnaires (AEAR) en décembre 1932. Il signa la protestation, sous son égide, contre l’organisation de la terreur en Allemagne à la suite de l’incendie du Reichstag (Feuille rouge, n° 2 mars 1933), adressa un message au meeting organisé par l’AEAR, salle du Grand Orient, sous la présidence d’André Gide, le 21 mars 1933. Il signa l’Appel à la lutte, lancé par André Breton au lendemain des événements du 6 février 1934. Membre de la Maison de la Culture de l’AEAR inaugurée en avril 1935, 12, rue de Navarin, Paris Ixe arr., il répondit à l’enquête lancée par René Crevel et publiée dans Commune, « Où va la peinture ? » (sa réponse figure dans le numéro 21, mai 1935), et participa aux débats du printemps 1936 sur « Le réalisme et la peinture » organisés à l’occasion de l’exposition des peintres de la Maison de la Culture, notamment à ceux des 16 et 29 mai qui furent réunis en volume par Aragon sous le titre La querelle du réalisme (Éditions sociales internationales, juillet 1936). Fernand Léger qui s’opposait à la conception du réalisme socialiste développée par Aragon, s’y prononça pour un « réalisme nouveau » ayant ses origines dans la vie moderne, et posa le problème du droit de la classe ouvrière aux loisirs et à l’art (« Le nouveau réalisme continue »). Aragon allait d’ailleurs immédiatement critiquer, comme non révolutionnaire, la conception du réalisme de Léger (« Le réalisme à l’ordre du jour », Commune, n° 37, septembre 1936). Le 24 mai 1936, Léger fut présent avec Le Corbusier à la manifestation du mur des Fédérés (« Groupe 3 : les Intellectuels », cf. Lettres à Simone, p. 175), et à la fête du 14 juillet 1936, il participa à l’accrochage des peintres contemporains dans le hall du Théâtre de l’Alhambra, à l’occasion de la représentation (reprise) du Quatorze Juillet de Romain Rolland. A l’été 1936, il assista à une manifestation en faveur de l’Espagne républicaine, se joignit à la pétition des « intellectuels républicains » publiée dans Commune (n° 40, décembre 1936) et dans Paix et Liberté (n° 45, 13 décembre 1936, sous le titre « Manifeste des 1400 »).

Il fit cette même année, pour la Maison de la Culture, des conférences à Lille et à Nancy, et se rendit compte personnellement du fossé existant entre l’artiste moderne et le peuple. Mobilisé en août 1914 dans le génie, il avait découvert dans les tranchées de l’Argonne et de Verdun, le monde des ouvriers terrassiers, des mineurs, des artisans du bois et du fer, et resta depuis marqué par cette expérience ; la guerre eut en même temps une influence déterminante sur son évolution picturale.
Préoccupé par le divorce de l’art et de la classe ouvrière, Fernand Léger réclama des mesures permettant le développement de l’éducation artistique ; il intervint ainsi avec insistance auprès du sous-directeur des Beaux-Arts, Georges Huisman, afin de favoriser l’ouverture des musées le soir. Tout en se prononçant pour une culture artistique populaire, ainsi que pour un art collectif nouveau, Léger défendit toujours les droits de la création individuelle : « L’œuvre d’art ne doit pas participer à la bataille [...]. L’œuvre belle ne s’explique pas. Elle ne veut rien prouver. » (Europe, 15 mai 1938). À l’Exposition internationale de 1937, on put voir un de ses grands tableaux au Pavillon de la Solidarité, représentant « Le syndicalisme ouvrier de la CGT », des panneaux pour le Centre rural du ministère de l’Agriculture, et des dessins d’enfants agrandis par ses élèves pour le pavillon des « Temps nouveaux » édifié par Le Corbusier, porte Maillot. Au Palais de la Découverte, sa grande décoration murale, « Le Transport des forces », avait été inaugurée en avril 1937. En juin 1937, il dessina les décors pour la fête des syndicats CGT au Vélodrome d’hiver à Paris, où Serge Lifar dansa devant 20 000 personnes. Il y peignit aussi les décors pour Naissance d’une Cité, de Jean-Richard Bloch (musique de Darius Milhaud, Arthur Honegger, Jean Wiener et Roger Désormière), spectacle monté en octobre 1937 avec le concours des syndicats et des organisations culturelles du Front populaire.

Le 21 mars 1937, il participa à l’hommage aux victimes de la fusillade de Clichy.

En octobre 1940, Léger, pensant ne pas pouvoir continuer à peindre sous l’Occupation, émigra aux États-Unis où il avait déjà fait plusieurs voyages ; il fut chargé de conférences à l’université de Yale, puis en Californie, au Mills College, et se fit inscrire à « France Forever », devenu, après réflexion, « entièrement pour l’homme du 18 juin 1940 et ses amis » (lettre à X, Georges Bauquier, Fernand Léger..., p. 246). En décembre 1945, il rentra en France, adressant par télégramme à Jean-Richard Bloch, dès avant son retour, son adhésion au PCF. Déjà lisible à l’époque du Front populaire, la lutte avec Picasso pour l’hégémonie à l’intérieur du Parti allait se durcir. Pierre Daix l’a dépeint ainsi dans son Dictionnaire Picasso (coll. Bouquins, Laffont, 1995, p. 521-52 : « C’est à son retour en France que Léger se trouva encore plus directement en compétition avec Picasso qui, en restant dans la France occupée, apparaissait comme un symbole de la Résistance, surtout par rapport à quelqu’un qui s’était exilé aux Etats-Unis. Léger (…) éprouva d’autant plus d’amertume qu’il avait envoyé son adhésion au Parti communiste français au moment de rentrer en France. Mais cela coïncida exactement avec la célébration, par le Parti communiste, de l’adhésion de Picasso, ce qui fit passer la sienne à peu près inaperçue. En outre, le PCF pratiqua très vite un anti-américanisme virulent, et les œuvres que Léger avait ramenées étaient en même temps des hymnes à la civilisation américaine et des peintures passablement abstraites. Léger (…) se lança dans la série des Constructeurs, où le Parti communiste lut une réponse satisfaisante à ses injonctions faites aux artistes de pratiquer un art qui soutienne les valeurs de la classe ouvrière ». Les Constructeurs (auxquels Paul Éluard consacra un poème) furent exposés en juin 1951 à la Maison de la Pensée française. Quelques toiles de cette exposition furent ensuite présentées dans une des cantines du comité d’entreprise des usines Renault à Boulogne-Billancourt, où elles semblent ne pas avoir été comprises. Fernand Léger aurait voulu faire don à la CGT du grand tableau des Constructeurs, mais celle-ci refusa son offre (Georges Bauquier, op. cit., p. 283-284). Comme Pablo Picasso et Edouard Pignon, Fernand Léger était un adversaire déclaré du réalisme socialiste en peinture. La campagne du parti pour imposer Fougeron comme peintre officiel, campagne relayée par Aragon, avec sa suite d’articles sur la peinture soviétique dans les Lettres françaises (n° 398-408, janvier à avril 1952), engendra des tensions ; Picasso et Léger dirent publiquement le peu de cas qu’ils faisaient de la peinture soviétique.

Mais Fernand Léger ne remit jamais en cause son adhésion au parti. Il fut associé à la naissance du Mouvement de la paix et en août 1948, il assista au congrès des intellectuels pour la Paix à Wroclaw, en Pologne pour y être à nouveau, comme le souligne Pierre Daix, supplanté par la présence de Picasso, lors du congrès même, puis par le succès mondial fait à sa lithographie, La Colombe. Son nom figura en 1949 dans le premier Conseil national des Combattants pour la liberté et la paix. Léger fit exécuter par son atelier un décor mural pour le Congrès international des femmes, porte de Versailles à Paris, en 1948. Il assista au Congrès des peuples pour la paix à Vienne, en 1952. En 1953, il illustra le poème « Liberté », d’Éluard. Il participa aux campagnes en faveur de Henri Martin, dont il fit le portrait, et des Rosenberg, en hommage desquels il dessina un foulard en 1954. Cette même année, il assista au Congrès des Sokols à Prague. Bien que l’œuvre de Léger ne puisse être annexé par un parti — songeons par exemple à ses vitraux pour l’église d’Audincourt (Doubs) —, il est certain que nombre de ses grandes compositions sociales comme Les Loisirs. Hommage à David (1948-49), Les Constructeurs (1950), La Partie de campagne ou encore La Grande Parade, exposées en novembre 1954 à la Maison de la Pensée française, pouvaient paraître illustrer, à leur façon, ce réalisme moderne prôné par les communistes. L’art de Léger n’était pas compris de ceux auxquels pourtant il s’adressait.

Après sa mort (1955), le musée Fernand Léger fut inauguré à Biot (Alpes-Maritimes), le 13 mai 1960. En décembre 1962, Maurice Thorez écrivit la préface au catalogue de l’exposition « Fernand Léger à Moscou ». La CGT fit également amende honorable, en la personne de Livio Mascarello, à l’occasion du numéro spécial d’Europe d’août-septembre 1971

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88873, notice LÉGER Fernand [LÉGER Joseph, Fernand, Henri] par Nicole Racine, Jean-Paul Morel, version mise en ligne le 24 août 2010, dernière modification le 3 mai 2021.

Par Nicole Racine, Jean-Paul Morel

ŒUVRE CHOISIE : J’ai tué, À La Belle Édition, Paris, 1918 - texte de Blaise Cendrars, ill. de 5 dessins par Fernand Léger ; rééd. Georges Crès, Paris, 1919. — Mes voyages, Éditeurs français réunis, Paris, 1960 - 28 litho., avec un poème d’Aragon (250 ex.). — « Le nouveau réalisme continue » et réponse à l’enquête « Où va la peinture ? » in La Querelle du réalisme, Éditions sociales internationales, 1936, p. 77 à 79 ; p. 165 à 167. – Les constructeurs. Présentation de Cl. Roy, poème de P. Éluard, Paris, 1951, sp. – Dessins de guerre, 1915-1916, par Douglas Cooper, Paris, Berggruen et Cie, 1956. – Textes choisis. L’œuvre et la vie, jugements divers, bibliographie, Gonthier-Seghers, 1959, 55 p. – Fonctions de la peinture, textes préfacés et classés par R. Garaudy, Gonthier-Denoël, 1965, 208 p. – Image du travail, 1985, Musée national Fernand Léger, Éd. RMN. – Lettres à Simone, Éd. Skira et Musée national d’art moderne, 1987, 288 p. — « Fernand Léger, une correspondance de guerre à Louis Poughon 1914-1918 », éd. Christian Derouët, Cahiers du Musée national d’art moderne, Hors série, Centre Georges Pompidou, mars 1990, 24 dessins.

SOURCES : Pierre Descargues, Fernand Léger, Éditions Cercle d’art, 1955, 175 p. – “Fernand Léger, peintre”, Nouvelle critique, sept.-oct. 1955. – André Verdet, Fernand Léger, le dynamisme pictural. Avec une biographie et une documentation complète sur le peintre et son œuvre, Genève, P. Cailler, 1955, 111 p. – L’Humanité, 18 août 1955. – Le Monde, 19 août 1955. – Les Lettres françaises, 25 au 31 août 1955. – Exposition F. Léger juin-octobre 1956, Paris, Musée des arts décoratifs, Palais du Louvre, Pavillon de Marsan, Union centrale des arts décoratifs, 1956, 418 p. – Robert L. Delevoy, Léger, étude biographique et critique, Genève, Skira, 1962, 144 p. – David Caute, Le Communisme et les intellectuels français, 1914-1966, Gallimard, 1967, 474 p. – Roger Garaudy, Pour un réalisme du XXe siècle, dialogue posthume avec Fernand Léger, Grasset, 1968, 264 p. – Jean Cassou et Jean Leymarie, Fernand Léger : dessins et gouaches, Paris, Chêne, 1972, 206 p. – Léger, Europe, août- septembre 1971. – Georges Tabaraud, “Fernand Léger : une des plus grandes figures de l’art”, Cahiers du Communisme, décembre 1981, p. 128-133. – Peter de Francia, Fernand Léger, New Haven et Londres, Yale University Press, 1983. – Georges Bauquier, Fernand Léger, Vivre dans le vrai, Éditions Maeght, 1987, 368 p. – Gladys C. Fabre, “ >L’atelier Fernand Léger - période 1937-1955 ”, in catalogue de l’exposition Paris-Paris 1937-1957, Centre Georges Pompidou, mai-nov. 1981, p. 190-195. — Gladys C. Fabre, « Petite histoire illustrée de l’Atelier Fernand Léger à l’Académie moderne 1924-1931 », in catalogue de l’exposition « Léger et l’esprit moderne 1918-1931, Une alternative d’avant-garde à l’art non-objectif », Paris-Houston-Genève, 1982-1983, Musée d’art moderne de la ville de Paris, 1982. — Sarah Wilson, « Débats autour du réalisme socialiste : chronologie », nov. 1981, p. 206-215. — Sarah Wilson, « Fernand Léger, Art and Politics 1935-1955 », in Fernand Léger, The Later Years, Prestel Verlag, Münich, 1988, p. 55-75.- Europe, n° 818-819, juin-juill. 1997 (avec “ L’art et le peuple ”, conférence intégrale donnée à la Sorbonne pour “ Travail et culture ”, le 10 avril 1946, éd. Christian Derouet (p. 198-222), et “ La réception de l’œuvre de Léger dans la presse de gauche 1945-1955 ” par Sylvie Le Marec (p. 186-197). — « Fernand Léger. Le rythme de la vie moderne 1911-1924 », catalogue de l’exposition Wolfsburg, Kunstmuseum et Bâle, Kunstmuseum, mai-nov. 1994, sous la dir. de Dorothy Kosinski, Flammarion Paris, 1994. — État civil

ICONOGRAPHIE : G. Bauquier, op. cit., septembre 1971. – Georges Tabaraud, « Fernand Léger : une des plus grandes figures de l’art », Cahiers du Communisme, décembre 1981, p. 128-133. – Peter de Francia, Fernand Léger, New Haven et Londres, Yale University Press, 1983. – Georges Bauquier, Fernand Léger, Vivre dans le vrai, Éditions Maeght, 1987, 368 p.

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