HOLMES Joël. [Son vrai nom est Joël COVRIGARU. Il se fit un temps appeler COVRIGARD].

Par Claude Pennetier

Né le 1er août 1928 en Bessarabie, mort le 2 septembre 2009 à Créteil (France) ; ouvrier électricien chez Renault ; chanteur rive gauche (auteur-compositeur interprète).

Né en Bessarabie (alors Roumaine, devenue soviétique en juin 1940) d’une famille juive athée (Michel Covrigaru et Hana Erlich). La crainte des pogroms et des Gardes de fer (sa mère avait été emprisonnée) conduisit ses parents à partir en Belgique vers 1930 puis en France vers 1934. Le couple travailla comme tailleurs (apiéceurs pour le compte d’un tailleur) dans le 19e arrondissement. Le père lisait l’Humanité, emmenait son fils à la Fête du journal et dans les manifestations. Une sœur, Henriette, naquit en 1937. La même année le père qui avait participé activement aux grèves de 1936, se mit à son compte avec un ami et ouvrit un magasin rue de Crimée. En 1940, ses parents envisagèrent de retourner en Bessarabie qui étaient devenue soviétique et se firent faire des passeports soviétiques.

En 1942, les parents vivaient le plus souvent cachés dans la cave mais, le 24 septembre 1942, la police française vint les arrêter à leur domicile 110bis rue de Crimée alors qu’ils retrouvaient leurs enfants après un séjour hors de Paris. Grâce à une voisine juive de nationalité française, les deux enfants purent être envoyés à la campagne, dans une ferme de la Beauce. Une femme de la Résistance les retira au bout de cinq mois en raison de leur état sanitaire et les plaça à Paris. Joël suivit les cours d’une école d’électricité. Leur sécurité n’étant plus assurée, une représentante de la résistance qui travaillait à la maire de Boulogne envoya Joël dans un préventorium des Peupliers à Boulogne-Billancourt où il travailla comme aide jardinier. Sa sœur avait été envoyée à la campagne.

Ses parents ne revinrent pas de déportation. Sa sœur fut accueillie par une tante maternelle en Israël et y vécut. Lui-même, resté seul, fut très reconnaissant du soutien de la résistance et souhaita vivre en France. Il fit divers petits métiers : électricien, représentant, photographe. En 1946, à dix-huit ans, il rentra chez Renault comme électricien d’entretien où il milita activement à la CGT et à l’UJRF (Union des jeunesses républicaines de France). Sa participation active aux grèves de 1947 et à diverses mobilisations provoqua son licenciement en 1949. Malgré sa compétence professionnelle, aucune entreprise de l’automobile ne l’accepta ce qui lui fit penser qu’il figurait sur des listes établies par les patrons de la métallurgie. Il fit donc d’autres métiers divers : peintre au pistolet, vendeur de vins puis de trousseaux de linge. Cette dernière activité s’avéra suffisamment rémunératrice pour qu’il s’inscrive au cours d’Art dramatique de Jean-Louis Barrault. Il quitta assez vite le théâtre en raison d’une faiblesse de mémoire qui rendait pénible ses prestations.

Délégué par l’UJRF aux Journées nationales de la jeunesse de Berlin en 1951, il se présenta à l’ambassade soviétique pour avoir un visa. La famille avait en effet obtenu des passeports soviétiques après juin 1940. Le représentant de l’ambassade le somma de rejoindre son pays (la Moldavie soviétique) et devant son refus (“ je veux être Français ; je suis en France, je ne parle que le français, maintenant ; mes parents sont morts, je ne vais pas retourner là-bas tout seul ; en URSS je n’ai plus rien à y faire”) conserva son passeport : : “ Comment ? Il y a des soldats qui sont morts pour être soviétiques et vous, vous reniez votre nationalité ? (…) Je le garde, débrouillez-vous et foutez-moi le camp de là ! ” . Il resta un temps apatride puis obtint la nationalité française. Il n’alla donc pas à Berlin et cet épisode, renforcé par l’éloignement de la grande entreprise contribuèrent à son retrait du militantisme actif. Il resta cependant cegetiste, proche du Parti communiste. Il raconte même qu’il fut choqué par le dessin de Staline par Picasso dans les Lettres françaises et que jusqu’aux années soixante-dix, il fut plutôt “anti-socialiste”.

Son père lui avait fait apprendre le violon mais il avait abandonné au bout de deux ans. Passionné par la chanson, admirateur de Charles Trenet, il avait toujours eu envie de composer des refrains. Il loua une guitare et mit en musique les poèmes d’un ami, Jean-Paul Marchand, avant d’écrire lui-même ses textes. La lecture d’Eluard et d’Aragon lui donna le goût de la poésie. Le cabaret rive gauche L’Écluse lui fit bon accueil, sous le nom de Joël Holmès, et il vécut la vie des auteurs à texte qui passaient dans deux ou trois endroits chaque soir, notamment à Milord l’Arsouille. Il était accompagné par le pianiste du lieu. Sa victoire à l’émission "Numéros 1 de demain" organisée par la station de radio Europe 1 lui permit d’enregistrer son premier disque.

Il fit ainsi la connaissance d’un grand nombre de chanteurs et artistes, coopérant avec certains comme Georges Moustaki (ils firent quatre chansons ensemble : “La Mer m’a donné”, “Gardez vos filles”), se liant d’amitiés avec d’autres comme Maurice Fanon (ils fit la musique de “Jean-Marie de Pantin”) et Pia Colombo qui chanta sa chanson "La Rue des Rosiers". Ils partagèrent le même logement, rue de Montreuil, avec sa première épouse, la productrice de cinéma Véra Belmont, et le couple Fanon-Pia Colombo. Sa carrière dut beaucoup à Europe n° 1 qui l’avait sélectionné dans un jeu des espoirs de la chanson. Les cabarets plus huppés comme Milord l’Arsouille ou Galerie 55 (rue de Seine) s’ouvrirent à lui ; Ducretet-Thomson, Pathé puis Polydor éditèrent ses disques (on peut estimer sa production totale entre 200 000 et 300 000 disques). Il chanta beaucoup pour Peuple et culture (proche de la CGT) et participa à une fête de l’Humanité. Plusieurs chanteurs et chanteuses mirent ses œuvres à leur répertoire : Régine, Claude Vinci*, Mathé Altéry, André Claveau, Rika Zarai, Les Frères Jacques, Michèle Arnaud, Germaine Montero, Pia Colombo->186889].
Il obtint le Grand Prix de l’Académie Charles-Cros

Lorsqu’au milieu des années soixante, avec la vague de la musique “yé-yé” (qu’il détesta), il constata que ses passages à l’antenne se faisaient plus rares, il prit les devants et chercha du travail dans la publicité dont le côté créatif était adapté à ses goûts. Recruté chez Havas, il fit des publicités radiophoniques et des films, ainsi avec Yves Robert. Il termina sa carrière comme commercial, toujours dans la publicité.

Joël Holmès s’était volontairement coupé du monde de la chanson, ne fréquentant plus les “premières” ni les artistes, ne suivant plus l’actualité de la chanson. C’est dans les années quatre-vingt que le producteur de télévision et chanteur Pascal Sevran le sollicita pour plusieurs émissions télévisées (“ La Chance aux chansons”), lui fit faire une compilation et lui commanda de nouvelles chansons qu’il interpréta et mit au répertoire de ses amis. Ce retour, bref mais intense, le réconcilia avec la chanson. Il était resté un homme de gauche, marqué par les idées qu’il avait affirmées pendant son séjour chez Renault. Ses chansons consacrées à l’amour, reflétait la sensibilité et l’espace d’un monde populaire, ainsi “Au quai du Point du jour” ou “Jean-Marie de Pantin” même s’il ne suivit pas un Maurice Fanon dans la chanson engagée.

Depuis 1970, Joël Holmès vivait à Thiais (Val-de-Marne). Il décéda le 2 septembre 2009 à Créteil (France)

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88895, notice HOLMES Joël. [Son vrai nom est Joël COVRIGARU. Il se fit un temps appeler COVRIGARD]. par Claude Pennetier, version mise en ligne le 25 août 2010, dernière modification le 21 juin 2018.

Par Claude Pennetier

DISCOGRAPHIE : Mes premières chansons, 33 t., Ducretet-Thomson DUX40141 (BNF Département audiovisuel B66 000850) ; Polydor 27226 (E 65 003587) ; Ducrete-Thomson 460V492 (E 020443) ; Ducrete-Thomson 460V463 (E 013954) ; Polydor 27192 (E 65 001744).

SOURCES : Entretien avec Joël Holmès, 20 janvier 2001 (Valérie Duguet, Claude Pennetier). — Marc Chevalier, Mémoire d’un cabaret, L’Écluse, La Découverte, 1987.

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