JARDON Eugène

Par Guillaume Bourgeois

Né et mort à Domérat (Allier), 27 juin 1895-21 juillet 1977 ; viticulteur ; maire communiste de Domérat (1929-1940) ; député de l’Allier élu en 1939.

Né à Domérat dans une famille de propriétaires viticulteurs, Eugène Jardon vint à la politique par les coopératives et au travers de la défense des conditions de vie du monde paysan. Cette partie de l’Allier était profondément empreinte d’une double tradition socialiste : celle des champs, instituée dès 1905 par le Fédération des travailleurs de la terre, et celle des villes dont le « député en blouse », Thivrier, fut l’incarnation. Eugène Jardon en bénéficia grâce à la formation politique que lui transmit Montusès* après qu’il fut mobilisé dans les premiers mois de la Grande Guerre (fantassin à Verdun, aux Eparges, puis affecté au 22e régiment d’aviation, il avait été en tant que pilote, le compagnon d’escadrille du futur ministre radical Yvon Delbos). Qu’on imagine ce personnage complexe, marqué en même temps par son passé glorieux d’ancien combattant et par un engagement communiste affirmé, lorsque le mouvement d’adhésion des militants de son département rallia massivement la IIIe Internationale. Que l’on envisage aussi le contexte particulier de transformation de l’agglomération montluçonnaise où Domérat, la petite cité rurale de Jardon, contrastait chaque année un peu plus avec une ville en pleine explosion démographique et industrielle. Tout opposait la figure en demi-teinte du socialiste Marx Dormoy*, qui régnait en maître dans le fief des ducs de Bourbon, à celle du leader de ces vignerons rouges, conseiller puis maire, en 1929, d’une municipalité de Bloc ouvrier et paysan...

Jardon signait en ajoutant à son nom : « vigneron de sa profession, pilote aviateur, maire de Domérat à ses heures de loisir pour embêter Dormoy ».

Fondateur du syndicat professionnel agricole et viticole de Domérat, Jardon avait fédéré en mai 1930 les organisations les plus proches des communistes au sein de l’Union départementale de la Confédération générale des paysans travailleurs. La direction de son parti connaissait toutes les qualités de l’homme et sa forte implantation dans le tissu local : elle lui préféra cependant Aumoine*, jugé politiquement plus « sûr », pour les élections législatives de 1932. Jardon fut, plus tard, présenté dans le canton de Montluçon-ouest puis, toujours sans succès, aux élections générales de 1936 et, en 1937, dans le canton d’Huriel. Jardon avait conservé son poste de maire en 1935 à l’issue d’une campagne très dure contre le socialiste Dousset, appuyé par Dormoy et son influence allait grandissante dans le département. Par ailleurs, la constitution d’un comité départemental d’entente et d’action agricoles, unitaire de la droite à la gauche et particulièrement soutenu par le PC, permit à Jardon de « ratisser large » en prévision des prochaines échéances.

L’occasion vint en juillet 1938 lorsque la Fédération socialiste de l’Allier désigna Marx Dormoy* comme l’un de ses candidats pour les élections sénatoriales prévues pour le 23 octobre. Élu à la chambre haute, le maire de Montluçon laissait son siège vacant et Jardon sut capitaliser l’avantage en organisant une intense campagne électorale au cours de laquelle tous les ténors nationaux du PC, y compris son secrétaire général, misèrent sur la situation internationale et sur l’effet des accords de Munich pour devancer à la surprise générale le candidat socialiste Southon, avec près de 1 500 voix. Jardon battit au second tour le radical Villatte, maire de Treignat (9 849 voix contre 6 157) et fut élu le 30 avril 1939 député de la circonscription de Montluçon-ouest.

Son siège fut le dernier pourvu par la IIIe République et Jardon n’eut guère le loisir d’en assurer la responsabilité. La guerre éclata le 3 septembre et le PCF fut dissout le 26. Jardon avait cru que les pourparlers germano-soviétiques n’étaient qu’une comédie. Il avait recueilli Fl. Bonte* pendant une semaine au début du mois et s’était surtout consacré à ses vignes à l’approche des vendanges. Impliqué comme la plupart des députés communistes non démissionnaires dans l’enquête relative à la « Lettre au président Herriot », il fut arrêté le 9 octobre à 6 h du matin par deux inspecteurs de police qui l’orientèrent sur Clermont-Ferrand où l’attendait un autre élu communiste, Marius Vazeilles*. Transporté en train à Paris, Jardon nota sur son carnet, après qu’il eut entendu les portes de la Santé se refermer sur lui : « Dire, écrire ce que j’éprouve est impossible. C’est dans des instants semblables que l’on s’aperçoit à quel point on peut regretter les siens. C’est là aussi que l’on juge les hommes. »

On s’organisa à Domérat pour soutenir le maire : des amis vendangèrent à sa place et Aumoine collecta des signatures pour assurer la publication d’une déclaration du conseil municipal exigeant sa mise en liberté provisoire. De sa cellule, Jardon tentait de résister. Il écrivit à Dormoy : « Fais, en tant que député socialiste, cesser cette iniquité. » Mais le maire de Montluçon voulut lui imposer un avocat socialiste et Jardon, qui refusait aussi bien cette proposition que les services de l’avocat communiste Willard, choisit finalement comme défenseur Lucien Lamoureux, ancien ministre des Finances et vieille connaissance montluçonnaise.

Traumatisé par cette incarcération dont il ne voyait plus la fin et désorienté par les pressions qu’on exerçait de toutes parts sur lui, Jardon décida de se désolidariser de la fameuse lettre auprès du magistrat instructeur. Il notait dans son carnet au 23 octobre : « J’ai le cœur gros. On me démissionne d’un côté et je demande ma radiation de l’autre. J’en ai assez. Je ne peux plus tenir. J’ai vu Vazeilles ce matin : il résiste et, cependant, il est malade. Enfin, n’en parlons plus, c’est fini. »

Libéré, Jardon se remit au travail. Il se fit inscrire au groupe de l’Union populaire française où siégeaient les députés communistes dissidents et intervint en leur nom le 1er mars 1940 sur les questions agricoles. Plus de contacts avec la direction locale du PC, une surveillance policière tatillonne, sa mairie occupée par une délégation spéciale à dominante socialiste : celui dont la vie s’était effondrée attendait avec angoisse l’issue d’une guerre dont son expérience l’incitait à penser qu’elle ne serait guère favorable à la France. Ce fut en effet la débâcle, puis le départ pour Vichy où Jardon refusa avec soixante-dix-neuf autres parlementaires l’attribution des pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Il fut alors doublement surveillé par la police du nouveau régime et son épouse fut déplacée arbitrairement de son poste d’institutrice à Domérat, sur ordre de la seconde délégation spéciale installée en mairie. Marcel Gitton* utilisa abusivement la signature de Jardon pour la placer, parmi d’autres, au bas de la « Lettre ouverte aux ouvriers communistes » que le POPF publia en septembre 1941. Eugène Jardon fut perquisitionné à l’automne 1943 par la Gestapo qui ne trouva chez lui aucun motif à poursuites. En fait, le vigneron fournissait régulièrement aux résistants du vin et des pêches sans être engagé dans la lutte clandestine. Membre honoraire du Parlement après la Libération, l’ancien maire de Domérat se retira de la vie politique et son ex-rival communiste Aumoine fut chaque fois battu dans la reconquête de la municipalité. Jardon se présenta malgré tout à l’élection au Conseil de la République de 1955 en tant que candidat indépendant mais n’obtint qu’un petit nombre de voix.

Marié le 17 mai 1933 à Domérat avec Suzanne Brochard, il avait un enfant, Jean, né le 15 octobre 1935. Eugène Jardon mourut le 21 juillet 1977 à Domérat.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88985, notice JARDON Eugène par Guillaume Bourgeois, version mise en ligne le 31 août 2010, dernière modification le 31 août 2010.

Par Guillaume Bourgeois

SOURCES : Service historique de l’armée de terre, 9N363 et 1E8 — Archives privées d’Eugène Jardon. — Entretiens avec Suzanne Jardon (décembre 1979 et août 1984). — Note de Georges Rougeron. — G. Bourgeois, Le groupe parlementaire communiste d’août 1939 à janvier 1940 : la question des démissionnaires, Mémoire de Maîtrise, Lille III, 1980. — G. Rougeron, Le Département de l’Allier sous la IIIe République, Montluçon, 1965.

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