JAUFFRET Émilien, Jean

Par Jacques Girault

Né et mort à Toulon (Var), 29 mai 1907-12 octobre 1998 ; dessinateur à l’Arsenal maritime de Toulon ; militant syndicaliste CGT ; militant communiste, secrétaire du syndicat CGT de l’Arsenal (1939, 1944-1950).

Le grand-père d’Émilien Jauffret, ouvrier de l’Arsenal, libre penseur, fréquentait le cercle rouge de la Fraternité sociale dans le quartier du Pont du Las, à l’Ouest de la ville. Son père, qui mourut en 1930, ouvrier de l’Arsenal lui aussi, socialisant, eut quatre enfants, dont le plus jeune, Émilien. Tous furent baptisés et firent leur communion solennelle.

Jauffret passa sa jeunesse dans le quartier Valbourdin, et après avoir obtenu le Certificat d’études primaires, après un mois d’école Rouvière (école pratique d’industrie), commença un apprentissage de serrurier. Il entra à l’Arsenal maritime comme apprenti ajusteur, le 19 juillet 1924. Ouvrier ajusteur (direction de l’Artillerie navale), le 29 mai 1925, sans avoir suivi les cours donnés par les ingénieurs, il fut admis comme stagiaire dessinateur, le 2 avril 1926. Devançant l’appel, il fut affecté, en novembre 1926, au 3e régiment d’infanterie alpine à Hyères (Var). Caporal en 1928, il continua, sous les drapeaux, la pratique du sport (football et surtout cross-country, deuxième aux championnats de France militaires).

Jauffret vota pour la première fois aux élections législatives de 1928 pour Gabriel Péri, candidat communiste dans la deuxième circonscription de Toulon. Réadmis à l’Arsenal maritime, le 16 avril 1928, à l’atelier d’ajustage, il fut reçu aux essais de dessinateur, le 31 août 1928, toujours dans la direction de l’Artillerie navale, atelier central. Dès lors, il entra dans un milieu distinct des ouvriers, portant cravate, gagnant comme un chef d’équipe, appartenant à l’Amicale des dessinateurs. Marié religieusement à Toulon, en janvier 1929, il fut père d’un garçon né dix ans plus tard. Toujours sportif, habitant le quartier des Routes, il construisit lui-même sa maison.

Jauffret adhéra au Parti communiste en 1933, ce qui l’obligea à adhérer au syndicat CGTU des travailleurs de la Marine, quinze jours plus tard. Pendant deux ans, outre la participation aux réunions et aux diverses manifestations publiques, sa seule activité militante fut la vente de l’Humanité, dans le quartier du Fort Blanc.

Au début de 1936, Jauffret devint membre du comité du rayon communiste de Toulon et trésorier adjoint du rayon aux côtés de Toussaint Flandrin, qui lui apporta beaucoup. En octobre 1937, lors de l’élection cantonale dans le premier canton, Jauffret présida le comité de soutien au candidat communiste. Par la suite, il présida la Fédération des comités d’intérêt local de l’Ouest toulonnais.

Le Parti communiste dans le département se réorganisait. La conférence régionale, convoquée le 12 décembre 1937, à La Seyne, devait donner une forme définitive à la nouvelle région communiste du Var. Cette réorganisation fut préparée par une structure régionale provisoire dans laquelle Jauffret occupait la responsabilité de secrétaire adjoint. À partir du 15 octobre 1937, il signa, en alternance avec Henri Seillon, les circulaires d’organisation, jouant le rôle de secrétaire administratif, sans en avoir officiellement le titre. Envoyé à la fin de décembre 1937 avec Seillon suivre les cours de l’école centrale à Bezons, - école qui fut écourtée pour lui en raison d’une grippe -, il avait bénéficié d’un congé sans solde « pour raison de famille » de trois mois à compter du 24 décembre 1937. Membre du bureau régional communiste, du comité départemental de Bilbao, secrétaire adjoint de la rédaction toulonnaise de Rouge-Midi, il était inscrit au Carnet B (3e groupe), le 3 février 1938.

Après la grève du 30 novembre 1938, la direction du syndicat CGT des travailleurs de la Marine fut décimée. Membre du conseil d’administration du syndicat, Jauffret dut subir une sanction (neuf jours de mise à pied selon son témoignage). Il fallait réorganiser la direction du syndicat et Jauffret devint, le 29 janvier 1939, secrétaire général sans que le bureau soit reconstitué, avec un seul secrétaire adjoint, Fernand Revest. Dès lors, il délaissa ses responsabilités dans le Parti communiste. Il lui fallut alors investir au maximum dans le militantisme syndical (congrès national de la Fédération des travailleurs de l’État en mai 1939, délégué titulaire à la commission consultative mensuelle du travail élu le 14 février 1939, réunions multiples à assurer dont celle du Premier Mai 1939 à la Bourse du Travail de Toulon, etc.).

À la déclaration de la guerre, Jauffret, qui avait été radié de l’affectation spéciale, fut mobilisé dans l’infanterie au camp de Caïs à Fréjus, puis à Nice. Déclaré inapte à l’infanterie alpine, il fut muté dans le Train comme motard à Marseille, puis dans la zone du front, à Voreppe (Isère) comme chef de groupe de la police de la route. Lors de ses permissions, il retrouvait des communistes toulonnais, dont Flandrin.

Démobilisé, Jauffret réintégra l’Arsenal. À la suite d’un arrêté préfectoral du 4 septembre 1940, appréhendé sur le lieu de son travail, le 10, après un séjour à la prison maritime, il fut envoyé, le 13 septembre, au centre de séjour surveillé de Chibron près de Signes (Var). En janvier 1941, condamné par le Tribunal correctionnel de Toulon, pour sortie sans permission, à une peine de prison, il ne l’effectua pas en raison de son transfert au centre de séjour surveillé de Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn), le 15 février 1941. Il y fut désigné par les chefs de baraquements comme chef des travaux au niveau du camp. Selon son témoignage, « suite à une pétition du comité d’intérêt local de mon quartier des Quatre chemins des Routes », il fut « libéré, le 8 août 1942, après avoir signé un imprimé s’engageant personnellement à ne pas attenter à la vie du Maréchal Pétain ».

Interdit de séjour dans le Var, Jauffret essaya en vain de trouver du travail dans les Basses-Alpes. Finalement, il entra comme ajusteur-mécanicien au garage de l’Agence centrale Ford à Marseille, du 5 octobre 1942 au 25 février 1943. Autorisé par les autorités judiciaires à rentrer dans le Var, Jauffret fut embauché par la Société provençale industrielle à La Farlède (Var), le 12 avril 1943. Employé au bureau d’études, il renoua des liens avec les communistes et les syndicalistes clandestins. En juin 1944, il signa l’appel en direction des ouvriers de l’Arsenal maritime comme secrétaire général du syndicat. Il participa aux combats de la libération de Toulon et reprit sa place à l’Arsenal. Congédié officiellement le 13 avril 1941, réadmis le 1er septembre 1944 comme ouvrier réglementé, il devint rétroactivement dessinateur d’études, à compter du 1er janvier 1942.

Jauffret, en tant que secrétaire général du syndicat, participa à la reprise de l’activité syndicale, et beaucoup plus largement, à l’organisation de la production à l’Arsenal maritime qui avait souffert de la guerre. Principal orateur du meeting du 1er Mai 1945, il participa au congrès national de la CGT (8-12 avril 1946) et siégea au comité fédéral de la Fédération des travailleurs de l’État.

Lors de la scission syndicale, Jauffret anima le courant amplement majoritaire, à l’Arsenal, qui refusait toute scission dans la CGT et entendait maintenir un puissant syndicat CGT des personnels civils du port de Toulon. Au centre des actions de la période suivante, il subit quelques sanctions (deux jours de mise à pied après les journées revendicatives du 30 juillet et du 2 août 1948, sept jours de mise à pied après l’action du 15 avril 1949, trente jours de réduction de salaire, le 30 novembre 1949, pour avoir introduit La Vie ouvrière à l’Arsenal, trente jours de réduction de salaire le 22 décembre 1949 pour avoir harangué les ouvriers en grève, selon les indications portées dans son dossier personnel). Il anima aussi les actions contre la guerre d’Indochine. Ainsi, le 22 décembre 1949, on lui reprocha d’avoir incité les travailleurs à ne pas accomplir des travaux sur les navires militaires en partance pour l’Extrême-Orient. Le 30 janvier 1950, le sous-secrétaire d’État à la Marine signa sa lettre de congédiement « par mesure disciplinaire pour menées tendant à empêcher l’exécution de travaux militaires ». Il fut rayé des contrôles à compter du 2 février 1950. Ce jour-là, le quotidien communiste [Le Petit Varois] titrait : "Pour s’être élevé contre les préparatifs de la guerre, Monsieur Jauffret est congédié de l’Arsenal. Les travailleurs du port cesseront le travail ce matin à 10 heures pour exiger l’annulation de la mesure qui frappe le secrétaire général de leur syndicat."

Cette mesure constituait la réponse du gouvernement aux multiples actions qui, depuis le début de l’année, agitait l’Arsenal et la côte varoise contre la guerre. Ces actions continuaient dans lesquelles Jauffret occupait une place de premier plan : intervention aux assises de la Paix à Toulon, le 19 février 1950, organisation d’une grève à l’Arsenal le 3 mars, participation aux assises nationales de la Paix à Paris, le 10 mars. Après l’arrestation d’Henri Martin, le 14 mars, les parents de ce dernier autorisèrent Jauffret à rendre visite au matelot communiste une fois par semaine jusqu’à son procès (18-20 octobre). Pendant cette période, Jauffret impulsait toutes les actions varoises contre la guerre d’Indochine et la défense d’H. Martin.

Jauffret fut autorisé à faire valoir ses droits à une retraite proportionnelle, le 24 septembre 1954. Après un séjour dans la Drôme, mandaté par la Fédération des travailleurs de l’État, il devint chauffeur au Petit Varois en août 1951, puis, au début de 1952, chef des ventes.

Jauffret habitait alors le quartier Saint-Roch à l’Ouest de Toulon. Après avoir été, pendant un an, membre en titre du comité fédéral du Parti communiste français à la Libération, par la suite, il participa à toutes ses réunions, jusque vers 1952, période pendant laquelle il était aussi membre du comité de la section communiste de l’Arsenal. En outre, il siégea au Conseil national du Mouvement de la Paix de mars 1950 à 1953-1954.

Devenu en 1953 administrateur du Petit Varois et directeur technique chargé de l’installation de l’imprimerie toulonnaise, il dut interrompre cette activité en mai 1965. Il figura aux élections municipales de Toulon sur la liste “d’union et de défense républicaine... “, le 8 mars 1959, qui recueillit 15 374 voix sur 89 558 inscrits.

Jauffret habitait La Valette (Var) où il se remaria avec Marie Velly, née le 13 août 1918, à Dirinon (Finistère), avec qui il vivait maritalement depuis 1946. Ils eurent un garçon qui ne fut pas baptisé. Secrétaire de direction à l’Arsenal maritime, elle était membre du comité de la fédération communiste du Var.

Secrétaire d’une cellule communiste de La Valette, il assura le secrétariat de la section communiste de La Valette de 1964 à 1978. Il travailla dans une entreprise d’aménagements de magasins en 1968-1969. L’organisation « Tourisme et Travail » lui confia la direction de son village de vacances à Six-Fours (Var). Aux élections municipales de Six-Fours, les 14 et 21 mars 1971, il conduisit la « liste d’union pour une gestion municipale, sociale, moderne et démocratique », qui regroupait, aux côtés des communistes, des militants de gauche. Au premier tour, il obtint personnellement 1 131 voix (deuxième de la liste) sur 9 584 inscrits. Cette liste fusionna au deuxième tour avec la liste soutenue par le Parti socialiste, arrivée derrière elle. Il arrivait en onzième position des candidats de sa liste avec 1 901 voix.

Jauffret, délégué de l’Éducation nationale à La Valette depuis 1974, assurait la présidence de l’Association des parents d’élèves de la commune. Au milieu des années 1980, vétéran du PCF, il était le vice-président de la Fédération varoise de la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88975, notice JAUFFRET Émilien, Jean par Jacques Girault, version mise en ligne le 31 août 2010, dernière modification le 15 septembre 2014.

Par Jacques Girault

SOURCES : Arch. Dép. Var, 4 M 54, 4 M 55.2, 4 M 59.4.4, 7 M 4.7, 7 M 12.2, 18 M 5, 3 Z 4.14, 3 Z 4.30, 3 Z 16.8, Cabinet 600. — Arch. Troisième Région mar., registre de matricules Artillerie navale, 41, dossier individuel. — Arch. privées J. Sauli. — Renseignements fournis par l’intéressé. — Notes de Jacques Denis et Jean-Marie Guillon.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable